CHAPITRE X — Règne de Constantin surnommé Monomaque, fils de Théodose[1] Constantin fut, suivant la vision du prophète, en partie d’argile. Son père avait dans le palais le titre de chef de la justice[2] de qui les juges reçoivent leur nomination par tout l’empire. Après le règne si mal rempli du César, la lionne grondait contre sa compagne dans son repaire, assiégée de perplexités sans nombre, parce qu’elle n’avait personne parmi les siens qui fut digne du sceptre, et songeait aux ingratitudes dont elle avait été récompensée par l’homme qu’elle avait adopté pour son fils et établi maître et souverain du royaume, ainsi que nous l’avons raconté plus haut.[3] Que fait-elle clone? Contrairement aux constitutions canoniques,[4] elle produit Constantin à tous les regards, le prend pour mari et le fait asseoir sur le trône impérial.[5] Nombre de personnes pensèrent qu’il avait été son amant. Quant à moi, j’ignore s’il en est ainsi, ou comme dans cette proclamation qu’elle adressa à ses sujets: « Pour maintenir la paix dans l’empire, je ne me suis point épargnée moi-même, et n’ai point craint de descendre à un acte indigne de ma personne. La première année du règne de Constantin fut marquée par
une révolte de Maniacès, son fils,[6]
gouverneur des provinces occidentales,[7]
général plein de bravoure, illustre, qui s’attacha quantité de partisans.
Ayant poussé avec une armée considérable jusqu’aux portes de la capitale, il
la pressa avec tant de force et de vigueur qu’un grand nombre de personnes
lui firent, quoique à regret, leur soumission, pensant qu’il finirait par
arriver au trône, grâce à la multiplicité des circonstances favorables à sa
cause. En effet, deux et trois fois de suite les troupes impériales s’étaient
mesurées avec les siennes; toujours battues, elles étaient retournées auprès
de l’empereur couvertes de honte, Lorsque fut livrée la dernière bataille, on
s’attendait généralement qu’après toutes ces victoires, le peuple entier lui
prêterait obéissance et le proclamerait empereur. Mais Maniacès, au lieu de
songer à régner par l’aide de Dieu, se réfugia dans la puissance de sa force.
Travaillé, depuis longtemps déjà, du même mal qu’Absalon, et enivré d’orgueil,
il éprouva le même sort, On le trouva mort au milieu de Trois ans après arriva la fin de la vie de la maison d’Arménie,[10]
car, dans la même année, étaient trépassés de ce monde les deux frères
germains Aschod et Jean, qui régnaient sur notre pays.[11]
Leur trône si solide fut ébranlé et ne recouvra jamais sa stabilité. Les
princes chassés de leurs patrimoines ont émigré dans la terre étrangère; nos
districts ont été ruinés et sont devenus la proie de la nation des Grecs; les
villages, où florissait une population nombreuse, la demeure des animaux
féroces, et leurs champs la pâture des bêtes de somme; les habitations
splendides, aux voûtes hardies, aux vastes proportions, les repaires des
sirènes et des centaures; désolation semblable à celle d’Israël que pleurent
les saints prophètes: « Là le hérisson a conduit ses petits et les a nourris
sans crainte. » Les couvents magnifiques ont été transformés en cavernes
de voleurs. Le même sort a été réservé aux églises bâties dans leur enceinte,
images fidèles des cieux par l’élégance de leur construction, la splendeur de
leurs ornements, l’éclat des lampes et des flambeaux qui y brûlaient sans
jamais s’éteindre, dont la vive lumière se répandant dans l’air et se
balançant dans l’espace, ressemblait aux vapeurs qui s’élèvent en ondoyants
tourbillons de la surface des vagues, lorsque, par un temps calme, une douce
brise agite Voilà le spectacle que présentaient autrefois les églises; aujourd’hui, vides et désertes, elles sont dépouillées de toute leur magnificence et saccagées. Au lieu de la suave symphonie des cantiques, les hiboux et les cigognes sont les chefs des choeurs; au lieu du chant des psaumes, la tourterelle et la colombe roucoulent « pour appeler leurs petits de leurs douces voix, » suivant l’expression du prophète. Les flambeaux sont éteints et les parfums de l’encens ne s’exhalent plus des encensoirs. L’autel du saint mystère qui auparavant, comme la nouvelle épouse, dans son thalame, était orné d’une gracieuse parure, et dont le front était ceint d’une couronne de gloire, aujourd’hui, spectacle lamentable et digne de larmes, dépouillé de ses ornements, est enseveli sous la poussière, et sert de demeure aux corbeaux. Mais il faudrait, pour raconter comme il convient toutes ces choses, de longues narrations et l’assistance de la grâce d’en haut. Reprenons donc où nous l’avons laissé le fil de notre récit et marchons en avant. Lorsque le grand Constantin fut attaqué de la maladie dont il mourut, il avait donné l’ordre à ceux qui l’entouraient d’aller à la recherche d’un Arménien et de lui amener le premier qu’ils rencontreraient. Les envoyés trouvèrent un prêtre du nom de Cyriaque (Guiragos), hôtelier du palais patriarcal, et l’ayant conduit en présence de l’empereur, celui-ci lui remit un rescrit relatif à notre pays, en lui disant: « Emporte cet écrit, donne-le au roi d’Arménie et dis-lui ceci en mon nom: « Puisque de même qu’à tous les enfants de la terre, l’appel de la mort est venu jusqu’à nous, reçois ce rescrit, transmets ton royaume à ton fils et que ton fils le transmette à ses enfants pour ainsi continuer à jamais.[12] » Constantin, ayant ensuite pris le lit, mourut. Cyriaque garda la lettre par devers lui jusqu’à l’avènement au trône de Michel à qui il la vendit pour une grosse somme d’argent. O marché funeste! De quelle effusion de sang il a été la cause! Que d’églises il a réduites en cendres! Combien de districts ont été par lui dépeuplés et transformés en déserts! Combien de villages populeux ont été privés de leurs habitants! Nous raconterons tout cela en son lieu, mais, auparavant, reprenons la suite de notre récit. Lorsque la nouvelle de la mort des deux rois parvint aux oreilles de l’empereur des Romains,[13] celui-ci, ayant découvert le rescrit destiné au roi d’Arménie, s’empressa de revendiquer la ville d’Ani avec le reste du royaume comme un héritage propre. D’un autre côté, un des principaux membres de la noblesse arménienne, nommé Sarkis[14] s’arrogea l’honneur de régner sur la maison de Schirag[15] et les districts environnants. Il s’appropria tout l’argent qu’on put trouver dans le palais du roi Jean à la mort de qui il était intendant. Mais Vahram, homme fort, illustre et d’une piété éminente (jamais aucun Bahlav[16] ne l’égala), de concert avec ses parents, ses fils et ses neveux (fils de frère), trente nobles environ, refusèrent de se joindre à lui; ils appelèrent ensemble Kakig, fils d’Aschod, le proclamèrent roi et par d’habiles stratagèmes l’introduisirent dans la ville.[17] Sarkis, en présence de ces événements, emportant avec lui les trésors de la couronne, se renferma dans la forteresse intérieure, l’imprenable Ani.[18] Kakig, animé d’une hardiesse virile, se rendit seul auprès de lui, et par des paroles engageantes réussit à le persuader. Sarkis s’en alla de la citadelle dans la ville et forteresse de Sourmar’i[19] mais sans vouloir remettre Ani à Kakig non plus que les autres forteresses dont il était maître. Là, il forma le projet insensé de donner aux Romains tout ce qu’il possédait et de se retirer chez eux. Mais Kakig, avec une poignée d’hommes, pénètre dans son camp, pousse jusqu’à la tente de Sarkis, le fait prisonnier et rentre dans sa capitale. Il aurait dû ôter la vie au rebelle, mais il préféra, comme Saül, épargner ce nouvel Agag et le faire asseoir avec lui sur son char; c’est pourquoi il reçut la même récompense que Saül, l’existence plus amère que la mort. A cette époque, les troupes romaines envoyées contre nous envahirent trois fois de suite l’Arménie qu’elles désolèrent complètement par le fer, le feu et l’esclavage.[20] Lorsque le souvenir de ces désastres se retrace à ma pensée, ma raison s’égare, mon esprit est confondu, et ma main, agitée par d’affreux tremblements d’effroi, ne peut plus continuer la ligne commencée, tant cette histoire est amère et digne de longues lamentations. Autrefois le pays, comme un jardin plantureux aux arbres verdoyants chargés de fleurs et de fruits, était admiré et vanté par les voyageurs. Car les princes étaient assis sur des trônes splendides, le visage brillant de sérénité, semblables à des parterres au printemps par la variété des couleurs que leurs ornements étalaient aux yeux; ce n’étaient que discours joyeux et chants de fête; les accords des trompettes, des cymbales et des autres instruments de musique remplissaient l’âme de ceux qui les entendaient de douces émotions de plaisir. Les vieillards s’asseyaient sur les places publiques, commandant le respect, le front couronné de vénérables cheveux blancs. Les mères, tenant leurs enfants dans leurs bras, consumées par la vivacité de leurs sentiments maternels, oubliaient, dans l’abondance de leur joie, l’heure douloureuse de l’enfantement, pareilles aux colombes qui volent partout à côté de leurs petits à peine recouverts de plumes récentes. Dirai-je aussi les soupirs des nouvelles mariées dans la chambre nuptiale, l’ardeur des désirs brûlants d’amour des époux dans le lit des noces et l’irrésistible penchant de la nature? Mais portons plus haut nos regards vers le siégé patriarcal et le trône du roi. Le premier, grossi comme un nuage par les dons de l’Esprit Saint, répandait par la bouche onctueuse des vartabeds une rosée vivifiante qui engraissait et fertilisait le jardin de l’Église, dont la garde des murs était confiée à de vigilantes sentinelles ordonnées par lui. Lorsque, le matin, le roi sortait de la ville, semblable à l’époux qui quitte la couche nuptiale, ou comme l’étoile du berger qui, au point du jour, s’élevant dans le ciel au-dessus de la tête des créatures, attire à elle tous les regards, par l’éclat étincelant de ses vêtements et de sa couronne ornée de perles, il excitait l’étonnement et l’admiration de tout le monde. Son cheval à la blanche crinière tout couvert d’ornements tissés d’or, s’avançant au milieu des rayons du soleil dardant autour de lui, éblouissait les yeux. Devant lui marchaient des soldats pressés comme les vagues de la mer s’amoncelant les unes contre les autres.[21] Les lieux déserts étaient peuplés par des ordres monastiques sans nombre; les villages et les hameaux, rivalisant entre eux d’une sainte émulation, construisaient à l’envi des couvents pour des moines. Voilà, avec d’autres avantages du même genre, l’aspect qu’offrait notre pays. J’ai écrit toutes ces choses, afin qu’en racontant la transformation qu’elles ont subie je provoque les larmes de tous ceux qui en entendront le récit. Aujourd’hui, le roi dépouillé de sa dignité est prisonnier dans la terre étrangère, comme un esclave. Le siége patriarcal vide de possesseur est morne comme l’épouse nouvelle plongée dans le veuvage. La cavalerie, privée de ses chefs, est dispersée partie en Perse, partie en Grèce,[22] partie en Géorgie. Les magnifiques soldats de la légion noble, chassés de leurs patrimoines et déchus de leur splendeur, rugissent, quelque part qu’ils soient, comme des lionceaux dans leurs repaires. Les palais des rois sont ruinés et déserts. Le pays, autrefois si populeux, est dépourvu d’habitants. On n’entend plus de joyeux concerts à l’époque des vendanges. Les félicitations ne résonnent plus à l’oreille de ceux qui foulent le pressoir. Les enfants ne marchent plus devant leurs parents, et les vieillards ne se montrent plus sur leurs siéges dans les places publiques. On n’entend plus les chants des noces, on n’orne plus la couche nuptiale dans la maison des époux. Tout cela s’est évanoui et a disparu pour ne plus revenir, selon l’expression du Psalmiste. Tout a été transformé pour nous en larmes; aux vêtements de fête ont succédé la robe noire et le cilice. Quelles oreilles pourront supporter le récit de nos malheurs! Quel coeur de pierre ne se fondrait en gémissements et ne serait brisé par ses sanglots! Mais il est temps de mêler à nos plaintes les lamentations de Jérémie: « Les routes de Sion sont dans la tristesse, parce que personne ne vient. » Ces paroles, prononcées à l’époque de la ruine de Jérusalem, se sont accomplies de notre temps. Ces calamités dont fut atteinte l’Arménie sont le résultat du marché que nous avons mentionné plus haut, marché plus criminel à mon avis que celui de Judas. Car si celui-ci a été coupable, du moins son marché a été le prix de la rançon du genre humain, ainsi que le dit l’illustre Pierre dans sa lettre catholique: Ce n’est pas avec des matières d’or ou d’argent que vous avez été rachetés des vaines superstitions que vous ont transmises vos pères, mais par le sang du Fils de Dieu. Ici, au contraire, le marchand a été plus inique et inhumain, parce qu’il a été la cause de tous les maux que nous venons de raconter. La vigne que le Seigneur avait plantée, que notre illuminateur avait cultivée pendant quinze années de sueurs et de fatigues,[23] il en a rompu la clôture, renversé les tours qui la protégeaient et l’a convertie en un chemin pour les passants. Les bêtes de la forêt l’ont ravagée et le sanglier en a fait sa pâture, suivant le psaume de David. Mais le cri de tous ces malheurs arrivera aux oreilles du Seigneur et il le récompensera selon sa justice. Cependant revenons à notre récit. En l’année 494 de notre ère ( Monomaque prolongeant ses instances, Grégoire (Krikor), fils du brave Vaçag, alla lui aussi trouver l’empereur. C’était un homme savant qui possédait à fond les saintes écritures comme personne autre.[28] Comprenant que les Grecs ne renverraient point Kakig dans son pays, il se présenta devant Constantin à qui il remit les clefs de Pédschni[29] avec tous ses biens patrimoniaux.[30] Comblé d’honneurs par lui, il reçut la dignité de Magistros et pour résidence des bourgades et des villes en Mésopotamie dont il lui conféra la propriété par patente et l’anneau d’or avec le droit de la transmettre de génération en génération, à perpétuité.[31] Les notables d’Ani, voyant que Kakig était prisonnier chez
