Texte mis en page par Marc Szwajcer
NOTICE SUR LA CHRONIQUE DE J. PROCHYTAL’exact et judicieux Giovanni Villani nous a laissé dans ses Chroniques un récit court, mais animé, de la conspiration entreprise en 1282 par J. de Procida, pour soustraire sa patrie à la domination de Charles d’Anjou et des Français. Presque contemporain de ce terrible drame, puisqu’il est mort en 1346, il a dû puiser ses renseignements et dans les attestations de quelques témoins, et dans les récits qui en ont sans doute été écrits à ce moment. Le savant Sicilien Rosario Gregorio, voulant compléter autant que possible sa Bibliothèque historique de Sicile sous les rois d’Aragon, et étonné de voir que ni Barthélemi de Neocastro, ni Nicolas Specialis, ni le chroniqueur anonyme publié par Martenne, ne disaient un seul mot de l’entreprise de J. Procida, et de ses négociations avec l’empereur Paléologue, avec le pape et avec le roi d’Aragon, parcourut toutes les bibliothèques de Sicile à la recherche d’un monument contemporain, et il parvint enfin à retrouver parmi les manuscrits de P. Carrera, dans la bibliothèque publique de Palerme, une chronique en ancienne langue sicilienne, uniquement relative à ce grand événement. NOTICE SUR LA CONSPIRATION DE J. PROCHYTALa narration de ce chroniqueur anonyme et simple et
franche ; son dialecte sicilien est élégant et par, et ses assertions reçoivent
une nouvelle autorité de sa connaissance exacte des hommes et des lieux. La
comparaison qu’on fera de son récit avec celui de Ramon Muntaner et avec
celui de Bernard d’Esclot donnera une nouvelle force au témoignage de l’un et
de l’autre. Quelques lettres des papes, rapportées dans la collection de
Martenne, et la fidélité avec laquelle Villani semble l’avoir suivi pas à
pas, achèvent de prouver toute la valeur de cet antique monument littéraire. L’abbé Francesco Paolo Filocamo, dans une Histoire des
Vêpres siciliennes publiée à Palerme en 1821, a cherché à disculper ses
compatriotes du massacre général qu’ils firent alors des Français leurs
oppresseurs. Il n’avait besoin, pour motiver la nécessité d’un soulèvement,
que de rapporter les fragments suivants de deux lettres de Clément IV. La
première est tirée du Trésor des anecdotes de Martenne. « Si ton royaume, écrivait Clément à Charles d’Anjou,
est cruellement spolié par tes ministres, c’est à toi seul qu’on doit s’en
prendre, puisque tu as conféré tous tes emplois à des brigands et à des
assassins qui commettent dans tes Etats des actions dont Dieu ne peut supporter
la vue ... Ces hommes infâmes ne craignent pas de se souiller par des viols,
des adultères, d’injustes exactions et toutes sortes de brigandages. Tu
cherches à m’attendrir sur ta pauvreté ; mais comment puis-je y croire? Eh
quoi ! Tu ne peux ou tu ne sais pas vivre
avec les revenus d’un royaume dont l’abondance fournissait à un souverain tel
que Frédéric, déjà empereur des Romains, de quoi satisfaire à des dépenses,
plus grandes que les tiennes, et de quoi rassasier l’avidité de la Lombardie,
de la Toscane, des deux Marches et de l’Allemagne entière, et qui lui donnait
en outre de quoi accumuler d’immenses richesses. » L’autre lettre de Clément IV est tirée de Rainaldus ; elle
est datée de Viterbe, 5 mai, quatrième année de son pontificat : « Je ne sais, lui dit-il, comment et pourquoi je t’écris encore comme à un roi, puisque tu ne prends aucun soin de ton royaume, qui se trouve aujourd’hui sans chef, et ravagé par les Sarrasins ou par de perfides ennemis. Après avoir été appauvri par tes brigands de ministres, le voilà, aujourd’hui dévoré par tes ennemis... Si les défenseurs manquent, les spoliateurs ne manquent pas. Si tu perds ce royaume parla faute, ne te flatte pas que l’Eglise s’expose à de nouveaux travaux et à de nouvelles dépenses pour te le faire ravoir. Tu pourras alors retourner dans ton comté héréditaire, et, flatté, de l’inutile nom de roi, y attendre les événements. Peut-être comptes-tu sur ton courage et espères-tu que Dieu fera miraculeusement pour toi ce que tu devrais faire toi-même ; ou peut-être te fies-tu à la prudence que tu crois posséder, et dont tu préfères les suggestions aux conseils de tout le monde ? J’étais déterminé à ne plus t’écrire sur ces affaires ; si jeté donne ces derniers avis, ce n’est que sur les instances de notre vénérable frère Raoul, évêque d’Albe. » J.-A. C. Buchon CHRONIQUEEn l’an mil deux cent soixante et dix-neuf de l’incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, le roi Charles avait commencé une grande guerre avec l’empereur Paléologue de Romanie, et pour cette guerre ledit roi Charles avait fait faire plusieurs grosses nefs et galères afin de passer à Constantinople avec toutes ses forces ; et sur cela il avait invité beaucoup de bonnes gens de France, de Provence et d’Italie, à lui faire compagnie dans ce passage, pour pouvoir vaincre le Paléologue et tout son empire de Romanie. Messire Jean de Prochyta, qui était alors en Sicile, pensa de quelle manière il pourrait troubler l’expédition qu’avait faite le roi Charles contre le Paléologue, et comment on pourrait détruire et faire mourir le roi Charles, faire révolter la Sicile et tuer tous ses gens. Il conçut donc le dessein d’aller en Romanie, vers le Paléologue, pour s’entendre avec lui, afin que les intentions du roi Charles fussent frustrées. Et incontinent Messire Jean partit et alla à Constantinople vers l’empereur Paléologue. Quand messire Jean fut arrivé à Constantinople, il envoya chercher deux chevaliers du royaume, qui étaient rebelles au roi Charles et étaient à la cour de l’empereur de Constantinople, et secrètement leur parla ; et il leur conta comment il était venu à Constantinople. « Puisque je suis chassé de mes possessions