CARTHAGE ROMAINE

 

LIVRE TROISIÈME. — ADMINISTRATION, ARMÉE, MARINE ET COMMERCE

CHAPITRE II. — FONCTIONNAIRES IMPÉRIAUX.

 

 

En tant que capitale de province, Carthage abritait un grand nombre de représentants du pouvoir central. Si l'action de la plupart d'entre eux s'étendait au-delà de son enceinte, ils demeuraient pourtant dans ses murs, et leur réunion lui donnait un caractère à part entre toutes les villes africaines. Après avoir parlé des services municipaux, il est donc opportun de consacrer aussi quelques pages aux fonctionnaires impériaux.

 

I. — ADMINISTRATION.

Le propréteur que les Romains installèrent dans l'Afrique soumise ne pouvait pas se fixer à Carthage, dont Scipion avait fait un amas de ruines ; et la colonie de Gracchus, supprimée presque aussitôt que fondée, n'aurait pas davantage convenu au gouverneur. Les villes qui, pendant le siège, avaient secondé les efforts de Rome, étaient toutes désignées, au contraire, pour le recevoir. Cet honneur échut à Utique[1] ; sa situation sur la mer, en face de la Sicile, et l'importance de sa population la désignaient au choix des Romains. Le proconsul qui, sous Auguste, succéda au propréteur[2], changea-t-il immédiatement de résidence ? On peut le soutenir sans témérité[3]. A ce moment, en effet, l'empereur avait rendu forte la cité carthaginoise qui végétait jusqu'à lui.

Le proconsul provinciæ Africæ, choisi parmi les consulaires, était un des premiers personnages de l'empire[4]. Son pouvoir s'étendait sur l'Africa vetus et l'Africa nova ; il commandait même, privilège unique, l'armée nécessaire à la défense du pays. Ce commandement militaire lui fut enlevé par Caligula, mais ses attributions civiles ne subirent alors aucun amoindrissement ; et même il conserva, en principe, une autorité sur les troupes[5]. Trois légats (legati provinciæ Africæ) administrent sous ses ordres autant de diocèses, dont l'un porte le nom de diœcesis Carthaginiensium[6]. Il est vir clarissimus ; il touche un traitement de 1.000.000 de sesterces (260.000 francs)[7] ; il a droit à une escorte de douze licteurs[8] ; le quæstor provinciæ Africæ[9] et de nombreux employés subalternes lui obéissent.

Outre les assessores de son consilium qui l'éclairent dans l'exercice de la justice[10] et les amis qui forment sa cohors prætoria, son officium[11] comprend maison militaire et maison civile. Les officiers (principes)[12] qui composent la première ont des attributions bien distinctes. L'un commande l'escorte[13], un autre fait fonction d'écuyer (strator)[14], un troisième semble investi de la surveillance des prisons (equistrator a custodiis)[15] ; puis viennent les estafettes (tesserarii)[16], enfin certains agents de la force publique, tels que les policiers (commentarii)[17], le bourreau (speculator ou spiculator)[18], les surveillants de la prison (cataraclarii, ministri cataractariorum, regionantes)[19]. Cette liste, évidemment incomplète, puisque le gouverneur, depuis Caligula, avait droit au même nombre d'auxiliaires militaires que le légat[20], nous laisse pourtant deviner l'importance de cette partie de l'officium. Les quelques détails que nous possédons sur la maison civile proviennent des Actes des martyrs ; ils ont trait par conséquent à un ordre de choses restreint et concernent surtout les fonctionnaires de l'ordre judiciaire. Nous y voyons des employés désignés sous le nom général d'apparitores (apparitio), qui assistent le proconsul siégeant dans le secretarium[21] et font comparaître les accusés devant lui[22], puis le greffier (exceptor), qui rédige les actes et lit la sentence[23].

En dehors peut-être de l'entourage du proconsul, mais dépendant néanmoins directement de lui, je nommerai encore le præfectus fabrum[24], dont le séjour à Carthage se prolonge autant que durent les pouvoirs de son chef[25].

