PRÊTRES, SOLDATS ET JUGES SOUS RICHELIEU

 

LE CLERGÉ CATHOLIQUE.

CHAPITRE V. — LA DÎME.

 

 

Cet impôt est léger. — Charge minime pour la population. — Pèse sur la richesse, non sur le travail. — Quotité de la dîme ; portion de récolte qu'elle représente. — Elle ne porte pas sur tous les objets ; souvent elle n'atteint pas la moitié des terres. — Peut être évaluée au 30e des produits du sol. — Ce que les dîmes rapportent au clergé ; en détail, dîmes inféodées, affermées. — En totalité, ne dépassent pas 25 millions. — Augmentation et diminution des dîmes du XVIe au XVIIe siècle selon le changement des cultures.

 

L'autre portion du revenu ecclésiastique venait de la dîme. — La dîme était la subvention donnée au culte par le pays ; le prix du service rendu par le curé. C'est à la fonction pastorale, et non à la qualité d'ecclésiastique qu'est due la dîme. Les moines de tout Ordre, les chevaliers de Malte, qui ne rendaient pas de service direct à la population, devaient, bien qu'ils aient maintes fois cherché à s'en dispenser, payer la Mme aux curés. Si le clergé se la paye en quelque sorte à lui même, c'est que nul ne peut s'y soustraire ; gentilshommes ou roturiers, la règle ne souffre aucune exception ; le Roi y est astreint tout le premier.

La dîme ecclésiastique, dit Vauban, ne fait aucun procès ; elle n'excite aucune plainte ; et depuis qu'elle est établie, nous n'apprenons pas qu'il s'y soit fait aucune correction. Nous n'irons peut-être pas aussi loin dans l'éloge que l'illustre maréchal. Ce qui est vrai, c'est que la dîme était un impôt sensément perçu, le meilleur de l'ancien régime. Levé sur les produits du sol, il pesait sur le propriétaire, et non sur le fermier qui louait la terre en conséquence, sur la richesse et non sur le travail.

La dîme suit les variations de la récolte ; elle s'adoucit d'elle-même dans les mauvaises années ; et si elle s'élève, c'est en proportion de la prospérité du contribuable. Nous voyons fréquemment des conventions amiables entre le curé et ses paroissiens, touchant la dimension des gerbes de blé ou le nombre des barriques de vin. Il arrive que des habitants sollicitent la réduction en dîmes de la censive qu'ils payent. Le cens, la plus modérée des taxes féodales, était sans doute plus lourd dans sa fixité qu'une annuité proportionnelle au rendement agricole.

La dîme n'est nullement le dixième des produits ; elle n'est même pas le vingtième, mais tout au plus le vingt-cinquième, c'est-à-dire 4 p. 100 ; d'une part, elle varie du 11e au 50e sur les objets qu'elle frappe ; d'autre part, elle est loin d'atteindre les récoltes de toute nature indistinctement. Il n'y a d'autre loi, dans chaque paroisse, que les titres particuliers et la tradition locale. Ajoutons qu'aucun impôt n'est plus facilement fraudé, que la campagne ne s'en fait pas scrupule, et que le décimateur se contente le plus souvent de cc qu'on lui donne.

Le clergé soutient, aux États de 1614, que de droit divin le 10e de toute chose croissant sur la terre est entièrement dû à l'église. Mais ce principe n'est appliqué presque nulle part. Sur les blés, qui sont le plus strictement chinés, le curé ne perçoit le 11e, le 12e ou le 13e — la dîme au 13e sillon, comme on dit — qu'en un tout petit nombre de localités. En Bourgogne la dîme est au 15e, dans le bailliage de Sens au 16e. En Dauphiné et en Provence, elle ne se paye qu'à la 20e gerbe, et dans plusieurs paroisses à la 25e seulement. Il en est de même en Touraine. En plusieurs doyennés de Champagne, elle ne va pas à une gerbe sur 30 ; en beaucoup de terres de Poitou, Saintonge et Aunis, une déclaration royale la fixe au 50e. Pour toutes les dîmes de nouvelle création, on ne donnait en général que 4 p. 100 de la récolte. Les produits du sol autres que le blé payent moins encore. La dîme des bois royaux a été réduite au 20e, par les officiers des Eaux et Forêts. Nous voyons bien un arrêt du parlement de Bordeaux qui règle la dîme des cochons au dixain ; mais dans le ressort de ce parlement, plusieurs sénéchaussées qui forment le département actuel des Landes ne payent les prémices du bétail que de quarante-cinq, un. En Normandie, la dîme des veaux ou agneaux était de 6 deniers par tête, c'est-à-dire moins de 1 p. 100.