les Grecs, conçurent le projet de donner leur ville soit à David,[32]
soit à l’émir de Tèvin[33]
qui avait épousé sa soeur, soit à Pakarad, roi des Aph’khaz.[34]
Le patriarche Pierre, instruit de ce dessein et sentant que, n’importe à qui
elle appartiendrait, c’en était fait d’Ani, expédia au gouverneur des
provinces orientales,[35]
en résidence à Samosate, ville que l’on dit avoir été bâtie dans l’antiquité
par Samson, une lettre conçue en ces termes: « Informe l’empereur que s’il
consent à nous donner quelque chose en retour, je lui livrerai Ani avec les
autres forteresses du royaume. « Celui-ci, après en avoir pris lecture, se
hâta de porter ces propositions à la connaissance de son souverain. L’empereur
les accueillit favorablement et récompensa Pierre par des sommes d’argent et
le gouvernement de Cependant Kakig était toujours auprès de l’empereur, ne
recevant aucune compensation. Cédant enfin à un sentiment d’humanité,
celui-ci lui concéda quelques lieux de son choix[36]
d’une valeur bien petite en comparaison d’Ani et du reste du territoire,
tandis qu’il avait comblé le catholicos de faveurs et de présents sans nombre
pour lui avoir livré Un prince, du nom de Iasitas (Àcid), qui avait été
auparavant gouverneur d’Orient, fut envoyé par l’empereur en qualité de
lieutenant à Ani. Il entoura le catholicos Pierre de marques d’honneur sans
mesure, remit en ses mains l’administration du pays et marcha en personne
avec une armée considérable contre Tévïn.[37]
Aboul’ Séwar (Abousvar) qui en était émir, engagea avec lui un combat aux
portes de la ville et fit essuyer à ses troupes un immense massacre. Là périt
l’illustre prince arménien Vahram avec son fils. Leur mort causa un deuil
profond en Arménie. Iasitas fut remplacé dans son gouvernement par Catacalôn
(Gaménas)[38]
en l’année 493 de notre ère (10 mars 1044 -9 mars 1045). Au lieu de prodiguer
des honneurs au patriarche comme son prédécesseur, il se plaignit de lui
auprès de l’empereur et l’éloigna d’Ani à l’aide du stratagème suivant: L’empereur,
lui dit-il, t’assigne pour résidence le bourg d’Ardzèn dans le district de
Garin. Le patriarche vint donc habiter au sein de notre populeuse et
commerçante cité, où sa présence ardemment désirée remplit d’une grande joie
tous ceux qui le virent. Cependant l’époque de la sainte solennité de l’Épiphanie
du Seigneur approchait. Le jour de la fête étant arrivé, Pierre, accompagné d’une
multitude immense de peuple, entra dans le torrent aux flots rapides qui
descend des montagnes bornant la plaine du côté du nord, et y célébra le
mystère du jour avec pompe, ainsi qu’il convenait. Au moment où il versait l’huile
consacrée dans le torrent, un dadjig sortant du milieu de la foule demanda à
être baptisé dans l’eau. Le patriarche l’ayant questionné sur le motif qui le
poussait à adresser cette demande, et ayant appris de lui qu’il désirait se
faire chrétien, il l’invita à descendre dans le fleuve. Près de lui un
ministre qui portait le myron,[39]
en tirant le flacon où il était renfermé, le choqua fortement et le brisa;
aussitôt l’huile se répandit en abondance sur le néophyte et dans l’eau. Un
éclat de verre l’ayant déchiré rudement lui-même à la main, un ruisseau de
sang coula de sa blessure sur CHAPITRE XI — Massacre dans le district de Pacen et sur la montagne de Sempad. Dans cette même année, les portes de la colère céleste furent ouvertes sur notre pays. Des troupes sortirent en grand nombre du Turkestan, montées sur des chevaux rapides comme l’aigle, aux sabots durs comme la pierre; leurs arcs étaient tendus et leurs flèches acérées. Les soldats portaient autour des reins de fortes ceintures et aux pieds des chaussures dont il est impossible de délier les cordons.[42] Arrivés sur le territoire du Vasbouragan, ils fondirent sur les chrétiens comme des Loups pressés par une faim que la pâture n’a point assouvie. De là, ils pénétrèrent dans le district de Pacen jusqu’au village de Vagh’arschavan[43] et ruinèrent de fond en comble vingt-quatre districts par le fer, le feu et l’esclavage. Histoire lamentable, digne de longs gémissements et de larmes! Ils accoururent comme des lions, et, semblables à des lionceaux, ils abandonnèrent sans pitié nombre de cadavres à la merci des animaux sauvages et des oiseaux du ciel. Ils voulaient par cette entreprise hardie pousser jusqu’à la ville de Garin. Mais Celui qui a posé une limite à la mer en disant: « Tu viendras jusqu’ici et tu n’iras pas plus loin, là tes flots brisés rentreront dans ton sein, » étendit devant eux d’épaisses ténèbres et les égara de leur route. Il en agit ainsi dans sa sagesse ineffable, afin que la peur qu’ils nous inspiraient nous servît d’avertissement, et qu’ils apprissent eux-mêmes que ce n’était point à leurs propres forces qu’ils devaient leurs succès, mais qu’ils reconnussent que le bras dont la puissance les avait arrêtés était le même que celui qui leur avait ouvert la route … Lorsque la colère éclata, que l’incendie s’alluma, et que
d’effroyables calamités vinrent à se soulever, consternés de peur, agités de
tremblements convulsifs, nous avons été en proie à l’épouvante. Cependant
Dieu prit pitié de nous, déroba dans l’obscurité la route aux infidèles et arrêta
leur marche dévastatrice. Nous n’avons pas compris le bienfait et nous avons
manqué à En effet, en l’année 497 ( Le moment est venu de rappeler cette allégorie du prophète: « Le ver a dévoré le reste de la chenille, la sauterelle le reste du ver, et le scarabée celui de la sauterelle. » Elle convient parfaitement à mon sujet, car toutes les prédictions des prophètes se sont accomplies chez nous. Le ver et la chenille ont disparu, mais la sauterelle et le scarabée, ce sont les nations qui font le sujet de notre récit. En effet, quand, la première fois, les Perses avec d’autres peuples barbares et païens, après avoir envahi l’Arménie, ruiné, par l’extermination des habitants, quantité de districts, enlevé du butin et des esclaves en nombre considérable, rentrèrent dans leur pays, ils portèrent la bonne nouvelle aux nations et aux royaumes en leur adressant cet appel du prophète: « Venez, bêtes du désert, dévorez tout ce qui est dans la forêt. » Donc, dans le cours de l’année suivante, il se rassembla, comme des aigles sur une proie, des masses innombrables de soldats armés d’arcs et d’épées qui se précipitèrent avec un élan extraordinaire sur notre pays, dans le mois de septembre, le jour de la quatrième férie de la fête de l’Exaltation de la sainte croix.[48] Ici notre histoire se perd en lamentations et en gémissements Car nos villes ont été détruites, nos maisons livrées aux flammes, les palais transformés en fournaises, et les portiques des habitations des rois réduits en cendres. Les hommes ont été égorgés sur les places publiques, les femmes emmenées en esclavage loin de leurs demeures, les enfants à la mamelle brisés contre la pierre, les gracieux visages des adolescents flétris, les vierges déshonorées à la vue de tout le monde, les jeunes gens massacrés sous les yeux des vieillards, les vénérables cheveux blancs de ceux-ci souillés de sang et de carnage, et leurs cadavres jetés contre terre. Les glaives des ennemis se sont émoussés, leurs bras ont défailli; les cordes de leurs arcs se sont rompues, les flèches épuisées dans leurs carquois, eux-mêmes se sont fatigués, mais la pitié n’a point pénétré dans leurs coeurs. …………………………………………………………………………………………………… Oh! combien fut lugubre la lumière de ce jour-là! La
lumière qui, le premier jour, reçut du Verbe de Dieu l’existence
immatérielle, fut revêtue, le quatrième, d’une enveloppe corporelle et
divisée en deux luminaires, pour présider au jour et à la nuit, et guider le
monde jusqu’à la fin; l’un invitant l’homme au travail le matin, l’autre
rendant la liberté aux bêtes fauves. Ce jour-là, la lumière de Alors ce fut un spectacle déchirant et digne de longues lamentations, car ceux qui tombaient entre leurs mains étaient égorgés sous le tranchant du glaive, ceux qui se retiraient dans les lieux escarpés pour s’y fortifier expiraient percés de flèches, d’autres en grand nombre, en gagnant les cavernes, étaient écrasés sous d’énormes quartiers de rochers; leurs cadavres roulant les uns sur les autres, et s’entassant comme des monceaux de bois, remplissaient la vallée en face. O jour cruel! néfaste lumière! Les braves, couverts de leur armure, frémissaient de dépit, les lâches défaillaient, les efféminés perdaient la raison et les jeunes gens bondissaient de colère, mais sans pouvoir imaginer une issue, car les ennemis les cernaient de toutes parts. Il n’y eut plus d’amitié pour ceux à qui elle est due, ni de compassion pour les amis. Le père oublia sa pitié pour ses fils, la mère sa tendresse pour ses nouveau-nés, la nouvelle épouse ne se rappela plus l’amour de son mari, ni le mari les grâces attrayantes de sa femme, les ministres cessèrent leurs cantiques, et le chant des psaumes expira sur les lèvres des clercs. Tous furent saisis d’un même tremblement d’effroi. Par suite de la violence de leur désespoir, nombre de femmes enceintes accouchèrent d’enfants abortifs. De cette manière, les infidèles, semblables à une troupe de chasseurs, tinrent toute la montagne dans leurs filets, jusqu’à ce que leur force faiblît et les abandonnât entièrement. Vers le soir, emmenant leur butin, leurs prisonniers et
les dépouilles des morts, ils se retirèrent. Mais après leur départ, ce fut
une scène horrible et bien autrement digne de pitié et de larmes que celle
que nous venons de décrire, car la mort s’y montrait sous des aspects
multiples. Parmi ceux qui couvraient le sol de leurs corps, les uns vivaient
encore, et leur langue desséchée par la soif demandait d’une voix grêle et
entrecoupée de quoi en calmer les ardeurs, mais il n’y avait là personne pour
le leur donner; d’autres déchirés par d’affreuses plaies et incapables d’articuler
une parole, soufflaient avec force. Ceux-ci dont la gorge était coupée, à
moitié morts, râlaient péniblement; ceux-là, irrités par la douleur que leur
causaient leurs blessures, frappaient du pied et grattaient la terre avec les
ongles de leurs mains. Cependant, il y avait encore quelque chose de plus
épouvantable, de nature à tirer des gémissements et des sanglots aux pierres
et aux autres créatures inanimées. Quand les infidèles emmenèrent de la
montagne leurs prisonniers, ils arrachèrent les enfants des bras de leurs
mères et les lancèrent sur le sol; le nombre en était si considérable que
leur camp en était tout jonché. Les uns furent broyés contre la pierre, d’autres
eurent les flancs entr’ouverts, et leurs entrailles se répandirent sur CHAPITRE XII — Cruel sac d’Ardzèn[50] Mais encore celle d’une ville, et quelle ville! qui par sa splendeur et sa magnificence se distinguait entre toutes celles des provinces, comme une cité bâtie au sommet des montagnes. La mer et le continent enfantaient et portaient dans son sein leurs produits variés, ainsi que s’exprimait le sublime Isaïe en parlant de Jérusalem. Donc autrefois, pendant qu’Ardzén nageait dans l’abondance des biens, tout en elle était à souhait. Elle ressemblait à l’épouse nouvellement mariée dont l’élégante beauté et la brillante parure provoquent les désirs. Car les princes étaient bienveillants pour les autres hommes, les juges équitables et intègres. Les marchands construisaient et embellissaient des églises, logeaient et recueillaient les moines, et, nourrissaient charitablement les pauvres. Le mensonge ne pénétrait point dans les marchés ni la fraude dans les échanges commerciaux. Les gains provenant de l’usure ou de transactions illicites étaient frappés de réprobation, et les offrandes de ceux qui se livraient à ces opérations, méprisées et dédaignées. Toute la population rivalisait à l’envi de piété. Les prêtres marchaient dans la sainteté, aimaient la prière et accomplissaient fidèlement les fonctions du ministère ecclésiastique. Aussi ses marchands étaient renommés, et elle avait pour protecteurs les rois des nations. Semblable à une pierre d’un grand prix qui répand une lumière étincelante, notre ville brillait au milieu des autres cités avec une beauté parfaite enrichie de toutes sortes d’ornements. Mais du jour où les Sék’ariens[51] et les Pyrrhoniens[52] entrèrent dans nos églises, la justice se transforma en iniquité, l’amour de l’argent fut plus en honneur que l’amour de Dieu, et Mammon préféré au Christ. La sagesse et la discipline perverties firent place au désordre. Les princes devinrent les associés des voleurs, vindicatifs et esclaves de l’argent; les juges, dépravés par la corruption, faussaient la justice pour des présents, refusaient le jugement aux orphelins et ne daignaient pas le faire descendre sur les veuves. L’usure et les gains illicites furent érigés en coutume ainsi que la multiplication du blé qui épuise la terre et empêche son sein de donner du fruit en son temps pour la nourriture de l’homme. Celui qui trompait son prochain se vantait d’être habile et le ravisseur disait: « Je suis fort. Les riches expulsaient les pauvres de
la maison qu’ils habitaient conjointement, et enlevaient la pierre qui
formait la limite des champs de leurs voisins, sans vouloir laisser arriver