Tout cet appareil (ornatio) était de nature à impressionner les esprits et à concilier au gouverneur le respect d'une population qui prisait surtout l'éclat extérieur. La valeur personnelle du magistrat y contribuait aussi dans une large mesure. Galba, Vitellius, Vespasien, Pertinax, Didius Julianus, Balbin, Gordien, Macrianus[26], qui tous revêtirent la pourpre impériale, avaient, été proconsuls d'Afrique. Des guerriers comme Junius Blæsus, des jurisconsultes comme Javolenus, des littérateurs comme Lollianus Avitus et Symmaque, peut-être Claudius Maximus, des historiens comme Dion Cassius[27], illustrèrent aussi cette fonction. D'autre part, quoique la charge fût annuelle en principe[28], il arriva le plus souvent que le titulaire fut prorogé au-delà de cette limite. M. Junius Silanus, sous Tibère, se maintint à son poste pendant six années consécutives ; Gordien était en charge depuis six ou huit ans quand on l'éleva à l'empire[29]. Ces causes diverses, pouvoir étendu, qualités particulières, durée du gouvernement, tendaient à constituer le proconsul en une sorte de vice-roi d'Afrique. Plusieurs, on s'en souvient, ne résistèrent pas à la tentation de substituer la réalité à l'apparence et de s'affranchir de la tutelle impériale. La plupart, pour être demeurés dans le devoir, possédèrent néanmoins, dans la région qui leur était soumise, une puissance quasi souveraine[30]. Carthage en éprouvait les effets, ainsi qu'il est naturel, beaucoup plus vivement que les autres parties du territoire. C'est, par exemple, à la présence du proconsul, investi de la juridiction criminelle, que la ville dut de voir mourir dans ses murs tant de chrétiens venus du dehors, les Scilitains, les martyrs de Thuburbo et ceux d'Abitina, à côté de ses propres fils, Cyprien, Mappalicus, et tous ceux dont les noms paraitront lorsque je retracerai l'histoire de son église[31].

La réforme de Caligula, plus encore l'érection de la Numidie en province spéciale sous Septime Sévère, avaient porté atteinte au prestige de ce magistrat. Son autorité fut réduite bien davantage quand Dioclétien institua le diocèse d'Afrique dépendant de la préfecture d'Italie et mit à sa tête le vicaire (cicarius Africæ). Tandis que ce dernier avait sous sa juridiction de vastes territoires, il ne restait à l'autre que la Proconsulaire ou Zeugitane[32], grave déchéance que ne parvenait pas à compenser le rattachement direct de cette province à l'empereur. Je ne soutiendrai pourtant pas un paradoxe en avançant que Carthage, loin de perdre à cet amoindrissement de l'autorité proconsulaire, y gagna beaucoup plutôt. En effet, si la réalité du pouvoir échappe aux mains du gouverneur, l'apparat dont il était jusqu'alors environné ne souffre aucune éclipse. Son officium, dont la Notitia dignitatum nous a conservé la composition pour cette période[33], comprend une sorte de chef du personnel aux appointements de 200.000 sesterces (52.000 francs — princeps de scola agentum in rebus ducenarius), un greffier en chef (cornicularius), deux comptables (numerarii duo), un chef du secrétariat (primiscrinius), un délégué à la police (commentariensis), un aide pour les affaires civiles (ab actis), des secrétaires (adjutor, subadjuvæ), des scribes (exceptores), des estafettes (singulares), et des agents inférieurs en nombre indéterminé (et religuum officium). D'autre part, le vicaire, vir spectabilis, qui résidait, selon toute probabilité, dans la même ville[34], était lui aussi à la tête d'un officium dont les éléments sont identiques à ce que nous avons trouvé chez le proconsul, sauf qu'au primiscrinius est substitué un expéditionnaire (cura epistolarum)[35]. L'énumération se termine, comme dans le cas précédent, par une formule assez vague (et reliqui officiales), qui laisse deviner une suite encore longue de sous-ordres[36]. Les modifications introduites par Dioclétien dans le régime civil de l'Afrique avaient donc eu pour résultat d'accroître à Carthage, dans de fortes proportions, la classe des fonctionnaires. Si l'Empire, dans son ensemble, souffrait de ce développement exagéré de la bureaucratie, elle y trouvait pour elle-même une source de revenus, partant un élément de prospérité matérielle.

Cette machine administrative aux rouages compliqués se disloqua-t-elle en un jour, lors de l'invasion vandale ? On serait tenté de le croire ; tout ce que les historiens racontent de la fureur des barbares laisserait supposer qu'ils ne rêvaient qu'une chose, faire table rase de ce qui existait avant eux. Il faut en rabattre. Genséric était mi politique avisé en même temps qu'un hardi conquérant ; aussi ne nous étonnons pas qu'il ait maintenu la plupart des usages et des fonctions existantes[37]. Victor de Vita parle d'un proconsul Carthaginis, possesseur d'une grosse fortune et traité par Hunéric en haut dignitaire[38]. Ce personnage, originaire d'Hadrumète et nommé sans doute par le roi, devait être le représentant des très nombreux Romains demeurés dans la province. En le choisissant ailleurs qu'à Carthage, on avait voulu éviter qu'il n'eût des liens trop étroits avec la population de la capitale où il était appelé à résider et à exercer la justice. L'ordo decurionam continue à administrer la ville, et le præpositus judiciis Romanis in regno Afticæ Vandalorum y est le chef suprême des tribunaux romains[39].

