CARTHAGE ROMAINE

 

LIVRE PREMIER. — HISTOIRE DE CARTHAGE ROMAINE

CHAPITRE V. — LES DERNIERS JOURS (533-698).

 

 

I

Si Justinien promettait la liberté aux Carthaginois, il ne leur en assurait pas la tranquille jouissance ; c'eût été prendre des engagements qu'il n'était guère en mesure de tenir. Des symptômes non équivoques permettaient en effet de deviner qu'on n'en avait pas fini avec la guerre en abattant les Vandales. Impatients de toute autorité, les Maures et les Berbères allaient harceler les villes, rançonner les propriétaires ruraux et tenir en échec pendant près d'un siècle les envoyés de Constantinople. Nous avons déjà vu à l'œuvre ces intrépides adversaires, au temps où Rome possédait encore l'Afrique. Les Vandales n'étaient pas non plus restés à l'abri de leurs attaques ; aussitôt que la forte main de Genséric ne fut plus là pour les contenir, ils se ruèrent contre ses faibles successeurs. Enfin, quand les Byzantins errent triomphé, ils assaillirent aussi ces nouveaux maîtres du pays. Les hostilités se prolongèrent ; elles menaçaient de s'éterniser, lorsque se présentèrent les Arabes, qui mirent d'accord Impériaux et indigènes, en s'emparant de toute la région. Le jour où le flot des envahisseurs venus de l'est atteignit Carthage, la domination romano-byzantine disparut de l'Afrique. C'est la suite de ces douloureux efforts de la capitale contre les tribus de l'intérieur d'abord, plus tard contre les conquérants arabes, qu'il me reste à raconter[1].

Le vaisseau qui emportait Bélisaire vers Constantinople n'avait pas encore levé l'ancre que se répandait le bruit des incursions des Maures sur les frontières. Bélisaire laissa donc presque toutes ses troupes à son remplaçant, le magister militum Solomon, qui, grâce aux renforts expédiés par Justinien, sans avoir encore une armée considérable, put néanmoins tenir tête à l'ennemi. Ses propositions de paix ayant été repoussées avec arrogance, il pourvoit à la sécurité de la ville, où les fâcheuses nouvelles du sud jetaient facilement la panique, et part avec toutes ses forces à la rencontre des barbares qui ravageaient la Byzacène. A deux reprises il les vainquit, dans les environs de Mamma[2] et près du mont Burgaon[3], leur tua beaucoup de monde, et prit une telle foule de femmes et d'enfants qu'un enfant, dit Procope, ne se vendait pas plus cher qu'un petit agneau. Carthage célébra cette double victoire par des réjouissances publiques, et le populaire, avide de spectacles nouveaux, contemplait curieusement les captifs, au nombre desquels figurait Esdilasa, un des quatre grands chefs ennemis[4].

La Numidie n'était pas indemne ; les tribus de l'Aurès la dévastaient sous la conduite de leur roi Iabdas ; elles avaient ruiné en particulier la belle ville de Thamugadi (Timgad). Joué par ces rebelles dans une première campagne, Solomon voulut en préparer à loisir une seconde et dans cette pensée séjourna pendant l'hiver à Carthage[5]. Au printemps (mars 536), lorsqu'il se promettait de reprendre les opérations, le patrice[6] fut retenti par une sédition militaire. Il y courut de grands dangers, et, sans laide de Bélisaire, peut-être ne serait-il jamais parvenu à l'étouffer[7].

Beaucoup de soldats de l'empire avaient épousé des femmes vandales. Elles s'indignaient, maintenant qu'elles partageaient le sort des vainqueurs, de ne plus posséder les terres qui leur appartenaient sous le régime précédent. Poussés par leurs plaintes incessantes, leurs maris firent entendre des réclamations ; et, lorsque Solomon voulut diviser le territoire conquis entre le trésor public et le fisc impérial, ils s'y opposèrent. Le général leur rappela que les captifs et le butin leur avaient été répartis ; qu'ils n'étaient pas soldats pour s'adjuger les domaines recouvrés, mais pour les restituer au trésor, qui pourvoyait à leur propre entretien ; ces arguments n'étaient pas de nature à les calmer.

Une autre cause de révolte moins apparente, mais peut-être plus forte en réalité, s'ajoutait à la première. L'armée comprenait un certain nombre de soldats ariens, presque tous barbares. Les prêtres vandales, ariens eux aussi, qui ne pouvaient plus exercer leur ministère depuis que Justinien en avait fait défense à tous les hérétiques, excitaient en cachette ces adeptes de leur foi. Leur mécontentement était vif, surtout à l'approche de la fête de Pâques, où il ne leur serait possible ni de baptiser, ni d'accomplir les autres cérémonies en usage à cette époque de l'année. A côté de ces prêtres, d'autres Vandales encore se trouvaient clans le camp, épiant l'occasion favorable de venger, par quelque moyen que ce fût, leurs récents désastres. Les prisonniers conduits par Bélisaire à Constantinople avaient été répartis en cinq corps de cavalerie (Justiniani Vandali) et dirigés sur les frontières de la Perse, pour y tenir garnison. Quatre cents- d'entre eux, ayant réussi à s'échapper, gagnèrent l'Afrique et, à la faveur de l'indiscipline, s'introduisirent peu à peu dans les rangs des Byzantins. Ils y semèrent sans peine l'esprit de révolte.

Solomon en effet n'avait point les sympathies du soldat. Dur aux autres comme a lui-même, soucieux avant tout de bien servir son maître et de rétablir l'ordre à tous les degrés de la hiérarchie, il n'avait ménagé ni l'inertie des hommes, ni la vanité des chefs. Tous le détestaient donc ; et les Vandales trouvèrent, un terrain préparé d'avance à recevoir leurs perfides conseils. En outre, la longue inaction des troupes pendant l'hiver de 535-536, la réunion à Carthage de la majeure partie des forces impériales, étaient des circonstances favorables qu'ils s'empressèrent d'exploiter. La conspiration s'ourdit promptement ; presque toute l'armée y trempa, y compris l'entourage de Solomon, que l'on avait gagné à prix d'or. Malgré le grand nombre des conjurés, le secret ne fut pas trahi.

On avait résolu de tuer le patrice à l'église, le premier jour des fêtes pascales, qui s'appelait le grand jour. Tandis qu'il priait dans la basilique, raconte Procope, ceux qui avaient décidé sa mort y entrèrent ; et, s'excitant mutuellement par signes, ils portaient déjà la main à leur épée. Mais ils n'osèrent pas accomplir leur forfait. La pensée des cérémonies qui se célébraient, peut-être un respect instinctif pour un chef si illustre, ou je ne sais quelle puissance divine les en empêcha. Ils se retirèrent donc après l'office et se reprochèrent amèrement les uns aux autres leur faiblesse. On remit le coup au lendemain ; ce jour-là encore, paralysés comme la veille, ils quittèrent l'église sans avoir rien fait. Arrivés sur le forum, ils s'accablent d'invectives sans aucune prudence, se traitant de 'aches et de traîtres, et s'accusant de servilité à l'égard du général. Le complot était divulgué. Aussi la plupart d'entre eux, qui ne se croyaient plus en sûreté à Carthage, s'empressèrent d'en sortir. Une fois dehors, ils pillèrent les villages des environs et tuèrent tous les Africains qui se trouvaient sur leur chemin. Ceux qui n'avaient pas quitté la ville cachaient avec soin leurs sentiments et feignaient d'ignorer la conjuration.

Solomon s'employa aussitôt de tout son pouvoir à les retenir dans la fidélité à l'empereur. Mais, au bout de cinq jours, quand ils virent que leurs camarades se permettaient impunément tous les excès dans la campagne, ils se rassemblèrent au cirque et s'emportèrent en discours injurieux à l'adresse de Solomon et des autres généraux. En vain leur dépêcha-t-on Théodore de Cappadoce, qui tenta de les apaiser par des paroles conciliantes ; ils ne l'écoutèrent pas. Une certaine jalousie existait entre Théodore et Solomon, qui le soupçonnait d'avoir voulu attenter à sa vie. Les séditieux, se souvenant alors de ces rivalités, proclament à grands cris Théodore leur chef. Ils l'entourent connue une escorte et se dirigent en tumulte vers la résidence du gouverneur, où ils mettent à mort le commandant de la garde. Puis le pillage et le massacre commencent. Africains ou Romains, ennemis ou amis de Solomon, ils égorgent tout ce qu'ils rencontrent ; ils pénètrent dans les maisons sans défense et les saccagent ; en un mot, ils commettent tous les excès ordinaires dans une ville prise d'assaut. Cette orgie sanglante dura jusqu'à la nuit ; les ténèbres et l'ivresse calmèrent seules leur fureur. Lorsque tout fut endormi, Solomon, qui s'était caché dans l'église du palais, se rendit chez Théodore de Cappadoce. Cet officier avait pu se dérober aux honneurs que prétendaient lui imposer les mutins ; il procura au patrice les moyens de s'évader par mer et lui promit de veiller pendant son absence à la sécurité de Carthage.

