I La triste aventure de Cælestis enlevée de force par Élagabal pour se voir marier à Rome avec le dieu d'Émèse, la révolte de Gordien et ses funestes conséquences, détournèrent des chrétiens les pensées du peuple carthaginois. Il ne parait pas qu'on les ait alors, comme au temps de Tertullien, rendus responsables des maux qui accablaient la cité. Sous Maximin le Thrace des poursuites furent intentées en divers lieux contre les fidèles, mais elles ne s'étendirent point à l'Afrique[1]. La paix s'y maintint donc entre le pouvoir et le nouveau culte pendant une quarantaine d'années (211-250) ; cette trêve permit à la chrétienté de réparer les pertes qu'elle venait de subir et d'élargir son champ d'action. Bien qu'elle ne fût plus réduite, nous l'avons vu, dès la fin du IIe siècle, à se recruter seulement dans les derniers rangs du peuple, c'était encore de là pourtant qu'elle tirait le plus clair de ses effectifs. Des gens qui n'avaient rien ou fort peu à perdre ici-bas ne craignaient guère de s'exposer à la prison et à la mort. Les classes riches ou simplement aisées n'étaient point aussi prêtes à se sacrifier. Des liens beaucoup plus forts les rattachaient à la vie, richesses, honneurs, intérêts de tout genre ; pour s'en débarrasser de gaieté de cœur, il fallait un courage dont un petit nombre d'âmes étaient capables. Perpétue avait poussé jusque-là l'héroïsme, l'exemple de cette jeune mère ne fut point contagieux. Tout en l'admirant sans doute en leur cœur, et quoique secrètement sollicités vers une religion plus pure, les bourgeois de Carthage souhaitaient des jours meilleurs pour se déclarer. Quand l'orage fut apaisé et qu'une sécurité qu'on était en droit de croire durable succéda à la lutte ouverte, les pusillanimes se rassurèrent. Le clergé, libre de ses mouvements et de sa parole, n'eut pas de peine à se concilier ces esprits déjà sympathiques, les conversions se multiplièrent dans des proportions inespérées ; mais on sent assez qu'une foi qui avait eu besoin pour se manifester de l'éloignement complet du danger manquait de solidité. La plupart de ces néophytes, gros commerçants, hommes d'affaires, peut-être même fonctionnaires, étaient croyants à la surface, prêts à lâcher pied sans combat à la moindre alerte. L'occasion ne tarda pas à leur être offerte de montrer ce qu'ils valaient. En attendant, ils menaient un genre de vie qui contrastait
étrangement avec, celui que les fidèles pratiquaient jusqu'alors. Loin de
renoncer à leurs habitudes mondaines, ils se comportaient à peu de chose près
dans le christianisme comme auparavant dans le paganisme1. Le détachement des
biens de la terre n'était pas leur fait ; au contraire, l'amour de l'argent,
si vif chez les habitants de la Carthage punique, les possédait encore tout
entiers. Par eux le goût et la recherche du bien-être s'introduisirent en peu
d'années dans la communauté, la sévérité des mœurs se relâcha. Saint Cyprien
s'en plaint dans le De
lapsis[2].
Tous,
dit-il, s'appliquent
à augmenter leur fortune. Oubliant ce que les chrétiens ont fait jadis à
l'époque des Apôtres et ce qu'ils devraient toujours faire, ils brûlent du
désir insatiable des richesses et ne s'occupent que d'accroître leurs
revenus. Plus de piété chez les prêtres, plus d'intégrité dans la foi chez
les ministres de Dieu, plus de charité dans les œuvres, plus de règles dans
les mœurs. Les hommes osent tailler leur barbe, les femmes se fardent ; on
corrompt la pureté des yeux, œuvre des mains de Dieu ; on donne aux cheveux
une couleur mensongère. Pour tromper les cœurs simples, on emploie la ruse et
l'artifice ; pour circonvenir ses frères, on a recours à la fourberie. On
épouse des infidèles, on prostitue aux
païens les membres du Christ. Non seulement on jure à tout propos, mais on se
parjure ; on n'a que du dédain pour ses supérieurs, on lance contre le
prochain le venin de la médisance, on se hait avec fureur et sans relâche.
Beaucoup d'évêques, an lieu d'être, comme ils le devraient, les guides et les
modèles des autres, méprisent le divin ministère et se font les agents
d'affaires des puissants du siècle ; ils désertent leur siège, abandonnent
leur peuple et s'en vont errant de province en province, cherchant où ils
peuvent trafiquer et réaliser les plus gros bénéfices ; leurs frères manquent
de tout dans leurs églises, eux cependant veulent vivre dans l'abondance ;
ils emploient les subterfuges et la fraude pour mettre la main sur les terres
; ils recourent à l'usure pour enfler démesurément leur avoir. Bien
que ces reproches s'adressent à toute l'Afrique, ils concernent en première
ligne la capitale, on saint Cyprien avait été témoin des pratiques qu'il
réprouve. Aujourd'hui les griefs qu'il articule contre ses concitoyens nous
semblent assez disparates. Les Pères de l'Eglise, surtout ceux des pays méridionaux,
flétrissent souvent avec la même énergie le vice et les simples travers. Du
moins, ce que ces lignes mettent en évidence, et je n'en veux point conclure
autre chose, c'est que la longue paix dont jouissait Carthage y avait énervé
la discipline. Aussi, pour me servir encore des expressions du même écrivain,
Dieu voulut-il éprouver ses serviteurs[3]. Il suscita de
nouveau la persécution. Dèce venait de recevoir la dignité impériale. Résolu à relever l'Empire qui commençait à marcher vers sa ruine, le nouveau prince crut qu'il fallait avant tout restaurer le prestige de la vieille religion. Le christianisme, de plus en plus répandu, constituait l'obstacle principal ; il devait disparaître. Un édit fut donc promulgué dans les dernières semaines de l'année 249[4], qui enjoignait à tous ses adeptes de sacrifier aux idoles et de renoncer à leur foi par un acte formel d'abjuration. Les chefs des églises se trouvaient particulièrement visés[5]. Carthage avait alors comme évêque un homme d'un grand caractère et d'une vertu éclairée, Thascius Cæcilius Cyprianus. Ses premières années sont obscures. Son biographe, qui est peut-être son compagnon assidu, le diacre Pontius[6], ne donne aucun renseignement, ni sur sa famille, ni sur sa vie, jusqu'à son baptême[7] ; cependant, en rapprochant les textes des auteurs qui ont parlé de lui, on voit qu'il était né en Afrique et, selon toute vraisemblance, dans la capitale même[8], vers l'année 200, de parents païens, riches et bien posés. Il fut d'abord rhéteur, et son enseignement jeta un vif éclat[9]. Vers 245[10], un prêtre, du nom de Cæcilius ou Cæcilianus, le convertit au christianisme[11], et le néophyte, qui conserva toujours pour lui le respect le plus affectueux, prit sans doute par reconnaissance son nom de Cæcilius. Distribuant alors sa fortune aux indigents, il se mit à pratiquer les plus austères vertus[12]. Cette conduite si conforme aux maximes de l'Evangile, non moins, je pense, que sa réputation antérieure, attira sur lui les regards des fidèles. Il fut, en fort peu de temps, investi du sacerdoce et, le siège s'étant trouvé vacant, de la dignité épiscopale (248)[13]. La persécution de Dèce, qui éclata sur ces entrefaites, lui permit de prouver qu'en l'élisant on avait fait un heureux choix[14]. L'édit de mort (edicta feralia)[15] fut promulgué à Carthage presque aussitôt après avoir paru à Rome. Il y produisit les effets les plus désastreux parmi les chrétiens. Un délai leur avait été fixé pour se soumettre, une grande partie d'entre eux obéirent[16]. Il leur en coûtait de se détacher de leurs richesses et de s'exposer aux supplices. Saint Cyprien, qui ne craint pas de dire la vérité à ces cœurs faibles, incrimine moins leur foi chancelante que leur amour du bien-être et du luxe[17]. Comment être surpris d'une défaillance si générale, quand on sait dans quelles conditions beaucoup d'entre eux étaient venus à la nouvelle religion ? La plupart allèrent donc spontanément s'offrir aux magistrats pour accomplir l'acte d'idolâtrie[18] : les uns participèrent aux sacrifices mêmes célébrés en l'honneur des dieux (sacrificati)[19] ; les autres se contentèrent de brûler de l'encens devant les images (turificati)[20]. D'autres enfin, plus habiles, mais non moins coupables d'intention, parvinrent a esquiver toute participation aux cérémonies païennes en soudoyant les agents impériaux. Moyennant une honnête rétribution, ils se faisaient délivrer par la police des certificats (libelli)[21] portant l'estampille de la commission de cinq membres qui veillait à l'exécution de l'édit[22] ; ces attestations de complaisance les déclaraient en règle vis-à-vis du culte officiel (libellatici)[23]. Les renégats des trois catégories furent englobés dans une même réprobation par leurs frères demeurés constants (stantes) et confondus sous une même flétrissure, on les appela les faillis (lapsi)[24]. Les chutes se produisirent non seulement parmi les simples fidèles, mais aussi dans le clergé[25] ; quelques prêtres même se laissèrent entraîner par peur à trahir leur foi[26]. La désertion cependant ne devint pas universelle, une portion notable de la communauté ne céda point à l'invitation des magistrats. Ceux-ci passèrent alors des menaces aux actes et sévirent contre ce groupe d'irréductibles[27]. Les uns furent exilés, leurs biens confisqués ; soixante-cinq d'entre eux se retirèrent à Rome, où on les accueillit avec le plus touchant empressement[28]. D'autres, parmi lesquels étaient des femmes et des enfants[29], subirent les tourments les plus variés, travail des mines, question, emprisonnement ; nous possédons une liste de treize personnes qui moururent de faim dans leur cachot[30]. Sergius, le prêtre Rogatianus, Felicissimus, Lucianus étaient les principaux des confesseurs[31] ; au premier rang des martyrs, on cite Mappalicus[32], pour qui saint Cyprien professait une particulière vénération, et Paulus[33], dont le nom reviendra bientôt dans l'affaire des lapsi. Toutefois le dessein des magistrats ne semble pas avoir été de mettre à mort le plus de chrétiens possible. On s'efforçait, au contraire, de lasser leur patience par une incarcération prolongée, accompagnée d'épreuves de toute sorte. Ce fut la forme spéciale de la persécution de Dèce[34]. Aussi les prisons regorgèrent-elles d'habitants pendant le premier semestre de 250. Entre les lapsi et les confesseurs se place une troisième catégorie de fidèles. Incapables de trahir, mais ne pensant pas que le devoir exigeât d'eux qu'ils se livrassent aux persécuteurs, ceux-là se retirèrent hors de leur portée. De ce nombre fut saint Cyprien. La ligne de conduite prudente qu'il suivit n'était pas insolite, plusieurs s'y étaient déjà conformés à l'époque de Septime Sévère. Tertullien et les montanistes la blâmaient ; nous savons qu'elle se conciliait avec les enseignements de l'Evangile. Aussi serait-on mal venu à en tirer aucune conclusion défavorable à l'évêque. La suite de sa vie démontre surabondamment qu'il était autant que personne de force à braver les souffrances et la mort. La crainte ne fut donc pour rien dans cette retraite volontaire, je l'attribue à des mobiles plus relevés. Cyprien n'avait pris possession du siège épiscopal que depuis une année environ, lorsque la chasse aux chrétiens commença. Il crut, je pense, qu'il serait plus utile- aux siens en se dérobant, pour le moment, aux atteintes de ses ennemis. Sa fuite priva le peuple païen d'une victime qu'il réclamait à grands cris[35], et les fanatiques, dont l'édit de l'empereur comblait les vœux, n'eurent pas la satisfaction de le voir déchirer par les lions dans l'amphithéâtre[36] ; mais sa conservation fut, on peut l'affirmer, un bienfait pour l'Eglise tout entière, pour celle dont il avait la charge en particulier[37]. Quelques-uns, cependant, ne le pensèrent point, et il se trouva des membres de son propre clergé pour flétrir sa résolution. Il eut beau déclarer qu'il n'avait agi de la sorte que dans l'intérêt commun et pour éviter des troubles et des violences fatales à ses frères[38], on ne voulut pas croire à la sincérité de ses affirmations, on s'obstina à le considérer comme avant méconnu ses devoirs, on le desservit, on le calomnia. L'occasion avait paru propice, en effet, à quelques esprits jaloux, pour le perdre dans l'estime de tous. Sa rapide élévation au sacerdoce, puis à l'épiscopat, n'avait pas eu lieu sans lui attirer l'inimitié de plusieurs cinq prêtres s'étaient surtout distingués par leur animosité[39]. On s'accorde à penser que ce furent les mêmes qui s'acharnèrent contre lui durant son éloignement et tentèrent d'empêcher qu'il revînt jamais gouverner son troupeau. L'endroit où Cyprien, avec quelques clercs, se cacha dès
le mois de janvier 250[40], ne nous a pas
été révélé. Il est certain du moins que l'évêque demeura, en contact
incessant avec Carthage et que son église fut par lui aussi scrupuleusement
administrée que lorsqu'il y résidait en personne. Il s'est rendu lui-même ce
beau témoignage : Absens corpore, nec spiritu,
nec actu, nec monitis meis defui quo minus secundum Domini præcepta fratribus
nostris in quilles possem mea mediocritate consulerem[41]. Les nombreuses
lettres que nous possédons, par lesquelles il réchauffait le zèle de ses
prêtres, sont lit pour prouver qu'il ne s'est pas exagéré son mérite. Prenez
soin des veuves, des infirmes et des pauvres, leur répétait-il aidez les étrangers
dans l'indigence[42]. Et il leur
ordonnait de se servir pour cet office de ses propres deniers. Veillez à tous
les besoins des confesseurs[43] ; réprimez les
discordes, mettez un frein aux paroles intempérantes des uns, réformez les
mœurs relâchées des autres[44]. Aucune des
préoccupations que lui imposait sa charge n'échappait à son esprit toujours
en éveil. Comme l'exil se prolongeait, il institua une commission pour le
représenter au milieu de son peuple. Elle se composait de deux prêtres.