jusqu’à eux les malédictions de Dieu écrites par la main de Moïse, son
serviteur: « Maudit celui qui ravit le champ de son voisin,» ni ces terribles
imprécations lancées par Isaïe contre ceux qui se rendent coupables de ce
crime: « Malheur à ceux qui joignent des maisons à des maisons, ajoutent des
champs à des champs, et dépouillent leur prochain, car toutes ces iniquités
sont montées jusqu’aux oreilles de Dieu, » et la suite que je passe sous
silence, ni rappeler à leur souvenir la vigne de Naboth et le châtiment
infligé à Jézabel pour l’avoir ravie, châtiment dont le bruit retentit encore
par tout le monde. Les prêtres avaient perdu la crainte de Dieu et le zèle de
Dirai-je aussi ce qui est à la charge des femmes? Le langage d’Isaïe suffira sans qu’il soit besoin de nos propres paroles. Voici comment il reproche aux femmes de Jérusalem leur amour déréglé de la parure: « Parce que les filles de Sion, dit-il, se sont abandonnées à l’orgueil et ont marché la tête haute. » Il commence par attaquer la racine de tous les maux, je veux dire l’orgueil qui en est le principe et la source, qui transforme les hommes en démons et les fait participer aux mêmes châtiments. Ce vice pernicieux pour le genre humain l’est bien plus encore pour l’espèce féminine. C’est pourquoi jugeant d’abord les femmes, il énumère successivement les queues des robes traînant par terre, les pendants d’oreilles, les anneaux, les bracelets, les voiles, les colliers, etc. Mais écoute le châtiment qu’il leur annonce: La calvitie remplacera les ornements d’or qui chargeaient leurs têtes; » en effet, les ennemis, après leur avoir dépouillé la tête de leurs joyaux, leur rasèrent les cheveux par forme de mépris. « Au lieu de ceintures dorées, on leur attachera des cordes autour des reins; au lieu d’habits précieux, elles seront revêtues d’un sac; » or, voilà que les vainqueurs leur ont apporté la servitude laquelle elles s’étaient préparée …….... Nous étant rendus coupables d’offenses semblables, il fallait que nous su bissions une correction pareille …………………………. Mais qui pourrait retracer le récit de la multiplicité et de l’énormité des maux que notre ville a endurés! Il est écrit au sujet des Sodomites que lorsque le soleil parut sur la terre, le Seigneur fit pleuvoir sur Sodome le feu et le soufre et la réduisit en cendres. De même, au lever du soleil, des masses d’infidèles fondirent sur Ardzen comme des chiens affamés et la cernèrent de toutes parts; puis pénétrant dans la ville, comme les faucheurs au milieu de la moisson, l’épée à la main, ils moissonnèrent jusqu’à ce qu’il ne restât plus un être vivant dans ses murs. Quant à ceux qui se réfugièrent dans des maisons ou des églises, ils les livrèrent aux flammes sans miséricorde, estimant que c’était une bonne oeuvre, suivant cette prédiction du Sauveur: « Il viendra un temps où quiconque vous tuera croira maintenir un culte à Dieu, » et il en donne lui-même la raison en disant: « Ils vous traiteront ainsi à cause de mon nom, parce qu’ils ne me connaissent pas. » L’atmosphère elle-même apporta son concours à cette journée de destruction. Un vent violent, s’étant mis à souffler, propagea l’incendie à tel point que la fumée, s’élevant dans l’air comme un arbre, montait jusqu’au ciel, et que l’éclat des gerbes de lumière lancées par le brasier faisait pâlir les rayons du soleil. Alors Ardzèn présenta un spectacle de pitié et d’épouvantable horreur. La ville entière, les voies marchandes, les rues étroites et les vastes portiques étaient jonchés de cadavres. Mais qui pourrait compter le nombre des victimes de l’incendie? Tous ceux qui, fuyant les éclairs du sabre, s’étaient allés cacher dans des maisons, périrent dans les flammes. Les infidèles livrèrent au feu les prêtres qu’ils surprirent dans les églises, massacrèrent la plupart de ceux qu’ils rencontrèrent dehors et leur placèrent de gros pourceaux entre les bras, en signe de mépris pour nous et pour exciter les risées et les moqueries des témoins de ces scènes. Le nombre des prêtres qui périrent par le fer ou le feu dépasse, d’après nos recherches, cent cinquante, tous chefs de diocèse ou d’Église. Et quelle intelligence pourrait calculer le chiffre des prêtres étrangers de tous pays qui se trouvaient dans Ardzèn![53] …………………………………………………………………………………………………… Arrêtons ici le triste tableau des malheurs d’Ardzèn. Il ne nous a pas été possible de retracer tous les désastres qu’elle a essuyés. A celui qui en voudra savoir davantage, les ruines de cette cité lui apprendront ce que nous avons omis. Telle est l’histoire lamentable de la montagne de Sempad et de la ville d’Ardzèn. Nous n’avons écrit que ce que nous avons vu de nos propres yeux et les épreuves par lesquelles nous avons nous-même passé. Mais quelle imagination concevrait les calamités dont furent affligés d’autres districts et d’autres cités! il faudrait pour les raconter beaucoup de temps et d’espace, tandis que nous avons abrégé autant que nous l’avons pu. CHAPITRE XIII — Grande bataille dans la vaste plaine de Pacen. — Défaite des Romains. Isaïe, prophétisant la ruine de l’Egypte, disait: « Les
princes de Tanis (Tajan) qui étaient les sages conseillers du roi ont perdu Libarid vint donc après des instances réitérées et avoir reçu de nombreux et riches présents, mais sa présence ne servit à rien, parce qu’ils ne s’entendirent point entre eux. C’est pourquoi la mêlée s’étant engagée[56] le fils du Bulgare, tournant le dos avec les siens, abandonna le champ libre aux ennemis. Ceux-ci, poussant de grands cris et s’excitant les uns les autres, cernèrent Libarid et ses valeureux soldats dont ils tuèrent un certain nombre, puis ayant tranché d’un coup de sabre les jarrets de son cheval, ils se saisirent de lui.[57] A cette vue, les autres corps de l’armée prirent la fuite.[58] L’ennemi, s’élançant à, leur poursuite, en fit un immense massacre; les uns périrent sous le glaive, d’autres en grande quantité, par suite de l’obscurité de la nuit qui survint, furent jetés dans les précipices et les cavernes; le reste, proie sans défense, se sauva, avec les fantassins, là où il put. Les infidèles, chargés d’un incommensurable butin, étaient dans la joie; les nôtres au contraire pleuraient et gémissaient. Ce jour là, semblables à des chiens amis des cadavres ou à des loups arabes, ils ne furent rassasiés du sang des chrétiens que lorsqu’ils eurent exterminé tous ceux qui tombèrent sous leurs mains. Le sol fut comme un champ au temps de la moisson, où, derrière les moissonneurs, des hommes enlèvent les gerbes, ne laissant après eux (que des épis égarés) pour le glaneur et le chaume pour la pâture des animaux domestiques. Après la victoire, ils rentrèrent chez eux suivis de leurs prisonniers et d’un butin prodigieux dont ils remplirent tout leur pays. Ils offrirent au khalife le prince géorgien, comme le prisonnier le plus noble et le présent le plus agréable. Celui-ci l’accueillit favorablement et le renvoya en paix dans sa patrie, comblé des marques de sa libéralité.[59] Tels sont les événements accomplis jusqu’ici. CHAPITRE XIV — Séjour du patriarche Pierre à Constantinople[60] — Son départ. L’empereur, en le voyant, l’accueillit avec des
témoignages nombreux d’honneur et de distinction, et lui assigna une pension
considérable.[61] Néanmoins, il le
retint trois ans auprès de lui, dans la crainte que s’il le laissait
retourner en Arménie, il ne soulevât la ville d’Ani. Enfin, Adom, fils de
Sénékhérim,[62] s’étant fait son
répondant auprès de l’empereur[63]
l’emmena dans sa ville de Sébaste où il lui donna pour demeure le monastère
de Sainte Croix qu’il s’était construit,[64]
et avait embelli et décoré d’ornements variés et splendides.[65] Il y vécut deux
ans et mourut dans le Seigneur.[66] A sa place on
éleva sur le siège Khatchig, son neveu, qui avait reçu la consécration
patriarcale depuis longtemps.[67]
A cette nouvelle, l’empereur Constantin Ducas envoya des émissaires qui
amenèrent le nouveau patriarche à Constantinople avec tous les trésors qu’ils
purent trouver tant à Sébaste qu’en Arménie; car Pierre aimait beaucoup l’argent[68]
ce dont nombre de personnes le blâmaient. Après un séjour de trois ans, le
seigneur Khatchig, relâché de la capitale,[69]
se rendit sur les confins de On ne l’avait retenu si longtemps à Constantinople que dans le dessein de lui imposer un tribut. Khatchig s’y refusa en disant: « Ceci n’a jamais été fait jusqu’à présent et je ne m’y soumettrai pas moi-même. Les prières et autres moyens de persuasion étant restés sans effet, l’empereur en vint aux menaces. « Tu ne sortiras pas de Constantinople, lui dit-il, si tu ne consens à ma requête. » Mais le bienheureux patriarche et successeur de notre grand Illuminateur, sans se laisser intimider par ces paroles, resta inébranlable dans son refus. Alors deux grecs, l’un prince, l’autre moine, s’étant présentés, soit pour exciter sa jalousie, soit guidés par le désir réel de l’obtenir, je l’ignore, sollicitèrent le gouvernement de l’église d’Arménie, en promettant de payer le tribut. Tous deux furent exterminés misérablement. Touché de regret, l’empereur le congédia sans exiger de tribut, et lui confirma par patente et l’anneau d’or la possession de tous les lieux appartenant à lui et à son oncle, en Arménie; à quoi il ajouta deux monastères situés dans le district de Darenda’. CHAPITRE XV — Désastre épouvantable dont fut frappée l’opulente ville de Gars.[70] Depuis très longtemps cette ville n’avait point subi l’épreuve
du malheur. Aussi ses habitants, insoucieux et sans défiance, vivaient
tranquillement au sein des richesses de toutes sortes amassées de la terre et
de CHAPITRE XVI — Arrivée du sultan. A la suite de ces événements, au commencement de l’année
503 de notre ère ( Quelle plume pourrait retracer, quelle intelligence pourrait calculer les désastres qui, à cette époque, fondirent avec eux sur l’Arménie! Partout, sur la surface du pays, on ne voyait que cadavres, dans les villages comme dans les lieux inhabités, sur les routes et dans les endroits écartés, dans les cavernes et sur les rochers, dans l’épaisseur des bois comme sur le sommet des montagnes. Livrant au feu tous les lieux habités, ils détruisaient les maisons et les églises, et la flamme de l’incendie s’élevait plus haut que celle de la fournaise de Babylone. Par ces procédés, ils ruinèrent nos provinces, non pas une fois seulement, mais trois fois de suite qu’ils revinrent l’une après l’autre, jusqu’à ce qu’enfin il ne restât plus un habitant dans toute la contrée et qu’on n’entendît plus un cri de bête. A ce spectacle, le pays entier prit le deuil et resta consterné du massacre de ses habitants. La joie disparut de la surface de la contrée; ce n’était plus partout que plaintes et gémissements; partout des lamentations et des sanglots mêlés de larmes; nulle part ne résonnent les chants des prêtres; nulle part ne retentissent les louanges de Dieu; on ne lit plus les livres saints pour exhorter ou consoler l’auditoire, parce que les lecteurs ont été exterminés sous le tranchant du glaive au milieu des places publiques, les livres jetés au feu et réduits en cendres; on n’entend plus les concerts des noces, ni les joyeuses annonces de naissances nouvelles; les vieillards ne s’asseyent plus sur leurs siéges dans la place publique, et les enfants ne viennent plus devant eux; les troupeaux ne se rassemblent plus dans les pâturages, les agneaux ne bondissent plus dans les prairies; le moissonneur n’a point les bras remplis par la gerbe et n’entend point les félicitations des passants; le blé n’est point entassé dans l’aire, et le vin ne coule point des pressoirs. On n’entend point les chants de réjouissance au temps de la vendange; les tonneaux ne se chargent point du jus des pots. Tout cela a disparu et n’a point laissé de traces. Quel Jérémie pleurera nos désastres en traînant ses lamentations sur les routes et les montagnes? Quel Isaïe résistera à la voix de ceux qui le consolent pour se rassasier de gémissements? Malheur à moi qui raconte ces choses! Semblable au jeune homme d’Hymen[75] je suis devenu un messager de mauvaises nouvelles, non pas seulement pour un village ou une ville, mais pour le monde entier, de générations en générations, jusqu’à la fin des siècles! Car il n’est point de temps, il n’est point d’histoire qui puisse faire oublier les nôtres, si ce n’est ce que les livres saints nous prédisent de l’Abominable du désert.