Les Vandales, tout en conservant en grande partie l'organisation romaine pour la population vaincue, n'avaient pas abandonné leurs propres habitudes. Ils formaient comme une immense garnison, campée en Afrique, à la subsistance de laquelle le pays devait pourvoir. Le roi était le chef de cette garnison ; ses moyens d'existence ressemblaient à ceux qu'employèrent plus tard les beys turcs dans les Etats barbaresques[40]. Il s'entourait sans doute de quelques fonctionnaires aux occupations pacifiques, un chancelier (præpositus regni), un secrétaire (notarius)[41] ; pourtant sa cour, dont une foule de Romains portaient l'avilissante livrée[42] et qui avait absorbé toutes les richesses du pays[43], présentait surtout un caractère militaire[44]. Les guerriers avides de plaisirs, qu'il avait décorés de titres brillants (comites, millenarii, gardingi[45]) et mis en possession de vastes territoires en Zeugitane (sortes Vandalorum, κλήροι Βανδίλων)[46], ne demandaient qu'à profiter de leur

conquête. Au retour des expéditions que Genséric •dirigeait contre l'Italie et les rivages méditerranéens, quand les vainqueurs s'accordaient un court repos pour jouir du fruit de leurs rapines, Carthage devait offrir le spectacle de l'opulence et du luxe ; les fêtes succédaient aux fêtes dans le palais royal. Mais combien cher se payaient cette gloire et ce bien-être factices ! Les persécutions et la servitude en étaient la rançon.

La puissance vandale tombe sous l'effort de Bélisaire. A peine rentré en possessic4 de l'Afrique, Justinien en réorganise le gouvernement, dont un célèbre rescrit d'avril 534 trace le cadre et règle les détails presque avec minutie[47]. L'Afrique est érigée en préfecture ; le titulaire réside à Carthage. Tout le territoire auquel il commande se divise en sept provinces, dont l'une, l'ancienne Proconsulaire ou Zeugitane[48], passe sous les ordres d'un consularis, aux appointements de 448 sous d'or (7.017 fr. 90), qui dirige 50 employés[49]. Le préfet du prétoire d'Afrique (præfectus prætorio Africæ)[50], dont la juridiction est plus étendue que ne le fut jamais celle d'aucun gouverneur en ce pays, qui touche un traitement de 100 livres d'or (113.000 francs), et qui est entouré des plus grands honneurs, compte clans ses bureaux (per diversa scrinia et officia) jusqu'à 407 auxiliaires. Une liste annexée à la lettre de l'empereur les énumère tous, bureau par bureau, avec le chiffre de leurs émoluments. On me dispensera de reproduire ici cette longue série d'employés, dont quelques-uns, par exemple les grammatici, les sophistæ oratores, nous étonnent dans la suite d'un gouverneur. Ce que je tiens seulement à faire observer, c'est l'accroissement des services impériaux. Carthage est, plus que jamais, dans cette- dernière période de son histoire, une ville de fonctionnaires.

L'exarque. Les renseignements que nous possédons sur les gouverneurs à la fin du VIIe siècle et durant le vite sont très clairsemés. Le préfet du prétoire subsiste, mais sa situation s'amoindrit[51] quand l'empereur Maurice institue l'exarque d'Afrique[52], qui, d'abord chef militaire, devient rapidement un véritable vice-empereur[53], et, non content de posséder les anciennes attributions du magister militum, empiète de plus en plus sur celles du préfet. Le patrice Gennadius, exarque en 591[54], que Simocatta nomme aussi le Decar de la province[55], avait assurément son centre d'action à Carthage, où il se tenait environné d'une pompe presque royale et secondé par un officium considérable[56]. Mais que dire de l'exarque d'Italie Smaragdus ? Il exerça un pouvoir simultané sur l'Italie et sur l'Afrique ; le fait est indéniable, puisqu'il érigeait en même temps deux statues à Phocas, l'une à Rome, l'autre à Carthage[57]. Si cette dernière ville lui fut redevable de quelque embellissement, je n'aperçois néanmoins aucune raison péremptoire peur admettre qu'elle ait eu l'honneur et le profit de sa présence. Quand ce régime spécial eut pris fin et que les gouverneurs furent de nouveau institués pour l'Afrique seule, Héraclius, Nicétas, les deux Grégoire, le second du moins jusqu'à sa révolte[58], conservèrent Carthage comme résidence. N'était-ce pas à l'abri de ses remparts que se massaient les forces byzantines pour repousser lé suprême assaut, tandis que le vide se faisait autour d'elle et que les Arabes resserraient peu à peu le cercle infranchissable qui allait bientôt l'étreindre ?