Rogatianus et Numidicus, qui sortaient de prison, et de trois évêques,
Caldonius, Herculanus et Victor, réfugiés peut-être à Carthage pour se
soustraire aux poursuites dirigées contre eux dans leurs villes épiscopales[45]. Ces hommes
prudents, éprouvés, rendirent des services considérables. Toutefois Cyprien
demeura l'âme de son église pendant toute la persécution ; à aucun moment son
action directe ne cessa de s'y exercer. Les membres du clergé s'en allaient
fréquemment le visiter dans sa retraite, le tenir au courant de tout ce qui
se passait et prendre ses conseils pour résoudre les difficultés présentes. Ces difficultés étaient des plus graves, et la principale, source de presque toutes les autres, venait d'où on l'aurait le moins attendue, des confesseurs alors emprisonnés pour le nom de Jésus-Christ, gens bien intentionnés, courageux, dont plusieurs se trouvaient pourtant assez mal prémunis contre la vanité. Les souffrances qu'ils enduraient leur donnèrent d'eux-mêmes une opinion trop avantageuse ; ils se figurèrent que leur incarcération, ce demi-martyre, leur conférait des droits spéciaux, une sorte de grandeur morale qui valait bien l'autorité de l'évêque. Et la persuasion qu'ils en eurent les conduisit à des actes regrettables, jusqu'à un conflit avec saint Cyprien. Certains d'entre eux jouèrent un rôle fort équivoque, d'autres ne reculèrent pas devant un schisme[46]. II Les démêlés se produisirent au sujet des lapsi. Il était d'usage dans l'Eglise, en tous pays et de longue date, que ceux qui avaient commis quelque faute grave, et qui souhaitaient d'être réconciliés, se fissent recommander par les martyrs aux chefs des chrétientés. Les martyrs se portaient pour ainsi dire garants de leur contrition, et cet appui leur permettait d'obtenir plus aisément le pardon qu'ils sollicitaient. Les choses se passaient de la sorte à Carthage dès le temps de Tertullien[47]. Forts de cette coutume, beaucoup de ceux qui avaient failli, au début de cette année 250, prièrent les prêtres ou même les simples laïques emprisonnés d'intercéder en leur faveur et de leur donner une attestation (libellus)[48] pour rentrer en grâce auprès de Cyprien. Les confesseurs accueillirent ces requêtes avec empressement ; fiers de la confiance qu'on leur témoignait, ils délivrèrent les certificats sans aucune discrétion, déclarant sincère le regret de personnes qu'ils ne connaissaient guère ou même point du tout, et faisant preuve d'une coupable indulgence[49]. Ces affirmations téméraires risquaient de porter le trouble dans la communauté, car les lapsi ne manquaient pas de s'en prévaloir pour forcer les barrières qui les séparaient depuis leur chute de la communion des fidèles, et rentrer sans pénitence effective dans les rangs de leurs frères. La discipline ecclésiastique était manifestement violée. Ce qui ajoutait encore à la faute des confesseurs, c'est la façon dont ils rédigèrent leurs recommandations. Loin de formuler comme les martyrs un vœu modeste, ils parlaient d'un ton cassant. Ce n'était pas une requête qu'ils présentaient, mais une injonction qu'ils lançaient. Un tel est réconcilié avec tous les siens (communicet ille cum suis), écrivaient-ils par exemple[50]. Le cum suis, dit justement M. l'abbé Duchesne, était aussi large que le communicet était peu poli[51]. Aucun évêque soucieux du bon ordre et de sa propre autorité n'aurait admis des prétentions de ce genre ; Cyprien était moins disposé que personne à transiger sur ces deux principes. Il importait, surtout pendant son éloignement, que nulle doctrine ou coutume fâcheuse ne s'introduisit dans son église. Il s'éleva donc avec la plus grande énergie contre ces imprudences[52] ; non point qu'il fût d'avis d'exclure à jamais les défaillants, sa correspondance marque au contraire qu'il accordait en danger de mort la réconciliation immédiate des lapsi repentants par un prêtre ou même par un diacre[53], mais il voulait pour tous les autres cas qu'on attendit son retour à Carthage et sa décision[54]. Cette combinaison équitable sauvegardait les droits de l'évêque et ménageait les susceptibilités des confesseurs. L'orgueil de certains d'entre eux n'y trouvait pourtant pas son compte. Ils rédigèrent un billet presque comminatoire conçu en ces termes : Sachez que nous avons d'une voix unanime accordé le pardon à tous ceux qui vous auront rendu compte de ce qu'ils auront fait après leur faute. Nous vous prions de porter cette résolution à la connaissance des autres évêques[55]. Nous avons tout lieu de croire que l'unanimité dont ils se vantent n'existait pas : en divers endroits de ses lettres, Cyprien loue plusieurs confesseurs de n'avoir pas accordé, comme tant d'autres, une indulgence téméraire aux lapsi. De ce nombre sont Mappalicus le martyr[56], Saturninus[57], sans doute aussi les prêtres Rogatianus[58] et Numidicus[59], qu'il tenait en haute estime, puisqu'il s'était reposé en partie sur eux du soin de diriger son église. Ces heureuses exceptions devaient le consoler de l'attitude générale des confesseurs. Le principal auteur du désordre était un certain Lucianus, homme d'une foi ardente, d'une vertu solide, mais, selon saint Cyprien[60], peu instruit de la doctrine chrétienne et qui manquait totalement de réserve. Il se disait autorisé par le martyr Paulus à donner le libellus à tous ceux qui le demanderaient en manifestant quelque repentir[61] ; il se fit même le secrétaire de tous les prisonniers, écrivant des billets de réconciliation pour ceux d'entre eux qui étaient illettrés[62], rédigeant enfin la dernière sommation adressée à l'évêque. On le devine désireux de jouer un rôle dans l'église de Carthage, au clergé de laquelle il était peut-être attaché. Il ne tint pas à cet esprit turbulent et à ses semblables que la situation tendue ne se prolongeât. Heureusement Cyprien, qui ne pouvait agir alors avec la même efficacité que s'il eût résidé dans sa ville, reçut à propos un très utile renfort. Rome le lui fournit. La situation y ressemblait beaucoup, depuis la persécution à ce qu'elle était dans la chrétienté carthaginoise ; on y distinguait les trois mêmes groupes, confesseurs, exilés volontaires et lapsi, avec cette aggravation que, le pape Fabianus ayant été mis à mort, les Romains n'avaient plus aucune direction épiscopale. Les prêtres administraient pendant la vacance du siège. Ils entendirent parler de la retraite de Cyprien par quelques personnes mal informées ou mal intentionnées. Sans prendre la peine de s'enquérir des circonstances qui pouvaient légitimer sa résolution, ils envoyèrent des lettres où sa conduite se trouvait jugée en des termes peu amicaux. L'évêque en fut blessé ; mais supposant, à juste titre, qu'il avait été desservi auprès d'eux, il leur adressa treize lettres qu'il agirait écrites aux prêtres, aux diacres, aux confesseurs, aux fidèles de Carthage, et leur exposa les motifs qui l'avaient déterminé à partir. Cette loyale explication mit fin au malentendu, et des lors le clergé romain prêta son appui à Cyprien contre les insoumis et les fauteurs de troubles[63]. On fut d'accord sur ce, principe, qu'il convenait de ne point prendre de décision ferme au sujet des lapsi, tant que la paix ne serait pas rétablie. Le jour on les évêques auraient recouvré la liberté et repris la gestion personnelle des affaires. ils se concerteraient en vue d'arriver à une solution juste et uniforme. Jusque-là, les défaillants feraient pénitence en s'abstenant des saints mystères[64]. Cette manière de voir n'impliquait pas dans l'esprit de Cyprien une condamnation sans réserve des confesseurs. Il savait au contraire témoigner hautement et à toute occasion son estime pour ceux qui, déférents envers lui, ne s'étaient point compromis dans la distribution téméraire des indulgences[65]. Au commencement de son traité De lapsis[66], il entonne un véritable chant de triomphe en l'honneur de ces vaillants. Il eut à cœur de leur prouver autrement que par des paroles la sincérité de ses sentiments. Plusieurs d'entre eux furent introduits par lui dans les rangs de son clergé, et, dans sa correspondance[67], il s'étend avec complaisance sur leurs mérites, sur leur constance au milieu des tourments et la glorieuse proclamation de leur foi. Grâce à ces mesures généreuses et habiles, il se concilia beaucoup de ceux qui l'avaient mal jugé. Elles ne suffirent pas cependant a désarmer certains opposants, qui se souciaient moins de la justice et de l'honneur de l'Eglise que de leurs ambitions particulières. Le parti des mécontents était dirigé par les cinq prêtres dont nous avons déjà signalé les menées[68]. Ils avaient su mettre dans leurs intérêts des laïques riches et influents, surtout un personnage du nom de Felicissirnus, à qui sa situation personnelle, peut-être sa fortune, donnaient assez de relief pour qu'il partit être le chef du groupe. Cyprien le désigne du moins sous le nom de Felicissimi factio[69]. Non contents de discréditer l'évêque auprès du peuple et de mettre obstacle à la mission de ceux qu'il déléguait pour le remplacer pendant son exil, leur plus vif désir était de s'assurer contre lui du concours de Rome. A cet effet, ils dépêchèrent en Italie l'un d'entre eux, le prêtre Novatus (début de l'année 251)[70]. Ce messager des factieux, qui prêchait la doctrine du pardon immédiat en faveur de tous les lapsi, fut accueilli avec empressement par ceux des Romains qui tenaient pour la réconciliation intégrale. Le siège de Rome, resté vacant depuis la mort de Fabianus, ne pouvait tarder à être pourvu d'un titulaire ; on travailla de concert faire élire un pape hostile à Cyprien. Parmi les prêtres de ce clergé, il y en avait un dont la modestie n'égalait pas l'intelligence : il se nommait Novatianus. Sa science lui avait acquis un réel ascendant sur ses collègues, et, depuis que Rome était sans chef, il s'était parfois posé en porte-parole de son église. Quoiqu'il eût adopté une attitude intransigeante envers les faillis de la persécution, il ne fut pas malaisé aux confesseurs, en le flattant, de l'attirer à eux[71]. Ils se croyaient sûrs de son succès, et tout semblait réussir au gré de leurs vœux ; mais ils s'étaient trop hâtés de se réjouir. Le choix des seize évêques électeurs[72] se porta sur Cornelius, qui n'était nullement disposé à répondre aux désirs de Novatus et des adversaires de Cyprien. Ceux-ci prétendirent aussitôt que l'élu était indigne d'occuper la chaire épiscopale[73]. Novatus fit envoyer une protestation à Carthage contre le résultat du vote. En même temps, les confesseurs romains, inspirés par lui, nommèrent pape Novatianus, leur partisan. Telle fut l'origine du schisme novatien[74]. Cependant la persécution avait cessé en Afrique, dès le commencement de cette année 251[75], et Cyprien, qui n'avait pas cru pouvoir se rendre plus tôt aux instances de son clergé[76], était enfin revenu au printemps parmi les siens. Pour le rétablissement de son autorité personnelle, non moins que pour le repos de son église, son retour était fort nécessaire ; il n'avait déjà que trop tardé. Le premier soin de l'évêque fut de réunir un concile (avril-mai 251)[77]. S'en référant aux principes qui lui étaient communs avec le clergé de Rome, il voulait fixer, d'accord avec ses collègues et d'une manière définitive, la ligne de conduite à suivre à l'égard des défaillants. L'assemblée, assez imposante[78], se tint en garde contre une sévérité qui n'eût pas été de saison ; mais elle prétendait d'autre part ne participer en rien à la coupable condescendance du parti Felicissimus et des confesseurs. Voici la solution moyenne à laquelle elle se rangea[79] et que le grand nombre des lapsi de l'année précédente lui faisait presque un devoir d'adopter. Ceux qui s'étaient simplement procuré un certificat de paganisme (libellatici) seraient immédiatement réconciliés ; ceux qui avaient été jusqu'à rendre hommage aux idoles (turificati, sacri ficali) attendraient leur pardon, sauf cas de danger de mort[80]. Ils devaient avant tout faire pénitence (examologesis)[81]. D'autres