Les insurgés s'étaient réunis dans la plaine de Balla Regia. Leur dessein était de se défaire des généraux de Justinien et de proclamer ensuite l'Afrique indépendante. Dans cette intention, ils mirent à leur tête un certain Stotzas, qui sortait des derniers rangs de l'armée[8] et que sa cruauté, son caractère aventureux, désignaient pour un tel rôle. Près de huit mille rebelles se trouvèrent bientôt sous ses ordres. Il lança un appel à tout ce qui restait de -Vandales dans la contrée ; un nouveau contingent de mille hommes, joyeux de combattre l'autorité impériale, vint de ce chef augmenter ses effectifs. Enfin il pouvait compter sur l'appui des Numides.

Stotzas se flattait d'occuper Carthage du premier coup, sans rencontrer la moindre résistance. Aussi, dès que ses troupes furent assez près de la ville, un émissaire partit en avant pour promettre aux habitants que, s'ils se rendaient sur-le-champ, il ne leur serait fait aucun mal. La réponse ne fut pas telle qu'on se la figurait. Théodore et les défenseurs de la capitale déclarèrent qu'ils la gardaient pour l'empereur ; en même temps, ils députèrent un officier à Stotzas, afin de le détourner de toute entreprise violente. Stotzas le fit mettre à mort et commença le siège. Saisis d'effroi, les habitants, qui n'avaient pas la vaillance de la garnison, songèrent bientôt à se rendre. Or, cette nuit-là même, Bélisaire, que Solomon était allé chercher en Sicile, débarquait à l'improviste au Mandracium. Il n'amenait que cent hommes de sa garde, mais son nom valait une armée ; on en eut la preuve dès le lendemain.

Les révoltés, qui se tenaient en vue des murailles, apprennent à l'aurore le retour du vaillant guerrier. Sans attendre davantage, ils lèvent le camp et s'enfuient dans un inexprimable désordre. Pour lui, réunissant à la hâte deux mille hommes, il s'élance sur leurs traces, les joint et les bat près de Membressa (Medjez el Bab)[9]. Il règle en quelques jours les affaires d'Afrique ; puis, rappelé par une sédition, regagne la Sicile, confiant Carthage à Ildiger et à Théodore de Cappadoce ; pour hâter l'apaisement, Solomon retourna à Constantinople[10], L'apaisement ne se produisit pas ; Stotzas, bientôt après sa défaite, sut attirer à lui les troupes cantonnées en Numidie et massacra leurs chefs par traîtrise[11].

Dès que Justinien connut ces douloureux incidents, il s'empressa d'expédier en Afrique son neveu, le patrice Germanus, qui avait déjà fait ses preuves contre les Slaves (536)[12]. Mais, toutes les forces de l'empire étant alors occupées en Italie, le nouveau magister militum s'embarqua presque seul. Un recensement sommaire, auquel il procéda dès son arrivée, lui démontra que le tiers environ des troupes restait dans la capitale et dans les villes encore soumises à l'autorité impériale ; tout le reste avait embrassé le parti de Stotzas. L'affaire urgente était donc la réorganisation de l'armée ; il s'y consacra tout entier, et le succès ne se fit pas attendre.

La plupart des soldats demeurés à Carthage avaient parmi les insurgés, qui un parent, qui un camarade, les relations ne manquaient pas d'un camp à l'autre. Germanus se servit de ce moyen pour ramener les égarés. Il multiplia les prévenances envers ses hommes et les assura que l'objet de sa mission était de protéger les soldats contre leurs oppresseurs. Ces paroles se redirent chez l'adversaire ; peu à peu les défections se produisirent autour de Stotzas. Germanus accueillait les transfuges avec empressement, loin de leur adresser aucun reproche ; il leur comptait même leur solde pour le temps où ils avaient combattu contre les Romains. Aussi fut-il bientôt dans Carthage à la tête de contingents suffisants pour entreprendre une lutte à peu près égale. Il devait ce résultat à sa prudente tactique ; et le continuateur de la Chronique de Marcellin ne fait que rendre hommage à la vérité lorsqu'il écrit, à l'année 536 : Germanus in Africa feliciter administrat[13].

Stotzas, inquiet de voir fondre ses effectifs sans combat, résolut d'agir et s'avança contre la capitale. Il répandait parmi les siens le bruit qu'il entretenait des intelligences dans la place et que les troupes de Germanus ne tarderaient guère à se joindre aux assaillants. Peut-être espérait-il que, cette fois encore, les Carthaginois, pris de peur, se hâteraient de négocier ou que la garnison abandonnerait le patrice. Il n'en fut rien ; les Byzantins, enflammés par les paroles de leur chef, protestèrent avec enthousiasme de leur dévouement envers le prince. Frustrés dans leurs espérances, les rebelles se débandèrent et regagnèrent la Numidie ; Germanus les y poursuivit et les atteignit à Cellas Vatari[14]. Stotzas, battu à plate couture, se retira en Maurétanie avec un petit groupe de Vandales[15], tandis que ses soldats suppliaient Germanus de leur pardonner. Cette bataille termina la révolte.

L'aisance avec laquelle un homme de rien avait su recruter des adhérents et se créer une armée montre quelles étaient alors les dispositions versatiles des garnisons de Carthage et de la province, combien précaire leur fidélité à l'empire. On en eut peu de temps après une nouvelle preuve.

Jaloux sans doute des lauriers de Stotzas et se flattant de réussir où il avait échoué, Maximin, garde du corps de Théodore de Cappadoce, tenta une émeute pour y faire tuer Germanus. Ce mécréant, haï de tout ce qui était honnête, était néanmoins parvenu à grouper autour de lui un certain nombre d'adeptes. Germanus essaya, selon son habitude, de le gagner par de bons traitements et le fit entrer dans sa garde. Les nouveaux inscrits dans ce corps d'élite devaient, par un serment solennel, s'engager à défendre l'empereur et le chef qu'ils servaient. Maximin n'aperçut dans la proposition de son général qu'un moyen plus certain de réussir ; il s'empressa donc de jurer ce qu'on lui demanda, sans cesser néanmoins ses ténébreuses pratiques.

A quelque temps de là un jour de fête publique, Germanus donnait un festin ; Maximin était parmi les convives. Au milieu du repas, on annonce qu'une bande tumultueuse de soldats assiège les portes du palais et réclame l'arriéré de sa solde. C'étaient les factieux, obéissant à Maximin, qui venaient menacer le patrice. Sa ferme attitude les fit reculer, ils se retirèrent dans le cirque. Ce vaste monument, dont il était facile de boucher les entrées, offrait une sorte de forteresse toute prête ; situé près des portes de la ville, il permettait d'ailleurs à ceux qui s'y réfugiaient de s'enfuir presque à la dérobée dans la banlieue. Les auteurs de la conjuration de 536 contre Solomon ne s'étaient pas mépris sur l'importance de cette position ; les affiliés à Maximin, recrutés peut-être parmi les mêmes éléments, voulurent en profiter à leur tour. Mais Germanus faisait garder leur chef à vue ; son absence, le retard d'un bon nombre de leurs partisans à rejoindre le gros de la troupe, l'attaque soudaine des défenseurs de l'ordre, les affolèrent, au point qu'ils lâchèrent pied et furent taillés en pièces. On pendit Maximin à proximité des remparts.

 

II

Germanus demeura en Afrique encore deux années, administrant de la manière la plus sage. Sous son gouvernement, la province put réparer un peu ses forces épuisées, et Carthage, éprouvée par des secousses de tout genre depuis qu'elle avait échappé aux Vandales, goûta enfin quelque repos. Haï de Theodora, desservi peut-être par Solomon qui désirait jouer à nouveau un rôle important, Germanus, à la suite d'intrigues de cour, dut céder la place (539)[16] à ce même patrice qu'il avait remplacé trois ans plus tôt. Tandis qu'il avait reçu de ses mains un pars en pleine révolte, il le lui rendait pacifié, renaissant à l'espoir d'un avenir prospère.

Solomon n'eut donc qu'à suivre la voie tracée par son prédécesseur pour rétablir autour de lui un peu de bien-être[17]. Comme il avait amené d'Orient des troupes fraîches et qu'il eut soin dès l'abord de renvoyer à Constantinople tous les éléments de désordre que l'armée renfermait encore, la discipline se fortifia, la capitale ne fut plus ensanglantée par aucune insurrection, et il se trouva bien vite en état de venger sur les Maures de l'Aurès le demi-échec qu'il avait éprouvé dans ces parages à la fin de 535. Cette campagne, circonscrite à un territoire bien délimité, ne troubla guère la paix de Carthage ; on ne s'y clouta sans doute qu'il s'était livré des batailles qu'en voyant les troupes rentrer chargées de butin. La tranquillité propice au commerce se perpétua pendant quatre ans environ[18].