[76] Que ferai-je donc? laisserai-je derrière moi les épouvantables malheurs dont les chrétiens furent victimes, pour vous en épargner le récit? ou bien exciterai-je vos soupirs et vos gémissements à vous tous qui lirez ‘le récit de cette déchirante histoire? Je sais ce que vous désirez. C’est pourquoi, mettant de côté ma paresse naturelle, je raconterai les calamités indescriptibles qui frappèrent les lieux les plus remarquables successivement. Quand je me rappelle Khortzian et Hantzêth,[77] et les événements dont ces districts furent le théâtre mes yeux s’inondent de larmes, mon coeur oppressé étouffe, mes pensées s’égarent, ma main agitée et tremblante ne peut plus continuer la phrase et la ligne commencées. Un nombre incalculable d’habitants des districts mention nés plus haut s’étaient réfugiés dans ceux-ci, parce qu’ils étaient mieux fortifiés. Les infidèles, survenant avec la rapidité de l’oiseau et la cruauté inhumaine de la bête féroce, bouillant de rage, comme des vengeurs, fouillèrent les cavernes et l’épaisseur des bois, et exterminèrent sans pitié tout ce qu’ils rencontrèrent. Au printemps, lorsque, sous l’influence de la chaleur atmosphérique, l’eau commence à couler, il se précipite du sein de la neige mille et mille ruisseaux qui submergent la plaine devant eux; ainsi des ruisseaux de sang, coulant des cadavres des morts, dans leur marche envahissante sur les pentes du sol, inondaient la terre. Représente-toi ce qui se passa alors: la foule de moines et de prêtres réfugiés dans ces endroits, la multitude de vieillards et les troupes de jeunes gens dont une barbe naissante ornait les joues comme une gracieuse image, dont les cheveux bouclés brillant sur leur front, semblables à des roses aux vives couleurs, donnaient à leur visage le plus magnifique éclat, tombant tout à coup sous le glaive de l’ennemi, comme des épis frappés par la grêle, et roulant sur la terre qu’ils couvrent de leurs corps. Figure-toi le nombre d’enfants arrachés des bras de leurs mères, lancés violemment contre le sol et les demandant avec des gémissements plaintifs; les parents meurtris de vergés et brutalement séparés de leurs enfants. Quel coeur de pierre ne serait suffoqué par les larmes au récit de la multiplicité de tant de maux divers! Les vierges sont déshonorées, les jeunes épouses enlevées à leurs maris et traînées en esclavage. En un instant le pays où, comme dans une grande ville, fourmillait un peuple nombreux, fut transformé en un désert inhabité. De toute cette population une partie avait été exterminée, l’autre réduite en servitude. O Christ, qui permis alors toutes ces choses! quels malheurs nous avons essuyés! combien était amère la mort à laquelle nous avons été livrés! Quant aux massacres qui furent commis dans les districts de Terdschan[78] et d’Eguégh’iats et sur le territoire qui les sépare, il n’est personne qui puisse les retracer par écrit. Juge de ce qu’ils durent être par ceux que nous venons de raconter. Ceux des Perses qui envahirent le Daïk’ parvinrent, en subjuguant le pays, jusqu’au grand fleuve appelé Dzorokh[79] et, remontant son cours, opérèrent une descente dans le district de Khagh’dik’, puis ils s’en retournèrent emmenant le butin et les prisonniers faits dans le pays. Arrivé devant la ville et forteresse de Papert,[80] se présente à eux un corps de troupes romaines composé de Francs[81] les deux armées, se heurtant à l’insu l’une de l’autre, se rangèrent en bataille. La miséricorde de Dieu aidant, la victoire demeura aux Romains, qui battirent les ennemis, tuèrent leur général avec nombre de soldats, mirent le reste en déroute, leur reprirent leur butin et leurs prisonniers, mais n’osèrent pas poursuivre les fuyards, de peur de rencontrer une armée trop considérable. Les prisonniers, délivrés des mains des Perses, s’en retournèrent chez eux en bénissant Dieu. Ceux qui se dirigèrent sur l’Arménie massacrèrent ou réduisirent en esclavage tout ce qu’ils trouvèrent sur leur route, puis ils partirent chargés de butin. Parvenus sur le territoire de Vanant, ils furent attaqués par les vaillants généraux de Kakig, fils d’Apas,[82] qui leur firent essuyer beaucoup de mal. Les infidèles, arrivés sur eux, les cernèrent de tous côtés. La longueur du combat et les fatigues d’un effroyable carnage ayant épuisé leurs forces et celles de leurs chevaux, ils ne purent rompre le rempart opposé par l’ennemi, ni s’échapper, et les Perses, l’épée à la main, leur tuèrent trente de leurs plus nobles soldats. L’un d’eux, nommé Thathoul, homme fort et belliqueux, étant tombé entre les mains des ennemis, fut conduit en présence du sultan. Comme il avait blessé grièvement le fils d’Arsouran, émir des Perses, le sultan, en le voyant, lui dit: « Si ce jeune homme guérit, je te donnerai la liberté; mais s’il meurt, je t’immolerai à lui. » (Il succomba quelques jours après.) Il répondit: « Si la blessure est de moi, il ne vivra pas; si elle est d’un autre, je l’ignore. » Le sultan, en apprenant qu’il avait cessé de vivre, ordonna de mettre à mort Thathoul, et, lui ayant fait couper le bras droit, il l’envoya à Arsouran, pour le consoler, avec ces mots: « Ton fils n’a pas été tué par le bras d’un lâche. » Mais pourquoi raconter ainsi, l’une après l’autre, les écrasantes tribulations qu’endurèrent les chrétiens? Quand la mer est battue par des vents violents, un tumulte effroyable tourmente les flots, des monceaux d’écume s’élèvent de toutes parts et s’agitent. La même chose arriva chez nous. Le pays fut tout à coup bouleversé; il ne resta plus un seul lieu de refuge, car la grandeur des maux soufferts avait effacé tout espoir d’existence du coeur de l’homme. Le Sauveur l’avait annoncé longtemps auparavant, lorsque, comparant aux bruits confus de la mer de monstrueuses calamités, il disait que nombre d’hommes, défaillant à leur vue, ne pourraient retenir leurs âmes en eux par suite de leur frayeur et de l’attente des choses qui doivent arriver. Toi, laissant là toutes ces choses, admire la folie du sultan
et l’immense sagesse de Dieu la folie du sultan, qui se vantait d’être tout
puissant et l’égal de Dieu même; la sagesse de Dieu, qui se joua de lui par
le moyen d’une ville et le renvoya dans son pays couvert de honte. Suis donc
attentivement ce que je vais dire. La première fois que, suivi d’une armée
innombrable, il vint investir Manazguerd, la ville était dépourvue d’hommes
et d’animaux, et, si alors le sultan eût conservé dix jours seulement ses
positions, il s’en serait emparé. Mais Dieu, qui n’est pas toujours irrité et
dont la haine n’est pas éternelle; Dieu, qui ne nous châtie pas suivant la
grandeur de nos fautes, etc., fit naître en son coeur une idée insensée. Au
bout de trois jours, il partit avec toute son armée et descendit dans le
Dèvaradzo’-Daph’.[83]
De là, gagnant la vaste plaine de Pacen, il se présenta devant la forteresse
inexpugnable d’Onig, où il aperçut rassemblé tout ce qu’il y avait d’hommes
et d’animaux dans la contrée, mais n’osa pas l’attaquer, car rien qu’à la
voir, il comprit qu’elle était imprenable, et, passant outre, il parvint aux
confins de Pacen, près d’un petit village nommé Ton. Ayant gravi incognito,
en compagnie de quelques hommes seulement, une éminence escarpée qui commande
Garin, cette ville s’offrit à lui pourvue de tous les moyens de défense;
après l’avoir longuement examinée, il retourna sur ses pas. Cependant les
habitants de Manazguerd, ne se défiant de rien, sortirent de leur ville et
réunirent des approvisionnements considérables pour les hommes et les animaux,
car on était alors au temps de Pendant un mois entier qu’il tint Manazguerd assiégée, il
donna chaque jour deux assauts à la ville: le premier au lever du jour, le
second vers le soir. Mais toi, admire ici la sagesse de Dieu, vois comment il
sait de principes contraires tirer un résultat opposé. Donc, tandis que la
ville était ainsi plongée dans l’incertitude et exposée au péril, il inspira
une bonne pensée au coeur d’un prince perse qui était très avant parmi les
familiers du sultan. Tous les projets que formait celui-ci, il les révélait
aux habitants, soit de vive voix, soit par écrit. Souvent, il attachait la
lettre écrite par lui à la pointe d’une flèche, et, s’approchant des remparts
comme pour combattre, il lançait la flèche dans Demain, écrivait-il, l’attaque sera faite dans tel ordre et de telle manière; sur tel point on veut, pendant la nuit, percer le mur intérieurement pour pénétrer dans la ville; quant à vous, restez courageux et fermes, surveillez les lieux et tenez-vous sur vos gardes. » …………………………………………………………………………………………………… Quelque part que les Perses dirigeassent leurs attaques, soit de nuit soit de jour, les assiégés étaient là armés et prêts à les recevoir. Alors, les Perses dressèrent des machines à l’aide desquelles ils combattirent. Parmi les nôtres était un prêtre fort avancé en âge, et très habile dans les arts mécaniques. Il construisit aussi une baliste. Or, quand les ennemis, posant une pierre dans la fronde de leur machine, la lançaient contre la ville, le prêtre en lançait une autre droit en face de la leur, afin que la sienne, rencontrant celle des infidèles, la renvoyât sur eux, Sept fois les Perses renouvelèrent leurs tentatives, mais sans succès, parce que la pierre lancée par le prêtre avait plus de force que la leur. Ils construisirent donc un engin de guerre d’un autre
genre qu’ils appelaient catapulte, machine terrible que quatre cents hommes,
disait-on, faisaient manoeuvrer. Ils la tendaient à l’aide de grosses cordes,
et plaçaient dans les frondes des pierres du poids de Sur ces entrefaites, un soldat de l’armée romaine prépara
du feu à l’aide de naphte et de soufre,[86]
et l’ayant renfermé dans un vase en verre, partit sur un cheval de noble
race. Homme au coeur mâle et intrépide, n’ayant pour défendre ses épaules qu’un
simple bouclier, il franchit la porte de la ville et pénètre dans le camp
ennemi en se disant Mandadôr, c’est-à-dire porteur de dépêches, pousse
jusqu’à la catapulte et en fait le tour; puis, tirant tout à coup le vase de
verre, il le verse sur Basile,[87] gouverneur de la ville, recommanda à la populace de monter sur les murs, et, par des invectives prolongées, d’outrager et d’injurier le sultan, qui, deux jours après, leva son camp et partit, abandonnant le siége de Manazguerd. Sur sa route il rencontra une ville appelée Ardzguê, située au milieu du lac de Pèznounik’,[88] près de laquelle s’élevait une forteresse inexpugnable.[89] Les habitants de la ville, qui s’étaient réfugiés sur le lac ou dans le fort, se croyaient en sûreté. Mais la bête sanguinaire, ayant découvert un endroit peu profond, soit par escorte de quelqu’un, soit par habileté des siens, ses soldats pénétrèrent dans la ville; l’épée à la main, ils massacrèrent une partie des habitants, après quoi ils partirent, emmenant leur butin et leurs captifs. Cet exploit fut agréable au sultan; cependant, il s’en retourna le coeur plein d’un poignant dépit de n’avoir pu exécuter les plans qu’il avait projetés.[90] CHAPITRE XVII — Fin du règne de Monomaque. Le bienheureux et divin Salomon écrit qu’un roi juste
élève son empire, mais que le roi impie le ruine. Nous avons vu de nos yeux
Monomaque confirmer cette vérité. Les rois, ordinairement, s’appliquent de
tous leurs efforts à procurer à leur pays la paix et la prospérité, comme
Dieu, dont A sa mort, Théodora, fille de l’empereur Constantin, s’empara
du trône comme d’un patrimoine propre contre la possession duquel personne ne
pouvait trouver matière à opposition. Le sultan des Dadjigs[93]
lui envoya un ambassadeur avec une lettre contenant ce qui suit: « Rends-moi
les villes et districts que tes ancêtres ont enlevés aux Dadjigs, ou paye-moi
un tribut de mille tahégans par jour. » Pour l’apaiser, Théodora lui envoya
des chevaux et des mulets blancs, des sommes considérables en argent avec des
vêtements de pourpre. Celui-ci accueillit favorablement l’ambassadeur chargé
de lui remettre ces présents, le retint auprès de sa personne et l’emmena
avec lui dans la province de Babylone. Ceci se passait dans l’an 504 de notre
ère ( Dans cette même année, une armée de Perses envoyée par le sultan, d’autres disent une armée d’Abou-’Iséwar, émir de Tèvïn et de Kantzag[94] et gendre d’Aschod, roi d’Arménie, vint fondre sur le pays. A leur approche, les habitants, désertant leurs demeures, coururent se réfugier dans la ville d’Ani; mais tous ne réussirent pas à y entrer, car, comme il commençait à se faire tard, la porte avait été fermée. Or, les Perses, ayant marché toute la nuit, s’emparèrent de la porte, et, l’épée à la main, firent un massacre épouvantable de la multitude abandonnée sans défense; après quoi ils s’en retournèrent chez eux, avec des prisonniers et du butin. A cette époque, le district de Darôn avait pour gouverneur
Théodore, fils d’Aaron[95]
que les Perses appelaient dans leur langue Avan, par la suppression d’une
lettre. Un corps d’armée vint du Turkestan se placer sous son obéissance, et,
pour preuve de sa sincérité, il envahit le district de Khelath[96]
et y fit un butin considérable qu’il ramena à Darôn. Mais des troupes, s’étant
réunies de A l’entrée de l’hiver, dans les jours de la fête de l’Épiphanie de Notre Seigneur, les infidèles, profitant de l’obscurité de la nuit, pénétrèrent dans un petit village du district de Hark’ appelé Mangan-kom (Étable de l’enfant). Ayant sur pris les habitants au milieu de l’office nocturne, l’épée à la main, ils en exterminèrent un très grand nombre. Ils renouvelèrent les mêmes scènes dans les villages et hameaux environnants; puis, traînant à leur suite butin et prisonniers, ils se dirigèrent sur le petit village d’Aradzani[97] pour y traverser le fleuve. S’étant aventurés sur la glace avec leurs dépouilles et leurs captifs, celle-ci se rompant soudain, tout ce qui se trouvait dessus fut enseveli sous les eaux. O amère et lamentable histoire!…………………….. Le monde vit en paix, et nous, nous avons été faits prisonniers et emmenés en esclavage; nous avons été égorgés par le tranchant du glaive, nos maisons ont été réduites en cendres, et nos biens sont devenus la proie de mains étrangères. Il y avait en Arménie quatre royaumes avec autant de capitales[98] non compris le gouvernement du curopalate[99] et les possessions des Romains.[100] Le patriarcat était magnifique et envié de toutes les nations. Les docteurs enseignaient la vérité, ayant, comme les vartabeds leurs prédécesseurs, sondé la science jusque dans ses profondeurs. Devant leur enseignement, les hordes hérétiques, confuses et rentrant sous terre, ne pouvaient se glisser dans le bercail où reposait le troupeau fidèle, parce que le gardien qui veillait à la porte, qui connaît ses brebis et que ses brebis connaissent, ne les laissait point approcher. Nos églises, comme des épouses nouvelles, étalaient leurs atours pour plaire à l’époux immortel. Les enfants récemment nés du sein sans tache de notre mère Sara, réunis en troupe comme les petits de la colombe, chantaient à pleine voix les cantiques des anges. Mais viens, maintenant, et vois quelle déplorable et