questions occupèrent encore le concile. Avant qu'il fût ouvert, la nouvelle de l'élection de Cornelius, la protestation de Novatus et des siens, la nomination de Novatianus par les confesseurs, étaient parvenues à Carthage et avaient quelque peu déconcerté Cyprien. Certes il avait de bonnes raisons pour se défier de Novatus ; mais Novatianus n'était-il pas récemment encore le représentant autorisé du presbyterium romain ? N'était-ce pas lui qui, au nom de ses collègues, avait écrit ces belles lettres sur les lapsi envoyées aux églises du monde entier[82]. Il importait donc de se renseigner exactement, avant de faire adhésion à l'un des deux papes rivaux. En conséquence, Cyprien envoya les évêques Caldonius et Fortunatus pour procéder à une enquête à Rome même[83]. Ils revinrent pendant la session du concile. Ils avaient, d'ailleurs, été devancés par les émissaires de Novatianus[84] ; bientôt après se présentèrent aussi les évêques Pompeius et Stephanus, délégués de Cornelius ; on n'eut aucune peine à démêler où était le véritable pape. Les partisans de l'antipape, auxquels se joignaient, selon toute apparence, Felicissimus et sa faction, se livrèrent à des violences dans l'enceinte même de l'assemblée ; leurs cris ne troublèrent personne[85]. On déclara que Cornelius seul était, évêque de Rome, et on lui adressa une lettre collective pour le reconnaître comme tel[86] ; Novatianus et ses mandataires furent excommuniés[87]. Tandis qu'il maintenait ainsi l'union entre Carthage et Rome, Cyprien pressait encore les confesseurs romains de se déclarer en faveur du chef légitime[88] ; il obtint, en outre, que le synode carthaginois demandât à ce dernier son avis sur les décisions prises au sujet des lapsi[89]. Malgré ces marques de déférence, il ne parvint pas sans peine à convaincre Cornelius que le sage retard apporté par lui et les Africains à reconnaître la validité de son élection n'impliquait aucune froideur à son endroit[90]. La correspondance de l'évêque ne permet pas de douter un instant des sentiments affectueux qu'il nourrissait à l'égard du pape[91]. Les novatiens ne s'étaient point soumis à la sentence prononcée contre eux. Je n'ai pas à raconter ici comment ils se comportèrent à Rome, ni quel y fut, non plus qu'en Gaule et en Orient, le succès de leurs manœuvres. En Afrique, ils rassemblèrent quelques adeptes, et il fallut toute la vigilance de saint Cyprien pour les empêcher de faire des recrues jusque dans l'épiscopat[92]. Carthage surtout était visée par Novatianus, il y envoya cinq nouveaux délégués[93]. Par leurs soins, une petite communauté schismatique s'établit, à laquelle on préposa, avec le titre d'évêque, le prêtre Maximus, qui avait paru au nom de Novatianus devant le concile[94]. Cyprien, en informant Cornelius de cette nouvelle entreprise de leurs communs ennemis, déclare qu'il dédaigne leurs attaques[95]. De fait, son compétiteur était moins redoutable que celui du pape. Il n'aurait donc pas eu beaucoup à s'inquiéter de cette tentative contre l'autorité si son église n'avait pas alors renfermé d'autres éléments de désordre. La décision du concile, favorable dans son ensemble aux lapsi, avait bien enlevé des adhérents au parti des confesseurs ; accordé d'autre part, Novatus s'était livré corps et âme à Novatianus. Et cependant Felicissimus n'abdiquait pas. Il s'était même fait créer diacre par Novatus, avant son départ pour Rome[96] ; et son influence, accrue par cette dignité, retenait dans les rangs de l'opposition locale plus d'un cœur timoré, sans compter les intransigeants. La faction, qui s'appuyait sur des ressentiments personnels, je dirais des haines de clocher, s'il s'agissait d'une cité moins populeuse, avait poussé des racines beaucoup plus profondes que le schisme adventice des novatiens. De ce côté, les craintes de Cyprien étaient donc plus vives et les coups qu'on lui portait plus sensibles. An reste, la question avait plus de gravité qu'il ne semblait au premier abord, et l'évêque se rendait bien compte que l'esprit de l'Eglise courait de grands risques ; car ceux qui réclamaient, avec Felicissimus, la réintégration de tous les lapsi sans aucune pénitence, c'était cette catégorie de chrétiens attachés au monde, cette bourgeoisie à qui la discipline ecclésiastique, même mitigée dans les derniers temps, paraissait encore trop austère. Il était donc urgent de tenir ferme devant ces prétentions ; Cyprien y était bien résolu. Des circonstances imprévues le forcèrent à se départir du reste de rigueur qu'il désirait maintenir de concert avec ses confrères d'Afrique et d'Italie. Des signes nombreux, des menaces quotidiennes faisaient présager que la persécution, à peine assoupie, allait reprendre sur l'ordre du nouvel empereur Gallus[97]. Fallait-il, dans de telles conjonctures, laisser hors de l'Eglise les défaillants, coupables sans doute, mais repentants et désireux d'expier leur faute ? Ne valait-il pas mieux, en prévision de la crise prochaine, les réunir au noyau des fidèles, afin de les fortifier contre le péril ? Cette dernière solution fut jugée la plus opportune, et quarante-deux évêques, réunis à Carthage dans un second concile (15 mai 252)[98], décidèrent de rouvrir l'Eglise sans condition à tous les lapsi[99]. Ils tinrent à affirmer cependant qu'en agissant de la sorte ils cédaient à une impérieuse nécessité[100]. Felicissimus et sa secte ne pouvaient être compris dans cette mesure de clémence, car ils s'étaient organisés en schisme depuis plus d'un an. En manière de représailles, ils tentèrent de recruter dans l'épiscopat africain les éléments d'un concile opposé à celui de Cyprien[101]. Vingt-cinq évêques, disaient-ils, avaient promis leur concours ; il s'en présenta cinq, trois apostats et deux hérétiques. Le plus en vue était ce Privatus de Lambèse, condamné plusieurs années auparavant. Il avait prétendu plaider sa cause devant le synode régulier, on refusa même de l'entendre. Cette exclusion sommaire le porta aux extrêmes, lui et ses acolytes. Ils déposèrent Cyprien et le remplacèrent par Fortunatus, l'un des cinq prêtres qui n'avaient point désarmé depuis son élection[102]. Carthage compta donc à cette date jusqu'à trois chaires épiscopales : celle des catholiques, celle des novatiens, celle du parti des confesseurs. Or, à ce moment même, l'appui de Rome parut faire défaut à Cyprien. Il n'en avait jamais eu un besoin plus pressant. Felicissimus s'était hâté de partir pour l'Italie afin d'y notifier la nomination de Fortunatus. Bien qu'il sût à quoi s'en tenir sur le compte de ce factieux, le pape, intimidé peut-être par ses violences, lui permit de lire publiquement une lettre dans laquelle les plus outrageuses accusations étaient portées contre l'évêque légitime ; d'ailleurs, il congédia le calomniateur sans ajouter foi à ses paroles. Néanmoins la regrettable condescendance de Cornelius froissa vivement Cyprien. Il lui en écrivit avec beaucoup de tristesse à la fois et de franchise et lui montra de quels gens il semblait préférer le témoignage au sien : Si l'on en est venu, ajoutait-il, à craindre l'audace des pervers ; si les méchants obtiennent par leur téméraire impudence ce qu'ils ne sauraient attendre de la justice et de l'équité, c'en est fait de la force de l'épiscopat et de la sublime et divine autorité nécessaire au gouvernement des églises[103]. Cette impression pénible ne fut pas de longue durée. Le pape, ayant été bientôt après envoyé en exil à Centumcellæ, eut la joie d'y recevoir une lettre de félicitations de Cyprien, qui, mettant de côté tout ressentiment, ne pensait qu'à l'honneur de Dieu et aux intérêts de la foi[104]. L'évêque de Carthage courut à la même époque un réel danger. Le peuple, irrité contre les chrétiens, à qui il attribuait la peste qui sévissait, avec violence, réclamait à grands cris, comme deux ans auparavant, qu'il fût livré aux bêtes[105]. Nous ne possédons pas de renseignements sur cette période critique. Il reste avéré cependant que, sans quitter une seconde fois la ville, Cyprien échappa à la poursuite des païens. D'autre part, la situation ecclésiastique s'améliorait : les novatiens ne progressaient guère[106], et les adhérents de Fortunatus s'égrenaient rapidement ; l'accueil fait à Rome à Felicissimus les découragea. Beaucoup d'entre eux étaient des lapsi à qui l'on avait promis un pardon immédiat. Quand ils s'aperçurent qu'on les avait induits en erreur et que leur liaison avec ces perturbateurs les écartait plus que jamais de la communion catholique, ils s'empressèrent de désavouer toute participation aux actes du pseudo-évêque et de son entourage et sollicitèrent leur réadmission parmi le peuple chrétien. La persécution pouvait faciliter bien des choses. Un très petit nombre seulement de dissidents, ceux qui se voyaient trop compromis pour espérer une absolution immédiate, persévérèrent dans le schisme. Saint Cyprien, qui nous renseigne sur cette désagrégation des partis adverses[107], ne cite aucun nom de ceux qui demeurèrent attachés à Fortunatus. Felicissimus et Privatus se trouvaient vraisemblablement parmi ces débris d'une armée qui avait paru un instant redoutable. Désormais ils ne sont plus que des chefs sans soldats[108] ; leur puissance éphémère a vécu. L'année 252 se termina sous ces auspices favorables. Les mois suivants virent se resserrer encore les liens entre l'église de Carthage et celle de Rome. Cornelius étant mort en exil, Lucius lui succéda[109] (25 juin 253) ; exilé de même aussitôt il ne revint qu'au début de 254. Cyprien et plusieurs de ses collègues lui adressèrent leurs affectueuses congratulations pour la dignité épiscopale dont il avait été revêtu, pour son courage à confesser Jésus-Christ, enfin pour son retour au milieu des siens. Cette lettre, où l'on rappelle la mémoire de l'évêque Cornelius, le bienheureux martyr[110], est semblable par la charité fraternelle dont elle déborde aux plus cordiales que Cyprien eût jamais adressées à Cornelius lui-même. Toute trace de malentendu était donc effacée dans son esprit, et l'union se montrait plus solide que jamais. La tourmente qui sévissait en Italie épargnait l'Afrique[111]. Carthage eut donc le loisir de se remettre peu à peu de ses récentes épreuves et de panser les plaies que lui avaient causées la persécution, le schisme, l'hérésie[112]. Soucieuse de ses propres malheurs, elle n'était pas cependant insensible aux douleurs d'autrui[113]. Les barbares, toujours prêts à se révolter contre l'Empire, venaient de faire irruption sur quelques points du territoire[114]. Huit évêques, dont les diocèses étaient envahis et les fidèles emmenés en captivité, se tournèrent vers Carthage pour en obtenir du secours. Leur attente ne fut point vaine. Une collecte eut lieu dans les rangs du clergé et du peuple ; elle produisit 100.000 sesterces (environ 25.000 francs), somme relativement forte, à laquelle s'ajoutèrent les offrandes que des évêques présents dans la ville tinrent à déposer au nom de leurs églises. Cyprien expédia le tout, avec la liste des souscripteurs, à ses collègues éprouvés, qui purent ainsi payer la rançon des captifs et subvenir aux besoins les plus urgents[115]. Cet épisode nous montre quelle était la générosité de cette chrétienté ; il nous apprend aussi que, même en dehors des conciles, les évêques de la province s'y réunissent souvent pour discuter les intérêts communs, nous en voyons ici plusieurs qui y font un séjour. Ils ont donc pris l'habitude de la considérer comme leur protectrice et leur appui, c'est d'elle qu'ils attendent leur salut dans les périls. Grâce à l'autorité morale et aux vertus de Cyprien, la capitale civile de l'Afrique joue de plus en plus le rôle de métropole ecclésiastique. III Sa suprématie spirituelle s'affirmait surtout par la tenue fréquente des conciles dans ses basiliques. J'ai mentionné ceux de 251 et de 252 ; l'année 253 en vit un troisième, composé de soixante-six membres, qui traita d'abord d'une affaire disciplinaire et décida ensuite que rien n'empêchait, malgré l'opinion de quelques-uns, de