et de Sicile, et que je vais cherchant aventure, je vous prie chèrement qu’il vous plaise me mettre dans les bonnes grâces de l’empereur, et que je sois de sa maison. Mettez-moi, je vous prie, fort en avant, et dites-lui quel homme d’importance je suis, combien je suis grand en honneurs et lui suis un homme nécessaire, et comment mes sages conseils pourront lui profiter dans ses besoins. » Les chevaliers, entendant ces paroles, furent très contents et dirent que volontiers ils feraient son ambassade ! C’est pourquoi les chevaliers se mirent en route, et allèrent vers le Paléologue, et lui dirent : « Seigneur, nous vous apportons de bonnes nouvelles, qui nous viennent du royaume de Sicile, et du plus habile médecin qui soit au monde ; il est venu pour rester auprès de vous dans votre cour ; c’est un homme fort savant, et vous aurez en lui un conseiller très expérimenté ; car il connaît fort bien les affaires du roi Charles, sa puissance et celle de ses barons. » Quand l’empereur entendit cette nouvelle, il fut très content, et ordonna qu’on l’amenât devant lui ; car l’empereur voulait le voir. Aussitôt les chevaliers partirent et amenèrent messire Jean devant l’empereur. Et quand messire Jean fut devant lui, il lui fit les révérences qu’il convient de faire à tout empereur ; et l’empereur le reçut avec grâce, et le créa son maître conseiller général. Et ainsi resta messire Jean trois mois à la cour, et il recevait de grands honneurs des Grecs et des Latins, Messire Jean étant dans cette situation dit un jour au
Paléologue : « Seigneur, pour Dieu, je vous prie, ordonnez un lieu secret
pour que nous puissions parler librement ensemble, et que nos paroles ne
soient entendues de personne. » Et l’empereur lui dit : « Que voulez-vous me
dire de si secret? » Et il répondit : « La plus grande affaire que vous ayez
dans ce monde. » Et incontinent ils montèrent sur une haute tour du palais
dans lequel logeaient
tous les secrétaires de l’empereur. En entrant l’empereur dit : « Messire Jean, je vous dis et
sachez que nous sommes en un lieu fort secret. » Messire Jean dit alors : «
Qui que ce soit qui te tienne pour un homme sage et prudent, moi je te tiens
pour le plus vil et le plus fou des hommes, et semblable à une bête qui ne se
remue si elle n’est piquée par l’aiguillon. Et je te dis ceci parce qu’il y a
trois mois que je suis à ta cour, et que j’ai entendu parler de ton état
périlleux, c’est-à-dire de la mort qui te menace, et toi tu es si fou et si
insensé que tu ne penses pas à prendre abri et défense contre les dangers. Le
roi Charles vient t’enlever ta couronne, et te tuer, toi et toute ta famille,
et il vient avec celui-là même auquel appartient de droit la couronne, c’est-à-dire
le fils de l’empereur Baudouin,[1] et il vient
contre toi avec tous les croisés chrétiens, et avec cent galères armées, et
avec vingt grosses nefs et dix mille cavaliers bien équipés, et avec quarante
comtes, tous avec leurs troupes pour conquérir tout ton royaume. » L’empereur entendant ces paroles que lui avait dites messire Jean commença à pleurer fortement et dit : « O messire Jean, que voulez-vous? Je suis et vis comme un homme désespéré. J’ai déjà voulu plusieurs fois m’arranger avec le roi Charles, et jamais je n’ai pu trouver d’aucune manière à m’accorder avec lui. Je me suis mis au pouvoir de la sainte Eglise de Rome et des cardinaux, dans les mains du roi de France, et du roi d’Angleterre, et du roi d’Espagne, et du roi d’Aragon, et chacun me répond, aux lettres que je lui envoie : qu’il craint de mourir, seulement d’en parler, tant est grande la puissance de ce roi Charles. C’est pourquoi je n’attends ni conseil ni secours des hommes ; j’espère que Dieu m’aidera, puisque je ne trouve dans les chrétiens ni aide ni conseil. » Et messire Jean lui répondit et dit : « Alors, celui qui
te délivrerait de toutes ces fureurs, et de cette mort et de ce tourment, le
regarderais-tu comme digne de quelque récompense? « Et l’empereur lui répondit
: « Il mériterait tout ce que je pourrais faire. Mais qui serait assez hardi
pour penser à moi de sa bonne et agréable volonté, et faire la guerre pour
moi contre la puissance du roi Charles de France. » Et messire Jean dit : « Ce sera moi, si
tu veux, qui détruirai le roi Charles, en joignant ton aide avec mon conseil
; et je verrai ce qu’il te faut et ce qui est à faire. C’est pourquoi, qu’il
te plaise m’écouter, moi et quelques autres de ses sujets rebelles, et nous
nous vengerons bien de notre injure ; et tu rempliras tes intentions ; et ton
ennemi ne pourra plus te nuire ni te soumettre, s’il plaît à Dieu. » Alors l’empereur lui dit : « De quelle manière pourrez-vous faire cela?» Et messire Jean lui dit : « Je ne vous le dirai jamais, à moins que vous ne me promettiez cent mille onces, avec lesquelles je ferai venir quelqu’un qui prendra la terre de Sicile au roi Charles et lui donnera tant à faire qu’il ne saura jamais de quelle manière se débarrasser de lui. » L’empereur entendant ces paroles fut très content et dit : « Messire Jean, prenez tous mes trésors, et faites tout ce qu’il vous plaira, et faites que ce soit aussi tôt que possible. » Et messire Jean répondit en disant : « Seigneur empereur, jurez-moi de me donner créance, et signez-moi la lettre de ce que vous m’avez promis. Je partirai ainsi, et chercherai à mettre à fin ce que je vous ai promis le plus tôt possible. » L’empereur fit serment à messire Jean, et ils sortirent de cette chambre, et messire Jean dit à l’empereur : « Seigneur, je veux partir de chez vous de cette manière, c’est-à-dire que vous me fassiez bannir et que vous m’appeliez traître devant tout le monde, et surtout devant mes amis les Latins ; et je leur dirai comme quoi je vous ai offensé, et pourquoi je m’enfuis à cette occasion. Et je veux tenir cette voie et agir de cette manière, afin que d’autres gens ne connaissent pas notre secret. » Ils se séparèrent ainsi l’un de l’autre avec grand contentement et satisfaction. Messire Jean de Prochyta partit cette année même de