irrémédiable transformation nous avons subie! On ne sait plus où étaient les
capitales des rois. Les armées sans nombre, qui s’entassaient devant eux
comme des nuages, et dont les costumes variés brillaient comme des fleurs
printanières, ont disparu sans laisser de traces. Le splendide et magnifique
siège patriarcal que le bienheureux homme de Dieu, le grand Grégoire,
descendu dans la profondeur de la fosse, éprouva par quinze années de sueurs
et de travaux et posa sur le siège apostolique[101]
est devenu désert et vide, dépouillé d’ornements, couvert de poussière et de
toiles d’araignée, et son possesseur a été emmené dans une terre étrangère
comme un esclave. La voix et les prédications des docteurs ne se font plus
entendre. Les hérétiques, qui, autre fois, couraient par bandes de tous côtés
se cacher dans les trous, comme des rats, repoussés par leur enseignement
théologique et l’orthodoxie de leur foi aujourd’hui, comme des lions, s’élancent
vaillamment et sans crainte de leurs repaires, la bouche béante, pour dévorer
les âmes candides. Que dirai-je de l’Église, qui, autrefois resplendissante
de beauté et heureuse de sa nombreuse progéniture, excitait l’admiration même
du prophète, aujourd’hui souillée et avilie, dépouillée de ses charmes, comme
la veuve sans enfants qui, privée de ses parures, déshonorée, et les
vêtements en lambeaux, est abandonnée sans que personne la console? Telle est
maintenant l’Église. Les flambeaux sont éteints, les lampes consumées; les
doux parfums de l’encens ne s’exhalent plus des encensoirs, et l’autel du
Seigneur est enseveli sous la poussière et CHAPITRE XVIII — Règne de Théodora, nom qui signifie donnée par Dieu. A la mort de Monomaque, la lionne, rugissant dans son repaire avec la fureur et la force du lion, comme celle qu’autrefois Daniel vit en songe, mande auprès d’elle les personnages les plus marquants de la ville avec les principaux gouverneurs, et leur dit: « S’il est parmi vous quelqu’un qui ait assez de courage pour aller en Orient, avec une armée, mettre fin aux incursions des Perses et rétablir la tranquillité dans le pays, celui-la, à son retour, sera empereur. Par la justice de Dieu, cet homme sera digne de régner. Mais si vous refusez, je suis assez forte pour maintenir le trône et moi. » Après avoir entendu ces paroles, les gouverneurs s’en retournèrent, sans répondre, chacun dans son palais. Le sultan, dont l’impératrice avait assouvi la faim bestiale par l’abondance des présents, ne pensa plus à recommencer ses attaques contre nous. Il s’en alla donc guerroyer contre Babylone et les pays environnants, car c’était un homme passionné pour les combats. Mais les peuples voisins qui habitaient sur nos frontières, enflammés d’une rage furibonde, ne cessèrent, pendant l’été et l’hiver, de ravager l’Arménie. Ils expédiaient de tous côtés des espions à la découverte, et partout où ils apprenaient qu’il existât des lieux habités, ils allaient, pendant la nuit, les surprendre à I’improviste, mutilant affreusement et massacrant sans pitié les habitants en aussi grand nombre qu’ils pouvaient. Libres de toute crainte, ils restaient plusieurs jours dans chaque lieu à fouiller les maisons, enlevant tout ce qu’ils trouvaient, puis, après avoir détruit le village de fond en comble, ils rentraient sur leur territoire, traînant après eux leur butin et leurs prisonniers. Presque à la base de la montagne de Dziranis, dans le
district de Pacen, était une petite ville nommée Ogomi, habitée par une
population nombreuse et riche. Les infidèles se dirigèrent de ce côté pour la
surprendre, dans la nuit de la grande solennité de l’Epiphanie; mais, comme
le sol était couvert d’une couche extrêmement rigoureuse de glace, les mains
et les pieds de ces bêtes à face humaine étaient engourdis par le froid. Aux
approches de la ville, ils rencontrèrent un monceau de fourrage entassé là
pour la nourriture des bêtes de somme. Ils y mirent le feu, et la flamme de l’incendie
éclaira la plaine entière comme en plein Après deux ans de règne, l’impératrice, arrivée à une
profonde vieillesse, fut atteinte d’une maladie dont elle mourut.[102]
Avant sa mort, les grands de la cour se présentèrent à elle et lui dirent:
« Pendant que tu es encore en vie, désigne un empereur, afin qu’il n’y
ait pas de troubles dans la ville. » L’impératrice y consentit; elle ordonna
d’amener un des grands officiers, nommé Michel, qui remplissait ces fonctions
au palais de père en fils,[103]
C’était un homme approchant de la vieillesse et très riche. Théodora le
proclama empereur, du consentement de la ville; puis, trois jours après, elle
s’en alla la voie que suit tout être vivant, par où les monarques passent
comme les pauvres, suivant l’expression de David. Les gouverneurs de
provinces, grands et petits, eu apprenant que Michel était sur le trône, se
rendirent à Constantinople pour lui prêter obéissance. Il aurait dû, par des
paroles doucereuses et de riches présents, les satisfaire et les amener à le
servir fidèlement; niais Michel, homme dur et possédé du même défaut que
Roboam, en mit en prison quelques-uns, comme indignes de leur titre; puis, s’adressant
aux plus considérables, il leur dit: « Allez combattre les Perses et ne
laissez pas ravager l’empire, sinon je leur donnerai votre solde en tribut et
conserverai la paix. » Les gouverneurs n’acceptèrent point et quittèrent le
palais sans répondre. D’un commun accord, ils se liguèrent par traité,
traversèrent le détroit et rassemblèrent une armée innombrable, à la tête de
laquelle ils placèrent Comnène (Gomianos), qui monta sur le trône bientôt
après, et Catacalôn (Goménas), levèrent l’étendard de la révolte contre l’empereur
et firent le serment de ne pas reconnaître son autorité. Ceci se passait dans
l’année 506 de notre ère ( Année malheureuse, révolte funeste, qui fut cause de la
ruine du pays et du massacre de ses habitants, et ramena l’Arménie à son état
définitif de désolation, suivant cette parole de l’historien du genre humain:
« La terre était déserte et stérile, parce qu’il n’y avait pas encore d’homme
pour la cultiver. » A la fleur de l’âge, un joli visage charme les yeux et
soulève l’admiration; mais, quand la vie, qui en faisait l’ornement, lui a
été enlevée par la mort, son éclat et sa beauté d’autrefois laissent la place
à une difformité qui excite l’horreur de ceux qui le voient et ôte même la
pitié, selon ces paroles: « J’ai été oublié, comme l’homme dont le coeur
est mort. » Il en est de même d’un pays. Lorsqu’un peuple compacte se meut
dans ses habitations, des laboureurs, en grand nombre, ensemencent les
champs; les blés, en poussant, parent la terre de leur gracieuse verdure et
lancent leurs tiges vigoureuses; puis, quand enfin les épis se montrent au
sommet des tiges, une moisson épaisse couvre au loin la campagne comme d’un
vaste nuage, se balance au souffle léger du zéphyr et ondule comme les flots
de Mais aujourd’hui nous voyons tout le contraire. Le pays est dévasté et vide d’habitants. Les villes sont détruites, les campagnes incultes, hérissées de chardons, et n’offrent plus à l’oeil des passants que l’aspect d’une épouvantable désolation. Autrefois, des multitudes d’oiseaux, à la voix harmonieuse, aux moeurs amies de l’homme et qui vivaient en familiers au milieu de notre nation, faisaient retentir les airs de leurs suaves mélodies; dès le matin, leurs mille chants divers, leurs gazouillements sonores éveillaient les laboureurs des lourdeurs prolongées du sommeil, comme un aiguillon, et les invitaient à se préparer à leurs travaux habituels. Aujourd’hui, les habitations en ruines sont désertes et dépeuplées, et il ne leur reste plus un endroit pour nicher. Où ta cigogne ira-t-elle poser sa demeure? où les petits des oiseaux iront-ils se réfugier, suivant l’expression du Psalmiste? où l’hirondelle bâtira-t-elle le petit nid, objet de tant de sollicitude, pour y élever sans crainte sa couvée? Mais, arrêtons-nous ici et reprenons le fil de notre lamentable et pénible histoire. Lorsque la maison des Grecs se divisa en deux, la verge de fer fut brisée par le bâton de roseau, comme l’Assyrien appelait injurieusement le royaume d’Égypte, et la chaudière ardente que vit Jérémie, versant autrefois, du nord au sud, des gerbes de feu, répandit alors, du sud au nord, un effroyable incendie, dont les flammes dévorèrent les nations chrétiennes. Car, suivant la parole du Seigneur, tout royaume divisé ne peut subsister, mais tombe en ruine. C’est ce qui arriva. En effet, quand les Perses apprirent les luttes et les hostilités des Grecs entre eux, ils fondirent librement sur nous, et, par des incursions continuelles, consommèrent la ruine de notre pays. Donc, au commencement de l’année dont nous avons rappelé, plus haut, le funèbre souvenir, les armées perses se jetèrent sur nos provinces avec la fureur carnassière d’une bande de loups, qui, rencontrant un troupeau sans berger, non contents d’assouvir leur voracité, prennent plaisir à égorger le troupeau tout entier. Le butin ne suffisant pas à leur avidité, ils avaient une faim insatiable de notre carnage. Tout ce qui tombait sous leurs yeux ne pouvait échapper à leurs mains, estimant qu’exterminer (des chrétiens) était une grande et bonne oeuvre. La guerre civile s’étant allumée entre les Grecs, Ivanê,
fils de Libarid, qui avait reçu en présent la possession du grand bourg d’Erez
dans le district de Haschdiank’, avec les hameaux environnants, apprenant que
l’empire était divisé en deux, se présenta devant la forteresse d’Ëgh’ants[105]
(des Biches), dont il s’empara par ruse. Maître de cette place, il revient
dans le district d’Agh’ori et arrive aux pieds des murs de la forteresse de
Havadjitch. Les habitants allèrent au-devant de lui et le reçurent comme un
ami. Le magistrat à qui était confiée la juridiction de l’Orient se trouvait,
en ce moment, dans Havadjitch; à peine Ivanê l’eut-il aperçu qu’il ordonna de
l’arrêter sur le champ, et, après s’être fait remettre par lui des sommes
considérables en argent, avec les chevaux, mulets et autres objets que
celui-ci avait recueillis en Orient, il l’envoya en prison à Ëgh’noud. De là
il se dirigea, à marches forcées, vers la ville fortifiée de Garin, dont il
essaya, pendant quelque temps, de s’emparer à l’aide d’un mensonge: « Je
viens, dit-il, de la part de l’empereur; la ville est à moi, ouvrez-moi les
portes pour que j’entre. » N’ayant pas réussi à gagner les habitants par cet
artifice, il assiégea Garin, afin de la soumettre par A la nouvelle de cet appel, des bandes d’infidèles, se donnant rendez-vous, se trouvèrent bientôt réunies et arrivèrent, en peu de temps, auprès de lui. A la vue de cette multitude de soldats, Ivanê fut frappé de terreur. Les Perses, n’apercevant d’ennemis nulle part, car le prince pour qui ils étaient venus s’était, au bruit de leur approche, renfermé dans une grande forteresse, se présentent devant Ivanê, et lui disent: « Indique-nous quelque lieu que nous puissions piller et ne nous renvoie pas les mains vides. » Celui-ci, ne sachant comment se tirer de là, leur donna un des siens pour les escorter. Les bandes, marchant pendant la nuit par des lieux inhabités, arrivèrent dans le district de Khagh’dik’, dont elles surprirent les habitants à l’improviste; suivant leurs habitudes sanguinaires, elles exterminèrent presque tout ce qu’elles rencontrèrent; jusqu’à Kherthi dans la forêt de Tjaneth; puis, suivies d’une quantité immense de butin et de captifs, elles s’en retournèrent en triomphe. Étant allées trouver le guide, auteur de tous ces maux, elles lui offrirent de riches présents, en reconnaissance du succès de leur expédition, et rentrèrent dans leur pays. Mais, quand elles virent la contrée sans maîtres, ni défenseurs, les bandes sataniques se hâtèrent de revenir dans la même année, et, descendant dans le district de Mananagh’i, elles se divisèrent en deux corps. L’un, se dirigeant sur le district d’Ëguégh’iats, tomba, pendant la nuit, sur la ville, qu’il trouva sans préparatifs ni précautions de sûreté. Raconter les tragiques et lamentables catastrophes dont cette ville fut le théâtre est au-dessus de mes forces. Le jour, en se levant, le matin, éclaira un spectacle lugubre et plein d’horreur, capable d’arracher des plaintes et des gémissements aux pierres et à toutes les créatures insensibles. Quel homme, en face d’une semblable scène, ne sentirait son coeur se briser, son corps frémir d’effroi, et sur ses yeux s’appesantir un voile d’épaisses ténèbres? Des monceaux de cadavres étaient entassés sur les places publiques, dans les maisons, sous les larges portiques, dans les ruelles et l’enceinte des vignes; presque tous les quartiers de la ville étaient teints du sang des morts. Parmi ceux qui étaient tombés, un bon nombre vivait encore: les uns sans voix et respirant péniblement, d’autres horriblement mutilés et couverts d’affreuses blessures. Les Perses leur arrachaient les entrailles et le foie, et, les introduisant violemment dans la bouche des autres, les forçaient de les manger encore tout palpitants. O permission de la volonté de Dieu! Oh! quel excès de maux nous endurons! Voici treize ans déjà que d’épouvantables calamités ne cessent d’accabler les chrétiens, et la terrible colère du Seigneur n’est point apaisée. Sa main est encore levée, tenant la coupe pleine d’un vin pur pour nous enivrer d’une ivresse malfaisante, non pour par donner et faire miséricorde, mais pour punir