On sait comment elle prit fin. Un neveu du patrice, Sergius, nommé duc de Tripolitaine, irrita les indigènes par ses vexations incessantes et fut contraint d'aller se mettre en sûreté près de son oncle, à Carthage. De son côté, Solomon avait, à diverses reprises, maltraité les Maures. Le mécontentement était si général que les chefs qui, de longue date, soutenaient le parti de l'empire, comme Antalas, puissant dans la Byzacène, firent cause commune avec les ennemis de Solomon et de Sergius. Pour empêcher l'année berbère d'atteindre Carthage, le patrice prit résolument l'offensive ; cette fois la fortune le trahit. Il succomba à la bataille de Cillium (Kasrin)[19], malgré la vaillance de sa garde qui se fit tuer autour de lui (544).

Pour lutter contre les Maures, dont cette victoire avait accru l'audace, Justinien ne trouva rien de mieux que de confier la défense du pays à l'incapable Sergius, abhorré des indigènes pour ses cruautés, odieux aux Romano-Byzantins à cause de son orgueil. Tandis qu'il menait à Carthage sa vie de débauches, les plus belles villes, comme Hadrumète, tombaient au pouvoir de l'ennemi, et les plus braves officiers, tels que Jean, fils de Sisinniolus, succombaient en essayant d'arrêter les hordes barbares (545)[20]. Enfin l'empereur rappela ce chef indigne et le remplaça par Areobindus (fin de 545, ou janvier 546)[21].

Ce débile vieillard résidait depuis deux mois à peine à Carthage, lorsque Guntharis, commandant des troupes de Numidie, excita en secret contre lui Antalas et ses Maures, ainsi que les grands chefs numides, Iabdas et Cutzinas ; il espérait tirer parti de cette incursion pour supplanter le magister militum. Antalas se dirigea rapidement contre la capitale. Au bruit de son approche, Areobindus rappelle autour de lui tous ses lieutenants épars dans la contrée ; Guntharis était du nombre. Bientôt, sur quelques indices trompeurs, croyant sa perfidie découverte, il se décide à brusquer les événements et à prendre sans plus tarder ce pouvoir qu'il aurait mieux aimé recevoir des troupes, après la disparition d'Areobindus. Il ouvrit donc toute grande la porte dont il avait la garde, feignant de vouloir introduire les Maures. Il espérait que le gouverneur, dont il n'ignorait pas le peu de courage, abandonnerait aussitôt la ville pour s'enfuir à Constantinople. Retenu par une tempête, Areobindus tenta d'abord de ramener Guntharis par de bonnes paroles. Ses efforts ayant échoué, il l'attaqua. En dépit des promesses et des menaces de Guntharis, la plupart des soldats restaient fidèles à leur général ; il ne s'agissait donc de -mettre à la raison qu'une poignée d'hommes. Le résultat était d'autant moins incertain que des renforts arrivaient sans cesse grossir les rangs d'Areobindus. Sa couardise perdit tout. Il n'avait jamais assisté à une tuerie de ce genre ; la vue du sang l'épouvanta. ; il prit la fuite et se réfugia dans le monastère fortifié qui avoisinait le port. Ses défenseurs démoralisés se dispersèrent, et le rebelle ressaisit la victoire qui lui échappait.

Une fois maitre de la situation, Guntharis délègue Reparatus, évêque de Carthage, auprès d'Areobindus, pour l'engager à se livrer. L'évêque, qui était de fort bonne foi, promit à l'ancien gouverneur, en conférant le baptême à un jeune enfant, qu'il aurait la vie sauve ; c'était une forme de serment très solennelle. Devant une pareille affirmation, le malheureux n'hésite plus ; vêtu d'une casaque d'esclave, il vient se prosterner aux pieds de Guntharis et lui présente, avec des supplications, le livre des Evangiles et l'enfant que l'évêque avait baptisé. L'usurpateur le reçoit avec bienveillance, l'invite à souper en lui réservant la place d'honneur et le fait coucher seul dans une chambre du palais. Il se croyait hors de danger, lorsque parurent des émissaires de Guntharis, qui le tuèrent malgré ses larmes (mars 546)[22]. Le lendemain, le meurtrier envoya la tête d'Areobindus à Antalas, mais il garda l'argent et les soldats dont il lui avait promis une part. Cette déloyauté blessa le Berbère, qui s'éloigna de Carthage, méditant sa vengeance.

Le commandant du contingent arménien, Artabane, le principal défenseur d'Areobindus, avait reçu pleine amnistie de Guntharis ; en secret, il ne pensait qu'aux moyens de le punir. Celui-ci préparait une grande expédition contre Antalas qui avait définitivement rompu avec lui. Avant de commencer la lutte, il fit exécuter un peu au hasard un certain nombre de suspects et ordonna même de faire disparaître en son absence tout ce qu'on découvrirait de Grecs à Carthage. La veille du départ, il réunit dans un grand banquet ses principaux officiers ; l'occasion sembla propice à Artabane pour exécuter son dessein. Il dissémina habilement des soldats dévoués autour de la salle et s'arrangea de manière à en écarter les familiers de Guntharis. Vers la fin du repas, un des plus fidèles Arméniens, chargé de frapper le tyran, lui porta un coup de sabre et ne réussit qu'à le blesser. Artabane aussitôt se précipite et lui plonge sa large épée dans le flanc jusqu'à la garde. Les Arméniens apostés à cet effet et les serviteurs qui avaient été sous ordres d'Areobindus tuent alors quiconque fait mine de résister ; tous ensemble se mettent à pousser le cri de Vive Justinien ! La foule se joint à eux et bientôt remplit la ville de ses joyeuses clameurs ; les partisans de l'empire sortent de leurs maisons, se précipitent chez les amis de Guntharis et les massacrent sans quartier, qui au lit, qui à table[23]. Guntharis n'avait détenu le pouvoir que trente-six jours[24].

Artabane n'eut pas à se repentir d'avoir renversé l'usurpateur. Prejecta, femme d'Areobindus, donna des sommes considérables au vengeur de son mari, et l'empereur récompensa le sujet dévoué qui lui avait rendu Carthage, en lui décernant le commandement militaire de toute l'Afrique. Peu de temps après, Justinien, sur sa demande, lui accorda de rentrer à Constantinople[25] et lui donna comme successeur Jean Troglita (fin de 546)[26].

Le choix était heureux. Sous Bélisaire, Solomon et Germanus, Jean Troglita[27] avait pris part aux diverses campagnes contre les Vandales et les Maures. Mieux que personne, il connaissait la tactique de ces ennemis toujours renaissants et pouvait découvrir les moyens de les abattre et de rendre la paix à la province. Les troupes que Justinien y entretenait étaient fort diminuées par la maladie[28], les défaites, les désertions. L'empereur jugea donc nécessaire de donner à son lieutenant une armée nouvelle, pour lui permettre d'en finir sans délai avec les Berbères ; une grande flotte l'amena jusqu'au Mendacium. A peine débarqué, dit Corippus[29], le nouveau magister militum put constater combien de ruines s'étaient produites dans les dernières années. J'applique volontiers ces paroles à Carthage. Avant d'y aborder, Jean n'avait fait qu'une rapide escale à Caput Vada (Ras Kahoudia) pour se remettre d'une tempête, sans prendre le loisir d'examiner l'intérieur du pays. D'autre part, les révoltes qui avaient éclaté depuis quelques années dans la capitale, les exécutions sanglantes et les excès de tout genre qui les accompagnèrent, n'expliquent que trop un pareil état de choses.

Douloureusement ému à l'aspect de cette misère, d'ailleurs désireux de refouler au plutôt l'invasion, il prend à peine le temps de réorganiser les troupes qui stationnent dans la capitale, et part sans tarder à la rencontre d'Antalas (commencement de 547). Il le défait complètement vers le centre de la Byzacène[30], reconquiert les étendards ravis jadis à Solomon dans le funeste combat de Cillium, puis, ayant placé des garnisons dans les forteresses de la contrée, ramène son armée à Carthage, où l'allégresse éclata, personne ne doutant que la puissance d'Antalas ne fût anéantie et les soulèvements des indigènes pour toujours réprimés.

Corippus raconte, d'une manière assez emphatique à vrai dire, la réception que le peuple réserva aux vainqueurs[31]. La ville leur ouvre ses portes toutes grandes ; les magistrats vont au-devant d'eux, tenant des palmes et des lauriers ; la foule se précipite pour voir ces valeureux bataillons et surtout leur chef ; les femmes pleurent de joie. On se rappelle avec un bonheur mêlé d'un peu de crainte encore tous les maux qu'on a endurés ; grâce à Jean, ces alarmes ne reviendront plus ; et chacun chante ses louanges. Mais voici le défilé des soldats couverts de poussière, leurs armes sont encore tachées du sang des barbares ; puis viennent les captives, juchées sur des chameaux, leurs enfants à la mamelle. La partie la plus curieuse du spectacle est composée des prisonniers. nègres sortis du désert ; sans doute Carthage en voyait rarement, car les parents les montrent à leurs enfants comme des phénomènes. Tandis que le populaire s'amuse de cette exhibition clans les rues, le libérateur de l'Afrique entre dans une église, entouré des étendards, remercie Dieu de sa protection, et dépose un riche présent sur l'autel. L'évêque célèbre les saints mystères en action de grâces.