Constantinople, et alla en Sicile déguisé en frère mineur, et il parla avec
messire Palmieri Abbate, messire Alaimo de Lentini et autres barons de
Sicile, disant à ces nobles hommes : « O misérables ! Vendus comme des
chiens, maltraités du sort et des hommes, votre courage est glacé. Ne vous
soulèverez-vous donc jamais, mais serez-vous toujours esclaves, quand vous
pouvez être seigneurs en vengeant vos injures et votre honte ? » Et alors
tous ensemble commencèrent à pleurer en disant : « Oh ! Messire Jean, comment
pouvons-nous faire autrement, nous qui sommes soumis à des maîtres puissants comme jamais il
n’y en eut au monde? Il nous semble que d’aucune manière nous ne pourrons
sortir de l’esclavage. » Et messire Jean répondit : « Je puis vous délivrer
aisément, moi, pourvu que vous vouliez tenir et faire ce que nos amis et moi
vous dirons, et que vous vouliez avoir confiance en ce qui est ordonné. » Et
ces seigneurs ci-dessus nommés répondirent : « Nous sommes prêts à vous
suivre jusqu’à la mort. » Alors messire Jean dit : « Il vous conviendra de faire révolter toute la terre de Sicile au moment ordonné par le Seigneur, et Sa Sainte Seigneurie vous récompensera. Et messire Gualteri de Calatagirone dit : « Comment ce que vous dites peut-il être? Ne pensez-vous pas que nous avons pour maître le plus puissant seigneur qui aujourd’hui soit dans la chrétienté? Ainsi vos paroles et vos conseils me semblent vains. » Lorsque messire Jean entendit les paroles de ces nobles hommes, il leur répondit et leur dit : « Croyez-vous que je me fusse mis à faire une si grande entreprise sans avoir d’abord pensé à ce qu’il convenait de faire et comment cela devrait être fait? C’est pourquoi vous n’avez pas d’autre chose à faire qu’à attendre avec confiance ; car dans moins d’un an vous verrez ce que je vous dis mis à exécution. » Incontinent les barons furent d’accord, et jurèrent de croire en messire Jean, et ils firent une lettre ; et chacun la scella de son sceau ; laquelle lettre disait ainsi : « Au magnifique, illustre et puissant seigneur roi d’Aragon
et comte de Barcelone. Avec tout votre pouvoir et seigneurie, nous nous
recommandons tous à votre grâce. Et d’abord messire Alaimo comte de Lentini ;
puis messire Palmieri Abbate, et messire Gualteri de Calatagirone, et tous
les autres barons de l’île de Sicile, nous vous saluons avec toute révérence,
en vous priant d’avoir pitié de nos personnes. Comme hommes vendus et assujettis
à l’égal des bêtes, nous nous recommandons à votre seigneurie, et à madame
votre épouse, qui est notre maîtresse, et à laquelle nous devons porter
allégeance. Nous vous envoyons prier de daigner nous délivrer, retirer et
arracher des mains de nos ennemis, qui sont aussi les vôtres, de même que
Moïse délivra le peuple des mains de Pharaon, de manière que nous puissions
avoir vos fils pour seigneurs, et nous venger des loups perfides et mal nés,
dévorateurs de ce que tous les jours[2] ... Nous
écrirons, et quand nous ne pourrons pas écrire par nos lettres, croyez
messire Jean, qui est dans notre secret. » Et quand ils eurent scellé les lettres, messire Jean demanda à ces gentilshommes d’ajouter créance à ce qu’il avait ordonné de faire ; et messire Jean montra aux dits nobles les lettres que le Paléologue avait faites, et comment il lui avait promis beaucoup d’argent, et comment l’empereur Paléologue avait juré audit messire Jean créance et assistance dans cette affaire. Et ainsi partit messire Jean avec les lettres et la créance de messire Palmieri, de messire Alaimo, et de messire Gualteri. Dans ce temps commandait et siégeait au Saint-Siège le pape Nicolas III, de la maison des Ursins, de Rome, qui auparavant avait pour nom messire Jean Gaétan, cardinal. Et étant ledit pape dans un castel qui avait pour nom Suriano, messire Jean de Prochyta vint vers le pape et lui dit ainsi : « Saint-Père, je voudrais parler avec vous en un lieu secret. » Et le pape répondit : « Volontiers. » Le pape le connaissait, et il le reçut gracieusement. Cependant messire Jean dit : « O Saint-Père, toi qui maintiens tout ce monde, et dois le gouverner en paix, intéresse-toi à ces malheureux chassés du royaume de Sicile et de Pouilles, qui ne trouvent qui les gouverne ni qui les retienne, car ils sont pires que ne le sont les brutes ; je te prie de les rétablir chez eux, car ils sont bons chrétiens aussi que tous ceux du reste du monde. » Et le pape répondit : « Comment pourrai-je aller contre le roi Charles, notre fils, qui maintient la pompe et l’honneur de l’Eglise de Rome? » Et messire Jean dit : « Je sais que le roi Charles n’obéit à aucun de vos commandements en aucun cas. » Et le pape dit : « Dans quel cas ne m’a-t-il pas voulu obéir? » Et messire Jean dit : « Lorsque vous voulûtes vous allier avec lui et lui donner une femme de votre famille, lui ne voulut pas ; au contraire, il vous dédaigna et déchira vos lettres. Vous devez bien vous en souvenir. » Le pape s’étonna beaucoup lorsqu’il entendit dire ces choses. Et
messire Jean dit : « Comment ! Vous en êtes étonné ! Ceci est connu de toute
la Sicile et du royaume, qu’il ne veut pas obéir à vos commandements ni s’allier
à votre famille, et il vous dédaigne. » Le pape fut fort en colère et dit à messire Jean : « Ce
que vous dites est bien vrai, et je l’en ferai volontiers repentir. » Alors
messire Jean dit : « Il n’est personne au monde qui le puisse faire comme vous.