ceux qui le haïssent; il a enveloppé de soldats perses la ville avec les bourgades et les villages environnants, jusqu’à ce qu’il ne restât plus un être vivant ailleurs que çà et là dans les forteresses. Les infidèles, fatigués de pillage, mirent le feu à la ville; après quoi ils s’en retournèrent, traînant derrière eux leurs captifs avec le butin fait dans le district. Telle est ta lugubre histoire, ville infortunée; non plus, comme autre fois, cité protectrice, mais gouffre de perdition pour tes habitants! Et pourtant, nous n’avons retracé qu’une bien petite partie des maux que tu as soufferts. De là les infidèles, pénétrant dans le district de Garin, par vinrent auprès d’un village nommé Plour. Les habitants avaient entouré la colline sur laquelle il s’élevait d’une mu raille dont les fondements étaient assis sur le sable suivant la parabole du Seigneur. C’est pourquoi, les infidèles se précipitant dessus comme un torrent écumeux, Plour ne put même un instant soutenir leur attaque; détruit, au premier choc, de fond en comble, le bruit de sa chute retentit par toute la terre et se perpétuera jusqu’à la fin des siècles. Leurs murs, qu’ils regardaient comme une espérance de salut et un lieu de refuge, devinrent pour eux un abîme de perdition. Les habitants des campagnes et des monastères situés en deçà de l’Euphrate, et presque toute la population du bourg d’Ardzen étaient réunis en cet endroit. Les ennemis, arrivant sur eux, renversèrent les fortifications et pénétrèrent dans le village. A la vue des sabres étincelants, aux sifflements des cordes des arcs, les insurgés, effrayés et tremblants, semblèrent comme enchaînés. Et comme il n’y avait là ni gouverneur, ni chef pour ranimer, par la peur et les encouragements, leur force et leur énergie contre l’ennemi, et exhorter les braves à marcher en avant, selon la coutume des guerriers, tous ces hommes sans guides, à la seule apparition des infidèles, faiblirent, se découragèrent, s’agitèrent en désordre, s’ébranlèrent et perdirent toute intelligence; alors ils commencèrent à se dé bander furtivement les uns des autres. Les uns, à l’entrée de la nuit, descendent des murailles et s’enfuient, d’autres se livrent, spontanément à l’ennemi. Ceux qui étaient restés dans le village, abandonnant toute idée de lutte, creusèrent des trous dans la terre pour s’y cacher. Les infidèles, se précipitent sur leurs traces, les massacrèrent, non plus comme des ennemis en guerre, mais comme un troupeau de brebis dans l’étable; saisissant les uns, ils les amenaient devant eux et leur tranchaient la tête, leur infligeant ainsi une double mort, la vue plus cruelle que le trépas du glaive flamboyant au-dessus d’eux, et enfin la mort elle-même. Ils se ruaient sur les autres, l’épée nue à la main, et, se jetant sur eux comme des bêtes féroces, ils leur perçaient le coeur avec leur sabre; ceux-là mouraient sur le champ. Quant à ceux qui avaient trop d’embonpoint ou les flancs trop épais, ils les faisaient agenouiller, tendaient leurs mains à des piquets plantés en terre et les fixaient au sol; puis, dépouillant une main avec leurs ongles, ils tiraient la peau par devant et par derrière, d’un bras et d’une épaule à l’autre, la ramenaient jusqu’à l’extrémité de l’autre main, puis, la tirant brusquement, ils en faisaient des cordes d’arcs. Oh que cette histoire est douloureuse! Mais quelles oreilles pourraient supporter le récit des tourments monstrueux qu’endurèrent les prêtres et les moines? Les infidèles écorchaient la peau de dessus leur poitrine et la ramenaient avec celle du visage sur leur tête; puis, après les avoir ainsi cruellement torturés, ils les égorgeaient. Qui pourrait imaginer un supplice plus barbare et plus effroyable que celui-là? Les Actes mêmes des saints confesseurs n’offrent rien de semblable. C’est par de telles atrocités qu’ils exterminèrent une
grande partie des réfugiés de Plour; ils fouillaient partout, mutilaient et
tuaient impitoyablement à coups de lance ceux qui s’étaient ensevelis tout
vivants dans CHAPITRE XIX — Sac des villes de J’ai dit dans le chapitre précédent que les Perses, étant arrivés sur le territoire de Mananagh’i, se divisèrent en deux corps; j’ai raconté les exploits du premier. Les troupes composant le second traversèrent de toute la vitesse de leurs chevaux les districts de Handzêth et de Khortzan, sans s’écarter à droite ni à gauche, comme la flèche partant de la main de l’archer, qui, lancée par un vigoureux effort, va droit atteindre le but. Elles marchèrent de même toute la nuit, sans donner de sommeil à leurs yeux ni de repos à leurs paupières, et, semblables à une pluie de grêle mêlée de pierres qui fond sur le sol au moment où l’on ne s’y attend pas, elles sur prirent à l’improviste les habitants de la ville de Harav.[108] Plusieurs quartiers étant sans défense, le peuple, dans une agitation confuse, allait et venait comme les flots de la mer, incertain de ce qu’il devait faire. Oh! quelles horreurs furent commises en cet endroit ce jour-là! Les infidèles, se précipitant le sabre la main, massacrèrent la mère avec l’enfant et le fils sous les yeux du père. En un instant la ville aux habitations splendides fut transformée en une mare de sang. Dans le désordre tumultueux de la fuite, et en face de la mort dont l’approche n’a pas été prévue, l’amour oublia tout ce qui lui était cher et perdit la pitié même du sang. Chacun n’était occupé qu’à chercher les moyens de se sauver et d’échapper à la rage brûlante de ces soldats de l’enfer. C’est pourquoi ils se réfugièrent dans les vignes qui s’étendent autour de la ville et se cachèrent sous l’épais feuillage des branches. Mais les infidèles, s’en étant aperçus, se mirent à les fouiller de tous côtés, perçant de leurs lances et tuant sans distinction ceux qu’ils rencontraient. Les grappes de raisins étaient toutes teintes de sang. Plus tard, ceux d’entre le peuple qui avaient survécu à ces scènes d’horreur, trouvèrent leurs morts sous les ceps et les ensevelirent. Mais ils n’osèrent pas cueillir les grappes ni manger le raisin, parce que, disaient-ils, c’était le sang de l’homme. Quand il ne resta plus d’aliment de carnage, les infidèles rentrèrent dans la ville, furetèrent partout dans les maisons et les souterrains dans l’espoir d’y trouver quelque argent caché, qu’ils déterraient avec beaucoup d’habileté. Ensuite ils y mirent le feu et la rasèrent de fond en comble, après quoi ils partirent, traînant derrière eux leur butin et leurs captifs. Ils détruisirent de même par le fer et l’incendie les bourgades et les villages d’alentour dont ils emmenèrent les habitants en servitude, jusqu’à ce qu’il ne restât plus un être vivant capable d’ouvrir la bouche et de pousser un cri. |
[1] Malgré toutes nos recherches, nous n’avons trouvé
nulle part dans les auteurs byzantins, ni ailleurs, le nom du père de
Constantin X Monomaque; la source, s’il en existe une, à laquelle a puisé
Lasdiverdtsi, nous est complètement inconnue.
[2] Mot que nous avons rendu métonymiquement par chef de
[3] Pour plaire au peuple, Zoé avait été obligée, contre
son gré, d’associer à l’empire sa soeur Théodora (Cédrénus, t. II, p. 539-540),
elle gouverna de concert avec elle « magna cum laude », un mois
environ suivant Glycas, p. 59 trois mois d’après Georges Codinus, De antiq. constantinop.,
p. 457.
[4] Le canon 33 du IIe concile de Nicée qui défend les
troisièmes noces. C’est pourquoi le patriarche Alexis ayant refusé de bénir son
mariage, Zoé fut obligée de recourir au ministère d’un prêtre moins scrupuleux
sur l’application des lois ecclésiastiques. Aujourd’hui, l’Eglise arménienne,
se fondant sur un passage d’une lettre écrite vers la fin du XIIe
siècle par Nersès de Lampron, archevêque de Tarse, à Léon II, roi de Cilicie,
tolère les troisièmes noces et ne défend que les subséquentes. — Cf. Exercice de la foi chrétienne selon la
confession orthodoxe de l’Eglise arménienne, p. 52 et 325.
[5] Constantin, déporté à Mytilène par Jean Orphanotrophe,
sous le règne de Michel le Paphlagonien, avait été rappelé plus tard par l’ordre
de Zoé.
[6] Georges Maniacès était fils de Gondelias Maniacès et
non de Constantin Monomaque (Cédrénus, t. II, p. 500). Peut-être y a-t-il ici
une faute de copiste.
[7] Zoé avait envoyé Georges Maniacès dans le
[8] La bataille où périt Maniacès fut livrée auprès
d'Ostrow, dans
[9] Constantin Monomaque fut marié à Zoé et proclamé
empereur le
[10] C’est-à-dire le royaume d’Ani qui, malgré sa petitesse,
était pourtant la portion la plus importante de l’Arménie à cette époque.
[11] Suivant la judicieuse remarque du père Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 1038, par ces
expressions la fin de la vie de la maison d’Arménie, » il faut entendre non la
mort des deux frères Aschod et Sempad, mais bien l’extinction de la royauté
arménienne. En effet, en 1045, année à laquelle nous conduit le calcul de
Lasdiverdtsi, Aschod et Sempad avaient déjà cessé de vivre depuis plusieurs
années, sans que l’on puisse, avec les documents que nous possédons, fixer en
ce moment la date exacte de leur mort.
Suivant
Matthieu d’Édesse et le connétable Sempad, Aschod mourut le premier dans l’année
489 de l’ère arménienne (
Vartan, Hist. univ., p. 133, les fait mourir
tous deux en 493 (
Tchamitch
fixe leur mort à l’année 1039, en avance de quelques mois sur les historiens
précédents. — Hist. d’Arm., t. II, p.
919 et 1038.
Il est
certain, d’après une inscription gravée sur le mur méridional de l’église Ronde
ou de Saint Pierre à Ani, reproduite par M. Brosset, dans ses Ruines d’Ani, 1re
partie, p. 24, que Sempad était encore vivant en 490. Voici la traduction de
cette inscription (celle donnée par M. Brosset renferme une erreur grave
échappée de la plume un instant distraite, sans doute, du docte orientaliste).
« En 490, sous le patriarcat du seigneur Pierre, catholicos d’Arménie, et
sous le règne de Sempad fils de Kakig Schahènschah, moi, Christophe, serviteur
de Dieu, m’étant réfugié dans l’assistance de Sourp Pherguitch’ j’ai donné mon
(patrimoine) acheté de mes deniers »
Jusqu’à
ce que des documents nouveaux et positifs viennent fixer ce fait d’une manière
rigoureuse, nous pouvons admettre que Jean Sempad mourut vers la fin de 1041 ou
le commencement de 1042.
[12] Constantin IX, fidèle aux recommandations de son
frère, avait toujours traité l’Arménie avec bienveillance.
[13] Michel le Paphlagonien.
[14] Ce Sarkis était prince de Siounik’ et avait le titre
de Vestès.
[15] C’est-à-dire le district de Schirag qui formait à lui
seul tout le royaume d’Ani.
[16] Les Bahlav ou Bahlavouni, ainsi appelés du nom de la
ville de Bahl ou Balkh, dans
[17] Jean Sempad étant mort sans enfants, Kakig, son neveu,
jeune homme de dix-sept à dix-neuf ans, lui succéda sur le trône d’Ani, après
un interrègne de quelques semaines, en 490 (
[18] Cette forteresse intérieure est celle qui existait
déjà au temps des Arsacides et qui forma le noyau autour duquel s’aggloméra
plus tard la ville d’Ani.
[19] Sourmar’i, Sourmai’, forteresse appelée encore Sourp Mari par Thomas de Medzoph et
Étienne Orbélian, et placée par le premier dans le district de Djagadk’. — Cf.
Thomas de Medzoph’, Histoire de Tamerlan,
édition de M. l’archimandrite G. Schahnazarian. Paris, 1860.
[20] Ces trois invasions mentionnées seulement par
Arisdaguès sont racontées avec d’intéressants détails par Matthieu d’Édesse
dans les chapitres LXI, LVIII et LXVI de sa Chronique.
Dans les deux dernières campagnes les Arméniens battirent complètement les
Grecs, à qui ils infligèrent des pertes considérables, et ne consentirent à
faire leur soumission que lorsque toute résistance fut devenue inutile.
[21] Nous ne connaissons point le chiffre de l’armée sous
les Bagratides, mais il résulte de divers passages de Matthieu d’Édesse qu’il
était considérable vu l’étendue du territoire. Ainsi, pour en citer un exemple,
lors de la seconde invasion des Grecs pour revendiquer Ani, le généralissime
Vahram le Bahlavouni marchait contre eux à la tête d’une armée de trente mille
hommes tant fantassins que cavaliers et mettait en déroute celle des ennemis
qui s’élevait à cent mille. — Cf. Chron.
de Mathieu d’Édesse, trad. franç., chap. LVIII.
[22] Ceux des habitants d’Ani qui émigrèrent en Grèce
passèrent en Pologne et s’établirent à Lvov ou Lemberg, dans un quartier séparé
de
Ils sont
réunis à Rome depuis le milieu du XVIIe siècle. — Cf. le R. P.
Minas, Voyage en Pologne et autres
contrées habitées par des colonies arméniennes d’Arsi, un vol. in 8°,
Venise 1830, p. 54, 96, 145 et 146. C’est peut-être à la même migration qu’il
faut rapporter la fondation en Égypte, sous la protection des califes, d’une
colonie arménienne qui, quelques années plus tard, à l’époque du voyage du
catholicos Grégoire II Vgaïacér dans ce pays, comptait trente mille maisons, et
dont les descendants se retrouvent encore au Caire et à Alexandrie. — Cf.
Ménologe arménien, 30 juillet, Mémoire
des saints catholicos Grégoire et Pierre.
[23] Grégoire l’Illuminateur était fils d’Anag, assassin de
Khosrov, père de Dertad (Tiridate III), roi d’Arménie. Pendant que, rebelle à l’ordre
du roi, il refusait de sacrifier aux idoles, et le pressait, au contraire, de
quitter l’idolâtrie et d’embrasser la vraie foi, Dertad instruit par ses
satrapes de l’origine de l’apôtre, le fit plonger dans un souterrain profond où
l’on enfermait d’ordinaire les condamnés à mort, auprès d’Ardaschad. Grégoire y
resta quinze ans pendant lesquels il se prépara à la grande mission qu’il
accomplit plus tard, de concert avec son ancien persécuteur, la conversion de l’Arménie
à la lumière de l’Évangile. — Cf. Agathange, édit. de Venise.