La paix, qu'on se figurait éternelle, dura quelques mois à peine. Dès le milieu de cette même année 547[32], surgit un nouvel adversaire, Carcasan, roi des Ifuraques, qui avait groupé autour de soi toutes les tribus échelonnées depuis la Tripolitaine jusqu'au Sahara algérien ; déjà il touchait à la Byzacène. Jean qui se rendait compte des difficultés d'une expédition dans le sud, en plein été, exposa au sénat de Carthage que la dépense serait considérable, la marche pénible à cause du manque de routes ; on aurait à souffrir aussi de la soif et de la faim, car la sécheresse désolait alors l'Afrique, et le pays ruiné était vide d'habitants. Cette perspective n'émut guère les courages. Tous s'écrièrent qu'ils supporteraient tous les tourments pour vaincre l'ennemi ; aussi bien le danger pressant ne leur laissait guère d'autre ressource que de combattre[33]. Jean avait vu juste ; exténués de fatigue, supportant mal la discipline, les bataillons impériaux furent aisément enfoncés à Marta (Maret)[34] ; il périt beaucoup de monde dans la mêlée, le reste s'enfuit éperdu. Le général parvint néanmoins à recueillir leurs débris épars et gagna, vers la frontière de Numidie, la ville forte de Lares ou Laribus (Lorbeus)[35]. Il espérait y recevoir plus facilement des renforts de ses alliés numides, afin de reprendre la lutte après l'hiver de 547/548[36].

Lorsque la nouvelle du désastre se répandit à Carthage, la population fut consternée. Pourtant, grâce à l'énergie d'un homme, on ne céda pas au désespoir du premier moment. Athanase, préfet du prétoire d'Afrique, que Guntharis avait épargné lors du meurtre d'Areobindus[37], se mit sans retard à organiser les secours. Malgré son grand fige, il se multipliait, excitait les indolents, instruisait les recrues, communiquait à tous son ardeur. Pierre, le jeune fils du magister militum, le secondait de tout son pouvoir. De telle sorte qu'on put bientôt faire passer à Laribus des convois de vivres, des armes et quelques bataillons[38]. Avec ces troupes fraîches et celles que lui amenaient les rois maures, Cutzinas, Ifisdaias et même Iabdas, l'ancien adversaire de Solomon, le général byzantin se crut en mesure de prendre sa revanche contre Carcasan et Antalas qui l'avait rejoint. Après une poursuite émouvante[39], les barbares furent écrasés à Latari[40] ; dix-sept de leurs chefs, dont Carcasan, restèrent sur le terrain (été de 548)[41].

Plus la désolation avait été grande à Carthage, plus la joie fut exubérante à l'annonce de cette victoire décisive. La ville accueillit son sauveur avec des transports d'allégresse, et l'on porta dans les rues, au bout d'une pique, la tête de Carcasan. Ainsi se réalisait, avec une ironie cruelle, la prédiction de ses devins, qu'il entrerait dans la capitale de l'Afrique[42].

Carthage allait enfin jouir pendant plusieurs années, sous le gouvernement de Jean Troglita, de la paix que la valeur du patrice[43] lui avait obtenue ; depuis le jour où Bélisaire avait mis le pied sur le sol africain, elle n'en avait guère goûté les douceurs. A diverses reprises, les ennemis s'étaient montrés sous ses murs ; c'est miracle qu'ils ne l'aient pas prise par ruse ou par force. De sanglantes révolutions l'avaient aussi bouleversée ; et, si le second gouvernement de Solomon, après celui de Germanus, lui permit de respirer un peu entre deux crises, durant cette accalmie la ville n'avait pas laissé d'offrir l'apparence d'un camp retranché. Ce n'est pas au milieu de cette soldatesque sans retentie, souvent réfractaire à la discipline, quand on se trouvait toujours sur le qui-vive, qu'il était aisé de porter remède aux maux causés par les Vandales. A considérer la situation dans son ensemble, elle s'était assurément aggravée depuis quinze ans que l'empire avait reconquis l'Afrique sur Gélimer. Enfin, grâce à Jean Troglita, tout rentre dans l'ordre ; une partie de l'armée qui, tout en protégeant la contrée, vivait à ses dépens, va pouvoir s'employer au dehors[44], le jeu régulier des institutions se rétablit, Carthage débarrassée à moitié des troupes qui l'encombraient, Carthage meurtrie, épuisée, aura le loisir de panser ses blessures et de recouvrer les forces qu'elle a perdues.

Combien d'années Jean demeura-t-il investi de ses liantes fonctions et exerça-t-il son rôle de réparateur ? Il est encore mentionné comme magister militum en 552[45]. Nous devons regretter que les auteurs, après avoir tant célébré ses exploits guerriers, gardent le silence sur la suite de sa vie. Toutefois ce silence, observé par eux sur les quinze années qui suivirent 548, nous est une garantie que le calme se maintint durant toute cette période. Il prit fin seulement en 563[46]. A cette date, l'illustre vainqueur d'Antalas et de Carcasan avait un successeur en la personne de Jean Rogathinus[47], dont la cruauté déchaîna de nouveau toutes les fureurs de la guerre.

Après la pacification générale, l'empereur avait octroyé à Cutzinas, l'allié fidèle de Jean Troglita, le commandement d'une partie de la Maurétanie, plus une pension qu'on lui servait annuellement. Cette année-là, le vassal se rendit comme d'habitude à Carthage pour y toucher la somme convenue. Non seulement Rogathinus refusa de la lui verser, mais il le fit traîtreusement assassiner. Outrés de ce lâche attentat, les fils de Cutzinas prirent les armes pour venger leur père et se ruèrent sur la Numidie, qu'ils mirent à feu et à sang. Pour venir à bout de cette révolte, Justinien expédia des renforts sous la conduite de son neveu Marcien. Les Maures, qui n'avaient plus à leur tête Antalas, ni les autres ennemis irréductibles de l'empire, n'eurent d'autre ressource que de se soumettre[48].

Justinien mourut peu de temps après (13 novembre 563) dans la trente-neuvième année de son règne[49]. Aucun empereur ne s'était autant que lui occupé de Carthage ; mais on est en droit de rechercher si son influence s'exerça pour le bonheur de cette grande cité.

Procope, dans son Historia arcana, conclut que le résultat le plus clair des guerres d'Afrique a été le dépeuplement du pays. Il additionne tous ceux qui ont péri dans ces luttes, Vandales, Berbères, soldats de l'armée romano-byzantine, et arrive au total effrayant de cinq millions d'hommes[50]. Admettons qu'il n'y ait aucune exagération dans ce chiffre, car les chroniqueurs contemporains confirment les doléances de Procope[51], du moins peut-on croire que l'historien est de parti pris, quand il charge la mémoire de Justinien d'une si affreuse tuerie. La peste qui sévit en Afrique, comme dans tout l'Empire, en 542 et 543, fit bien des victimes dont Justinien n'est pas responsable[52]. D'autre part, à moins de regretter que ce prince ait envoyé Bélisaire contre les Vandales, ce qui est le point de départ de tous les démêlés avec les Maures, on ne saurait en bonne justice flétrir l'empereur d'avoir prodigué sans motif la vie de ses sujets. Les événements s'enchaînèrent malgré lui, et il dut en subir l'inexorable fatalité. Sans cloute il faut le blâmer d'avoir confié le commandement à un lâche comme Sergius, à un incapable comme Areobindus ; mais Bélisaire, Solomon, Germanus, Jean Troglita justifièrent pleinement l'estime qu'il leur accordait, et il ne tint pas à eux que l'Afrique ne fût vite pacifiée.

S'il est une ville qui souffrit de la calamité générale, c'est assurément Carthage. Outre la peste et la guerre qui lui étaient communes avec le reste du pays, les séditions sanglantes dont elle fut à mainte reprise le théâtre, de 534 à 548, ne contribuèrent pas peu à diminuer le nombre de ses habitants. Elle devait offrir à la fin de cette période un triste spectacle ; et la douleur qui saisit Jean Troglita, lorsqu'il vit quelle déchéance elle avait subie en quelques années à peine, se comprend aisément. Cet amoindrissement, Justinien ne l'avait pas souhaité ; il semble au contraire avoir toujours aimé Carthage d'une particulière dilection. Le surnom de Justiniana qu'elle porta dès 535, aussitôt après la victoire de Bélisaire[53], nous en est un sûr garant.