baptiser les enfants presque aussitôt après leur naissance[116]. Cette question du baptême, dont on s'occupait déjà incidemment, allait bientôt devenir une cause de dissentiments graves entre les deux églises de Carthage et de Rome, animées jusqu'à présent l'une envers l'autre de sentiments si amicaux. L'unité faillit y sombrer. Quoique le débat intéresse la chrétienté tout entière, il est d'une importance si spéciale pour notre cité, il y provoqua de si solennelles assises épiscopales, que je ne saurais me dispenser d'en résumer au moins les parties essentielles. Durant les premiers siècles, l'initiation religieuse se composait de deux rites sacramentels distincts, le baptême proprement dit, ou immersion, et la collation du Saint-Esprit. Cette seconde cérémonie est aujourd'hui séparée de la première dans l'Eglise latine et s'appelle la confirmation[117]. Quand les sectes hérétiques se furent multipliées, il se produisit fréquemment que certains de leurs adhérents fissent retour à la grande Eglise. C'étaient, soit des fidèles qui avaient abandonné pour un temps les croyances orthodoxes et qui, désabusés, voulaient rentrer dans la communion chrétienne, soit au contraire des gens qui, nés dans l'hérésie, ou bien sortis du paganisme ou du judaïsme pour embrasser une doctrine réprouvée, n'avaient encore de toute manière passé par l'Eglise à aucun degré. On conçoit que le même traitement ne devait pas être appliqué à ces deux catégories de repentants[118]. Pour les uns, jadis marqués du signe de la rédemption, la solution se présentait d'elle-même. On les regardait comme coupables d'une faute grave : assimilés aux grands pécheurs, adultères, apostats, etc., ils devaient se soumettre à une dure pénitence ; le pardon était à ce prix. Ces mesures n'étaient pas de mise avec ceux que l'Eglise n'avait jamais comptés dans ses rangs et qui n'avaient reçu que l'initiation hérétique. La difficulté consistait à trouver le moyen pratique de les admettre dans le corps des fidèles ; la querelle baptismale n'eut point d'autre origine. Deux usages différents furent adoptés : certains évêques envisagèrent le cas de ces dissidents comme identique à celui des païens convertis ou des nouveau-nés et exigèrent d'eux l'initiation totale ; d'autres, considérant que l'hérésie même était une demi-acceptation de la doctrine du Christ, retinrent comme valide le baptême hérétique et se contentèrent d'exiger la confirmation pour ces catéchumènes d'une espèce particulière. Rouie, Alexandrie et la Palestine pratiquaient ce dernier système ; le précédent était en vigueur en Afrique et dans la majeure partie de l'Asie. Saint Cyprien n'imposa pas cette coutume à Carthage, elle y était établie depuis longtemps déjà. Sa lettre à son collègue Jubaianus[119] en témoigne, et saint Augustin, tout adversaire qu'il était de cette doctrine, le déclare aussi en termes formels[120]. Soixante-dix évêques convoqués par Agrippinus l'avaient solennellement promulguée vers l'année 220, et, quoique nous ne possédions pas les actes de ce synode, il n'est pas téméraire d'affirmer qu'il sanctionna un usage préexistant plutôt qu'il n'ordonna l'introduction d'une nouveauté. En effet, dans plusieurs traités de Tertullien le baptême des hérétiques n'est déclaré recevable à aucun titre[121]. De ces écrits les uns sont antérieurs, les autres postérieurs à sa profession de foi montaniste, et cette circonstance nous garantit que le système qu'il défendait n'a rien à voir avec le rigorisme de Montanus, mais que, sur ce point, il exprimait la pensée du clergé catholique. Le concile tenu sous Agrippinus avait donc seulement fortifié par son approbation une habitude connue de tous. Malgré sa très vive admiration pour Tertullien[122], saint Cyprien ne se réclame pas de son autorité, sans doute pour ne point avoir l'air de pactiser avec le montanisme. Il invoque seulement la déclaration du concile, qui devait sembler suffisante aux plus difficiles[123], et il ajoute que les exigences africaines, acceptées des dissidents qui sollicitaient la réconciliation, n'avaient empêché aucune conversion[124]. Par suite de quelles circonstances l'efficacité du baptême hétérodoxe, qui paraissait réglée une fois pour toutes, fut-elle remise en question sous l'épiscopat de saint Cyprien ? Nous n'en sommes pas informés. L'usage opposé des autres églises avait probablement ému quelques esprits en Proconsulaire, en Numidie ou en Maurétanie[125]. Une lettre écrite par Cyprien et trente de ses collègues à dix-huit autres évêques de ces provinces[126] nous convainc qu'en plusieurs endroits on éprouvait des scrupules à maintenir la tradition d'Agrippinus. Les décisions du concile de 253 sur le baptême des enfants sont un indice manifeste qu'on sentait le besoin d'une entente universelle. Le pape Lucius était mort peu de jours après sa rentrée à Rome (5 mars 254)[127] ; on élut pour lui succéder (12 mai)[128] Stephanus, qui ne parait pas avoir été rigoureux aux novatiens. Dès le début, les Africains et lui se trouvèrent en désaccord. Un concile carthaginois de trente-sept membres (automne 254)[129] refusa de reconnaître pour légitimes deux évêques libellatiques d'Espagne qu'il avait rétablis sur leurs sièges[130]. Saint Cyprien prit encore position contre lui à propos de l'évêque d'Arles, Marciauus, auquel le pape ne jugeait pas opportun d'appliquer les censures ecclésiastiques, bien qu'ils partagent les idées de Novatianus. Cyprien écrivit à Stephanus une lettre[131] qui était une véritable mise en demeure de marcher dans la même voie que ses prédécesseurs, Cornelius et Lucius. Le ton impérieux de ce morceau n'était point pour plaire à celui qui le recevait. De part et d'autre, on semblait donc peu disposé à une entente cordiale. A Carthage, les conciles étaient devenus annuels[132] et ces réunions
périodiques permettaient de résoudre en commun les cas embarrassants de
discipline ou de doctrine. A la session d'automne de 255, Cyprien exposa,
devant trente de ses collègues, les doutes dont lui avaient fait part, sur le
baptême intégral conféré aux hérétiques repentants, un simple laïque, Magnus[133], les dix-huit
évêques de Numidie dont je viens de parler[134] et Quintus,
évêque de Maurétanie[135]. Le concile fut
d'avis que l'initiation hérétique était entièrement nulle : mais il importe
de remarquer dans quel esprit cette sentence fut prononcée. On voulait
seulement formuler une déclaration de principe, sans contraindre personne à partager
cette manière de voir : Nemini præscribentes
quominus statuat quod putat unus quisque præpositus actus sui rationem Domino
redditurus[136]. Les
résolutions synodales furent transmises à Stephanus[137]. Tandis que les
représentants du concile étaient à Rome, saint Cyprien tint à faire affirmer
de nouveau[138],
par une réunion beaucoup plus nombreuse que la précédente et à. laquelle
participèrent soixante et onze évêques, que la grande majorité des Africains
acceptaient la thèse défendue par lui (printemps
256)[139]. Le pape, qui avait fait aux envoyés de Carthage le plus mauvais accueil[140], répondit avec violence à Cyprien, le traitant de faux Christ, de faux apôtre, d'artisan de mensonge (pseudochristum et pseudoapostolum et dolosum operarium)[141], et enjoignant aux églises d'outre-mer de renoncer à leur usage, faute de quoi il cesserait toute relation avec elles. Les paroles à l'adresse de Cyprien étaient graves ; on ne désignait pas autrement les hérétiques et, les schismatiques[142]. Et il devait sembler dur à un homme qui les avait combattu avec une si belle vaillance de se voir englobé dans la même réprobation qu'eux. Nous avons un écho de l'amertume qu'il en éprouva dans sa lettre à Pompeius, évêque de Sabrata, en Tripolitaine[143]. Pourtant, comme il se sentait suivi de l'épiscopat d'Afrique, soutenu par une bonne partie de celui d'Asie[144], il convoqua un nouveau concile le 1er septembre 256[145] : quatre-vingt-cinq évêques y accoururent, deux autres de Tripolitaine, empêchés de s'y rendre, avaient donné mandat de les représenter à un de leurs voisins. Jamais encore Carthage n'avait contemplé une assemblée ecclésiastique si imposante. Nous en possédons les procès-verbaux, avec le vote motivé de chacun des assistants[146] ; l'unanimité, on décida de s'en tenir aux conclusions des deux synodes antérieurs. Les menaces de Stephanus n'avaient donc détaché de Cyprien aucun de ses partisans. Ce n'était pas cependant une déclaration de guerre ; le préambule du compte rendu officiel atteste qu'on ne prétend condamner qui que ce soit, mais proclamer d'une manière solennelle la discipline locale[147]. Un vrai désir de concorde restait au fond du cœur des opposants[148] ; au plus fort de la discussion, saint Cyprien adressait à son peuple le traité De bono patientiæ (fin de 255 ou commencement de 256)[149]. La vivacité des attaques contre Stephanus ne faisait pas oublier qu'il gouvernait, en qualité de successeur de Pierre, l'église souveraine (principalem)[150], Malgré ses dissentiments avec le pape, l'évêque de Carthage s'efforçait de ne pas méconnaître les conseils qu'il avait naguère prodigués aux fidèles dans son livre De catholicæ Ecclesiæ unitate. La manifestation des quatre-vingt-sept n'était pas pour engager Stephanus à se départir de sa sévère attitude, les relations avec Rome 'se trouvèrent clone rompues de fait pendant près d'un an[151]. Et l'on ne sait trop comment la crise aurait pris fin, si la mort du pape ne l'eût terminée d'une manière très inattendue : il décéda le 2 août 257[152]. Son successeur, Xystus II (30 août)[153], tout en maintenant l'usage romain au sujet du baptême, renoua avec l'Afrique et l'Orient, et laissa au temps le soin d'établir l'uniformité dans la discipline baptismale[154]. Cette condescendance parut douce aux Carthaginois qu'avait irrités l'inflexible rigueur de Stephanus[155]. L'heure n'était plus, d'ailleurs, aux discussions théologiques. Valérien venait de lancer un édit contre les chrétiens, et surtout contre les chefs des églises[156]. Cyprien, aussitôt appréhendé, comparut devant le proconsul Aspasius Paternus (30 août 257)[157] ; son refus de sacrifier et de livrer ses prêtres[158] lui valut l'exil. De Curnbis[159], où on le relégua, son action ne manqua pas de s'exercer sur Carthage et sur toute la contrée comme au temps de sa première retraite volontaire. Il exhorte les confesseurs condamnés aux mines ou à la prison[160], évêques, prêtres et diacres, simples fidèles et jusqu'à des vierges et des enfants, il leur envoie des secours par les membres de son clergé[161] ; on vient le visiter, prendre ses conseils, recevoir ses instructions[162]. Galerius Maximus, successeur de Paternus, le rappela de Curubis[163] pour sévir plus fortement contre lui[164]. Après quelques jours d'attente, le proconsul, qui revenait d'Utique, où une multitude de chrétiens avaient été immolés ensemble (Massa candida)[165], le fit amener devant son tribunal. L'interrogatoire, qui permit à l'évêque de montrer une fois de plus toute son énergie, ne dura que peu d'instants ; il aboutit à une sentence de mort exécutée sur-le-champ. Cyprien fut décapité (14 septembre 258)[166]. Ce supplice ne fut, pour ainsi dire, qu'un épisode de la persécution, et les poursuites continuèrent à Carthage comme dans tout l'Empire. Saint Optat, voulant nous donner une idée de l'acharnement des païens, compare ce temps à un lion furieux[167]. Tout mon clergé, écrivait Cyprien à son collègue Successus, quelques jours avant de mourir, est prêt au sacrifice de sa vie, pour acquérir la gloire divine du ciel[168]. Les simples fidèles eux-mêmes prouvèrent qu'ils ne craignaient pas les tourments, et le souvenir d'un certain nombre des martyrs d'alors n'est pas effacé[169]. Le groupe le plus fameux est celui de Montanus, Lucius et leurs compagnons, dont nous pouvons lire encore aujourd'hui l'émouvante Passion[170]. Elle supporte, sans trop de désavantage, la comparaison avec celle des Thuburbitains. Par leur courage, Mon-tamis et ses amis ne furent point indignes de ces illustres