[24] Constantin écrivit à Kakig une lettre renfermant les
serments les plus solennels, et poussa l’impudeur jusqu’à l’accompagner de l’envoi
de l’Évangile et d’un fragment de la vraie croix comme gage de sa sincérité. —
Cf. Chron. de Matthieu d’Édesse,
trad. franç., chap. LXV; - Sempad le Connétable, p. 61.
[25] Suivant Matthieu d’Édesse, loc. laud., ce traité fut signé avec une plume trempée dans le
mystère sacré du corps et du sang du Fils de Dieu par les traîtres, Sarkis à
leur tête, et le patriarche Pierre.
[26] Ville très ancienne, la plus considérable de
[27] Dans l’espoir de vaincre l’obstination de Kakig,
Constantin lui défendit de sortir de Constantinople et le relégua en prison
dans une île. — Cf. Tchamitch. Hist. d’Arm.,
t. II, p. 932.
[28] Grégoire, fils du généralissime Vaçag, est le
personnage le plus marquant de l’histoire arménienne à cette époque. Il naquit
au commencement du Xe siècle et appartenait à la branche des
Arsacides de Perse, dite Sourén Bahlav. Envoyé de bonne heure par son père à Constantinople,
il se livra dans cette ville à l’étude des lettres, des sciences et des langues
orientales dans lesquelles il révéla une intelligence vraiment supérieure.
Revenu en Arménie, il suivit la carrière des armes dans laquelle son père s’était
illustré avant lui, et contribua puissamment avec son oncle Vahram, le
généralissime, à élever Kakig sur le trône d’Ani que Sarkis voulait lui ravir.
Il mourut en 1058, laissant quatre fils, Vahram, qui devint plus tard
catholicos sous le nom de Grégoire II, surnommé Vgaïacér, Vaçag, Basile et Ph’itibbè, et plusieurs filles.
Nous
possédons de Grégoire: 1° une collection de quatre-vingt-six lettres sur divers
sujets politiques, historiques, philologiques et scientifiques, dans lesquelles
l’auteur se montre tour à tour philosophe, théologien, poète et érudit profond
dans toutes les sciences de
Grégoire
a traduit, en outre, du syriaque et du grec plusieurs ouvrages tant
philosophiques que mathématiques, ainsi qu’il nous apprend lui-même dans une
lettre adressée à Sarkis, abbé de Sevan. Ce sont: le Timée et le Phédon de
Platon, le livre d’Olympiodore; les poèmes de Callimaque et d’Andronic et
A
Constantinople, son éloquence entraînante et persuasive lui mérita le privilège
de pouvoir discourir avec les docteurs romains dans la chaire de Sainte Sophie.
— Cf. Matthieu d’Édesse, Chron.,
traduction franç. chap. xciv.
Grégoire
eut de nombreux élèves à qui il enseigna la philosophie; le plus célèbre est
Elisée, qui devint plus tard évêque de Sébaste et accompagna le catholicos
Pierre à Constantinople.
Le
tableau généalogique de la famille de ce prince, inséré par M. Éd. Dulaurier à
la fin de sa traduction de
[29] Forteresse du district de Nik, province d’Ararad.
Cette localité était très ancienne puisque nous la trouvons mentionnée dans
Lazare de Ph’arbe, historien de la fin du Ve siècle, qui l’écrit Pedjni et la
qualifie de village considérable. Ce n’est plus aujourd’hui qu’une bourgade
située sur
[30] Outre Pédschni, Grégoire fit encore présent à
Constantin Monomaque de deux autres forteresses, Gaïan et Gaïdzon. — Cf.
Vartan, Hist. univ., p. 433.
[31] En échange des possessions qu’il livra à Monomaque,
Grégoire reçut
[32] David, roi de l’Agh’ouanie arménienne, était fils de
Kourkén, troisième fils d’Aschod III, souverain d’Ani et appartenait par
conséquent à la famille des Bagratides. David agrandit considérablement les
possessions qu’il tenait de son père (ch. ii, note 4), mais peu à peu il perdit
l’une après l’autre toutes ses conquêtes, et il ne lui resta plus même rien de
son patrimoine, ce qui lui valut le surnom d’Anhogh’ïn « sans terre » sous lequel il est connu dans l’histoire.
On peut lire dans Açogh’ig, Hist. univ.,
III, chap. xxx, le récit des exploits par lesquels David illustra le
commencement de son règne.
[33] Aboul’-Séwar, émir de Tèvïn appartenait à la famille
des Beni-Scheddad qui se rattachait à la tribu kurde des Réwadis. C’est l’Aplespharès des Byzantins.
[34] Pakarad ou Bagrat, le quatrième du nom, roi de Karthli
et d’Aph’khazeth, succéda à son père Giorgi Ier, en 1027, et régna
jusqu’en 1072 (Cf. M. Brosset Hist. de
[35] Le vestarque Michel Iasitas, préfet d’Ibérie.
[36] Suivant le témoignage de Cédrénus, t. II, p. 559,
Monomaque lui conféra la dignité de Maître de la milice avec des possessions
considérables en Cappadoce vers Charsianum castrum et Lycandrus. Matthieu d’Édesse
dit qu’il donna à Kakig, en retour d’Ani, Galonbegh’ad et Pizou dans
[37] Tévïn, Tibion
de Constantin Porphyrogénète, Doubios
de Procope, en arabe Dewin et Debyl, ville du district d’Osdan,
province d’Ararad, au nord d’Ardaschad, sur le Medzamor. Elle fut fondée vers l’année
350 par le roi d’Arménie Khosrov II, qui y établit sa résidence et en fit la
capitale de ses États. Elle était bâtie sur une colline, et avait été, pour
cette raison nommé Tévïn, d’un mot persan qui signifie monticule, colline.
— Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm.,
III, chap. viii — Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 119; —
Indjidj, Arm. anc., p. 463. Il est
certain cependant, d’après le témoignage de Zénob de Klag (Histoire de Darôn, p. 11 et 41), que cette ville existait déjà
cinquante ans au moins auparavant, d’où il suit qu’elle ne fut pas fondée dans
le véritable sens du mot par Khosrov, mais seulement restaurée et agrandie.
Monomaque, se sentant
trop faible pour s’emparer d’Ani avec ses seules ressources, expédia des
lettres à l’émir de Tévïn pour l’engager à ravager de son côté les domaines de
Kakig, à quoi Aboul’ Séwar consentit sans peine. (Cédrénus, t. II, p. 558.)
Devenu maître d’Ani, il réclama à son auxiliaire les villes et forteresses du
royaume de Schirag dont il avait fait la conquête, et comme celui-ci refusait
de les rendre, Monomaque envoya une armée considérable sous les ordres de
Nicolas le Bulgare pour les revendiquer par la force. — Cf. Cédrénus, t. II, p.
559.
[38] Le mot Gaménas
est une altération du grec « brûlé », surnom du général Catacalôn Vestès,
Bulgare d’origine.
[39] Le myron, huile bénite, servait dans l‘Église
arménienne pour la consécration du catholicos, des évêques et des prêtres, pour
le sacre des rois et pour l’administration des sacrements de baptême et de
confirmation.
[40] Cette forteresse qui n’est mentionnée par aucun
géographe arménien, était probablement située dans le district de Garin.
[41] Constantin Leichudes, Sarrasin d’origine (Cédrénus, t.
II, p. 560).
[42] Les troupes envoyées par Thogrul-Beg contre l’Arménie
s’élevaient au nombre de cent mille hommes commandés par Ibrahim Inal et
Koutoulmisch, cousins du Sultan.
[43] Village construit par Vagh’arsch, fils de Tigrane, sur
le lieu même de sa naissance au confluent du Mourtz et de l’Araxe. Cf. Moïse de
Khoren, Hist. d’Arm., II, chap. LXV.
[44] District de
[45] District de la province d’Ararad au centre, appelé Ascharounik’ par Jean Catholicos et Arscharounik’ par Guira anciennement Eraskhatzor (Vallée de l’Araxe). Il
tient son nom d’Arschavir, fils de Gamsar de Bahl, à qui Darôn fit présent de
son territoire sur lequel s’élevait la ville d’Erouant, pour le retenir en
Arménie. — Cf. Moïse de Khoren, Hist. d’Arm,
II, p. 90; — Indjidj, Arm. anc., p.
389.
[46] Haschdiank’, district de
Khortzén, appelé aussi Khortzian, Khortziank et Khortzaïn,
district de la même province, à l’ouest du précédent;
[47] La province de Siounik’, appelée territoire de Siçag
par Lasdiverdtsi, avait pour limites au nord la province d’Artsakh’, à l’est
celle de Ph’aïdagaran, au sud l’Araxe, et à l’ouest la province d’Ararad. Les
Perses la nommaient depuis fort longtemps Siçagan. Cette dénomination, qui chez les Arméniens n’était
usitée que pour désigner la partie méridionale de cette province, tenait son
origine de Siçag, fils de Kégh’am, qui le premier commença à cultiver le pays
et à y construire des édifices. C’est
[48] Les hagiographes arméniens nomment cette fête Khatchévérats, Elévation de la croix,
et racontent, pour en expliquer l’origine, que lorsque la pieuse mère de l’empereur
Constantin eut fait retirer la vraie croix des immondices où elle était enfouie
sur le Golgotha, Macaire, patriarche de Jérusalem, comme autrefois saint
Jacques, premier évêque de la ville sainte, souleva le bois sacré dans ses bras
pour l’exposer à la vénération du peuple.
L’Eglise
arménienne célèbre la mémoire de ce fait presque avec autant de pompe que les
fêtes de Noël et de Pâques.
L’Exaltation
de
[49] Il y a un manque dans le texte copié de
[50] Ville considérable du district de Garin, dans
[51] Toutes les recherches que noua avons faites pour
identifier ce mot sont restées infructueuses, et nous n’avons rien trouvé dans
nos lectures qui fût de nature à nous satisfaire. Plutôt que de recourir à des
hypothèses, nous avons préféré le laisser en souffrance, en attendant que des
lectures ultérieures nous permettent de lui donner une explication fondée.
[52] Il est évident que par l'expression de Pyrrhoniens, il
faut entendre non pas les adeptes de la secte fondée par le célèbre sceptique
grec, mais, en général, tous ceux qui révoquent en doute les vérités de la
religion, ou les impies, suivant la dénomination usitée chez les historiens arméniens.
[53] Au rapport de Matthieu d’Édesse, cent cinquante mille
personnes périrent victimes des cruautés des Turcs (Chron., tr. franç.,
chap. LXXIII); cent quarante mille suivant Cédrénus, t. II, p. 578. Les
habitants qui échappèrent à ces cruautés se retirèrent a Théodosiopolis, dont
ils accrurent considérablement la population, et lui donnèrent le nom d’Ardzén,
en souvenir de leur patrie réduite en cendres. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. 1, p. 68.
[54] Aaron Vestès était fils de Vladosthlav, et frère de
Prusianus et d’Ibatzès. (Cédrénus, t. II, p. 573-574).
[55] Libarid ou Libarid III, éristhaw des éristhaws, de l’illustre
famille des Orbélians, était, suivant l’Histoire
de
[56] Suivant Matthieu d’Édesse, Chron., trad. franç., chap. LXXIV, la bataille fut livrée auprès du
fort de Gaboudrou, dans le district d’Ardschovid, situé sans doute dans le
voisinage de la plaine de Pacen.
[57] Étienne Orbélian, métropolite de la province de
Siounik’, qui a écrit au Xe siècle l’histoire de sa famille, raconte
que ce furent les didébouls de
Géorgie qui, jaloux de la trop grande puissance de Libarid, coupèrent les
jarrets de son cheval; il ajoute qu’ils le tuèrent sur le lieu même, ce qui est
une erreur grave, ainsi que nous le verrons plus loin. — Cf. Saint-Martin, Mém.
sur l’Arm., t. II, p. 75; - M. Osgan ’Ohanniciants, Histoire des Orbélians, Moscou, 1858, brochure in-8°, p. 46; — Histoire de la maison satrapale de Siounik’,
édit. de M. l’archimandrite G. Schahnazarian; Paris, 1859, 2 vol. in chap.
LXVI; — la même, édit. de M. J.-B. Emïn, Moscou, 1864, un vol. chap. LXV.
[58] Comparer, pour plus de détails, les récits divers que
nous ont laissés de cette bataille Étienne Orbélian, loc. laud., lequel fait
de Libarid un éloge qui ne manquera pas de paraître exagéré; Matthieu d’Édesse,
Chronique, trad. franç., chap. ixxiv;
Cédrénus, t. II, p. 577 et suiv., et l’historien arabe Ibn Alathir cité par
Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. II,
p. 244.
[59] Le sultan lui ayant envoyé demander d’embrasser sa
religion: « Lorsque je serai en ta présence, répondit Libarid, je ferai selon
tes désirs. » Arrivé devant le sultan, il dit: « Maintenant que j’ai été digne
de paraître devant toi, je n’exécuterai point tes volontés, et ne redoute point
la mort. - Que veux-tu? lui dit le sultan. - Si tu es marchand, vends-moi, si
tu es bourreau, tue-moi, si tu es roi, renvoie-moi avec des présents. » Le
sultan répondit: « Je ne suis point marchand, je ne veux point être
bourreau de ton sang, mais je suis roi; va où il te plaira. » — Cf. Vartan, Hist. univ., p. 133 - 134. Suivant Ibn
Alathir, t. IV, folio 10 verso, Aboulféda, Annal.