» Et le pape lui dit : « Comment puis-je le faire? » Et messire Jean répondit
: « Si vous voulez me donner créance, je lui ferai perdre la Sicile et tout
le royaume. « Et le pape répondit : « Comment dites-vous, puisque ces pays
sont de l’Eglise? » Et messire Jean dit : « Je les ferai enlever par un
seigneur qui veut être fidèle à l’Eglise, et qui vous rendra bien votre cens
;[3] et c’est un
seigneur qui volontiers s’alliera à vous et à votre famille, et nous remettra
nous tous à notre place. » Et le pape dit : « Quel sera ce seigneur qui
pourrait faire ainsi et aller contre le roi Charles, et qui aurait tant de
hardiesse, ou qui suffirait à une telle entreprise? » Et messire Jean dit : «
Si vous voulez me donner créance sur votre âme, je vous dirai et montrerai comment
tout ceci peut être ». Et le pape dit : « Sur ma foi ! Je te promets de
le tenir secret. » Et messire Jean dit : « Saint-Père, ce sera le roi d’Aragon. Et cette chose il la fera avec l’argent du Paléologue, si vous voulez y consentir, et avec les forces des Siciliens, lesquels ont juré ensemble de faire cette chose, et c’est moi qui en suis chargé. » Et cependant le pape dit : « Faites ce qu’il vous plaira, mais sans nos lettres. » Et messire Jean répondit : « Ceci ne peut pas être ; mais vous me donnerez vos lettres, que je porterai avec les autres que j’ai, afin que l’on croie à moi. » Et le pape dit : « Je les ferai faire puisque vous le voulez. » Et ils firent les lettres, et il les lui fit sceller, non pas avec la bulle de plomb papale, comme de coutume, mais avec le sceau secret du pape. Et incontinent partit messire Jean de chez le pape, en paix et bonne amitié, et le contenu des lettres disait de cette manière : « Au très chrétien roi, notre fils, Pierre roi d’Aragon, le pape Nicolas III. « Nous te mandons notre bénédiction, avec une sainte recommandation, qui est que, nos fidèles de Sicile étant tyrannisés et non bien gouvernés par le roi Charles, nous te demandons et commandons d’aller et seigneurier pour nous dans l’île de Sicile et sur les Siciliens, en te donnant tout le royaume à prendre et maintenir, comme fils conquérant de la sainte mère l’Eglise romaine. Donne créance à messire Jean de Prochyta, notre confident, et à tout ce qu’il te dira de bouche. Tiens caché le fait, afin qu’on, n’en sache jamais rien. Et pour cela je te prie qu’il te plaise commencer cette entreprise, et ne rien craindre de qui voudra t’offenser. » Or, messire Jean partit avec cette lettre scellée du pape, et il partit pour aller en Catalogne ; et lorsqu’il y arriva, il alla devant le roi d’Aragon, et le roi lui fit beaucoup d’honneurs et le reçut avec joie. Messire Jean demeura un certain temps avec le roi, mais non pas comme un homme connu ; et quand il eut été un certain temps avec lui, le roi le mena à sa campagne à Majorque. Et messire Jean dit au roi : « Je voudrais parler avec vous en un lieu secret de mes grandes créances, lesquelles ne doivent être connues que de Dieu et de nous deux. » Et le roi lui dit : « Dites avec assurance tout ce qu’il vous plaira, et je le tiendrai bien caché. » Et messire Jean répondit : «Vous ne saurez rien de moi tant que vous ne m’aurez pas donné créance avec votre foi et serment. » Et le roi lui jura de lui tenir créance et secret. Et messire Jean lui dit : « Roi Pierre, sachez à présent que si par aventure on savait quelque chose de ce que je vous dirai, ou par paroles ou par fait, vous et votre famille seriez détruits, tant est grand le fait que j’ai à mettre sous vos yeux. » Le roi eut grande peur et dit : « Que me dites-vous là, messire Jean? » Et messire Jean répondit : « J’ai mis un tel ordre à tout que, si vous me tenez créance et foi, je pourrai vous faire seigneur. » Le roi répondit : « Je te promets de te tenir foi et créance, s’il plaît à Dieu. » Et messire Jean dit : « Voudriez-vous vous venger des
offenses qui vous ont été faites dans le temps passé car vous avez reçu plus
de honte que seigneur qui soit dans la chrétienté? Déjà, comme vous savez, le
roi Manfred a laissé le royaume de Sicile à sa fille, qui est votre femme ;
et vous, comme faible et lâche, vous n’avez jamais voulu venir reprendre
votre dot. Vous devriez aussi vous rappeler votre aïeul, que les Français
tuèrent lâchement à Moret en Toulousain.[4] Maintenant vous
pouvez vous indemniser de toutes vos pertes si vous voulez être prévoyant et
hardi. » Le roi répondit : « Comment peut être cette chose que tu veux que je fasse, fou et insensé que tu es? Ne sais-tu pas que la maison de France, et surtout le roi Charles, maîtrise tout le monde? Comment pourrait-il se faire qu’un seigneur de si petit pouvoir que je suis pût lutter avec lui? Mais si tu me montres quelque manière dont je puisse le faire, je le ferai volontiers. » Et messire Jean dit : « Si je vous donnais la terre toute conquise, sans coup férir, ne la prendriez-vous pas? Eh bien ! Je vous donnerai encore de plus cent mille onces d’or pour fournir à toutes les dépenses et à la terre. » Et le roi Pierre d’Aragon répondit : « Comment ferais-tu? Je ne puis croire à cette chose, à moins que tu ne me montres une autre créance. » Incontinent messire Jean tira les lettres du pape, et encore les lettres du Paléologue et celles des barons de Sicile, et les mit dans la main du roi, et le roi les regarda et fut très content, et dit à messire Jean : « Je te rends grâces, mon bon ami, toi qui as cherché une si grande chose pour ton honneur et pour atteindre ton but ; quant à moi j’en profite de la part de Dieu, puisque le saint pape le veut, et je me rends garant pour lui que ce qu’il promet il peut le faire, et que dans aucune occasion ses promesses ne manqueront d’effet. Et je promets, moi, Pierre d’Aragon, et te jure foi et créance. Qu’il t’en souvienne toujours ! Fais que cette entreprise vienne à bonne fin, et je ferai ce qu’il te plaît, et je prendrai le fait et la charge sur moi. » Et messire Jean dit : « Apprête secrètement cela pour mon
retour, et j’irai cependant vers le pape et vers le Paléologue et les
Siciliens, et en revenant je rapporterai beaucoup d’argent pour fournir aux
dépenses de ton entreprise, et je te dévoilerai tous les secrets de l’affaire.