Au-dessous de l'exarque se développe toute une hiérarchie dont deux grades seulement nous sont connus : des sceaux en plomb du musée de Saint-Louis mentionnent un préfet (έπάρχος) et un consul[59].

 

II. — FINANCES.

Le gouverneur et les agents qui dépendent immédiatement de lui, quelque nom qu'ils portent sous les régimes successifs, ont pour mission principale d'administrer la province, c'est-à-dire d'y maintenir l'ordre, d'y faire connaître et exécuter la loi. Les procurateurs et leurs subordonnés, qui relèvent directement de l'empereur, gèrent les vastes propriétés impériales[60] et travaillent au recouvrement des impôts[61]. Il ne semble pas avoir existé de procurateur général pour toute la province[62] ; mais le plus haut gradé de ceux qui sont établis dans la capitale occupe, dès le commencement de l'Empire, une situation fort importante ; elle ne fit que croître par la suite. Au début du IIIe siècle, le procurateur Hilarianus, investi du jus gladii, remplace, avec le titre de præses, le défunt proconsul Minucius Timinianus ; ce fut lui qui ordonna le martyre de Perpétue et de ses compagnons[63]. En 259, un autre fait encore, dans les mêmes conditions, l'intérim du proconsul ; il envoie également à la mort le groupe de chrétiens dont Montanus est le chef[64]. Ces suppléances ne reviennent toutefois qu'à de rares intervalles ; le champ d'action ordinaire de ces fonctionnaires est plus restreint. Ils nous apparaissent en Afrique, chacun avec sa petite province (tractus) nettement délimitée, subdivisée en un certain nombre de régions (regio, saltus), à la tête desquelles se trouvent d'autres procurateurs ; le titre de procurator ne va presque jamais sans un qualificatif qui en détermine l'extension[65].

Le procurator Augusti provinciæ Africæ tractus Karthaginiensis[66] est fixé à Carthage. Il appartient généralement à l'ordre équestre et touche 100.000 sesterces (26.000 francs) de traitement (centenarius). Le pays sur lequel il exerce sa curatelle s'étend, à l'ouest, jusqu'à Tabarka, c'est-à-dire jusqu'aux confins de la Numidie ; au sud, il englobe le territoire de Thugga (Dougga) ; la mer le borne à l'est et au nord[67]. La découverte des cimetières de Bir ez Zitoun et de Bir el Djebbana, en nous faisant connaître ses auxiliaires (officium), a jeté quelque lumière sur l'organisation de son service. Les très nombreuses épitaphes que ces nécropoles nous ont rendues[68] ne concernent pas toutes des employés aux bureaux du procurateur (tabularium), leurs proches eurent aussi place dans les deux areæ ; néanmoins la liste des titres est assez complète.

Les chefs de service (procuratores Augusti)[69] n'y figurent point ; leur rang ne permettait pas qu'ils fussent confondus avec les affranchis et les esclaves qui peuplent ces cimetières de petites gens (tenuiores). Deux personnages pourtant sont qualifiés de procura/ores ; affranchis l'un et l'autre, ils appartiennent à une catégorie inférieure. A côté d'eux figurent les adjutores tabularii et les dispensatores, chargés de percevoir les impôts dus au fisc et de payer ses dettes. Ensuite défilent les tabularii, librarii, notarii, calculatores, cursores, tabellarii, agrimensores, pedisequi, pædagogi, æditui, furnarii, veterinarii, d'autres encore qu'il serait fastidieux d'énumérer. M. Mommsen a expliqué leurs fonctions dans une étude approfondie[70] ; je n'ajouterai qu'une seule observation. La plupart des officiales exerçaient leur emploi hors de Carthage, l'objet même de ces occupations l'indique. Mais ils y conservaient toujours un point d'attache ; ils y faisaient un voyage de temps en temps pour rendre des comptes ou prendre des ordres ; souvent ils revenaient y mourir ou bien on y rapportait leurs cendres, les épitaphes en font foi. C'est que tous ces hommes formaient un groupe homogène, la familia domus Augustæ, sous la direction du procurator tractus karthaginiensis ; plusieurs d'entre eux (medici, æditui, pædagogi, etc.) exerçaient leur profession, d'un caractère privé, au profit de la familia.

Quelques inscriptions de cette série nomment les quattuor publica Africæ, impôts dont la nature nous échappe encore, mais qui devaient être perçus, sous la surveillance d'un procurateur installé au chef-lieu de la province, par des sociétés financières qui les avaient pris à ferme[71].