Sur le vin, elle était dans le Bordelais d'un 5e ; il est à noter cependant que sa quotité est beaucoup moins forte dans les pays vignobles que dans ceux où la culture de la vigne est accidentelle. A Orléans, la dîme du vin est du 18e, à Provins elle est du 200. En pleine Champagne, bien des vignes sont abonnées à 2 sous par arpent, chiffre purement dérisoire ; d'autres, en Bourgogne, à 10 deniers par arpent, sur la demande des habitants ; ce qui se conçoit aisément. En 1679, ces dernières furent portées à 1 sou. Ailleurs les dîmes de même nature sont de deux pintes par poinçon, soit environ 2 litres sur 156. Parfois les habitants fixent eux-mêmes ce qu'ils entendent donner à leur pasteur : On déclare à de Bèchon, curé de Gontaud (1660), qu'il ne doit recevoir la dîme du tabac qu'à raison de un 16e, à cause des grands frais de cette culture.

Ici, les habitants ne doivent qu'un droit de terrage et non la dîme ; là existe un maximum que la perception, bien que proportionnelle à la récolte, ne peut jamais dépasser, même dans les années les plus abondantes. En Auvergne, en Normandie, les dîmes, d'après les coutumes, se prescrivaient par trente ans de non-paiement. Dans l'Angoumois, tous les laboureurs ont un quart d'arpent franc et quitte de dîme. Ils avaient en outre un demi-arpent exempt par chaque couple de bœufs employé au labour. Cette seule mesure réduisait la taxe de moitié. Les défrichements s'opèrent, des changements se produisent dans la culture : un village se fonde, et comme les jardins potagers, les enclos de tout genre sont exempts, ces terrains qu'ils occupent cessent de payer. Un autre village disparaît, la charrue vient à passer sur lui ; mais comme il n'avait jamais payé dans son ancien état, le sol ne paye pas davantage dans le nouveau ; ou bien il paye très peu, une dîme novale dont le curé à portion congrue traite à l'amiable, à l'insu du gros décimateur. Le fait est qu'en certaines paroisses on ne dîme ni les prés, ni les vins, ni les bois, et que, pour un motif ou pour un autre, le curé a perdu ses droits sur une notable partie de son territoire. Des rachats sont consentis. La ville de Nîmes éteint la dîme des olives, moyennant une somme de 18.000 livres payée au chapitre ; un arrêt du Conseil d'État consacre cette abolition.

Combien rapportent les dîmes dans leur ensemble ? Lors même que nous saurions ce que valent toutes les cures de France, il faudrait connaître le chiffre et la valeur des dîmes inféodées, ou laïcisées. Celles-là sont comme les autres une contribution de l'étable, du champ ou du pressoir, mais elles ne vont pas à la grange du curé ; ou mieux la grange appartient à un laïque, noble ou roturier, substitué aux droits ecclésiastiques. L'origine de ces dîmes inféodées est un des points obscurs de notre histoire. Peut-être avaient-elles été données aux seigneurs par les curés, à l'époque des Croisades, d'une façon temporaire, à titre viager tout au plus, et les seigneurs se les étaient-ils appropriées à jamais ? Elles devaient justifier d'une existence antérieure au Concile de Latran de 1179, qui avait prohibé ces inféodations pour l'avenir. Quoi qu'il en fût, les dîmes de ce genre représentent un écart dont on doit tenir compte, entre ce qui est donné par la nation, et ce qui est reçu par l'Église.