Il en existe d'autres preuves[54]. Non content de relever les remparts tombés en ruines par suite de l'incurie vandale, les soins assidus de Justinien tendirent à parer la ville de riches monuments. J'en emprunte l'énumération à M. Diehl[55] : L'ancien palais des rois vandales, situé sur les hauteurs de Byrsa, fut aménagé pour servir de résidence au gouverneur général, et une église somptueuse y fut édifiée. Pour augmenter le développement du commerce de mer, une des principales sources de la prospérité de Carthage, le port fut protégé par d'importants travaux de fortification[56] ; et, dans le quartier marchand situé le long du rivage, la grande place, appelée le forum de mer, fut encadrée d'une double rangée de portiques. Dans la ville, des thermes magnifiques furent bâtis, qui reçurent, en l'honneur de l'impératrice, le nom de Thermes Théodoriens, et l'ensemble des constructions ordonnées par l'empereur parut aux contemporains assez considérable pour que Procope ait pu parler de la nouvelle Carthage créée par Justinien. En même temps, des faveurs d'un autre genre, mais non moins appréciables, sont concédées au clergé catholique ; tous les privilèges accordés par le Code aux églises métropolitaines étaient conférés à l'évêque de Carthage : toutes les églises de son diocèse devaient jouir du droit d'asile, toutes légitimement recevoir des legs et des donations[57].

Cependant la guerre et les fléaux de toute espèce n'en avaient pas moins poursuivi leur œuvre impitoyablement. Et, quand la population décimée ne suffisait plus à remplir la vaste enceinte de Carthage, qu'était-ce que des édifices grandioses et des privilèges pour une ville qui tombe ? Ils attestent la sollicitude de l'empereur ; ils ne sont pas les indices d'une résurrection.

 

III

Les premières années du règne de Justin II firent oublier à l'Afrique la révolte des fils de Cutzinas. Un administrateur habile, le préfet du prétoire Thomas, dont Corippus a célébré les mérites[58], sut maintenir la paix et rendre à la contrée une prospérité passagère. Que Carthage ait éprouvé les heureux effets de ce gouvernement, nous en possédons un témoignage direct ; car, faisant remonter jusqu'à l'empereur les succès de son représentant, elle érigea sur une de ses places une statue à Justin comme gage de sa reconnaissance[59].

Ce calme dura peu ; dès l'année 569, un imitateur des Iabdas, des Antalas et des Carcasan, Gamul, roi de Maurétanie, tenait la campagne coutre les Impériaux. Trois généraux succombèrent tour à tour sous ses coups[60] ; et il fallut toute la vaillance du magister militum Gennadius pour venir à bout de ce redoutable adversaire (578 ou 579). Près de vingt ans plus tard (595 ou 596), nous retrouvons le même personnage, promu à la dignité d'exarque, encore aux prises avec les indigènes. L'Afrique était alors dégarnie de troupes, on les lui avait prises pour les opposer en Orient aux Avares et aux Slaves ; aussi les Berbères avaient-ils pu s'avancer jusqu'aux environs de Carthage. Trop faible pour leur résister par les armes, Gennadius les amusa par des négociations et feignit d'accepter toutes les conditions qu'il leur plut d'imposer. Puis, profitant du moment où l'ennemi célébrait sa facile victoire par des réjouissances et des festins, il le surprit sans défense et le tailla en pièces[61]. Une fois encore la ville était délivrée du péril, mais elle avait dû trembler en voyant l'envahisseur à ses portes.

Quelque temps après, ce fut son tour de faire trembler l'empereur à Constantinople[62]. Phocas s'était rendu odieux par sa tyrannie, et chacun souhaitait ardemment qu'il se trouvât un bras pour abattre sa puissance : Carthage le fournit. Le gouvernement de la province était alors entre les mains du patrice Héraclius, à qui son frère, le patrice Grégoire, avait été adjoint comme lieutenant par l'empereur Maurice[63]. Les méfaits de Phocas changèrent peu à peu la réserve d'Héraclius à son endroit en hostilité ouverte ; et, en l'année 608, il refusa d'envoyer en Orient l'annone accoutumée[64]. Lorsqu'ils connurent les dispositions des deux frères, les sénateurs de Constantinople sollicitèrent de la façon la plus pressante leur intervention contre Phocas, promettant de prêter main forte à l'exarque, s'il voulait tenter la fortune. Héraclius et Grégoire étaient trop avancés en âge pour se mettre eux-mêmes à la tête de l'insurrection ; chacun d'eux envoya son fils. On sait comment les jeunes gens se partagèrent les rôles. Tandis que Nicolas soulevait l'Egypte et s'acheminait vers Constantinople par l'Asie-Mineure, Héraclius le Jeune embarquait sur les vaisseaux de guerre mouillés au Mandracium les meilleurs soldats d'Afrique et voguait vers la capitale. Il n'eut aucune peine à renverser le tyran, dont on lui donna la succession (5 octobre 610).

C'est malgré lui qu'Héraclius avait accepté le pouvoir ; il se rendait compte des difficultés auxquelles il allait être en butte. Famille, peste, invasion victorieuse des Perses, tous les maux fondaient ensemble sur l'empire. Constantinople ne paraissait plus en sûreté ; un coup dé main hardi pouvait le faire tomber au pouvoir des Perses[65]. Héraclius avait conservé à l'Afrique un sincère attachement. C'est là que s'était écoulé sa jeunesse ; ce pays avait toujours fait preuve d'un vrai dévouement pour lui et pour sa famille ; enfin, depuis un temps assez long, la paix et la prospérité y régnaient sous la prudente autorité de son père. Souvent l'empereur tournait les yeux vers cette province regrettée, et, la comparant à l'Orient, il en trouvait le séjour plus désirable encore ; tant qu'enfin il résolut de transférer à Carthage la capitale de la monarchie (619). Ce projet reçut un commencement d'exécution, puisque le trésor impérial fut embarqué sur des navires qui prirent la mer. Une tempête engloutit tout comme si Dieu même se prononçait contre les desseins du basileus. Cédant alors aux supplications de son peuple, aux remontrances du patriarche, Héraclius demeura en Orient ; mais que de fois, dans la suite, il dut regretter de n'avoir pas pu réaliser son intention et s'installer avec sa cour sur les hauteurs de Byrsa ! On ne saurait calculer toutes les conséquences de cette émigration, si elle s'était accomplie. Carthage, résidence, non plus d'un vice-roi tel que l'exarque, mais de l'empereur lui-même, aurait eu pour se défendre toutes les ressources dont avait jusqu'alors disposé Constantinople. Elle serait devenue le boulevard de la civilisation. Peut-être n'aurait-elle pas été assaillie par les Arabes, ou, en cas d'attaque, peut-être les aurait-elle victorieusement repoussés, et le sort de l'Afrique entière eût été changé. Il n'en fut pas ainsi, Carthage demeura capitale de province ; abandonnée avec de faibles ressources aux coups des Arabes, elle succomba.

Héraclius n'avait pas réussi à élever cette ville aussi haut qu'il pensait, du moins il témoigna de sa sollicitude pour elle en lui donnant des gouverneurs de sa propre famille. Après son père, qui mourut vers 611 à Carthage même, on a des raisons de croire qu'il confia l'Afrique à son oncle Grégoire ; plus tard certainement son cousin Nicétas, qui l'avait aidé à renverser Phocas, fut investi de l'exarchat (entre 619 et 629) ; enfin il est assez vraisemblable que le patrice Grégoire, qui exerçait le gouvernement dès 645, était le propre fils de Nicétas[66]. Dans cette hypothèse, comme le fait remarquer M. Diehl, on comprend mieux bien des détails du soulèvement que Grégoire tenta, en 646, et l'appui universel qu'il trouva dans un pays dévoué de longue date à sa race.

Vers 640, Carthage voyait affluer vers elle une foule de chrétiens orientaux qui fuyaient devant l'invasion musulmane et cherchaient asile dans un pays sûr. Parmi cette multitude de fidèles, de prêtres, de moines, de religieuses, les sectes monophysites et monothélites comptaient plus d'un représentant. Leurs prédications indisposèrent les Africains partisans de l'orthodoxie ; et, comme Constantinople soutenait les hérétiques, la province se détourna rapidement de l'empire[67]. Le lien religieux, un des derniers qui rattachât encore l'Occident à l'Orient, se rompait à son tour. Les idées de complète indépendance devaient bien vite éclore.

Profitant de ces dispositions favorables, poussé peut-être en secret par le pape Théodore, l'exarque Grégoire se proclama empereur. Mais Carthage n'eut guère à se réjouir de cette résolution, car le nouvel Auguste, soit qu'il ne voulût pas rester exposé aux flottes impériales, soit plutôt qu'il désirât se mettre au centre des populations indigènes dont la fidélité lui était acquise, abandonna Byrsa pour aller se fixer à Sufetula (Sbeïtla)[68], riche cité de Byzacène[69]. Il devait s'y trouver bien vite en contact avec les Arabes, qui, dès 642, avaient subjugué la Cyrénaïque et la Tripolitaine. Le désaccord de Grégoire et de l'empire leur partit propre à favoriser leurs entreprises contre l'Afrique byzantine[70]. Othman ibn Affan, qui venait d'être élevé au khalifat, envoya son frère Abd Allah ibn Saad pour s'en emparer. Grégoire ou Djirdjiz, comme l'appelle Ez Zohri[71], fut vaincu dans la plaine de Bakouba[72] ; lui-même périt dans la bataille. Abd Allah, satisfait d'avoir pillé la province, se retira avec un riche butin. Le nord du pays ne fut pas directement inquiété (647).