modèles (23-25 mai 259)[171]. Néanmoins aucune des victimes des édits de Valérien, à Carthage n'est aussi célèbre que Cyprien. Les luttes de tout genre qu'il avait soutenues durant neuf années d'épiscopat, la correspondance qu'il entretenait avec les évêques de toutes les contrées du inonde romain, la suprématie que lui reconnaissait, sinon le vote exprès, du moins la déférence de ses collègues africains, et cette belle suite de conciles dont il était l'âme, qu'il vivifiait de son ardeur, tant d'œuvres de génie avaient propagé son nom bien au-delà des limites de sa province. La mort d'un tel homme fut donc regardée comme un deuil général ; je n'en veux d'autre preuve que la mention qu'en font la plupart des chronographes[172]. L'Eglise d'Orient connaît, et goûte ses livres, elle prononce des panégyriques à sa louange[173]. L'Eglise romaine associe sou souvenir à celui de Cornelius dans les prières du canon de la messe[174] et témoigne par ce rare honneur en quelle estime elle tient, malgré des désaccords passagers, le champion de la foi en Afrique[175]. Ces hommages, cette universelle sympathie pouvaient rendre Carthage fière de son évêque, comment l'auraient-ils consolée de sa mort ? Entre elle et lui s'étaient formés des liens si intimes qu'ils semblaient indissolubles. Les persécutions, les attaques du schisme et de l'hérésie, pasteur et fidèles les avaient subies de concert. De concert ils s'étaient réjouis du retour des lapsi à la foi, de l'élection de Cornelius et des bons rapports rétablis avec Xystus, après les rigueurs du pape précédent. Cette longue communauté de souffrances et de joies, qui faisait vibrer les cœurs à l'unisson, le fer du bourreau la terminait brusquement. Malgré l'orgueil très légitime d'inscrire enfin l'un de ses évêques sur la liste de ses martyrs[176], la chrétienté carthaginoise se sentit frappée tout entière en la personne de Cyprien. Chacun s'était ingénié à le soustraire aux recherches de la police[177], il avait refusé ; on espérait pourtant qu'il échapperait. Aussi ce fut un émoi profond quand on apprit l'arrestation[178]. Impuissante désormais à le défendre contre les soldats, la foule émue tint du moins à l'entourer jusqu'au bout de son affection, de son respect. Partout oui il se transporte, chez le strator du proconsul, au lieu de l'interrogatoire, à l'endroit du supplice, elle assiste à sa glorieuse confession, admire son courage et demande à partager son sort[179]. Puis, quand tout est terminé, le clergé s'occupe de soustraire son corps à la curiosité des païens, accourus eux aussi nombreux à ce spectacle. En grande pompe, on le transporte de nuit à l'area de Macrobius préparée pour sa sépulture[180]. Bientôt deux basiliques s'élèveront, l'une sur son tombeau (memoria), l'autre dans l'ager Sexti sanctifié par sa mort (mensa)[181]. On lira sans cesse avec amour les Actes de sa double confession et de son martyre[182] ; son témoignage sera maintes fois invoqué contre les hérétiques[183]. Sa mémoire restera en vénération dans cette ville à laquelle il a procuré une gloire nouvelle ; on célébrera sa fête tous les ans avec solennité[184]. On déposera les corps des autres martyrs, comme une escorte d'honneur, auprès du sien. En conservant pieusement son souvenir, Carthage ne faisait, d'ailleurs, que payer une dette de reconnaissance envers l'un de ses citoyens qui l'avaient le plus aimée. Il suffit de parcourir les lettres qu'il écrivait aux confesseurs et au clergé, pendant l'exil de 250-251, pour se rendre compte des regrets que lui cause cet éloignement nécessaire. Mais l'ardeur de ses sentiments n'éclate mille part mieux que dans ce dernier billet[185] ; sorte de testament spirituel, où il explique à tous pourquoi il s'est mis à l'abri pendant quelques j ours : il ne veut pas qu'on l'entraîne à Utique ; quand le proconsul sera de retour, il se présentera devant lui ; l'évêque de Carthage doit mourir à Carthage et donner jusqu'à la fin l'exemple à ceux que Dieu a commis à ses soins. Le souci, ou plutôt l'estime et l'autour de son peuple, saint Cyprien l'avait manifesté durant tout son épiscopat. J'ai rapporté déjà plus d'un trait de sa sollicitude que ses écrits nous font connaître on que son biographe énumère avec complaisance[186]. La peste, qui désola l'Afrique et causa dans la capitale des ravages effrayants, lui fut une occasion de déployer son zèle[187]. Les païens ne manquèrent pas de rendre les chrétiens responsables de tout le mal : la vigne venait-elle à couler, la grêle endommageait-elle les moissons, un cyclone déracinait-il les oliviers, une sécheresse tarissait-elle les sources ; rien de plus aisé que d'attribuer ces désastres aux disciples du Christ. Un habitant de Carthage, Demetrianus, se signalait en particulier par ses déclamations furibondes. Cyprien dirigea un traité contre lui pour disculper les chrétiens, et spécialement ceux dont il est le chef direct[188]. Il reste indifférent aux outrages dont l'abreuvent les magistrats, les beaux esprits ou la populace. Ceux-là le proscrivent et confisquent ses biens[189] ; les autres, par moquerie, lui appliquent le nom injurieux de Coprien[190] ; les derniers vocifèrent : Cyprien aux lions ! Il ne s'émeut pas. S'agit-il, au contraire, de ses fidèles, aussitôt il vole à leur secours et tient tête à leurs agresseurs. Pour ses chers Carthaginois, nous le trouvons toujours sur la brèche ; et de cette vaillance ils durent lui garder une profonde gratitude. Je ne serais point surpris cependant qu'ils lui aient su plus de gré encore de la façon dont ils les associa au gouvernement de son église. Lui qui répétait, nous l'avons entendu, qu'un évêque n'a pas le droit d'imposer à un autre ses idées personnelles sur la discipline ecclésiastique, il espérait aussi beaucoup plus de l'adhésion spontanée des cœurs que d'une direction trop hautaine. Il n'hésitait pas, à l'occasion, à parler ferme, et pourtant le libre concours de toutes les bonnes volontés lui paraissait surtout désirable pour la direction de la communauté. Tout devait s'y passer au grand jour : Dès les premiers temps de mon épiscopat, écrit-il à ses prêtres[191], je me suis fait une loi de ne rien décider de mon autorité privée, sans prendre votre avis, sans obtenir le consentement de mon peuple. Il revient à plusieurs reprises sur cet heureux usage : Dans les ordinations cléricales, frères bien-aimés, dit-il encore au clergé et aux fidèles[192], j'ai l'habitude de vous consulter tout d'abord et d'examiner, d'accord avec vous, la conduite et les mérites de chaque candidat. On découvre dans ses œuvres maint passage inspiré de ce même esprit d'union intime avec ceux qu'il administre[193]. Grâce à Cyprien, les Carthaginois conçurent donc un goût très vif pour les affaires religieuses. Ils furent admis dans les conciles, et nous savons que, lors de la grande assemblée du 1er septembre 256, une foule considérable, — præsentibus etiam plebis maxima parte, — assistait aux délibérations[194]. Bien que tous ces chrétiens dussent se borner au rôle de spectateurs[195], leur affluence indique assez qu'ils n'étaient point indifférents aux questions agitées et qu'une vaine curiosité ne les avait pas seule attirés. Ils se passionnaient, au contraire, et prenaient parti en faveur des champions de la doctrine africaine. Et l'on se représente sans peine l'enthousiasme qu'excitèrent les quatre-vingt-sept évêques qui se prononcèrent tour à tour, à haute voix, contre ce qu'on appelait les prétentions de Stephanus. En passant au christianisme, cette population ne dépouillait pas sa nature : nous verrons bientôt de quelle ardeur elle était possédée pour les spectacles des yeux. N'était-ce pas un spectacle rare que celui de ces personnages vénérables, réunis en de solennelles assises ? On devait y accourir avec d'autant plus d'intérêt que l'Eglise interdisait il son peuple de se mêler aux païens dans les théâtres. Un concile était donc une occasion pour eux de satisfaire du même coup leur foi et leur amour du décor. Je n'insinue pas qu'en établissant cet usage Cyprien eût en vue autre chose que les avantages spirituels qui en résulteraient ; mais il advint, par une coïncidence à laquelle on ne songeait guère, que les fidèles se plurent à ces réunions et les suivirent avec empressement. Cyprien ne pouvait regretter ces manifestations ; Elles lui prouvaient mieux que les plus éloquents discours le zèle des siens pour sa querelle. Il se sentait en parfaite harmonie d'idées avec eux et puisait dans l'expression sincère, encore qu'un peu exubérante, de leur attachement, une nouvelle énergie pour combattre des pratiques à son avis pernicieuses. Son épiscopat est donc, sans contredit, l'époque la plus glorieuse de l'église de Carthage. Le christianisme, il est vrai, se développera davantage, par la suite, dans la riche cité, jusqu'à l'absorber tout entière ; il n'en avait conquis qu'une portion au milieu du IIIe siècle. Aussi n'est-ce pas au nombre de ses adeptes que je fais allusion. Mais quand vit-on réunies plus tard tant de favorables circonstances : un évêque illustre par son génie, son courage, ses vertus, son martyre ; des schismes menaçants repoussés ; de hautes questions de doctrine débattues avec ampleur dans des assemblées mémorables ; et, par-dessus tout, un peuple uni à son chef par tant de liens et si forts, et lui témoignant durant tout son épiscopat le plus tendre respect ? Retenons surtout le dernier trait. Certes de pareils sentiments étaient fréquents chez les chrétiens. Il y a lieu de croire cependant qu'ils n'étaient pas toujours portés au même degré, car le clergé de Rome se plait à célébrer le mutuel amour, les marques de charité et d'affection que se prodiguaient tous les frères de la communauté de Carthage[196]. |
[1] Tillemont, Mém., III,
p. 305 ; Funk, I, p. 70 sq. ; Goyau, p. 281 sq.
[2] De lapsis, 6.
[3] De lapsis, 5 : cf. Epist., XI,
1-2, 5 ; LVIII, 2 ; Testim., III, 15, 47 ; Ad Fortunatum, 9.
[4] C'est la date adoptée par M.
Duchesne (Orig. chrét., p. 413) et Aubé (IV, p.2-1) ; Tillemont (Mém.,
III, p. 308) semble être du même avis. Mais Aubé, en un autre endroit (ibid.,
p. 15) parle de décembre 249 ou des premiers jours de janvier 250 ; Allard (II,
p. 314) et Goyau (p. 295) préfèrent reculer l'édit jusqu'à ce dernier terme. Il
est moins aisé d'expliquer dans ce système comment la persécution sévissait en
Afrique dans le courant de janvier.
[5] Cyprien, Epist., LV, 9
; cf. Tillemont, Mém., III, p. 30S, 432 ; Aubé, IV, p.36. Sur le
caractère spécial de la persécution de Dèce, voir Allard, Rev. des quest.
hist., LX, 1896, p. 387-389.
[6] Hartel (édit. III, p. XC) n'admet pas sans réserve le
témoignage de saint Jérôme (De vir. ill., 68) : Pontius, diaconus Cypriani, usque ad diem passionis ejus cum
ipso exilium sustinens, egregium volumen vitæ et passionis Cypriani reliquit.
Teuffel (p. 967, 1) croit ce livre pour le moins fort interpolé.
[7] Vita, 2 (Hartel).
[8] Saint Jerôme (op. cit.,
67) le qualifie seulement de Afer. Mais Prudence (Peristeph., 13) dit
qu'il souffrit le martyre au lieu même qui l'avait vu naître (Est proprius patriæ martyr...) ; cf. Suidas, s.
v. Καρχηδών.
[9] Lactance, Inst., V, 1 ; saint Jérôme, loc. cit. ; Vita,
2 ; Prosper Tiro (Chron. min., I, p. 440, n° 864).
[10] Ebert, I, p. 67 sq. ; Allard, II, p. 247 ; Goyau, p. 292. Havet, p. 30 : Il pouvait avoir déjà quarante ans.
[11] Vita, 4 ; Ad Donatum,
3-4. Les fidei suæ prima rudimenta dont
parle Pontius (Vita, 2) me laissent croire que Cyprien, comme plus tard
Augustin, ne s'achemina que lentement vers le christianisme.
[12] Vita, 2-3 ; saint
Jérôme, loc. cit. Nous verrons cependant qu'il avait conservé un domaine
dans la ville ou à proximité. Voir aussi Epist., XLI, 1.
[13] Vita, 3, 5 ; saint
Jérôme, loc. cit. La date de 248 est la plus probable : cf. Tillemont, Mém.,
IV, p. 47,54-55 ; Teuffel, loc. cit. ; Ebert, loc. cit. ; Funk,
I, p. 170 ; vers la fin de l'année, dit Aubé, IV, p. 78 ; de 248 à 249, selon
Krueger, loc. cit. ; entre juillet 248 et avril 249, suivant Benson, p.