Négligeons d'abord, pour atteindre la vérité, les chiffres fantaisistes, comme celui de Vauban qui estime à 134 millions, vers 1693, le produit des dîmes ecclésiastiques. Le Secret des Finances, imprimé en 1581, les considère comme rapportant 25 à 30 millions ; d'autre part, en 1789, calculées en moyenne au 18e, elles passent pour coûter à l'agriculture 133 millions. Ces deux chiffres, quoique bien différents en apparence, s'accordent en réalité. Selon le poids du métal, 30 millions de livres de 1580 font 80 millions de 1789 ; mais l'augmentation du revenu des terres de la fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe, le nombre des terres défrichées et l'agrandissement de la France, qui compte sept ou huit provinces de plus, suffisent à porter les 80 millions au delà de 130. Par exemple, l'abbaye de Saint-Sever, en Gascogne, reçoit d'une paroisse 40 barriques de vin. Or la barrique de vin vaut à Saint-Sever 15 livres en 1625, 92 livres en 1664, 30 livres en 1724, 73 livres en 1790 ; d'où il suit, en tenant compte du prix de la livre monnaie, que la valeur de cette dîme a presque quintuplé de 1625 à 1790, sans que la quantité de vin reçue ait changé. On pourrait faire le même calcul pour toutes les dîmes de France, avec cette seule différence que certains produits agricoles, comme le blé, ont peu augmenté de prix, tandis que d'autres, comme le bétail, ont très fortement haussé. Aussi le chiffre de 30 millions en 1580 est, toute proportion gardée, beaucoup plus élevé que celui de 133 millions en 1789 ; mais tous deux sont encore exagérés.

Nous n'ignorons pas qu'aux derniers siècles, les gros décimateurs qui ne résidaient pas avaient pris l'habitude de louer les dîmes, tantôt au curé lui-même, tantôt à la collection des habitants qui font leur offre le jour de l'adjudication, tantôt à un particulier. Le bénéfice du fermier, quel qu'il soit, ses frais de recouvrement, constituent une différence assez notable entre la charge supportée par les cultivateurs et le revenu net du clergé. Les chiffres de 25 et de 133 millions représentent, pour le règne de Louis XIII, quelque 40 millions de livres ; et, cependant, les dîmes sont bien loin de rapporter 40 millions, ou même 30. Elles n'en rapportent sans doute pas plus de 25 à l’Église.

Il existe dans les archives nombre de baux sincères, ce sont des originaux qui ne s'attendaient pas à jamais voir le jour. Trois sortes de dîmes nous apparaissent, aussi bien en Provence qu'en Picardie, en Bretagne ou en Bourgogne : les petites, celles des paroisses minuscules de 23 ou 50 habitants ; elles valent une soixantaine de livres, parfois moins ; il en est de 30 livres dans l'Ile-de-France. Là, pas d'espoir pour le desservant de voir sa situation s'améliorer ; c'est la misère à perpétuité. D'autres dîmes correspondent à peu près à la portion congrue ; elles valent de 2 à 300 livres. Les dernières dépassent le traitement strict du curé et vont de 400 livres à 6000, maximum de celles que nous avons rencontrées. Un abbé commendataire jouit de ces 6.000 livres et ne laisse au desservant que cinq muids de grains. Partout de grandes inégalités ; une abbaye a quatre dîmes : la première de 89 barriques de vin, la seconde de 40, la troisième de 10, la quatrième de 2. Des moyennes tirées de ces chiffres nous donneront peut-être le produit des dîmes dans l'ensemble de la France ; elles ne donneront pas le revenu moyen des curés, parce que la plupart des grosses dîmes ne leur appartiennent pas. Mais, quand même celles-ci n'auraient pas été détournées de leur destination, quand même chaque prêtre eût profité seul des fruits de sa paroisse, il demeure acquis que la dîme était un mauvais système de rétribution, à moins que les revenus de chaque diocèse, mis en commun, n'eussent été répartis équitablement entre tous les membres du clergé.

Une centaine de dîmes que nous avions relevées dans quinze de nos départements actuels, sous le ministère de Richelieu, ressortaient l'une dans l'autre à 650 livres environ. Le Pouillé général de 1648 contient le revenu d'un certain nombre de cures : dans le diocèse de Rennes, le revenu moyen est de 750 livres ; dans celui du Puy, il est de 420 livres ; dans celui du Mans, de 400 livres, etc. Pour cinq diocèses, la moyenne de 600 cures est de 580 livres. Mais la dîme n'est qu'une partie de ces revenus ; les cures ont des biens propres, en petite quantité, mais elles en ont. On en voit même qui les ont conservés jusqu'à. nos jours. Il importe de distinguer ces biens fonciers de la dîme. Cette dernière ne nous parait pas avoir atteint plus de 800 livres par commune, ce qui donnerait un total de 25 millions au plus, à l'avènement de Louis XIV.