On ignore le moment et la manière que choisit Constant II pour remettre l'Afrique sous sa puissance après la mort de Grégoire. Afin d'y entretenir les forces suffisantes à sa défense, il l'écrasa d'impôts ; le résultat de ces mesures rigoureuses ne se fit pas attendre, Carthage se révolta. Le seigneur de Constantinople, dit Ez Zohri[73], recevait chaque année un tribut fixe, qui lui était payé par chacun des princes de la terre et de la mer. En apprenant à quelles conditions Abd Allah ibn Saad ibn Abi's Sarh avait fait la paix avec les habitants de la province d'Afrique, il y envoya un patrice nommé Walima pour exiger d'eux trois cents talents d'or, somme égale à celle qu'ils avaient donnée à Ibn Abi's Sarh. Le patrice débarqua à Kartadjenna (Carthage) et leur fit part de l'ordre de son souverain, mais ils refusèrent d'y satisfaire... Djenaha, qui gouvernait la province d'Afrique à la place de Djirdjiz (Grégoire), chassa alors le patrice, et les habitants du pays se rassemblèrent et se mirent sous les ordres d'un nommé Eleuthère.

Comme ils avaient habilement profité de la révolte de Grégoire pour envahir la Byzacène, les Arabes, cette fois encore, saisirent l'occasion qui s'offrait à eux, et Moawia ibn Khodeidj ravagea le pays, malgré les efforts de 30.000 Impériaux pour entraver sa marche (665). S'il se retira aussi comme Abd Allah, en emportant seulement le butin conquis, bientôt la puissance musulmane va s'établir d'une manière définitive au cœur même du pays. Je n'ai à raconter ici ni la fondation de Kairouan, ni la dévastation de l'Afrique par le fameux Okba ibn Nafi (669-683). On a supposé[74], mais sans arguments décisifs, que les Arabes, dès la fin de cette campagne, avaient tenté un coup de main contre Carthage. Si l'assertion mérite créance, on doit admettre aussi qu'ils subirent un échec, puisque, vers 680, le patrice de Carthage envoyait des secours aux populations du Zab.

La première attaque certaine contre cette ville est de l'année 695. Abd el Melek, à la nouvelle de la révolution qui avait porté l'empereur Léonce au pouvoir, selon la tactique ordinaire des Arabes, crut l'instant propice pour reprendre l'offensive. Il lança donc sur l'Afrique Hassan ibn en Noman el Ghassani, qui, suivant le littoral, arriva bientôt devant Carthage. Si les historiens arabes diffèrent beaucoup dans le récit des événements qui vont suivre, ils s'accordent pour écrire que jamais encore les khalifes n'avaient envoyé une armée aussi nombreuse[75].

Aussitôt entré à Kairouan, dit Ibn er Rakik, cité par En Noweiri et Ibn Khaldoun[76], Hassan demanda s'il restait encore des princes en Ifrikia (Afrique). On lui désigna le commandant de Carthage, grande ville qui n'avait pas encore été prise, et contre laquelle Okba avait échoué. Hassan se mit en marche et livra un assaut si furieux à la ville qu'il força les Grecs qui s'y trouvaient à prendre la fuite et à s'embarquer. Les uns passèrent en Sicile, les autres en Espagne. Hassan, avant. pénétré de vive force dans la place, ne fit que piller, tuer et faire des captifs. Il expédia alors des détachements dans les environs et donna l'ordre de mettre la ville en ruines...

Il semblerait, d'après ces lignes, que la prise de Carthage ait demandé peu de temps. El Kairouani[77] confirme cette tradition lorsqu'il écrit : Hacen ben No'mân (Hassan) dirigea vers Carthage un corps de cavalerie qui la réduisit aux abois, en coupant les aqueducs. Une légende que raconte El Bekri concorde avec ces témoignages. Hassan, d'après lui, fut le jouet d'une ruse de l'exarque. Les Grecs avaient évacué la place où le gouverneur, du nom de Morne, était demeuré seul avec sa famille. Cet officier se hâta d'adresser à Hassan un message où il promettait de livrer la cité et tous ceux qu'elle contiendrait, si on lui accordait, à lui et aux siens, une capitulation honorable avec la propriété territoriale qu'il désignerait. Hassan accepta l'offre et concéda le canton appelé la plaine de Mornak, resserré entre les montagnes et qui renfermait, prétend El Bekri, 360 villages. On ouvrit alors au chef arabe une porte de l'enceinte ; mais grande fut sa surprise et sa colère de ne trouver derrière les murs que la famille du gouverneur. Il exécuta néanmoins sa promesse, puis s'en retourna vers Kairouan[78].

Enfin, selon Ibn Abd el Hakem, Hassan ne rencontra dans Carthage qu'un petit nombre de Roum (Romains), tous de la classe pauvre ; le reste s'était embarqué avec leur gouverneur. Le seul fait que je veuille retenir de ces diverses narrations, c'est que Hassan emporta la ville sans trop de peine, presque par escalade[79].

A la nouvelle de la marche de Hassan sur l'Afrique, l'empereur Léonce y avait expédié une flotte et une armée de secours sous la conduite du patrice Jean[80], vaillant homme de guerre, capable de réparer le mal s'il eût été réparable. Mais déjà toute la Zeugitane était soumise aux Musulmans. Jean n'hésita pas néanmoins à gagner Carthage. Hassan avait tendu à l'entrée du Mandracium de grosses chaînes pour en interdire l'accès aux navires byzantins. Il les rompt, se précipite sur la garnison arabe, la massacre et reprend possession de la capitale. Puis, faisant irruption dans la province, il délivre bon nombre de places fortes et y installe des troupes. Après quoi il rentre à Carthage pour passer l'hiver (697).

Abd el Melek se buta d'envoyer des renforts à Hassan. Léonce, tout occupé à défendre les lambeaux de son pouvoir, était hors d'état de soutenir Jean. Lorsqu'au printemps une nombreuse flotte sarrazine se présenta devant Carthage, elle n'eut donc pas de peine à battre la faible escadre byzantine, tandis que Hassan commençait l'attaque par terre. Pour éviter d'être pris entre ces deux ennemis, le patrice se retrancha avec ce qui lui restait de monde sur une éminence voisine où les Arabes le poursuivirent, décidés à le forcer dans son dernier asile. Il leur échappa heureusement et put reprendre la mer pour aller quérir des troupes fraîches à Constantinople. Il ne devait pas revenir (698).

Carthage fut-elle immédiatement détruite par les vainqueurs ? A en croire quelques-uns des auteurs arabes, il n'y aurait aucun doute à cet égard. On a vu les récits d'Ibn er Rakik et d'Et Tidjani. Hassan la détruisit de fond en comble, dit à son tour El Kaïrouani[81], et en dispersa les habitants. Gardons-nous de prendre ces affirmations au pied de la lettre ; des documents formels, que je produirai en traitant de l'histoire du christianisme, démontrent qu'un petit groupe d'habitants se maintint plusieurs siècles encore sur les lieux ; d'autres textes non moins précis témoignent que le temps seul ruina la magnifique cité. Les Arabes ne l'avaient donc pas rasée ; ils se bornèrent sans doute à la piller, à y commettre des dégâts de tout genre. Mais effacer du sol tout d'un coup une ville de cette étendue, riche en maisons, en monuments de dimensions souvent colossales, est une œuvre que les conquérants n'avaient pas les moyens d'accomplir.

 

Huit cent vingt ans s'étaient écoulés depuis la tentative de colonisation de C. Gracchus. Pendant cette longue existence, la seconde Carthage avait éprouvé les vicissitudes les plus diverses. Après de pénibles débuts, lorsqu'elle est enfin parvenue à se débarrasser des entraves qui la gênent, on la voit s'élever rapidement à un degré de prospérité que peu de villes ont atteint. L'époque des Antonins, qui procura tant de bonheur au monde romain, marque son apogée. Fière de sa puissance, elle tenta bientôt de se hausser encore davantage et de détrôner Rome. Toute une série d'usurpateurs, soutenus par elle, firent de vains efforts pour garder le pouvoir et ne réussirent qu'à attirer sur leur capitale d'un jour les plus terribles châtiments. Comme si l'expiation n'était pas suffisante, elle dut en outre subir, durant près d'un siècle, le joug des Vandales. Réunie enfin à l'empire par la valeur de Bélisaire, elle eût souhaité guérir dans la paix les blessures profondes qu'elle avait reçues. Révoltes intestines, assauts furieux des indigènes, tout conspira pour l'en empêcher. Et, quoiqu'elle ait encore joui durant cette dernière période de sa vie de quelques moments de calme et d'un peu de gloire, elle ne fit plus que s'acheminer lentement vers sa ruine. Quand les Musulmans se présentèrent sous ses murs, elle n'avait plus la force de leur résister.