Mais, comme tu as
accepté cette entreprise, ne la fais connaître à personne dans aucune
occasion, ni pour la mort ni pour la vie, car le péril serait trop grand. » Messire Jean et le roi d’Aragon ayant parlé de toutes ces
choses, comme vous avez entendu, messire Jean partit avec le roi de Majorque
pour aller en Catalogue ; et l’un prit congé de l’autre et convint du moyen
qu’il fallait employer pour s’entendre sur cette affaire jusqu’à son retour,
car il avait à s’arranger avec Paléologue, avec les Siciliens et avec le
Saint-Père, le pape Nicolas III. Et ainsi ils se quittèrent l’un et l’autre,
et il s’en alla par mer et le roi d’Aragon demeura à Barcelone. Messire Jean
vint donc de là par mer jusqu’à Pise et chevaucha secrètement jusqu’à Viterbe
; et dans ce lieu il trouva le pape. Et quand le pape le vit il lui fit de
grands honneurs et fut très content, et lui dit : « O messire Jean ! Comment
avez-vous arrangé toutes ces choses avec le roi d’Aragon? » Et messire Jean répondit
: « Saint-Père, j’ai fait complètement toute votre intention. Le roi d’Aragon
a reçu à votre commandement la seigneurie. Et il se recommande beaucoup à
votre sainte bénédiction, et vous envoie ces lettres, afin que le fait soit
bien caché, et tel qu’il ait une bonne fin telle que nous le désirions. » Et
le pape demanda à messire Jean : « Que vous semble du roi d’Aragon? » Et
messire Jean répondit : « Sachez qu’il est le plus sage homme et le plus
prudent chevalier qui soit aujourd’hui dans la chrétienté. » Et le pape dit :
« Un tel homme me plaît bien, car il nous est fort nécessaire dans cette
entreprise. Les Siciliens ont encore besoin de lui. C’est pourquoi va-t-en en
Sicile et dis leur, de ma part et de celle du Paléologue, qu’ils s’empressent
de sortir des mains du roi Charles et de sa seigneurie sur ma parole, et je
les aiderai secrètement ; et dis-leur que bientôt ils auront un bon maître, s’il
plaît à Dieu. » Messire Jean partit à l’instant de chez le pape et s’en alla ; et au lieu où il trouva un vaisseau de Pise, monta à bord, et il vint ainsi à Trapani, alla trouver aussitôt Palmieri Abbate, et manda tous les autres barons de Sicile. Ils vinrent tous à Trapani, et messire Jean leur raconta comment le pape avait concédé et donné la seigneurie de Sicile au roi Pierre d’Aragon, et comment ledit roi Pierre l’avait volontiers acceptée, et avec joie, et comment il avait juré la mort de l’ennemi. « C’est pourquoi il vous envoie dire de tenir caché ce fait jusqu’à mon retour et jusqu’à ce que j’aie bien disposé tout ce que j’ai à faire ; car je veux aller jusque chez le Paléologue pour lui raconter ce qui a été fait et comme cela est fait, et pour apporter l’argent afin de commencer la guerre. Et nous ferons une armée grande et considérable, et nous ferons tout le bien possible, s’il plaît à Dieu. Je vous prie, pour l’honneur de Dieu, que vous teniez le tout caché, attendu que le moment est venu où vous serez délivrés de l’esclavage et de vos ennemis, et où nous nous vengerons de toutes nos hontes et déplaisirs. » Et ensuite il prit congé de messire Palmieri Abbate, et il s’embarqua à Trapani avec une galère de Venise, et on le mit sur la terre de Romanie, dans un lieu nommé Nègrepont ; et puis il s’en alla à Constantinople, vêtu à la façon des frères mineurs, afin de marcher en secret et de ne pas être reconnu. Lorsqu’il fut arrivé à Constantinople, il se présenta à l’empereur Paléologue, et lui dit dans un lieu secret : « Seigneur, réjouis-toi, à présent que tes intentions sont remplies, puisque le pape a consenti à la mort et à la destruction du roi Charles, avec ton secours et avec celui des Siciliens et de nos amis, dont le roi Pierre d’Aragon s’est donné à moi pour seigneur et capitaine. C’est lui qui est à la tête de la guerre, et il a juré compagnie avec toi à la vie et à la mort ; et il aura pour amis tes amis et pour ennemis tes ennemis. Tu vois donc que tout ce que je t’ai promis avec les lettres des barons du Sicile et du pape a été fait ; voilà maintenant ce que nous avons arrangé : En l’année 1282, la Sicile se révoltera contre le roi Charles ; tous les Français seront massacrés, et nous leur prendrons toutes leurs galères et vaisseaux, et tous les autres bâtiments, et tous les autres appareils qui doivent venir contre toi ; toutes leurs intentions seront frustrées, parce, que le roi Charles aura tant à faire de ce côté-là qu’il né pourra rien faire ici. » Lorsque le Paléologue vit toutes les lettres scellées il
dit : « Je suis prêt à dire et à faire tout ce qu’il te plaît ; tu as fait
une chose que jamais homme du monde n’aurait pu faire, et il semble que Dieu
t’ait donné la volonté et le pouvoir. » Et messire Jean dit : « A
présent, donnez-moi
trente mille onces d’or pour faire apprêter une flotte, des soldats et des
cavaliers. Je vous prie aussi que vous me donniez un de vos amis particuliers
et véritables qui vienne avec moi en Catalogne pour y distribuer cet argent
au roi d’Aragon. —Je voudrais, dit le Paléologue, faire alliance avec lui et
donner une fille à moi à son fils, de manière qu’il y eût plus de foi et de
fermeté dans notre fait. » Et messire Jean dit : « A moi il me semble bien
que cette chose peut se faire et que le roi d’Aragon la fera volontiers ; c’est
pourquoi je te prie que tout ce que je demande soit fait sans délai, parce
que je ne puis rester longtemps dans cette contrée. Je voudrais donc quelqu’un
de connu qui vînt avec moi de ta part. » Et l’empereur incontinent fit peser l’or, et le fit mettre sur une galère, où s’embarqua messire Jean, laquelle galère était génoise ; et il le fit conduire à Barcelone avec un chevalier de l’empereur qui était un messager secret, qui s’appelait messire Accardo, Latin né dans la plaine de Lombardie et qui était un chevalier prudent, sage et vaillant. Et messire Jean, venant par mer pour aller en Sicile, il rencontra un vaisseau de Pise ; il lui demanda des nouvelles d’Italie, et ceux du vaisseau répondirent que le pape Nicolas III était mort et qu’ils n’avaient pas d’autre nouvelle. Messire Jean dit : « Allez avec Dieu ! » Et il feignit de ne faire aucun cas de cette nouvelle, et il fit en sorte que messire Accardo ne s’en aperçût pas ; mais il se conforta en lui-même et alla en Sicile. Il arriva à Trapani, et parla avec messire Palmieri Abbate et les autres barons de Sicile, et convint de se réunir avec eux dans l’île de Malte pour conférer ; et quand ils furent tous assemblés, ils firent grande fête et grands honneurs à l’ambassadeur de l’empereur Paléologue, lequel s’appelait Accardo. Et messire Jean de Prochyta dit comment l’empereur de Constantinople avait juré faire compagnie avec le roi d’Aragon, « et avec vous, ajouta-t-il, seigneurs et barons de Sicile. » Il dit aussi comment il avait beaucoup d’argent