Nous ne prétendons pas poser de chiffre pour une autre époque. Mais les baux de divers siècles, qui nous sont parvenus, suffisent à montrer par combien de hausses et de baisses ces rentes ont passé, depuis le moyen âge jusqu'à 1789. L'histoire des dîmes serait presque l'histoire de l'agriculture dans notre pays. Au XVIIe siècle, on arrache la vigne en Normandie, on la multiplie en Bourgogne ; au XVIIIe le méteil, jusqu'alors plus répandu que le froment, est abandonné ; les prairies modernes naissent de cette transformation. La dîme, thermomètre de la prospérité publique, augmente ou diminue selon les prix des denrées et la quantité des terrains cultivés. De fait, elle s'est accrue jusque vers la fin du XVIIe siècle ; elle a diminué fortement vers 1700, pour reprendre, vers 1740 ou 1750, un mouvement ascensionnel d'une incroyable rapidité. La dîme de Céaucé (Orne) est affermée 1.000 livres en 1738, 2 400 en 1768, 3 440 en 1775 et 5 700 en 1778 ; la dîme de Segrie (Sarthe) vaut 1.000 livres en 1724, 1 500 en 1768, 2 300 livres en 1778.

Pour se rendre un compte exact des variations dans la valeur des dîmes, il faut ramener uniformément en francs de cinq grammes d'argent toutes les sommes exprimées en livres, à diverses dates. Nous voyons ainsi que la dîme de Lavit (Gers) est immobile à 72 francs de 1701 à 1731, et s'élève à 162 francs en 1767 ; que la dîme de Coulaines et Saint-Vincent (Sarthe) de 225 francs en 1679, de 420 en 1689, de 450 en 1694, descend à 360 francs en 1746, pour remonter en 1768 à 540 francs, en 1777 à 855 francs, en 1787 à 1350. La dîme d'Yanville, dans la Beauce, n'est en 1533 que de 420 francs, et en 1550 de 489 francs ; elle monte, en 1636, à 1 900 francs, et tombe, en 1752, à 1 260. Les changements de culture étaient loin d'être toujours favorables au curé ; la région qui forme actuellement le département de l'Yonne en fournit un exemple frappant. Après avoir profité de l'accroissement des cultures, jusque vers 1530, les dîmes dans cette contrée tombent tout à coup au quart, au sixième, au huitième de leur rendement. A Lailly, la dîme est de 28 setiers de grains au XVe siècle, de 122 setiers au XVIe et de 34 seulement au XVIIe. En 1772, on la convertit en 500 livres de rente, qui représentent à peine 25 setiers de froment. Ailleurs, on suit pas à pas les progressions. La dîme, à Montigny, est de 45 setiers de blé en 1414, de 61 setiers en 1469, de 156 en 1499, de 216 en 1516, puis elle est réduite à 120 en 1559, à 30 en 1594, pour osciller entre 40 et 50 jusqu'à la Révolution. Sous Louis XIII, celui qui avait droit de dîme sur des terres labourables le gardait si elles venaient à être plantées en vigne ; il n'en était pas de même au siècle précédent. Le prélèvement sur le blé devint tout à fait minime, sans que le décimateur ait pu se rattraper sur le vin, qui lui échappa. Il se trouva ainsi complètement dépossédé de ses revenus. Les dîmes de Thorigny et la Postole, qui valaient 1.400 francs en 1499, n'en valent plus que 840 en 1538, 403 en 1610, et atteindront avec peine 660 francs à la fin du XVIIIe siècle. Une dîme, affermée 2.360 francs en 1523, ne l'est plus en 1781 que 630 francs. D'autres, après bien des hauts et des bas, se retrouvent, au moment de leur disparition, à peu près au même chiffre que sous François Ier ou sous Charles IX ; et, comme le pouvoir de l'argent a fort diminué, elles valent en réalité deux ou trois fois moins qu'elles ne valaient jadis.