Tout en l'opprimant, les Vandales y avaient établi le siège de leur royaume ; ils avaient essayé de développer son commerce, d'embellir ses édifices. Les Arabes ne lui accordèrent même pas cette demi-satisfaction. Aussi incapables de se défendre derrière une enceinte fortifiée que de conduire un siège, et redoutant l'arrivée inopinée de quelque flotte byzantine, ils abandonnèrent Carthage et s'établirent plus loin de la mer, à l'abri de la vaste sebkha où les vaisseaux ennemis ne sauraient pénétrer à l'improviste. La préférence accordée à Tunis indique, comme la fondation de Kairouan par Sidi Okba, que les Arabes se croyaient forts seulement sur terre. Carthage, réduite au rang d'obscure bourgade, cesse, dès lors, de jouer un rôle dans l'histoire ; elle devient la carrière de pierres où s'approvisionnent les habitants de toute la contrée.

 

 

 



[1] C'est aussi à Procope (Bell. Vand., II, 8-28) qu'il faut demander tous les détails de cette histoire, au moins jusqu'en 518. Procope était demeuré à Carthage auprès de Solomon ; il est donc, pour cette période, un témoin aussi bien informé que pour le temps de la conquête proprement dite. Ici encore. Théophane (Chron., p. 169, sqq.) a suivi Procope en l'abrégeant ; Anastase fait à son tour un résumé très succinct de Théophane (col. 1259 sq.). On consultera avec fruit Partsch et Diehl, Afr.

[2] Procope parle encore de Μάμμη dans le De ædif., VI, 6, et Corippus des Mammenses campi, Johan., VII, v. 283. La position en est incertaine ; Tissot, G., II, p. 68 ; Diehl, Afr., p. 61, n. 5.

[3] La description du mont Burgaon semble se rapporter au Madjoura, massif isolé un peu au nord de Tébessa. Note du Service géographique du Ministère de la Guerre, dans Tissot, G., II, p. 185 ; cf. ibid., I, p. 34, et Diehl, Afr., p. 69, n. 6.

[4] Sur ces premières opérations militaires de Solomon, cf. Diehl, Afr., p. 51-71.

[5] Si l'on en croit la chronique du comte Marcellin, qui rapporte à l'année 535 les événements dont je vais parler, ces trois sorties contre les Maures de Byzacène et de Numidie n'auraient pris que la fin de l'année 534. Pareille besogne fut difficilement accomplie en si peu de temps. Aussi est-on d'accord pour l'étendre à l'année 535 également (cf. Partsch, p. XV, sq. ; Diehl, Afr., p. 69-75). La suite de ce récit montrera, qu'on ne saurait guère adopter une chronologie différente.

[6] Sur ce titre, cf. Diehl, Afr., p. 74, n. 5.

[7] Procope, Bell. Vand., II, 14 ; cf. Diehl, Afr., p. 44-46, 15-83.

[8] Jordanés, Rom., 369-310 ; cf. Corippus, Johan., III, v. 305-313.

[9] Tissot, G., II, p. 325, pl. XIX.

[10] Procope, Bell. Vand., II, 13 ; Jordanès, loc. cit.

[11] Procope, loc. cit. ; Jordanès, loc. cit.

[12] Marcell. Comes, Chron. Addit. (Chron. min., II p. 161) ; Procope, ibid., 16.

[13] Marcell. Comes, p. 105 ; cf. Diehl., Afr., p. 83-86.

[14] Marcell. Comes, ibid. ; Corippus, Johan., III, v. 317-319 ; le nom moderne est incertain ; cf. Tissot, G., II, p. 416-418 ; Diehl, Afr., p. 84, n. 7.

[15] Il y épousa plus tard la fille d'un roitelet du pays.

[16] Marcell. Comes, p. 106.

[17] Bell. Vand., II, 19 ; Diehl, Afr., p. 87-93.

[18] Je suis le récit de Procope (ibid., 21) qui dit expressément : Τετάρτῳ δὲ ὕστερον ἐνιαυτῷ ἅπαντα σφίσιν ἀγαθὰ ἐς τοὐναντίον γενέσθαι ξυνέπεσεν, faisant allusion à la mort de Solomon que je vais rapporter. Si l'on admet que l'expédition dans l'Aurès contre Iabdas eut lieu en 540, puisqu'il fallut d'abord que Solomon, de retour en Afrique, réorganisât l'armée, les quatre ans de repos nous conduisent au moins jusqu'à la fin de 543. Au reste Procope lève tout conteste lorsqu'il ajoute : ἔτος γὰρ ἕβδομόν τε καὶ δέκατον Ἰουστινιανοῦ βασιλέως τὴν αὐτοκράτορα ἀρχὴν ἔχοντος. La dix-septième année de Justinien, qui prit le pouvoir en 527 (Marcell. Comes, Chron., p. 102), va du 1er avril 543 au 1er avril 544 (Partsch, p. XVII, n. 77). Sans doute la Chronique de Marcellin (p. 106 sq.), qui note une action militaire de Solomon en 540, indique sa mort et la nomination de Sergius, son successeur, à la date de 541, puis des attaques de Stotzas et des Maures contre le même Sergius en 543 ; et, d'autre part, Victor de Tonnenna (p. 200 sq.) fait commencer la révolte de Stotzas en 541 et assigne la mort du général byzantin à l'an 543. Mais ces dates pour la mort du patrice sont à écarter. Corippus fixe en effet à dix ans l'espace de temps qui sépare les premières victoires de Solomon sur Antalas (534) de la guerre où ces deux ennemis se retrouvèrent en présence et où le Byzantin fut tué ; Johan., II, v. 34 sq. :

Finibus in Libycis suscepta pace fidelis

ille (Antalas) fuit, plenosque decem per fecerat annos ;

ibid., III, v. 289 sq. :

. . . . . . . . . . . . Florens hæc gaudia sensit

nostra decem tellus plenos laxata per annos.

On peut donc résumer la chronologie du second gouvernement de Solomon de la manière suivante :

539. — Départ de Germanus ; arrivée de Solomon.

540. — Campagne de l'Aurès, défaite d'Iabdas ; fin de l'année, commencement de la période de paix.

541, 542, 543. — Période de paix.

544. — Au début de l'année, lutte contre Antalas, mort de Solomon.

[19] Cf. Partsch, p. XX ; Tissot, G., II, p. 636, pl. XIX (entre Tébessa et Sbeïtla) ; Diehl, Afr., p. 333-343.

[20] Marcell. Comes, Chron., p. 107 ; Vict. Tonn., p. 201 ; Procope, Bell. Vand., II, 24 ; cf. Diehl, Afr., p. 343-350.

[21] Marcell. Comes., ibid. ; Vict. Tonn., loc. cit. Voir pour la suite des magistri militum, Diehl, Afr., p. 596-599.

[22] Corippus, Johan., IV, v. 222-226 ; Vict. Tonn., loc. cit. Marcell. Comes (Chron, p. 103) indique l'année 547 ; il parle surtout de l'envoi à Constantinople par Artabane de Prejecta, veuve d'Areobindus ; mais cet envoi même, bien qu'un peu postérieur aux faits qui nous occupent, ne doit pas être rapporté à 547. Je préfère la date de 546, puisque ces événements se placent, d'après Procope, deux mois après le départ de Sergius, et que ce départ dut avoir lieu tout au début, de 546 ; cf. Partsch, p. XXIV ; Diehl., Afr., p. 351-355.

[23] Jean, surnommé Stotzas le Jeune, qui, après la mort du chef rebelle de ce nom, avait recueilli ses bandes de Romains et de Vandales et qui s'était joint à Guntharis, était refugié dans une église avec quelques Vandales. Arta-banc les en tira sur parole de ne leur faire aucun mal et les dirigea vers Constantinople. Malgré la promesse d'Artabane, Stotzas le Jeune fut pendu après qu'on lui eut coupé les mains ; on voulut faire un exemple. Jordanès, Rom., 385.

[24] Procope, Bell. Vand., II, 28 ; Corippus, Johan., IV, v. 230-242 ; cf. Partsch, p. XXII sq. ; Diehl, Afr., p. 355-362. Partsch (p. XXIV) propose la chronologie suivante, qui est vraisemblable :

Fin de janvier 546. — Sergius quitte l'Afrique.

Fin de mars 546. — Meurtre d'Areobindus.

Début de mai 546. — Meurtre de Guntharis.

[25] Pour épouser Prejecta qui lui avait promis sa main ; Theodora empêcha ce mariage. Diehl, Afr., p. 358.

[26] Partsch, p. XXV et XXVI, n. 132 ; Bell. Vand., II, 28 ; Johan., I, 50-55.

[27] C'est le surnom que lui donne Jordanès (Rom., 385), et qui sert à le distinguer des nombreux officiers du même nom qui prirent part aux guerres d'Afrique, depuis la campagne de Bélisaire. Les exploits de Jean sont résumés par Procope, Bell. Vand., II, 28 ; Partsch, p. XXV-XXXVIII ; et Diehl, Afr., p. 363-381.