741 ; avant avril 249, d'après Goyau, p. 294.
[14] Les faits que nous abordons,
et d'une manière générale tous les rapports entre Carthage et Rome au temps de
saint Cyprien, ont été fort bien mis en lumière par M. l'abbé Duchesne (Orig
chrét., p. 413-439) ; M. Goyau (p. 295-307) en a élucidé la chronologie.
Obligé de résumer ou même de passer sous silence plusieurs parties de ces
relations, je ne saurais mieux faire que de renvoyer le lecteur à ces deux
guides autorisés que j'ai moi-même suivis. On lira aussi avec grand profit dans
Tillemont (Mém., IV, p. 45-198) l'article consacré à saint Cyprien, et
les chapitres 2, 4 et 5 d'Aubé, IV.
[15] Cyprien, Epist., LV, 9
: cf. Orose, VII, 21, 2 : Ad persequendos
interficiendosque christianos... dispersit
edicta...
[16] De lapsis, 4-7.
[17] Cette idée revient
continuellement dans ses écrits : De lapsis, II, 12 ; De opere et
eleemosynis, 11, 14 ; De bono patientiæ, 12. Il résume toutes
les causes de défaillance dans le De mortalitate, 1 : ... animadverto in plebe quosdam, vel imbecillitate animi, vel
fidei pravitate, vel dulcedine sæcularis vitæ, vel sexus mollitie, vel, quod
magis est, veritatis ereore minus stare fortiter...
[18] De lapsis, 8-9.
[19] Voir les nombreux passages
cités dans l'index de l'édition Hartel, III, p. 402 s. v.
[20] Cyprien, Epist., LV, 2
; cf. le De duplici martyrio, 26, mis sous le nom de saint Cyprien
(Hartel, III, p. 238).
[21] On a récemment retrouvé dans
les papyrus de Vienne et de Berlin le texte de deux libelli
(Bull. Ant., 1894, p. 160 ; Bull. crit., 1895, p. 78 : Nuovo
bull. di arch. crist., I, 1895, p. 68-13. pl. VIII ; d'après les Sitzungsberichte
des académies de Berlin, 30 novembre 1893, et de Vienne, 3 janvier 1894). La
forme des deux certificats est celle d'une lettre adressée aux autorités
locales par les requérants qui attestent avoir toujours sacrifié aux dieux. Ces
pièces, dont l'une est datée de 250, proviennent d'Egypte : la coutume du
libellas ne fut en effet pas restreinte à l'Afrique, elle se répandit en
Italie, en Espagne, à Alexandrie, en Orient (cf. Tillemont, Mém., III,
p. 314-317). Les formules varièrent probablement d'un pays à l'autre, le sens
général ne dut guère changer.
[22] Cyprien, Epist., XLIII,
3.
[23] Voir les références dans
l'index de Hartel (III, p. 393, s. v.). Il ne faut pas confondre la demande du
libellas avec le simple rachat à prix d'argent qui indignait si fort Tertullien
(De furia in persecutione). Dans le dernier cas on évitait l'épreuve ;
dans le premier, on se déclarait réellement païen. Cf. Mém., III, p. 702
: Aubé, III, p. 213, note.
[24] Voir les références dans
l'index de Hartel, III, p. 392 sq., s. v. C'est d'eux que vient le titre du
livre de saint Cyprien, De lapsis. Les novatiens et plus tard les
donatistes les tournèrent encore en dérision en leur appliquant les noms de capitolini, par allusion au Capitole on l'on
sacrifiait, et de syndrei. Pacianus, Epist.,
II, 3 (P. L., XIII, col. 4059) : Numquid
Cypriano sancto vivo hoc obest, quod populus ejus apostaticum nomen habet, vel
capitolinum vel syndreum ; cf. Kuhfeldt, p. 46, n. 173. L'épithète syndreum est expliquée par Tilius dans Migne (loc.
cit., note a) de la manière suivante : Arbitror
hic legendum συνέδριον.
Est autem convicium a Concilii nomine deductum in insidiam Cypriani.
Si l'on adopte cette étymologie, cette injure ne s'adresserait pas aux lapsi, mais à tout le peuple fidèle de Carthage.
[25] Epist., XIV, 1.
[26] Epist., XL : Per
lapsum quorumdam presbyterorum nostrorum...
[27] Tillemont (Mém., III,
p. 312, 379), Morcelli (II, p. 102) et, d'après eux, Tissot (F., p. 174)
croient que ce fut le retour à Carthage du proconsul Fortunatianus qui donna
une impulsion nouvelle aux poursuites. Je ne vois rien de tel dans les lettres
de saint Cyprien qu'ils allèguent : au reste, le proconsul Fortunatianus
n'existe pas (Pallu, Fast., I, p. 285, n. 6). Distinguons seulement, avec M.
Goyau (p. 295), deux phases dans la persécution à Carthage : la période de
soumission des lapsi (janvier 250) et la période de résistance des confesseurs
(février-avril). Aubé (IV, p. 95 98) intercale entre les deux une période
intermédiaire dont les caractères ne me paraissent pas très nets.
[28] Cyprien, Epist., XXI, 4.
[29] Cyprien, Epist., VI, 3.
[30] Cyprien, Epist., XXII,
2.
[31] Voir les lettres citées aux
trois notes précédentes.
[32] Epist., XXVII, 1 : Mappalicus martyr cautus et verecundus... ; X, 4
: Mappalicus beatissimus... et la suite
; cf. Epist., XXII, 2. Tillemont (Mém., III, p. 312, 382-384),
d'après les martyrologes, place sa mort au 17 avril 250 ; cf. Mart. hieron.,
p. LXX.
[33] Epist., XXII, 2 ;
XXVII, 1, 3 ; XXXV.
[34] Tillemont, Mém., III,
p. 312 sq. M. Havet (p. 43) me semble avoir atténué par trop la violence de la
persécution. Elle sévit d'ailleurs avec plus d'intensité dans les provinces
qu'à nome même ; Aubé, IV, p. 76 sq.
[35] Epist., XX, 1. On
affichait contre lui la formule de proscription (Epist., LXVI, 4) : Si quis tenet possidet de bonis Cæcili Cypriani.
[36] Vita, 1 ; Epist.,
LIX, 6.
[37] Tillemont (Mém., III,
p. 321 sq.) fait d'ailleurs remarquer que saint Cyprien, en se sauvant, n'agit
pas autrement que ses illustres contemporains saint Denys d'Alexandrie et saint
Grégoire le Thaumaturge. M. Havet (p. 34) reconnaît que l'évêque fit un acte de bonne politique.
[38] Epist., VII ; XX, 1.
[39] Epist., XIII, 1 ; Vita, 5 ; cf. Epist.,
XV, 1 ; XVII, 2 : XXXI, 6 : XXXIV, 2-3 ; XLIII, 1 et 3 : LIX, 9.
[40] Benson, p. 742 ; Goyau, p. 295.
[41] Epist., XX, 1.
[42] Epist., VII ; XIV, 2.
[43] Epist., XIV, 2.
[44] Epist., 2 et 3.
[45] Epist., XLI, I. Voir
aussi la lettre XLII, où ils rendent compte à saint Cyprien de certaines
mesures disciplinaires prises par eux ; cf. Tillemont, Mém., III, p.
323, 388 sq.
[46] Cf. Aubé, IV, chap. 4. p.
199-275.
[47] Ad martyras, I ; De pudicitia,
22. Le
farouche montaniste en prend texte naturellement pour invectiver contre les
psychiques.
[48] Il faut distinguer avec soin
ce libellus de celui qui déclarait qu'on
était en règle vis-à-vis de la religion officielle : le nom seul est semblable.
[49] Epist., XX, 2.
[50] Epist., XV, 4.
[51] Orig. chrét., p. 411.
[52] Epist., XV, 4 ; cf. ibid., 2 ;
XVII, 3 ; XX, 2 ; XXXI, 6 ; XXXIV, 2.
[53] Epist., XVIII, 1 ; XIX, 2.
[54] Epist., XX, 3. Sur la discipline pénitentielle
à Carthage à cette époque, cf. Karl Mueller, Die Bussinstitution in Karthago
unter Cyprian (Zeitschr. fuer Kirchengesch, XVI, 1 et 2) ; je ne
connais cet article que par l'analyse de M. Jean Réville (Rev. de l'hist.
des relig., XXXIII, 1896, p. 113).
[55] Epist., XXIII.
[56] Epist., XXVII, 1 ; cf. ibid., X,
4 ; XXII, 2 ; Mart. hieron., p. LXX ; Tillemont, Mém., III, p.
382-384.
[57] Epist., XXVII, 1 ; Tillemont, Mém.,
III, p. 386 sq.
[58] Epist., VI, 4 ; XLIII, 1 ; Tillemont, Mém.,
II, p. 388.
[59] Epist., XL ; XLIII, 1 ; Tillemont, Mém.,
II, p. 389.
[60] Epist., XXVII, 1-3.
[61] Epist. XXII, 2. Cette
lettre, qui est de Lucianus lui-même, nous renseigne bien sur ses pratiques.
[62] Epist., XXVII, 1.
[63] Sur cet épisode, voir
Duchesne, Orgin. chrét., p. 414-416. Les lettres qui s'y rapportent sont
classées dans l'édition Hartel sous les n° V-XX, XXVII, XXVIII, XXX. Cf. Tillemont, Mém., III, p. 428-430 ; IV, p. 72-81.
[64] Epist., XX, 3 ; XXX, 8 ; cf. Mansi, I,
col. 805 sq.
[65] Voir, par exemple, la façon
dont il oppose (Epist., XXVII, 3) la sagesse de Celerinus aux
prétentions de Lucianus.
[66] 2 et 3 ; cf. Epist., XIII, 1-3.
[67] Epist., XXXVIII-XI. Les confesseurs agrégés au
clergé carthaginois étaient les lecteurs Auretius et Celerinus, le prêtre
Ninnidicus, Cf. Tillemont, Mém., III, p. 387, 389, 399 ; Havet, p. 43.
[68] Epist., XLIII. 1 et 3 ;
cf. XV, 1 ; XVII, 2 ; XXXIV, 2.
[69] Epist., XLIII, 2.
[70] Sur les pratiques de Novatus à
Carthage, puis à Rome, cf. Epist., LII, 2 ; Prosper Tiro (Chron. min.,
I, p. 439, n°' 855, 85G) ; cf. Tillemont, Mém., III, p. 433 sq. ; Aubé,
IV, p. 246, cf. p. 239, 243.
[71] Cette alliance entre les
dissidents de Carthage et de Rome, en dépit de leurs doctrines opposées, n'est
pas très claire. Novatianus n'ayant rien abandonné de sa rigueur envers les
lapsi, le plus probable est que Novatus et ceux qui l'avaient délégué, désireux
avant tout de faire échec à Cyprien, dissimulèrent leurs sentiments à l'égard
de ces faillis que Novatianus traitait si durement.
[72] Epist., LV, 24.
[73] On l'accusait d'être en
communion avec des apostats déclarés : cf. Epist., LV, 10-12.
[74] Epist., LV, 24. Ces
derniers événements se passèrent entre mars et mai 251 ; cf. Goyau, p. 299,
avec les références, puis Seefelder, Zur chronologie der Papste Kornelius
und Luzius I (Theol. Quartalschr., 1891, p. 68-94, analysé dans le Bull.
crit., 1893, p. 117 sq.). Sur le schisme novatien, voir Eusèbe, H. E.,
VI, 43 ; les trois lettres de Pacianus à Sympronianus (P. L., XIII, col.
1051-1082) ; Lib. pont. (éd. Duchesne), I, p. XCVI, 150 ; Jaffé, I, p.
19 ; Tillemont, Mém., III, p. 435-442 ; Duchesne, Orig. chrét.,
p. 419-425 ; Aubé, IV, p. 261-263.
[75] Telle est l'opinion de M.
Allard, II, p. 433 et de M. Goyau, Chron., p. 298 ; cf. Tillemont, Mém.,
IV, p. 87 et 609, n. 17. Aubé (IV, p. 68, 72, 116) hésite entre la fin de 250
et le commencement de 251.
[76] Dès le début de l'été de 250,
la persécution ayant diminué de violence (Aubé, IV, p. 113 sq.), les prêtres de
Carthage avaient réclamé leur évêque. 11 ne céda pas à leurs vœux et leur
exposa les motifs de sa conduite dans deux lettres que nous possédons : XIV, 1
; XVIII, 1.