Moslem., t. III, p. 130, Aboulfaradj, Chronique
syriaque, p. 243; ce fut grâce à l’intervention déployée par Abou-Nasr
Ahmed Nacer-Eddaula, fils de Merwan, qui régnait à Amid, à la sollicitation de
Constantin Monomaque, que Libarid dut de recouvrer
Après de
fréquents et honteux démêlés avec Bagrat IV, Libarid, obligé de quitter
[60] Pierre partit pour Constantinople, en 1045, escorté
des nobles de sa maison, au nombre de 300, tous armés, de docteurs, d’évêques,
de moines, de prêtres, dont le nombre s’élevait à 410, montés sur des mulets,
et de 200 domestiques à pied. — Cf. Matthieu d’Édesse, Chronique, tr. franç., chap. LXXIV.
[61] On peut lire dans Matthieu d’Édesse, loc. laud, et dans Guiragos qui le
lui a emprunté, p. 52, le récit de la première visite de Pierre à Monomaque,
visite dans laquelle celui-ci le fit asseoir sur un siége d’or d’une valeur
considérable qu’il lui abandonna en présent à la sortie du palais.
[62] Sénék’érim était mort en 1029, laissant pour lui
succéder son fils aîné David qui occupa le trône jusqu’en 1037, époque à
laquelle étant mort lui-même, la couronne passa à Adom, son frère cadet.
[63] Tchamitch dit que ce fut à l’intervention réunie de
Kakig et d’Adom, et sous la garantie de ce dernier, que Pierre obtint de sortir
de Constantinople. — Cf. Hist. d’Arm., t. II, p. 945.
[64] Le même historien prétend, p. 903, que ce monastère
fut bâti par Sénék’érim lui-même pour recevoir le fragment de la vraie croix
célèbre parmi les Arméniens sous le nom de croix de Varak, aujourd’hui Yédi Kilissé, dans le Vasbouragan, du
lieu où elle avait été déposée par sainte Hr’iph’simé qui l’avait apportée avec
elle de Rome en Arménie au commencement du ive siècle de l’ère chrétienne, et
retrouvée, à la suite d’une apparition miraculeuse, par un solitaire appelé
Thotig, en 653. — Cf. Vies des saints en arménien, à la date du 26 février. A
la mort de Sénék’érim, ses enfants, fidèles à sa recommandation, la
transportèrent à Varak avec les restes de leur père.
[65] D’après Vartan, Hist. univ., p. 132, Monomaque,
de son côté, fit présent au catholicos de trois villages situés probablement
sur la portion du territoire grec avoisinant Sébaste.
[66] L’exactitude avec laquelle Arisdaguès note la date des
événements survenus de son temps et dont il était le témoin oculaire, nous
oblige à penser avec le P. Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 4030, qu’il
y a en cet endroit une faute de copiste, et qu’au lieu de deux ans il faudrait
lire sept ans.
Guiragos
assigne à Pierre 39 ans de patriarcat, mais sans en fixer ni le commencement ni
la fin (p. 50 et 53); Samuel d’Ani, Chronographie,
édit. Angelo Maï et J. Zohrab, p. 14, et Mathieu d’Édesse, Chronique, trad. franç., chap. LXXXI, prétendent qu’il siégea 42
ans, et placent ensemble sa mort à l’année 507 de l’ère arménienne (
Dans une note relative à
la durée fixée par Matthieu d’Édesse au pontificat de Pierre, M. Éd. Dulaurier
impute à son auteur des erreurs de calcul qui doivent retomber entièrement à la
charge de l’interprète.
[67] C’est-à-dire depuis la fin de l’ère arménienne 490 (
[68] Le catholicos Pierre devait avoir des richesses immenses;
car s’il faut en croire le témoignage de anonyme à qui nous avons déjà emprunté
le récit de sa pompeuse ambassade auprès de l’empereur Basile II, chap. ii,
page 369, note 4, il possédait 500 villages, entretenait dans le palais
patriarcal ou auteur de sa personne un certain nombre de vartabeds, 12 évêques,
60 moines et 500 prêtres séculiers, et son autorité s’étendait sur 500 évêques.
— Cf. Pazmavêb, n° de janvier 1862.
[69] Khatchig II ne dut de recouvrer sa liberté qu’à l’intervention
simultanée de Kakig et des deux fils de Sénék’érim, Adom et Abouçahi qui, de
concert avec les princes arméniens, réunirent un corps de cavalerie à l’aide
duquel ils l’enlevèrent de Constantinople; ceci fait, ils l’élevèrent sur le
siége patriarcal qu’ils transférèrent à Thavplour, district de Dschahan, dans
[70] Ville considérable, anciennement Garouts, sur le
fleuve Akhourian, capitale du royaume de Vanant érigé en 962 par Aschod III,
roi d’Ani, en faveur de Mouschegh’, son frère cadet (voir chap. ii). Le roi de Gars était alors Kakig
fils d’Apas. C’était un marché important qui partageait avec Ardz et Mélitène
le commerce de toute l’Arménie. Elle est appelée à par Constantin
Porphyrogénète, aujourd’hui Gh’ars, chef-lieu du district de même nom. Sa
population actuelle est évaluée deux mille familles. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur l’Arm., t. I, p. 440-411; —
Indjidj, Arm. anc., p. 435-436; Topographie de
[71] La destruction de Gars par les Turcs eut lieu en 1050.
Cf.
Tchamitch, Hist. d’Arm., t. II, p. 956.
[72] Le mont Barkhar, le Paryadres des anciens, s’étend du nord-ouest de la province de
Daïk’ jusqu’à
[73] Le Djaneth formait, suivant le témoignage de Moïse de
Khoren, une portion du district de Khagh’dik’ (Cf. Géographie de Moïse de Khoren, dans ses oeuvres complètes, Venise,
un vol in-8°, 1883, p. 60) et correspondait probablement au pays montagneux
appelé aujourd’hui par les Turcs Djanig.
[74] Les monts Sim s’étendent depuis le lac de Van jusqu’au
Tigre dans la province d’Agh’tzénik’, et séparent l’Arménie des plaines de
[75] Allusion au jeune soldat qui vint annoncer à Héli la
défaite des Israélites par les Philistins, la mort de ses deux fils et la prise
de l’arche du Seigneur. — Cf. Livre des Rois, I, chap. iv. Au lieu de « jeune homme d’Hymen »
[76] Allusion à l’Antéchrist qui, suivant le témoignage de
l’Écriture, doit venir du désert. — Cf. plus particulièrement Apocalypse de
saint Jean, chap. xiii.
[77] District de
[78] District de
[79] Le Dzorokh
ou Djorokh prend sa source dans
les montagnes de Sber, se dirige vers le nord-est en suivant le district de
Khagh’dik’ et
[80] Place très ancienne du district de Khagh’dik’, près
des sources du Djorokh qui traverse
[81] Il y avait, à cette époque, un grand nombre de Francs
des diverses contrées de l’Europe, et principalement des Normands, qui
servaient dans les armées de l’empire en qualité d’auxiliaires.
[82] Apas, père de Kakig, était fils de Mouschegh’, premier
souverain du royaume de Vanant. La dynastie des rois bagratides de Gars ne
compte que trois rois: fondée en 962, ainsi que nous l’avons vu plus haut, elle
s’éteignit en 1064, après avoir duré un siècle, par la cession que Kakig, son
dernier roi, celui-là même dont il est question en ce moment, fit de ses États
à Constantin Ducas dont il reçut en échange Dzamentav, Larissa, Amasia, Comana,
avec une centaine de villages.
[83] District de la province de Douroupéran, limitrophe de
celui de Pacen.
[84] Le Jamahar
ou crécelle est un instrument en bois que l’on agite ou que l’on frappe avec un
maillet pour appeler les fidèles à
[85] Le général turc nommé par Lasdiverdtsi Ordilmêz ou Ortelmits,
suivant la variante donnée au bas de la page 69 du texte, est le même que celui
appelé Koutlournous par
Cédrénus et Kéthelmousch par
Matthieu d’Édesse.
[86] Le soufre est assez abondant en Arménie,
principalement dans les gorges du Macis, et, suivant le témoignage de Moïse de
Khoren il existe des sources de naphte dans les provinces d’Agh’tz et de
Douroupéran. — Cf. Moïse de Khoren, Géographie,
p. 607-608 de ses oeuvres complètes.
[87] Basile, fils d’Aboucab, l’Apocapés des Byzantins, ancien garde de la tente de David le
Curopalate, était du nombre de ces princes de Géorgie qui, séduits par les
promesses fallacieuses du lieutenant de Constantin IX, avaient échangé leurs
principautés contre les dignités de la cour de Constantinople — Cf. ch. v.
[88] Ce lac est plus connu sous le nom de lac de Van par
lequel les Arméniens l’appellent habituellement de celui de l’antique ville de
Van située sur sa rive orientale. C’est le plus grand des lacs d’Arménie. Son
nom de Pèznounik’ lui vient de Paz, fils de Manavaz, à qui les bords avaient
été donnés en partage. On le désigne encore par la dénomination de mer d’Agh’thamar, du nom de l’une des
quatre îles qui s’élèvent à sa surface; de mer salée, de la saveur de ses eaux;
lac de Reschdounik’, du nom d’un
district situé au
[89] Aujourd’hui Ardzgué n’est plus qu’un village sur le bord
du lac dont les envahissements ont fait disparaître une grande partie de la
ville antique avec sa forteresse. — Cf. le R. P. Alischan, Topog. de
[90] On peut comparer avec le récit de notre auteur celui
non moins intéressant que Matthieu d’Édesse nous a laissé de ce mémorable
siége. - Chronique, trad. franç.,
chap. LXXVIII.
[91] Parmi les femmes qui formaient la société habituelle
et de prédilection de Monomaque, les historiens byzantins citent une jeune
veuve du nom de Skléréna, fille de Romain Skléros, et petite fille de Bardas
Skléros, et, un peu plus tard, une jeune fille nommée Alana. Monomaque
entretenait publiquement avec ces femmes un commerce criminel et dépensa pour
elles des sommes immenses.
[92] Constantin Monomaque mourut le 1er septembre
après un règne de treize ans et sept mois, selon Georges Codinus; le
[93] Nous avons vu, chap. vi, note 2, cahier de juillet, p.
55 que, sous la dénomination commune de Dadjigs, les anciens auteurs arméniens
comprenaient tous les peuples nomades. On ne sera donc pas étonné de voir
Ansdagués l’appliquer ici aux Turcs, après l’avoir appropriée auparavant aux
Arabes.
[94] Ville principale de la province d’Artsakh, dommée Guendjeh par les Perses, Gaza, Gazaca, Gazacon,
Kantzacon et Kantzakion par les Grecs. On l’appelle
quelquefois Kantzag des Agh’ouans,
pour la distinguer de Kantzag de l’Aderbadagan
ou Tauris. Cette ville fut
possédée par la famille des Beni-Scheddad dont était Aboul’ Séwar, jusqu’en
1088, époque où elle fut prise par Bouzân, général du sultan de Perse
Melik-Schah. (Tchamitch, Hist. d’Arm., t. III, p. 13; Hist., de
[95] Aaron Vestès, ce même gouverneur du Vasbouragan dont
il a été parlé plus haut.
[96] Ville considérable du district de Péznounik’, province
de Douroupéran, sur le lac de Van, au nord-ouest. Khelath est aussi le nom sous
lequel les Arabes la désignent. (Cf. Géogr.
d’Aboulféda, trad. franç., t. II, 1ère partie, p. 52). Séduit
par son importance, Lasdiverdtsi en a fait le nom district même. A l’époque où
nous place notre auteur, Khelath appartenait à la puissante famille de
Merwanides. — Cf. Saint-Martin, Mém. sur
l’Arm., t. I, p 103; Indjidj, Arm.
anc., p. 121-122.
[97] Village situé sur l’Euphrate méridional, appelé par
les Arméniens Aradzani de qui il tire son nom, Arsamas par Pline et aujourd’hui Mourad-tchaï.
[98] Le royaume de Schirag dont la dernière capitale fut
Ani; le royaume de Vanant avec Gars pour capitale, le royaume de l’Agh’ouanie
arménienne dont les souverains résidaient à Loré, ville du district de Daschir,
dans la province de Koukark’, et le royaume de Vasbouragan dont la capitale
était Van.
[99] L’auteur veut parler sans doute du curopalatat de Daïk’,
que David, son titulaire, illustra par tant de gloire et de conquêtes, ainsi
que nous l’avons vu au chapitre Ier.
[100] Les possessions des Grecs en Arménie, à l’époque où
nous place Lasdiverdtsi, ne comprenaient que la partie occidentale de ce pays;
elles étaient limitées, au nord et à l’est, par les petits royaumes dont nous
venons de parler, et, du côté de
[101] L’Évangile fut prêché en Arménie, dès le commencement
de l’ère chrétienne, par les apôtres Barthélemy et Thaddée. Barthélemy
évangélisa le pays de Kogh’th et toute la portion orientale de l’Arménie.
Thaddée, envoyé à Édesse par saint Thomas, convertit toute
[102] Théodora mourut vers la fin d’août 1056, après avoir
régné un an et sept mois environ. Michel Stratiotique, qu’elle avait associé à
l’empire trois jours auparavant, lui succéda le même jour. — Cf. Georg.
Codinus, De antiq. constantinop., p. 157.
[103] Nous avons vainement cherché dans les auteurs
byzantins quelles étaient les fonctions héréditaires remplies par Michel, qui
le plaçaient au rang des grands officiers de la cour de Constantinople. Par
contre, un historien étranger, Michel le Syrien, prétend qu’il était fabricant
de cuillers et qu’il vivait de la vente des produits de son art. — Cf. Michel
le Syrien, manuscrit arménien de
[104] Des trois formes d’indictions en usage chez les Grecs,
les Arméniens n’ont adopté que celle qui s’ouvre avec le 1er septembre. Thomas
Ardzrouni et, Arisdaguès Lasdiverd sont, parmi eux, les seuls écrivains qui s’en
soient servis.
[105] Forteresse du district de Darôn appelée aussi Ëgh’noud.
[106] Catacalôn le Brûlé, qui gouvernait, alors pour l’empereur,
en qualité de préfet d’Ani et de l’Ibérie.
[107] Les historiens arméniens divisent;
[108] Cette ville est nommée Hadar par Mekhitar abbé, qui la
place sur la rive gauche de l’Euphrate, un peu à l’ouest de Hantzith, dans