[28] Je veux surtout parler de la peste qui, en 542-543 (Partsch, p. XVI sq.), avait ravagé l'Afrique comme le reste du monde.

[29] Johan., I, v. 420-422.

. . . . . . . . . . . Summus dolor incitat iram.

Terræ quippe dolens, quam viderat ipse, ruinam

castra movet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[30] Sur le lieu de cette bataille anonyme, cf. Diehl, Afr., p. 369 sq.

[31] Johan., VI, v. 58-403.

[32] Partsch, p. XXIX sq.

[33] Johan., VI, v. 228-260.

[34] Tissot, G., II, p. 692-693, pl. XIII.

[35] Tissot, G., II, p. 454, pl. XIX.

[36] Partsch, p. XXXV.

[37] Procope, Bell. Vand., II, 26.

[38] Johan., VII, v. 195-235 ; cf. Partsch, p. XXXV, n. 194.

[39] Procope, Bell. Vand., II, 11 ; De ædif., VI, 6.

[40] Cf. Partsch, p. XXXVII, n. 216 ; Tissot (G., II, p. 168) déclare qu'aucun indice ne permet de retrouver l'emplacement de Latari ou Latara.

[41] Johan., VIII, v. 621-634 ; Jordanès, Rom., 385 ; Procope, Bell. Vand., II, 28.

[42] Johan., VI, v. 184-187.

[43] Il fut élevé à cette dignité en récompense de ses victoires (Diehl, Afr., p. 380).

[44] Diehl, Afr., p. 380 sq.

[45] Diehl, Afr., p. 597.

[46] Malalas (Chron., XVIII, 84) rapporte les événements qui vont suivre au mois de janvier de la trente-septième année de Justinien ; Lebeau et Saint-Martin (Hist. du Bas-Empire, IX, p. 450) les inscrivent à 564 ; Partsch (p. XXXVIII) veut que la reprise des hostilités ait eu lieu en 562 ; il n'en donne pas les motifs. Or, d'après ses propres assertions (p. XVII, n. 77), la trente-septième année de Justinien va du 1er avril 563 au 1er avril 564 ; cf. Diehl, Afr., p. 456.

[47] Ainsi le nomme Malalas (loc. cit.). Théophane (p. 202) et Anastase (col. 1267 C) l'appellent Jean sans autre désignation ; cf. Diehl, Afr., p. 456 sq.

[48] Malalas, loc. cit. ; Théophane, loc. cit. ; Anastase, loc. cit.

[49] Mommsen, Chron. min., II, p. 180 et 209.

[50] Hist. arc., 18.

[51] Diehl, Afr., p. 455.

[52] Partsch, p. XVI sq.

[53] La Novelle 37, où Justinien donne déjà ce titre à la ville, est datée du consulat de Bélisaire (535) ; cf. Nov., 131, 4 : Procope, De ædif., VI, 5 ; Corippus, Johan., VI, v. 58 sq. Ferrandus, Epist., VI, 6 (P. L., LX V) ; Avellana collectio, 85, p. 328 (C. S. E. L., t. XXXV) ; Mansi, VIII, col. 808 : Héfélé, III, p. 363 ; Diehl, Afr., p. 388. L'empereur se plut à décorer de son nom plusieurs autres villes d'Afrique, Hadrumentum, Capsa, Zabi ; cette dernière cité s'appelait aussi Justinianopolis ; cf. Diehl, loc. cit.

[54] Procope, De ædif., VI, 5.

[55] Afr., p. 389.

[56] M. Diehl fait sans doute allusion ici au monastère fortifié du Mandracium. Il faut ajouter à sa liste plusieurs autres églises, par exemple celle de saint Julien d'Antioche (Vita S. Gregorii Agrigentini, 10 ; P. G., XCVIII, col. 563).

[57] Ibid., p. 39, d'après Nov., 37, 9-11.

[58] In laudem Justini, I, v. 18-21 :

Et Thomas, Libyæ nutantis destina terræ,

qui lapsam statua, vitæ spem reddidit Afris,

pacem conposuit, bellum sine milite pressit,

vicit consiliis, quos nullus vicerat armis.

[59] C. I. L., VIII, 1020. Sur cette fin du VIe siècle, cf. Diehl, Afr., p. 457-465, 478-482.

[60] Jean de Biclar (Chron. min., II. p. 212) ; Théophane, p. 220 ; Anastase, col. 1278.

[61] Simocatta, VII, 6 (Byz.).

[62] Diehl, Afr., p. 511-532.

[63] Grégoire de Tours (Hist., X, 2) rapporte qu'une ambassade franque se rendant vers l'empereur Maurice aborda à Carthage ; un vol commis par l'esclave d'un des envoyés amena un conflit entre les gens de la ville et les Francs, qui furent tués pour la plupart.

[64] Théophane, p. 248.

[65] Anastase (col. 1299 A) raconte que le roi des Perses, Chosroès, s'en fut assiéger Carthage à deux reprises et qu'il s'en empara la dix-septième année du règne d'Héraclius (615-616). Anastase suit pas à pas Théophane, et le plus souvent même le copie ; mais il lui arrive fréquemment, c'est le cas dans ce passage, de le copier de travers. Théophane en effet (p. 253) rapporte à Chalcédoine les faits que son imitateur attribue à Carthage. Les deux mots Χαλκηδόνα (orthographié peut-être Καλχηδόνα dans le texte dont s'est servi Anastase) et Καρχηδόνα sont assez voisins l'un de l'autre pour que la confusion s'explique d'elle-même. D'autres qu'Anastase ont commis cette erreur parmi les anciens (cf. Théophane, loc. cit., n. 41 de Combefis), et la légende d'une invasion perse, entre celle des Vandales et celle des Arabes, s'est accréditée ; on la retrouve dans les Gesta Dei per Francos (p. 122). Cf. Gelzer, Rheinisches Museum, XLVIII, 1893, p. 161-174 ; Gsell, 1893, p. 169, n°103 ; Krumbacher, Byzantinische Zeitschrift, II, 1893, p. 644 ; Diehl, Afr., p. 522, n. 1.

[66] Sur ces gouverneurs, cf. Diehl, Afr., p. 523-526, 597.

[67] M. Diehl (Afr., p. 543-552) a longuement raconté ces discussions, sur lesquelles j'aurai à revenir.

[68] Tissot, G., II, p. 613-616, pl. XIX.

[69] On a soutenu sans motif que la Zeugitane était demeurée fidèle à l'empire et qu'un exarque envoyé de Constantinople vint s'établir à Carthage en 646 ; cf. Diehl, Afr., p. 557, n. 3.

[70] Théophane, p. 285 ; Anastase, col. 1324 B. Ez Zohri, célèbre conteur du second siècle de l'hégire, dont En Noweiri rapporte le récit (t. XI, p. 96), indique l'année 647-648. La conquête de l'Afrique par les Arabes et les luttes dernières soutenues dans ce pays par les Byzantins sont bien résumées dans Diehl, Afr., p. 563-592.

[71] Ibid., p. 101.

[72] Cette plaine est éloignée du siège du gouvernement grec, Sobeitela (Sufetula), d'un jour et d'une nuit de marche ; elle est située à la même distance de Kartadjenna (Carthage). Ibid., p. 103 sq.

[73] Ibid., p. 111 sq. Cardonne (I, p. 25-27) fait un récit analogue, les noms propres seuls diffèrent.

[74] Diehl, Afr., p. 576. Voir ci-dessous le texte d'Ibn en Rakik.

[75] Et Tidjani, t. XX, p. 120 ; El Kaïrouani, p. 16 ; En Noweiri, t. XI, p. 134 ; Ibn Khaldoun, t. I, p. 339.

[76] Loc. cit.

[77] P. 53.

[78] El Bekri, t. XII, p. 507. Et Tidjani (loc. cit., p. 77 sq.) répète les mêmes choses qu'El Bekri, à qui il parait les avoir empruntées. Il indique cependant une résistance des Carthaginois quand il dit que Hassan mit le siège devant Carthage, s'en rendit maître et la détruisit. Mais c'est surtout Moula Ah'med (p. 232 sq.) qui insiste sur cette idée. Ces deux auteurs, qui paraissent aller à l'encontre des précédents, écrivaient, le premier au début du XVe siècle, le second au XVIIIe ; ils sont trop éloignés des événements pour prévaloir contre des écrivains de beaucoup antérieurs. Au reste les historiens arabes, d'une manière générale, sont assez peu dignes d'une entière confiance. Sur la créance qu'il convient de leur accorder, cf. de Slane, Journal asiatique, 4e série, IV, 1844, p. 329 sqq. ; Ibn Khaldoun, t. IV, p. 565 sqq. ; Diehl, Afr., p. 563 sq.

[79] Cardonne, I, p. 45.

[80] Théophane, p. 309 ; cf. Anastase, col. 1341 A ; Amari, p. 15 sq., 91, 145, 188.

[81] Voir encore Moula Ah'med, p. 233.