Les artistes qui exercèrent leur talent à Carthage se bornèrent souvent à imiter, lorsqu'ils ne les copiaient pas, des modèles étrangers. L'originalité leur manque, au moins à la belle époque. L'originalité est, au contraire, le mérite principal des écrivains. Il y a exagération à dire, comme on le fait parfois, qu'ils ont tout renouvelé, idées et expressions. Pourtant ils ont assez plié le latin à leur convenance, lui infusant une saveur du midi, le marquant de leur empreinte, pour que leurs livres se confondent malaisément avec ceux des autres pays : dans la littérature occidentale, ils constituent vraiment un groupe distinct. Je me garderai bien de prétendre que ces hommes se ressemblaient de tout point ; mais, sous des différences très réelles, qui constituent la nature et l'esprit particulier de chacun d'eux, subsiste un fonds commun, c'est-à-dire le caractère propre de leur race, ce par quoi l'âme africaine se distingue de la grecque, de la romaine, de la gauloise. Et, comme ils avaient presque tous de la valeur, quelques-uns du génie, la langue énergique qu'ils façonnèrent, pour ainsi dire, à l'image de leur âme tumultueuse, n'a pas péri avec eux ; ou plutôt, grâce surtout à eux, le latin, en danger de mort, a été sauvé. Tandis que la barbarie envahissante menaçait de submerger les lettres latines, c'est l'Afrique, c'est Carthage, plus encore que le reste de l'Empire, qui, par la main de Tertullien, de Cyprien, d'Augustin et de leurs disciples a maintenu haut le flambeau et l'a transmis en mourant, à son tour, aux générations de l'Occident. Et quasi cursores vitai lampada tradunt[1]. Avant d'examiner de quelle façon les auteurs dont la vie entière s'est écoulée à Carthage, ou ceux qui y résidèrent pendant une longue période de leur existence, ont enseigné le peuple, charmé les délicats, il ne sera pas hors de propos de nous enquérir des dispositions intellectuelles de ceux à qui ils s'adressaient. Nous devinerons ainsi quelles facilités ils ont rencontrées ou quels obstacles il leur a fallu surmonter. |