pour commencer l’affaire. Ensuite se leva messire Alaimo de Lentini, qui dit : « Messire Jean, nous remercions beaucoup le seigneur empereur et vous de tant de fatigues que vous avez souffertes nuit et jour pour nous retirer et faire sortir de la servitude de nos ennemis ; mais sachez que dernièrement il est arrivé un contretemps qui est très mauvais pour notre entreprise ; c’est la mort du Saint-Père le pape Nicolas, qui était à la tête de toute cette entreprise, et sous le nom duquel on pouvait tout faire. Mais, puisqu’il est mort, il ne me plaît pas que l’affaire aille plus loin ; je désire au contraire que ce qui a été fait se tienne bien caché ; car il ne semble pas que Dieu veuille que cela se fasse, à en juger par le signe qui nous a été donné, par cette mort du pape. Et pour cela il me semble que nous devons attendre pour voir qui sera élu pape ; et si c’était par aventure un ami du seigneur qui est notre ami, alors nous verrions s’il faudrait agir. Et ceci me semble être le meilleur conseil. » Et, à ces paroles, tous les barons de Sicile l’approuvèrent et semblaient devoir se désister de leur entreprise, effrayés qu’ils étaient de la mort du pape. Et lorsque messire Jean entendit ces paroles, la colère se montra sur son visage, et il dit : « Seigneurs, je suis étonné de ce que vous dites. Il est vrai que le pape est mort, mais sa mort est-elle une chose qui soit si contraire à notre affaire? On ne peut pas laisser cette entreprise déjà commencée, et qui est si grande, pour une telle raison. Si le pape qui sera élu est notre ami, soyons convaincus que l’Eglise de Rome pardonne à tous les pécheurs ; et si ce n’est pas celui que nous croyons, nous enlèverons la terre par force, malgré le pape et l’Eglise de Rome, parce que les forces de l’empereur Frédéric sont plus grandes que celles du roi Charles, et il vous soutiendra si vous voulez être loyaux et bons ; d’où je vous dis et prie d’être loyaux au seigneur auquel vous avez donné votre foi et qui procède vaillamment dans son entreprise. » Telles furent les paroles de messire Jean, avec ses véritables raisons, et tout fut arrangé ; tous dirent qu’il fallait envoyer à la cour du roi d’Aragon pour savoir sa volonté. Et messire Jean dit : « Je veux y aller. » Et messire Accardo voulait voir distribuer l’argent qu’il avait eu de l’empereur, afin d’approvisionner les soldats et la flotte et mettre tout à fin. Or messire Jean et messire Accardo partirent, et
arrivèrent à Barcelone sous le costume de frères mineurs, et allèrent devant
le roi d’Aragon. Et quand le roi les vit il fut très content,[5] et il prit
messire Jean par la main et le mena dans sa chambre, et il fit avec lui de
grandes lamentations sur la mort du pape, et dit : « Notre projet est bien
détruit, puisque notre chef, c’est-à-dire le pape, est mort ; et on ne peut
plus parler de cette affaire ni persévérer dans cette entreprise. » Et
messire Jean répondit : « Ne dites rien de cette chose, car nous avons
espérance d’avoir un aussi bon pape, qui sera notre ami. Ne craignez donc
rien ; occupez-vous plus vivement de cette affaire que jamais ; souvenons-nous
de nos amis de Sicile et ne craignons rien de la mort du pape. La manière de
voir de mes amis de Sicile est telle. Et sachez que ce compagnon mien est un
chevalier qu’envoie le seigneur Paléologue, et qui s’appelle messire Accardo,
Latin, homme sage. Je vous prie, faites-lui de grands honneurs et écoutez ce
qu’il vous dira, et sachez que nous avons apporté trente mille onces d’or
afin d’appareiller la flotte. » Et quand le roi eut entendu ces paroles, il fut tout
encouragé et dit : « Je vois qu’il plaît à Dieu que cette chose soit ;
maintenant que ce soit comme tu voudras. » Et messire Jean dit : « Seigneur,
ce chevalier qui est avec moi est chevalier de l’empereur de Constantinople
et est son ambassadeur. » Alors il sortit de la chambre ; et messire Accardo
le salua de la part de l’empereur, en disant que l’empereur avait grande
envie de le voir et de s’allier à lui et à sa famille ; et puis il lui
présenta l’argent et dit comment l’un se recommandait à l’autre. Et tous les
trois étant ensemble, ils parlèrent sur tout le fait et sur l’époque à
laquelle il devait être mis à fin ; et ce fut au temps de l’an 1282. Il vint
un messager de la cour de Rome qui dit qu’on avait fait et nommé pape un
cardinal qui se nommait messire Simon de Brion,[6] de France, et
puis on lui donna le nom de pape Martin IV. Et quand ils eurent entendu ceci,
ils dirent : « Il y a beaucoup à dire et à penser, car on a fait pape un
Français, ami du roi Charles, et cela pourrait donner de grandes difficultés
à notre entreprise. » Alors le roi d’Aragon dit : « O messire Jean ! Pour
Dieu pensons à ce qu’il faut préparer sur ce fait. » Et messire Jean dit : « Le
meilleur ami qu’eût le roi Charles à la cour est ce pape ; mais, cependant,
faisons nos préparatifs et nous verrons ce qu’il y aura à faire. Nous
penserons à ce qu’il faudra faire là-dessus, mais ne nous laissons pas persuader
d’abandonner cette entreprise. » Et, étant ensemble, ils s’entendirent sur le commencement de l’armement. Et au mois d’avril il arriva un ambassadeur du roi de France qui alla devant le roi d’Aragon et lui dit : « Le roi de France vous envoie des salutations pour la bonne amitié qu’il vous porte, et il m’a envoyé vers vous parce qu’il a entendu que vous faites un grand armement et équipement d’une flotte pour aller sur les Sarrasins, et pour cela il peut vous être fort utile et de sa personne et de tous ses trésors ; et il vous prie de lui dire, pour l’amour de lui, et de lui signifier par vos lettres et par votre message sur quelle partie sera votre passage, et sur quelle secte de Sarrasins, et si vous avez besoin d’argent, car, peut-être, de cette matière vous n’êtes pas très bien fourni ; faites-le-lui savoir, et il vous en prêtera avec plaisir tant qu’il vous en faudra. » Le roi d’Aragon répondit : « Je remercie beaucoup votre seigneur, le roi de France, de cette belle offre que, dans sa bonté, il fait à mes besoins. Je n’ai pas besoin de parler par lettres avec lui ; il sait bien qu’il est mon beau-frère. Il suffit que je parle avec un chevalier comme vous et il se fiera bien à vos paroles : je vous le dirai donc bien de bouche. Or, dites au roi de France, de ma part, que c’est une chose vraie que je fais un armement contre les Sarrasins ; mais je ne dirai à personne quand il partira. Je crois cependant qu’il le saura bientôt et que tout le monde en parlera. » L’ambassadeur partit avec cette réponse et retourna vers
le roi de France ; et celui-ci, parlant avec son messager et ayant eu la
réponse, manda incontinent à Paris, où étaient ses trésors, et ordonna qu’il
fût envoyé au roi d’Aragon quarante mille livres tournois ; et cela fut fait.