Pour une époque plus basse, la Notitia dignitatum[72] nous transmet encore le souvenir de nombreux agents, analogues à ceux dont il vient d'être question. C'étaient, sous les ordres du comes sacrarum largitionum, qui représente notre ministre des Finances, le comes titulorum largitionalium per Africam, le rationalis summarum Africæ, le procurator gynarcii Carthaginis Africæ, directeur d'un atelier public, où des femmes confectionnaient des vêtements de laine[73], le procurator bafiorum omnium per Africam, qui surveillait l'industrie de la pourpre[74] ; enfin le procurator monetæ, que passe sous silence la Notitia, mais dont l'atelier monétaire réclame la présence[75]. L'un au moins de ces représentants du fisc indique sa résidence par son titre ; avec Bœcking, je conjecture que tous les autres habitaient aussi à Carthage, de même que les administrateurs des biens ou des domaines impériaux dont j'emprunte encore les titres à la Notitia : rationalis rei privatæ per Africam, rei privatæ fundorum domus divinæ per Africain.

Quelques sceaux en plomb nous ont conservé le souvenir des commerciarii[76], chargés, à l'époque byzantine, de percevoir et de centraliser le κομμερκίον, qui comprenait les droits de douane et d'une manière générale les impôts divers... prélevés en argent ou en nature sur l'agriculture et sur le commerce[77]. Un port de l'importance de Carthage, une capitale de province oie le trafic était considérable, ne pouvaient se passer de ces fonctionnaires des finances. Les commerciarii occupaient un rang élevé dans la hiérarchie administrative ; l'un d'eux porte le titre d'ancien consul (άπό ύπάτων)[78]. Ceux dont nous possédons les noms appartiennent tous au VIIe siècle.

 

 

 



[1] C. I. L., VIII, p 149, et n° 1180 = 14310 ; Labarre, p. 6-8. Dureau de la Malle (p. 122) conteste cette opinion ; il s'appuie sur l'aventure de Marius, à qui l'ordre d'expulsion lancé par Sextilius fut si promptement notifié à Carthage. N'est-ce point s'attacher trop à la lettre du texte de Plutarque ? Voir d'ailleurs les faits et les textes allégués par M. Pallu de Lessert, Fastes, I, p. 23, 41-43, 47 sq., 51 sq., 55, 77.

[2] Marquardt, II, p. 452.

[3] On dit qu'il ne se transporta pas a Carthage avant 742/12 (C. I. L., loc. cit. ; Ruggiero, II, p. 122), parce qu'une inscription d'Utique mentionne une construction faite alors en cette ville par le proconsul. L'argument est peu solide ; Schwarze (p. 3, n. 2) répond justement qu'il a pu habiter Carthage et bâtir à Utique. Mais, à son tour, il indique (p. 3) sans raison suffisante les années 740/14 ou 741/13.

[4] Voir, à ce sujet, Mommsen, C. I. L., VIII, p. XV sq. ; Marquardt, II, p. 453 sq., 534 sqq. ; Cagnat, Armée, p. XIX, 4-25, 112 sq., 115 ; Labarre, p. 9.

[5] Le proconsul, dit M. Cagnat (Armée, p. 24-25), eut droit au même nombre de beneficiarii que le légat... on ne rencontre de beneficiarii qu'à côté des personnages revêtus de commandements militaires.

[6] C. I. L., II, 1262, 4510, 4511 ; VI, 1346 ; XIV, 3599, 3600 ; Bull. Ant., 1898, p. 224 ; C. R. Inscr., 1898, p. 502 ; Bull. arch., 1898, p. CXL, 174 sq. = Rev. arch., XXXV, 1899, p. 172, n° 37 ; Apulée, Flor., IX, 40 ; Capitolin, Vita Gord. trium., 7, 2 ; 9, 6. Après Dioclétien, il n'y eut plus que deux diocèses (Not. Dign. Occ., XVII) ; Carthage donna encore son nom à l'un des deux : C. I. L., VI, 1682 (1er tiers du IVe s.) ; VIII, 1277 = 14772 (a. 314-316), 928 (a. 388-392) ; Mansi, IV, col. 51, 167, 181 (a. 411) ; cf. Marquardt, II, p. 515.

[7] Dion Cassius, LXXVIII, 22.

[8] Cyprien, Epist., XXXVII, 2.

[9] C. I. L., II, 1262, 1283, 1371 ; V, 2112, 4129, 4338, 4359 ; VI, 1346 ; cf. Hirschfeld, Untersuch., p. 17 ; Labarre, p. 10.