[77] Duchesne, Orig. chrét.,
p. 419. Aubé (IV, p. 116), après avoir dit que ce synode se réunit en septembre
ou en octobre, adopte ensuite un autre système ; le concile, commencé en mai 251, se prolongea vraisemblablement pendant
plusieurs mois (p. 263, cf. p. 262). Tillemont (Mém., IV, p. 99
sq.) pense que saint Cyprien lut au concile son traité De lapsis qu'il
venait de composer ; cf. Mansi, I, col. 863-866 ; Héfélé, I, p. 94. Ce dernier
(p. 92) croit qu'un autre concile avait déjà été tenu par saint Cyprien en 249.
[78] Epist., XLIV, 1 ; XLVIII, 2 ; LV, 6.
[79] Epist., LV, 6 ; cf. Aubé, IV, p. 244
sq., 263.
[80] Epist., LV, 17.
[81] Sur ce mot, voir Tertullien, De
pænitentia, 9 ; De jejuniis, 10, sub fine.
[82] Cyprien, Epist., LV, 5.
[83] Sur cette enquête et sur les
délégations de chaque parti à Carthage, cf. Epist., XLIV, XLV, XLVIII ;
puis Aube. IV, p. 254 sq.
[84] Cyprien, Epist., XLIV,
1 ; c'étaient le prêtre Maximus, le diacre Augendus, et, sans doute, deux
laïques, Machæus et Longinus.
[85] Cyprien, Epist., XLIV, 2.
[86] Cyprien, Epist., XLVIII, 3-4.
[87] Cyprien, Epist., XLIV, 1 ; cf. XLV, 2 ;
LXVIII, 2.
[88] Cyprien, Epist., LII, 4 ; LIII.
[89] Cyprien, Epist., LV, 6. Cornelius réunit un concile de soixante évêques qui
sanctionna ces mesures ; Mansi, I, col. 865 sq. ; Héfélé, I, p. 95.
[90] Cyprien, Epist., XLV,
2-3 ; XLVIII.
[91] Cf. surtout, Epist.,
LV, 8-12 ; il y parle de Cornelium carissimum
nostrum et le justifie de toutes les accusations lancées contre lui
par ses adversaires. Sur les rapports de Cornelius et de Cyprien, cf. Jaffé, I,
p. 17, n° 105, 106, 108-113 ; p. 18, n° 117.
[92] La lettre à Antonianus (LV),
l'une des plus importantes de tout le recueil, nous montre bien dans quel état
d'esprit les missives de Novatianus avaient jeté certains membres de
l'épiscopat africain.
[93] Evaristus, un des évêques qui
l'avaient consacré, Nicostratus, diacre et confesseur romain, le fameux Novatus
et deux autres de moindre envergure, Prunus et Dionysius. Epist., L ;
LII, 1 ; cf. Lib. pont. (éd. Duchesne), I, p. 150 et 151, n. 4.
[94] Tillemont (Mém., III,
p. 49) place cette seconde délégation en 252. Aubé (IV, p. 260) et M. Goyau,
d'après lui (p. 300), la mettent dans le second semestre de 251. C'est alors
que, pour éviter toute confusion, Cyprien envoya â Cornelius (Epist.,
LIX, 9) la liste des évêques catholiques.
[95] Epist., LIX. 9.
[96] Epist., LII, 2.
[97] Cf. Tillemont, Mém., III, p. 466 : IV, p. 115 ; Aubé, IV, p.
264, 280.
[98] Epist., LIX, 10 ; Mansi, I, col. 867 sq.
; Héfélé, I, p. 96 sq.
[99] Epist., LVII.
[100] Epist., LVII, 1 : necessitate cogente censuimus.
[101] Tous les détails qui suivent
sont fournis par saint Cyprien, Epist., LIX, 9-11.
[102] Cyprien, Epist., LIX, 9-10 ; Aubé, IV, p. 273 sq.
[103] Cyprien, Epist., LIX, 2 ; cf. 18. Cette lettre est remarquable
par la noblesse du ton et la vivacité des sentiments ; voir surtout le
paragraphe 6, où saint Cyprien présente un éloquent résumé de toute sa carrière
épiscopale, longue déjà de près de quatre ans.
[104] Cyprien, Epist., LX.
[105] Cyprien, Epist., LX, 6
; Aubé, IV, p. 211 sq. C'est à l'occasion de ce fléau que saint Cyprien composa
ses livres De mortalitate et Ad Demetrianum.
[106] Il semble que le reste du pays
leur fût moins hostile. On signale encore des novatiens en Afrique jusque vers
le milieu du Ve siècle. Augustin, CCLXV ; Tillemont, Mém., III, p. 482.
493.
[107] Epist., LIX, 15.
[108] Il ne nous est parvenu que six
noms de schismatiques, excommuniés avec Felicissimus par les membres de la
commission qui représentait à Carthage Cyprien exilé : sur la liste figurent
deux femmes, dont l'une est couturière ; l'un des hommes est fabricant de
nattes. On voit, par ces exemples, que Felicissimus avait su grouper autour de
lui des gens de toutes conditions. Mais peut-être ceux-là mêmes l'avaient-ils
quitté après son échec à Rome. Epist., XLII.
[109] Lib. pont. (éd.
Duchesne), p. CCLX ; cf. Aubé, IV, p. 281-291, 294-304.
[110] Epist., LXI, 3 : Episcopum Cornelium beatum martyrem.
[111] C'est ce qui ressort nettement
de la lettre à Lucius ; Epist., LXI, 3.
[112] Aubé, IV, p. 278.
[113] Epist., LXII.
[114] M. Cagnat suppose qu'il s'agit
de la Numidie (Armée, p. 253) ; mais ni les noms des évêques à qui s'adresse
saint Cyprien, ni le texte thème de sa lettre ne fournissent de preuve
décisive.
[115] Blampignon, p. 79, 146.
[116] Epist., LXIV ; Mansi, I, col. 899 sq. Héfélé (I, p. 96) croit que ces
questions furent traitées au synode de 252. Mais cette dernière assemblée ne
comprenait que quarante-deux membres (voir la liste en tête de la lettre LVII)
; celle qui s'occupa du baptême des enfants en compta soixante-six (Epist.,
LXIV, suscription). Elles sont donc certainement distinctes.
[117] Sur ces questions et sur la
querelle baptismale dans son ensemble, voir Duchesne, Orig. chrét., p.
429-439, dont je m'inspire ici. Cf. Mansi, III, col. 145 sqq. ; Tillemont, Mém.,
IV. p. 137-166 ; Aubé, IV, p. 316-330 ; Héfélé, I, p. 98-115 ; Funk, I, p.
96-98 : Duchesne, Culte, p. 325-321.
[118] Cf. Cyprien, Epist., LXXI, 2 ; LXXIV, 12.
[119] Epist., LXXIII, 3.
[120] De baptismo, II, 7, 2 ;
De unico baptismo contra Petiliarium, VIII, 22.
[121] De baptismo, 15 ; De
pudicitia, 19 ; De præscript., 12 ; cf., P. L., I, col.
236-238 ; II, col. 1121-1122, 1185-1186.
[122] Cf. saint Jérôme, De viris
ill., LIII ; Epist., XLII ; Tillemont, Mém., III, p. 234.
[123] Epist., LXXI, 4 ; LXXIII, 3.
[124] Epist., LXXIII, 3.
[125] Aubé (IV, p. 319) suppose, non
sans vraisemblance, que l'origine de cette émotion fut surtout l'incertitude où
étaient les évêques sur le traitement à appliquer aux novatiens qui faisaient
retour à la foi.
[126] Epist., LXX.
[127] Duchesne, Lib. pont., I, p. CCLX.
[128] Duchesne, Lib. pont.,
I, p. CCLX.
[129] Duchesne, Orig. chrét.,
p. 423. Héfélé (I, p. 91 sq., et XII, p. 42) place ce concile vers 253 ; mais Stephanus n'ayant été élu, comme on
vient de le voir, que le 12 mai 254, le concile n'eut lieu assurément qu'après
cette date.
[130] Cyprien, Epist., LXVII
; Mansi, I, col. 903 sq. ; Duchesne, loc. cit. ; Héfélé, loc. cit.
; Aubé, IV, p. 311-314.
[131] Epist., LXVIII. Sur les
rapports entre Cyprien et Stephanus, cf. Jaffé. I, p. 20, n° 125-126.
[132] Les conciles étaient annuels
en Orient : Firmilianus, évêque de Césarée, l'atteste dans sa lettre à Cyprien
(Epist., LXXV, 4). Tertullien avait déjà réclamé pour l'Afrique une
semblable institution (De jejuniis, 13). En l'établissant à Carthage,
Cyprien s'inspirait sans doute des désirs du grand écrivain. Faut-il penser
qu'on ne se borna pas à une seule réunion tous les ans ? Au temps de saint Cyprien, dit M. l'abbé Duchesne (Orig.
chrét., p. 428, cf. p. 433), nous pouvons
constater que tous les évêques africains se réunissaient à Carthage, à moins
d'empêchement, deux fois chaque année, après Pâques et à l'automne. Nous
ne connaissons que deux assemblées semestrielles durant cette période (en 255
ou 256) ; mais les circonstances, comme on le verra plus loin, étaient alors
très spéciales. Toutes les autres années, de 231 à 255, le concile ne parait
s'être réuni qu'une seule fois.
[133] Cyprien, Epist., LXIX.
[134] Cyprien, Epist., LXX.
[135] Cyprien, Epist., LXXI. Sur
ce concile, cf. Mansi, I, col. 921-923 ; Héfélé, I, p. 99 : Aubé, IV, p. 322
sq.
[136] Cyprien, Epist., 17 ; LXXII, 3.
[137] Cyprien, Epist., LXXII. Parmi les questions examinées par le concile se trouvait
celle du traitement à appliquer aux membres du clergé qui viendraient à se
repentir (ibid., 2). On a supposé (Duchesne, Orig. chrét., p.
434) que ces mesures étaient dirigées contre Stephanus. Quoi qu'il en soit, le
baptême seul resta en cause dans la suite de la querelle.
[138] Il y a ici quelque obscurité.
Dans sa lettre à Stephanus, Cyprien ne parle que d'un concile (LXXII, 1) : necesse habuimus, frater carissime, convenientibus in unum
pluribus sacerdotibus cogere et celebrare concilium (c'est dans la
lettre à Jubaianus, LXXIII, 1, que le deuxième est mentionné), et il expédie au
pape les lettres de Quintus et des évêques numides cette double circonstance
indiquerait qu'il écrivit aussitôt après la première réunion. D'autre part, la
réponse du pape ne parvint en Afrique qu'au milieu de l'année suivante ; on
n'en avait pas connaissance au deuxième concile carthaginois qui s'occupa du
baptême des hérétiques, qu'il ait eu lieu au printemps de 256 (Goyau, p. 305)
ou à l'automne de 255 (dans ce second système, le premier concile serait du
printemps de 255 ; cf. Duchesne, Orig. chrét., p. 434). Pourquoi donc
saint Cyprien tint-il une nouvelle assemblée avant de connaître l'avis de
Stephanus ? Il jugea utile, dit M. l'abbé
Duchesne (loc. cit.), de couper court à toutes
les objections que l'on soulevait en Afrique et de transformer en explications
ouvertes la controverse indirecte et sourde qui divisait ses collègues. On
peut croire aussi que, le temps du concile annuel étant arrivé, il ne pensa pas
qu'il fût opportun de le différer. D'ailleurs, le premier vote n'avait été émis
que par trente et un évêques, y compris Cyprien ; on désira sans doute une
affirmation plus solennelle ; la consultation de Jubaianus en fournit le motif.
Quant au retard de la réponse de Stephanus, on peut le mettre sans
invraisemblance sur le compte du mauvais état de la mer. Sur ce concile, cf.
Mansi, I, col. 925 ; Héfélé, I, p. 100 sq. ; Aubé, IV, p. 325 sq.
[139] L'importante lettre à l'évêque
Jubaianus (LXXIII) contient l'exposé complet des idées soutenues par les deux
synodes.
[140] Voir les détails fournis par
Firmilianus, évêque de Césarée (Cyprien, LXXV, 25), puis Eusèbe, H. E.,
VII, 3.
[141] Epist., LXXV, 25.
[142] Vel
apud hæreticos a pseudoepiscopis et antichristis contra Christi dispositionem profana
ordinatione promoti sint, disait Cyprien lui-même dans sa lettre à
Stephanus (LXXII, 2) ; cf. LXXIII, 16 ; LXXIV, 2 et sa déposition au concile du
1er septembre 256 (éd. Hartel, p. 461).
[143] LXXIV, 1, 7 et 8.
[144] Voir la lettre de Firmilianus
(LXXV), surtout (4) l'adhésion à la doctrine de Cyprien, et (3, 7, 17, 23, 25)
les appréciations sévères sur la conduite de Stephanus. Cette lettre répond à
une autre de Cyprien qui ne nous est pas parvenue ; elle fut traduite par
Cyprien lui-même.
[145] Le troisième qui s'occupa du
baptême des hérétiques, le septième depuis 251.