Et incontinent le roi de France envoya un ambassadeur au roi Charles, en lui
faisant dire les nouvelles qu’il avait eues du roi d’Aragon, et comment il disait qu’il irait
sur les Sarrasins avec de grandes forces, et ne voulait pas dire sur quel
côté il se portait. « C’est pourquoi, ajoutait-il, je vous envoie prier « d’avoir
soin de votre terre, c’est-à-dire de votre royaume, et de prendre conseil du
Saint-Père. » L’ambassadeur se mit en chemin pour aller en Pouilles, et quand il fut à Viterbe il y trouva le roi Charles et le pape ensemble, et il leur conta toute l’ambassade que lui avait confiée son seigneur le roi de France ; et lorsque le roi Charles entendit ces paroles, il alla vers le pape et lui dit : « Saint-Père, il m’est arrivé un ambassadeur du roi de France qui m’apporte des nouvelles comment le roi d’Aragon fait une grande armée de mer et ne veut pas dire où il veut aller ; c’est un grand félon. Je vous prie donc de lui envoyer demander dans quelle partie il prétend aller : si c’est sur les Sarrasins, promettez-lui de lui donner de grands secours, et si c’est sur les chrétiens, ordonnez-lui, sous peine de la terre qu’il tient de vous, de ne pas aller sur les fidèles de l’Eglise de Rome pour leur faire aucun mal. » Quand le pape entendit les paroles qu’avait dites le roi Charles, il dit : « Notre fils, soit fait ce que vous dites. » Et incontinent il envoya chercher le frère Jacques, de l’ordre de Saint Dominique, et lui dit : « Va de ma part vers le roi d’Aragon, et dis-lui comment il est parvenu à notre oreille et il nous a été donné à entendre : qu’il faisait armer une flotte pour aller sur les Sarrasins ; et que, si ceci est vrai, il aille avec la paix de Dieu, et que Dieu lui laisse bien faire et lui donne la grâce de tous les honneurs et de la victoire ; et dis-lui que s’il a besoin d’aide, nous lui en donnerons volontiers. Et prie-le de notre part de te dire où il va, si c’est en terre d’Egypte ou en Barbarie, ou simplement en Grenade. De toutes les manières nous voulons le savoir, parce que son expédition touche trop l’Eglise romaine dans son honneur. Il ne peut aller sans notre commandement, et nous lui ordonnons, sous peine de la terre qu’il tient de nous, de n’aller faire la guerre à aucun fidèle chrétien ; et dis-lui qu’il l’en rende une réponse véritable et sûre. » Ledit frère Jacques, de l’ordre de Saint Dominique, prit
un de ses compagnons, alla vers le roi d’Aragon, et lui dit son ambassade,
comme le pape lui avait commandé de le faire. Et le roi d’Aragon appela
messire Jean de Prochyta et lui dit : « Entendez-vous ce que le pape m’envoie
dire? » Incontinent ils tinrent conseil entre eux deux, et dans ce même lieu
et jour il donna la réponse audit frère Jacques. « Dites au seigneur
Saint-Père que nous le remercions comme notre père d’une si bonne offre que
celle qu’il nous a faite pour notre entreprise et de tant d’amour qu’il nous
montre ; dites-lui que, quand nous aurons besoin de ses secours, nous lui en
demanderons et nous aurons recours à lui comme à notre père ; et dites-lui qu’il
ne peut savoir d’aucune manière où nous allons, car si une de nos mains le
disait, nous nous la ferions couper.[7] Qu’il nous
pardonne donc cette fois, car il ne peut pas en être autrement ; mais s’il
plaît à Dieu, nous irons dans un endroit tel, que le Saint-Père et les cardinaux
en seront contents et satisfaits ; ainsi, qu’il lui plaise prier Dieu pour
nous à notre intention. » Quand frère Jacques eut reçu la réponse du roi d’Aragon, il partit et arriva à Monte-Fiascone ; et en ce lieu il trouva le seigneur Saint-Père et le roi Charles. Et quand le pape l’entendit il en fut très étonné. Alors le roi Charles dit : « Saint-Père, je vous disais bien vrai, que le roi d’Aragon était un grand félon ; vous entendez la belle réponse qu’il a faite. Mais qu’il aille avec Dieu et fasse ce qui lui plaira ; et s’il va sur les Sarrasins, vous devez en être content, et toute la cour de Rome aussi. » Il ne fut plus parlé sur ce point ; et confiant en lui le pape dit : « Ayez soin de votre terre, et gardez-la : car j’ai entendu dire que le roi d’Aragon est un des seigneurs les plus entreprenants qui soient au monde. » Et le roi Charles répondit : « Saint-Père, nous verrons ce qu’il fera. » Dans ce temps, messire Jean de Prochyta partit avec messire Accardo de chez le roi d’Aragon, et dit : « Je veux aller en Sicile pour faire que cette année la Sicile se révolte contre le roi Charles. » Le roi d’Aragon lui commanda de faire secrètement tout pour venir à bout de leurs projets. Et messire Jean partit au mois de janvier, et envoya dire à messire Palmieri Abbate, à messire Alaimo de Lentini, et à messire Gualtieri de Calatagirone, et aux autres barons de Sicile de venir parler avec lui. Et étant tous venus, messire Jean se leva et dit : « Beaux seigneurs, sachezque le roi d’Aragon a armé la plus belle flotte qui soit au monde, de bonnes et nombreuses troupes ; dont a été fait amiral le plus preux et le plus courageux homme qui puisse être sur la mer, qui s’appelle messire Roger de Lauria de Calabre, lequel a toujours été en Aragon avec le roi d’Aragon ; et il est le plus grand guerrier et l’homme le plus habile dans ces faits ; il est grand ennemi des Français, parce qu’ils ont tué son père ; c’est pourquoi, pensez de quelle manière vous pourrez enlever la terre au roi Charles, mais jamais on ne pourra le faire mieux qu’à présent, que le roi Charles est à la cour du pape, et le prince son fils en Provence. Avant qu’ils sachent ces choses, il se passera longtemps, et vous pourrez d’autant mieux fortifier vos terres par toute la Sicile. » Et tous furent d’accord sur ce point, et prirent des ordres pour soulever la terre du roi Charles. Aussitôt que fut arrivé le mois d’avril 1282, le mardi de la Pâques de la résurrection, voici que messire Palmieri Abbate et messire Alaimo de Lentini, et messire Gualtieri de Calatagirone, et tous les autres barons de Sicile, tous de commun accord, par leur discret conseil, vinrent à Palerme pour faire la rébellion. Dans ce susdit jour on a la