Ce ne sont là du reste que des exceptions : prises dans leur ensemble, les dîmes ne pouvaient faire autrement que d'augmenter, puisque les produits agricoles croissaient en nombre et s'élevaient en prix. Les 25 millions de livres, ou 47 500.000 francs de Louis XIII, étaient devenus sans doute 110 à 115 millions de francs lors de la réunion de l'Assemblée constituante. Et cependant la quotité de la dîme a dû baisser d'une époque à l'autre. Elle devait être plus près du 30e que du 25e, la totalité du produit brut de la terre française étant très supérieure à deux milliards et demi par an en 1789.

Si l'on considère ce que le culte catholique coûtait à la nation en 1905, avant le vote de la loi de séparation et ce qu'il coûtait en 1640, on remarque que jusqu'à l'an dernier, le clergé recevait de l'État 40 millions de francs et des communes 15 millions (y compris les frais de réparations d'édifices religieux) ; en tout 55 millions. Mais, comme l'Eglise avait été dépouillée de ses biens, dont j'ai évalué le revenu en 1790 à 245 millions de francs, il se trouve qu'à proprement parler l'indemnité qui lui était payée jusqu'à 1905 par l'État et les communes ne représentait pas le quart de ses anciennes rentes.

Cette indemnité constituait un intérêt de 1 p. 100 des terres qui lui ont été enlevées, d'après la valeur de ces terres au moment de la Révolution, et de ½ p. 100 seulement d'après leur valeur actuelle, qui est double.

Si d'ailleurs on fait le compte des charges et des revenus, autrefois et aujourd'hui, on trouve que le clergé possédait, sous Louis XIII, 100 millions de livres (75 de ses biens et 25 des dîmes), correspondant à 500 millions de francs de notre monnaie, tandis que le clergé actuel ne recevait des pouvoirs publics que 55 millions en 1905. Les charges de l'Église, sous Louis XIII, étaient à coup sûr plus élevées que celles de l'Église concordataire du XXe siècle : les aumônes légales, l'entretien de bâtiments innombrables, églises, chapelles, monastères, montaient sans doute, avec le don gratuit, à 20 millions de livres ou 100 millions de francs contemporains. Il lui restait ainsi, pour vivre, 400 millions, tandis qu'hier — ces mêmes frais déduits du budget des cultes — il ne lui restait pas plus de 37 millions de francs pour les traitements ecclésiastiques.

Du rapprochement de ces deux chiffres ressort cette conclusion que, sous Louis XIII, le clergé avait beaucoup de superflu ou bien qu'hier il n'avait pas le nécessaire. L'une et l'autre de ces opinions sont vraies.

En effet le clergé séculier se compose maintenant de 40.000 prêtres. La plupart sont pauvres, les trois quarts n'ont pour vivre que leur traitement ; il en était un peu de même autrefois, où le bas clergé se recrutait dans les classes populaires et où le haut clergé se composait de cadets des familles d'épée ou de robe, qui ne recevaient que la légitime, et souvent y renonçaient dès qu'ils avaient un bénéfice. Quant aux religieux et religieuses, ils étaient, après la prononciation de leurs vœux, morts civilement, et leur succession s'ouvrait immédiatement. Le clergé du xvii' siècle, ayant sept à huit fois plus d'argent que le nôtre et comptant tout au plus le double des membres du clergé actuel, devrait être beaucoup plus à son aise. Comment le tableau assez triste que nous avons tracé de sa misère peut-il donc être ressemblant ? Cela tient à ce que l'État s'était emparé des trois quarts du revenu de l'Église, et en disposait à sa volonté, à cette seule condition de n'en gratifier que des individus revêtus au moins des ordres mineurs. Ceux-ci n'exerçaient aucun ministère et ne rendaient aucun service à la religion. De sorte que si l'on voulait savoir ce que dépensaient annuellement ceux qui desservaient les paroisses et ceux qui priaient ou travaillaient dans les monastères, — moines cloîtrés et curés portionnés, — on ne trouverait sans doute pour eux tous qu'une somme correspondante à ce que recevaient l'an dernier nos prêtres contemporains.