[10] Apulée, De magia, 1 ; Cyprien, Acta procons., 4.

[11] Cyprien, Acta procons., 2 ; Acta SS. Saturnini..., 4-5, 14 (Ruinart, p. 383 sq.) ; Acta S. Maximiliani, 2 (ibid., p. 300) ; Passio Maximiani et Isaac (P. L., VIII, col. 169) ; Cod. Theod., XII, 1, 116 ; Cod. Just., XII, 56, 1.

[12] Cyprien, Vita, 15 ; Acta procons., 2. Le père de Tertullien, qualifié par Eusèbe et saint Jérôme de centurio proconsularis (P. L., I, col. 126), appartenait sans doute à ces principes. Sur les grades qui vont suivre, cf. Cauer, Ephem., IV, p. 406-409, 424 sq., 452-455, 459-466.

[13] Cyprien, Vita, 15, cum militibus suis princeps.

[14] Cyprien, Acta procons., 2 ; cf. Cagnat, Armée, p. 128-130.

[15] Cyprien, Acta procons., 2. Sur ce sens, cf. Cod. Just., IX, 4, 1.

[16] Cyprien, Vita, 16.

[17] Cyprien, Epist., LXXXI.

[18] Cyprien, Acta procons., 5 ; Acta S. Maximiliani, 3 (Ruinart, p. 301) ; Cagnat, Armée, p. 130.

[19] Passio S. Perpetuæ, 15 ; Passio SS. Montani..., 3 et 11 (Ruinart, p. 99, 114, 230, 236). Les venatores qui flagellent Perpétue et ses compagnons dans l'amphithéâtre (Passio, 18 ; Ruinart, p. 100, 116) ne dépendaient sans doute pas du proconsul. Je rangerais plus volontiers sous ses ordres les stationarii dont parle saint Augustin dans un sermon prononcé peut-être à Carthage (Enarr. in psalm., XCIII, 9 ; cf. P. L., XXXVI, col. 1189 et 1199, avec les notes puis, Cod. Theod., VI, 29, 1 ; XVI, 2, 31).

[20] Cagnat, Armée, p. 25, 130, n. 7.

[21] Augustin, Sermo XLVII, 4 : Magnum secretum judicis, unde secretarium nominatur.

[22] Cyprien, Acta procons., 1 ; Acta Scilitanorum, 1 (Ruinart, p. 88, cf. 89) ; Cod. Just., XII, 56, 1-2.

[23] Acta mart. Scil., 5 (ibid., p. 81 ; cf. Passio Maximiani et Isaac (P. L., VIII, col. 768 sq.).

[24] On rencontre encore dans les textes un scholaslicus (avocat) proconsalis (Augustin, Epist. CLVIII, 1) et un advocatus vicariæ præfecturæ, id., De Civ. Dei, XXII, 8 : je ne crois pas qu'il s'agisse là de véritables fonctionnaires, mais d'auxiliaires occasionnels de l'administration

[25] C. I. L., XIV, 5665. Borghesi, V, p. 208 ; Marquardt, XI, p. 250 sq. ; Cagnat, Armée, p. 181 sq. Pallu, Fastes, I, p. 117 et les références : Hirschfeld, Untersuch., p 219.

[26] Pallu, Fastes, I, p. 123, 131, 139, 224, 221, 265, 276, 284 sq.

[27] Pallu, Fastes, I, p. 105, 161, 199-201, 269.

[28] Cyprien, Epist. XXXVII, 2.

[29] C. I. L., XIV, 3665 ; Pallu, Fastes, I, p. 117 sq., 179. Pour les autres prorogations, cf. ibid., passim, et Marquardt, II, p. 567, n. 1.

[30] Dureau de la Malle (p. 203) et Labarre (p. 10) à sa suite mentionnent un texte de Prosper Tiro (p. 206) que j'ai en vain cherché. A titre de renseignement,  voici la traduction de ce passage par Dureau de la Malle. Lorsque l'année du gouvernement de ces magistrats (les proconsuls) était expirée, le peuple était convoqué dans le forum de Carthage pour porter son jugement sur leur administration. C'était un jour solennel que celui où le peuple citait les proconsuls à son tribunal. Leurs noms étaient inscrits sur des calculs d'ivoire. Ceux qui avaient administré la province avec talent et intégrité. on leur décernait des louanges et des honneurs, même s'ils étaient absents ; ceux qui, dans leur gouvernement, s'étaient montrés inhabiles et rapaces étaient injuriés et sifflés par le peuple.