[146] Sententiæ episcoporum
numero LXXXVII de hæreticis baptizandis (éd. Hartel,
p. 435-461). Mansi, I, col. 951-992 ; Héfélé, I, p. 101 sq. ; Aubé, IV, p. 328.
[147] Hartel, p. 436.
[148] Cf. Epist., LXXIII, 26,
surtout ces mots : Servatur a nobis patienter et
leniter caritas animi, collegii honor, vinculum fidei, concordia sacerdotii,
et la lettre de Firmilianus (LXXV, 2). C'est ce que saint Augustin a bien mis
en lumière, en répondant aux donatistes qui prétendaient s'autoriser des idées
de saint Cyprien sur le baptême (Epist., CVIII, 9-10 ; De unico
baptismo, 22-26).
[149] Cyprien, Epist.,
LXXIII, 26. Il y traite la question en général ; à peine pourrait-on découvrir
une allusion à Stephanus (15), encore est-elle fort indirecte : nisi se invicem fratres mutua tolerantia foveant et
concordiæ vinculum patientia intercedente custodiant.
[150] Ce mot se trouve, il est vrai,
dans une lettre de Cyprien à Cornelius (LIX, 14) : ... ad Petri cathedram atque ad ecclesiain principaleni unde
unitas sacerdotatis exorta est... L'expression est à rapprocher du
terme βασίλισσαν
de l'inscription d'Abercius ; cf. Duchesne, Mélanges, XV, 1895, p. 157,
113 ; O. Marticchi, Nuovo bull. di arch. crist., I, 1895, p. 23, 35.
[151] Saint Cyprien et ses partisans
furent-ils excommuniés formellement par Stephanus ? Aubé (IV, p. 324, note) le
pense, contre l'avis de Héfélé (I, p. 102), et les textes sur lesquels il
s'appuie ne laissent pas d'être assez forts. Bossuet professait déjà cette
opinion dans sa thèse de Sorbonne : Mihi guident persuasum est absientum a
Stephano fuisse Cyprianum. (Delmont, Quid conterant Latina Bossuet ;
opera, p. 96). Mais, quoi qu'en dise Aubé (ibid.), il faut bien tenir
compte du témoignage des auteurs anciens quand ils affirment que Cyprien mourut
en communion avec l'Eglise. Pacianus est formel à ce propos (Epist., II,
7 : P. L., XIII. col. 1062) : Cyprianus
autem in concordia omnium, in pace communi, in confessorum grege passus est...
[152] Duchesne, Lib. pont.,
I, p. CCLX
; Orig. Chrét., p. 437. Le martyre de Stephanus reste fort douteux ; ibid.,
p. 438, n. 3 ; Aubé, IV, p. 331-334.
[153] Lib. pont., loc. cit.
[154] A l'époque du concile d'Arles
(314), la discipline d'Agrippinus et de Cyprien était encore en usage dans les
églises africaines : elle fut réformée par le VIIIe canon ; Héfélé, I, p. 184
sq.
[155] Vita Cyprien, 14 : Jam de Xysto bono et pacifico sacerdote ac propterea
beatissimo martyre ab Urbe nuntius venerat. Cf. Jaffé, I, p. 21, n°
132.
[156] Sur les causes de la
persécution de Valérien et son premier édit de persécution (août 257), cf.
Aubé. IV, p. 336-345 : Allard, Rev. des quest. hist., LX, 1896, p.
390-395.
[157] Acta proconsularia, 1 ;
Vita, 11-12 ; Pallu, Fastes, I, p. 286 sq.
[158] Acta procons., 1.
[159] Aujourd'hui Kourba, sur la
côte orientale de Tunisie, au sud de la presqu'île du cap Bon (Atlas, I,
Nabeul).
[160] Epist., LXXVI.
[161] Epist., LXXVII, 3 ; LXXVIII, 1, 3 ;
LXXIX.
[162] Vita, 12, 14.
[163] Acta procons., 2. Cette
décision fut sans doute provoquée par le nouvel édit de persécution que
Valérien lança d'Orient (juillet 258) et qui ordonnait de décapiter
immédiatement les évêques, prêtres et diacres. Epist., LXXX, 1 ; cf. Aubé, IV, p. 353-361 ; Allard, loc. cit. :
Pallu, Fastes, I, p. 287 sq.
[164] Voir le récit du martyre dans
les Acta procons., 2-5 ; cf. Aubé, IV, p. 384-392.
[165] Sur ces martyrs (24 août 258)
que plusieurs ont voulu, à tort, attribuer à Carthage. cf. Augustin, Serm.,
CCCVI ; CCCXI, 10 ; Enarr. in psalm., CXLIV, 17 ; Mart. hieron.,
p. CXX
; Tillemont, Mém., IV, p. 175-177 ; Ruinart, p. 202 sq., II et les
textes cités par lui. Aubé (IV, p. 386 sq.) conteste l'authenticité du fait, du
moins tel que le racontent les passionnaires. De quelque façon qu'on
l'explique, il est prouvé aujourd'hui que les victimes d'Utique étaient des
chrétiens martyrisés ; on a, en effet, découvert à Guelma une inscription qui
parle de leurs reliques (C. R. Hipp., 1893, p. XXXII et XXXVIII ; Rev. arch., XXIV,
1891. p. 285, n° 29 : Bull. Ant., 1893, p. 238-241).
[166] Acta procons., 5 ; Kalendarium
Carthag., XVIII, kal. oct. (Ruinart, p. 618 ; Mart. hieron., p. LXXI) : Chronogr. de 354 (Chron.
min., I, p. 72) ; Consularia Constantinopol. (ibid., p. 228) ; Fasti Vindobon. (ibid., p. 289) ;
Liber genealogus anni 452 (ibid., p. 196, n. 625). Prosper Tiro (ibid., p.
440, n° 864) indique par erreur ce martyre à l'année 255 ; Cassiodore, Chronica
(ibid., p. 147, n° 964) à l'année 257. M. Blampignon écrit aussi (p.
124), par erreur 261.
[167] III, 8 : Prima fuit ut leo : hæc erat persecutio sub Decio et
Valeriano.
[168] Epist., LXXX, 1.
[169] Par exemple le prêtre Victor,
une femme du nom de Quartillosia (?), son mari et son fils (Passio s.
Montani, 7-8, dans Ruinart, p. 232). Je ne sais s'il faut attribuer à
Carthage le martyre de Paulus, de l'évêque Successus à qui Cyprien adressait la
lettre que je viens de citer (LXXX), et de leurs compagnons, mentionnés dans la
même Passio (21, Ruinart, p. 237). L'auteur de la Vita (17) indique que
de nombreux chrétiens partagèrent le sort de Cyprien. Cf. Tillemont, Mém.,
IV, p. 9-12 ; Aube, IV, p. 392, note, et p. 395 sq.
[170] Ruinart, p. 230-238 ; P.
Franchi de' Cavalieri, Gli atti de' ss. Montano, Lucio e compagni, Rome,
1898 (supplément de la Rœmische Quartalschrift. ; Nuovo bull. crist.,
1898, p. 241-245). Aubé (IV, p. 339, cf. 392 sq.) suspecte l'authenticité de
ces Actes, mais sans fournir d'argument suffisant. Voici les noms de tous ces
martyrs : Montanus. Lucius. Flavianus, Julianus, Victoricus, Primolus, Renus et
Donatianus. Ce dernier, simple catéchumène, fut baptisé en prison ; il y
mourut, ainsi que Primolus (Passio, 2). Les autres, après qu'on les eut
éprouvés par le feu (ibid., 3), restèrent plusieurs mois dans leur
cachot et y souffrirent de la faim et de la soif (ibid., 12) ; les cinq
premiers succombèrent glorieusement sous le glaive (ibid., 12-15) ; le
sort de Remis n'est pas indiqué. Cf. Liber genealog. anni 452 (Chron.
min., I, p. 196, n° 624). Le souvenir de Montanus est sans doute conservé
par une inscription d'Henchir el Begueur : Memoria
sa[n]cti Montani (C. I. L., VIII, 10665 ; Héron de
Villefosse, Bull. Ant., 1880, p. 270 ; de Rossi, La capsella argentea
africana, p. 30).
[171] C'est la date la plus probable
; Mart. hieron., p. LXX ; Ruinart, p. 230 : Tillemont, Mém., IV.
p. 206-214 ; de Rossi, loc. cit. ; Allard, III, p. 122 ; Goyau, p. 311.
[172] Voir les nombreux testimonia groupés par M. Harnack (Gesch.,
p. 701-717) et Tillemont (Mém., IV, p. 185-193) : Duchesne, Culte, p.
273.
[173] Le sermon de saint Grégoire de
Nazianze : Είς τόν
άγιον
ίερομάρτυρα
Κυπριανόν... (P. G., t.
I des œuvres du saint, Serm., XXIV), malgré la confusion qui s'y
remarque entre les deux Cyprien, celui de Carthage et celui d'Antioche,
renferme néanmoins certaines phrases qui s'appliquent indubitablement au
premier (6. 12) ; cf. Ruinart, p. 204, 15 ; Tillemont, Mém., IV, p. 601,
n. 1.
[174] Il est représenté dans une
peinture des catacombes avec le pape Cornelius (de Rossi, Roma sott., I,
pl. 2 : cf. Wilpert, Nuovo bull. crist., IV, 1898. p. 56), et avec saint
Laurent sur un verre doré qui provient aussi des catacombes (Duruy, VI, p.
398).
[175] Ses reliques furent apportées
en France sous Charlemagne et déposées par Charles le Chauve dans le monastère
de saint Corneille et de saint Cyprien, à Compiègne. Tillemont, Mém.,
III, p. 470 sq. ; IV. p. 197 sq. ; Ruinart, p. 205, 17 ; Blampignon, p. 128.
[176] Vita, 19.
[177] Vita, 14.
[178] Vita, 15.
[179] Acta procons., 2, 3, 5.
Voir encore les détails caractéristiques donnés par l'auteur de la Vita,
15, 16, 18.
[180] Acta procons., 5, sub
fine.
[181] Victor de Vita, I, 16.
[182] Les Actes de sa
première confession (251) se trouvaient dès son vivant entre les mains des
confesseurs ; Epist., LXXVII, 2.
[183] Les œuvres de saint Augustin,
en particulier, redisent sans cesse le nom de celui que l'évêque d'Hippone
appelle doctor suavissimus et martyr beatissimus
(De doctr. christ., II, 40. 61) et lui empruntent quantité d'arguments
pour combattre les adversaires de la foi. Cf. aussi, dans Prudence, Peristephanon,
l'hymne 13. Passio Cypriani martyris (P. L., LX, col. 569-580).
[184] Le 14 septembre, jour
anniversaire de sa mort. Sur ces honneurs posthumes et ce culte rendu à saint
Cyprien. cf. Ruinart, p. 198, 1 ; 200 sq., 6 ; 203-205, 14-11. Procope (Bell.
Vand., I, 21) nous apprend que cette fête servait à désigner une saison ;
on appelait cypriens les vents de
tempête qui soufflaient en Afrique vers le mois de septembre.
[185] Epist., LXXXI ; cf. Vita,
19.
[186] Voir surtout Vita, 10.
[187] Vita, 9 ; cf. De
mortalitate, 14-16 ; Ad Demetrianum, 10-11 ; Tillemont, Mém.,
IV, p. 120-127 ; Aubé, IV, p. 304-309.
[188] Ad Demetrianum, voir
surtout 1-3, 7, 8, 10. Selon Tillemont (Mém., IV, p. 123), ce personnage
était un magistrat de la ville, peut-être un assesseur du proconsul. D'autres
en font le proconsul en personne ; mais Aubé (IV, p. 305-308, surtout la note)
n'est pas éloigné de croire que c'est un être tout fictif, le type du païen,
tandis que M. Havet (p. 289) le présente comme un rhéteur. Cette dernière
opinion et celle de Tillemont me paraissent seules vraisemblables.
[189] Epist., LXVI, 4.
[190] Lactance, Inst., V, 26-27.
[191] Epist., XIV, 4.
[192] Epist., XXXIII, 1.
[193] Epist., XVII, 3 ; XIX.
2 ; XXXI. 6, où le clergé romain le loue d'étudier l'affaire des lapsi, consultis
omnibus episcopis presbyteris diaconibus confessoribus et ipsis stantibus
laïcis ; cf. XXX, 5 ; XLIII, 7 ; LV, 5, et LXVI, 8 : scire debes episcopum in ecclesia esse et ecclesiam in
episcopo...
[194] Ed. Hartel, p. 435.
[195] Dans certains cas pourtant,
les prêtres prenaient part aux décisions conciliaires ; saint Cyprien le dit
très nettement, Epist., LXXI, 1.
[196] Epist., XXXVI, 3.