[31] On trouvera là l'indication des divers interrogatoires du proconsul : je me borne en ce moment à rappeler deux passages significatifs des lettres de saint Cyprien (X, 4 ; XXXVIII, 1). Sur la justice parfois vénale à Carthage, voir Cyprien, Ad Demetrianum, 10-11.

[32] Zeugitana regio, quæ proprie vocatur Africa..., Martianus Capella, VI, 669 ; Proconsularis Zeugitana, liste de Vérone ; Proconsularis, in qua est. Carthago, liste de Polemius Silvius ; Not. dign. (édit. O. Seeck), p. 250, 256 et Occ., 1 : cf. Mommsen (trad. Picot), Mémoire sur les provinces romaines, p. 48 ; Ruggiero, I, p 343

[33] Occ., XVIII. Pour l'explication de la plupart des fonctions suivantes. cf. Pallu. Vic., p. 15-18, avec les références.

[34] Pallu, ibid., p. 6.

[35] Not. dign., Occ., XX ; Pallu, ibid., p. 15-18.

[36] Outre le tribun Marcellinus et de nombreux fonctionnaires envoyés directement par l'empereur, les procès-verbaux de la conférence de 411 mentionnent divers attachés au proconsul, au vicaire et au légat de Carthage ? Mansi, IV, col. 51, 167, 181.

[37] Papencordt, p. 192-202.

[38] III, 27 ; Papencordt, p. 195 sq., 250.

[39] Marcus, Wand., p. 188 ; Papencordt, p. 250 sq. Je n'ai pas retrouvé le passage de Victor de Tonnenna auquel ils se réfèrent.

[40] Papencordt, p. 269, 310.

[41] Victor de Vita, II, 3, 15, 41 ; Papencordt, p. 220-221, 262. Victor (III, 33) nomme parmi les emplois inférieurs un cellarita regis.

[42] Victor de Vita, II, 6, 8-9 ; Papencordt, p. 188, 219, 221 sq.

[43] Papencordt, p. 267, 269.

[44] Papencordt, p. 211, 219.

[45] Papencordt, p. 225-227.

[46] Victor de Vita, II, 4 ; 1. 13 ; Procope, Bell. Vand., I, 5 ; Papencordt, p. 183, 192.

[47] Cod. Just., I, 27 : cf. Partsch, p. VII et n. 5 ; Epist. Gregorii I Papæ (éd. Ewald), I, p. 26 sq., 261, les notes. Wilmanns (C. I. L., VIII, 1020) attribue un proconsul à l'Afrique sous Justin II (565-518) ; au lieu de v. c. p[roc]. p.[a...], ne pourrait-on pas lire p[ræf.] ? Cf. ibid., 10498.

[48] J'admets les corrections que M. Diehl (Afr., p. 101-110) fait subir au texte du Code ; cf. Cuq dans Borghesi, X, 2, p. 654, n. 1.

[49] Diehl, Afr., p. 110-116.

[50] Sur ce fonctionnaire et ses agents, voir Diehl, Afr., p. 97-107 ; la liste des préfets du prétoire d'Afrique se trouve dans ce même ouvrage, p. 596-599, et dans Borghesi, loc. cit., p. 653-672.

[51] Diehl, p. 489-492.

[52] Diehl, p. 472-474.

[53] Diehl, p. 474, 477. 481, 484-489.

[54] C. I. L., VIII, 12035 ; Gsell, 1893, p. 174, n. 113 ; Diehl, Afr., p. 478 sq.

[55] VII, 6 (Byz.) : Ό μέν ούν Γενάδιος τό τηνικαύτα Δέκαρ. M. Diehl ne donne pas l'explication de ce mot.

[56] On ne peut guère se faire une idée de cet officium que par comparaison avec ce qui existait en Italie ; cf. Diehl, Afr., p. 488 sq.

[57] C. I. L., VI, 1200 ; VIII, 10529 ; cf. Gsell, loc. cit.

[58] Voir ci-dessus, L. I, chap. V, § 3 ; C. I. L., VIII, 2389, 10965.

[59] Miss. cath., 1887, p. 525 ; cf. Héron de Villefosse, dans Borghesi, X, 2, p. 663, n. 2. On lit sur d'autres plombs patricius, domesticus (C. R. Hipp., 1893, p. XXIII sq. ; Gsell, 1893, p. 174, n° 114) ; ce sont là des titres honorifiques et non des fonctions administratives.

[60] Mommsen, C. I. L., VIII, p. XVI sq. ; Toutain, Cités, p. 161, n. 1.

[61] Marquardt, II, p. 582 sq.

[62] Ruggiero, I, p. 33S. Pourtant on connaît (C. I. L., VI, 8515) un ark(arius) provinciæ Africæ, dont l'existence paraît entraîner celle d'une caisse centrale pour les possessions impériales en Afrique ; cf. ibid., III, p. 98. Une inscription de l'amphithéâtre a aussi été lue par M. Héron de Villefosse (Mém. Ant., LVII, 1896, p. 160 sq., n° 77) : Ratio A(ugusta) p(rovinciæ) A(fricæ).

[63] Passio S. Perpetuæ, 6 (Ruinart, p. 95) ; Tertullien, Ad Scapulam, 3 ; Pallu, Fastes, I, p. 258 sq., 288 sq.

[64] Passio SS. Montani..., 2, 3, 18, 20 (Ruinart, p. 230 sq., 236) ; Hirschfeld, Untersuch., p. 258 ; Ruggiero, I, p. 333.

[65] C. I. L., VIII, p. XVII ; cf. ibid., III, 5776 ; Ruggiero, I, p. 336 ; Bull. Ant., 1890, p. 79 sq. ; D., Arch., p. 13 ; D., Epigr., p. 143 sq., n° 17 ; Cyprien, Acta procons., 5 ; A. Schulten, Die rœmischen Grundherrschaften, 8°, Weimar, Felber, 1896, p. 60-82.

[66] C. I. L., VI, 8608 ; VIII, 1269, 1578, 10570, 17899, 17900 ; Ephem., V, 335 ; Mommsen, Hermes, 1880, p. 397-401 ; Hirschfeld, Untersuch., p. 261 ; Cagnat, épigr., 1882, p. 232-234 ; Ruggiero, I, p. 338 sq. ; III, p. 98 ; cf. Héron de Villefosse, Bull. Ant., 1892, p. 214-216.

[67] Cagnat, loc. cit.

[68] C. I. L., VIII, 1027, 1028, 1060 ; 12590-13214 ; Ruggiero, I, p. 339 sq. On continue à retrouver, soit dans les nécropoles, soit en divers endroits de Carthage, des textes du même genre : Revue tunisienne, 1895, p. 420, 424 ; Bull. Ant., 1892, p. 214-216 ; 1896, p. 126, 130 sq. ; cf. p. 218 = Rev. Arch., XXI, 1893, p. 388, n° 56 ; XXVII, 1895, p. 402 sq. ; XXIX, 1896, p. 396, n° 83-84 ; XXXI, 1891, p. 146-148, n° 38, 43, 46.

[69] C. I. L., VIII, 12550.

[70] C. I. L., VIII, p. 1335-1338 (réédition retouchée d'un travail publié antérieurement dans les Mélanges Graux, p. 505-513, et dans l'Ephem., V, p. 110-120) ; cf. Hirschfeld, Untersuch.. p. 32 sq.

[71] C. I. L., VIII, 997, 1128, puis p. XVII, 1338 et les textes cités ; Hirschfeld, op. cit., p. 20 sq. ; Ruggiero, I, p. 340 sq. ; Toutain, Cités, p. 218.

[72] Occ., XI-XII, avec les notes de Bœcking ; cf. C. I. L., VIII, 12543 ; Eusèbe, H. E., X, 6 ; Hirschfeld, op. cit., p. 26, n. 36-40, 41-48.

[73] Du Cange, Gloss., s. v. gynæceum ; Cod. Theod., X, 20, 9 ; XI, 1, 24.

[74] Du Cange, Gloss., s. v. baphium, cf. Hirschfeld, op. cit., p. 193, n. 1.

[75] Mommsen, Zeitschrift fuer Nuemismatik, 1887, p. 242, n. 2.

[76] Miss. cath., 188-7, p. 524 ; C. R. Hipp., 1893, p. XXV-XXVII ; Gsell, 1893, p. 174, n° 114 ; Diehl, Afr., p. 501 ; cf. Schlumberger, Sigillographie de l'Empire byzantin, p. 470-475.

[77] Diehl, Afr., p. 500. C'est à un service analogue que se rattachent les curiosilitorum, douaniers employés, surtout en Afrique et en Dalmatie, sur les côtes et dans les ports, au début du Ve siècle (O. Hirschfeld, Die « agentes in rebus », p. 20 et n. 1, extrait des Sitzungsberichte d. k. pr. Akad. d. Wissensch. zu Berlin, XXV, 1893). On a retrouvé à Carthage de nombreux plombs de douane (Delattre, Bull. arch., 1898, p. 162, 164-170).

[78] C. R. Hipp., 1893, p. XXVII. On trouve encore d'anciens consuls et d'anciens préfets (άπό έπάρχων), mais sans indication de fonctions administratives ; ibid. ; Miss. cath., 1887, p. 508 ; Diehl, p. 501.