coutume de faire une grande fête hors de la cité de Palerme, à un lieu qui s’appelle Saint-Esprit. Là un Français saisit une femme en la touchant malhonnêtement avec la main, comme ils avaient déjà l’habitude de le faire, et la femme se mit à crier ; et des habitants de Palerme accoururent vers cette femme ; et tous se mirent en dispute, et les susdits barons échauffèrent et augmentèrent la dispute entre les Français et les Palermitains ; et les hommes criaient avec grand bruit de pierres et d’armes : « Meurent les Français ! » et ils entrèrent dans la ville avec grand bruit. Le capitaine qui était pour le roi Charles eut une rencontre avec ces gens, et ne put tenir devant eux ; au contraire, il se mit en fuite et s’enferma dans un château dans lequel il demeurait. Et cependant tous les Palermitains allaient en troupes dans la cité, et tuaient les Français tant qu’ils en trouvaient. Ensuite ils allèrent au château du capitaine qui se rendit sous certaines conditions ; et quand il fut en leur pouvoir, on ne tint pas ces conditions ; au contraire, on le tua avec tous ses gens. Et ils allèrent aux couvent des frères mineurs et des frères prédicateurs, et ils tuèrent dedans l’église tous ceux qu’ils trouvaient qui parlaient en langue française. Or, quand les barons de Sicile virent tout ceci fait, ils s’en allèrent tous à leurs terres, et on fit la même chose dans toute la Sicile, sauf à Messine, qui demanda un certain temps. Et il se trouva trois mille Français de morts dans Palerme. En ce temps, le roi Charles étant à la cour du pape, il lui vint un messager que lui envoyait l’archevêque de Mont Réal, et qui lui conta comment les Siciliens avaient fait révolter toute la terre de Sicile, et avaient tué tous ses Français, et qu’il ne savait pas pour quel fait ils étaient morts ni comment s’était passé ce fait. « Et sur cela, dit-il, pensez sur cette chose ce que vous avez à faire comme homme sage que vous êtes. » Lorsque le roi Charles entendit une telle nouvelle, il fut
vivement courroucé, et alla incontinent vers le pape, et lui dit : « Saint-Père,
je vous apporte de mauvaises nouvelles de mes affaires ; car il m’est arrivé
un messager de l’archevêque de Mont Réal, qui m’a conté comment les Siciliens
se sont révoltés contre moi et ont tué tous mes gens. La raison pour laquelle
ceci a été fait, je ne la sais pas ; c’est pourquoi je vous prie qu’il vous
plaise me donner le conseil qui sera le meilleur, car c’est vous et l’Église
de Rome qui en avez le dommage. » Et le pape répondit : « Notre fils, n’ayez
pas peur, nous vous donnerons tous les secours et tout le conseil dont vous
aurez besoin ; allez-vous-en dans votre royaume, faites passer votre armée en
Sicile, et faites la conquête de votre terre, en paix et bon accord si vous pouvez ; et
menez avec vous un légat de nous avec nos lettres, qui dira de notre part aux
Siciliens : que cette terre qu’ils tiennent est spécialement notre chambre,
et qu’ils vous la rendent. » Et ainsi partit le roi Charles après cette
conversation avec le pape. Dans ce même jour, le roi Charles alla en conseil avec tous les cardinaux ses amis, et les clercs de la cour de Rome, en les priant pour Dieu de le conseiller dans ce qu’il avait à faire ; car les Siciliens s’étaient révoltés et avaient tué tous ses gens. Alors se leva messire Jacques Savelli, cardinal, et il dit : « Seigneur roi Charles, sachez qu’il plaît à toute la cour de Rome que vous soyez aidé et conseillé. Nous devons le faire par toutes sortes de raisons, car vous avez trop fait d’honneur à l’Église de Rome et trop fait pour elle ; c’est pourquoi, moi le premier, je veux que vous alliez en Sicile, et que vous meniez avec vous un cardinal légat chargé de tous les actes qu’on puisse faire et dire, si bien qu’on regagne la terre par la paix s’il est possible, et sinon qu’on en fasse la conquête par la guerre. » Et sur cette matière tous furent d’accord, et le pape satisfait ; et incontinent il ordonna à messire Gérard de Parme, cardinal, de s’apprêter à aller en Sicile pour le service de l’Eglise et du roi Charles, et celui-ci obéit au commandement du pape. Sur ces entrefaites, le roi Charles envoya dans plusieurs pays, et au roi de France, et au prince son fils, en leur faisant savoir comment les Siciliens s’étaient révoltés contre lui, et avaient tué tous les Français. « Personne n’en sait la raison, disait-il, mais je vous prie surtout, vous, roi de France, de me donner conseil. » Il leur disait à tous de le secourir, de venir incontinent ou de lui envoyer des troupes pour l’amour de lui. Le roi de France entendant ces nouvelles, fut très en colère, soupira et dit : « Mes frères, j’ai grande peur que ceci ne soit l’ouvrage du roi d’Aragon, qui n’a pas voulu me faire savoir sa marche, ni sur quel point il faisait voile, lorsque je lui prêtai les quarante mille livres tournois. Cela me paraît fort mal : mais s’il vient à être vrai, je ne croirai pas porter une couronne si je ne le fais repentir de cette trahison contre la maison de France. » Et incontinent il dit au prince : « Va-t-en en Pouilles... Et puis il envoya vers le comte d’Artois, vers celui d’Alençon et celui de Bretagne, et vers plusieurs autres barons et chevaliers, en leur faisant savoir ce fait, et en leur disant de se préparer, parce que le roi voulait envoyer des secours au roi Charles. Or, il arriva qu’en cette année 1282, le roi Charles partit de Brindes avec une grande armée de mer, et vint par terre à Reggio en Calabre, avec une grande force de Français, Provençaux, Lombards, Toscans et du pays de Rome ; et il passa à Messine, et campa à Sainte-Marie de Rocamadour ; et il avait avec lui messire Gérard de Parme, cardinal et légat en Sicile pour l’Eglise. Quand les Messinois virent une telle armée et qu’ils étaient attaqués, ils eurent grand peur, comme des gens qui avaient mérité de recevoir la mort ; et ils envoyèrent dire au roi Charles et au cardinal de recevoir la terre comme seigneurs légitimes, en les priait de leur faire merci. Mais si le roi Charles était entré, il aurait eu la terre tout à son commandement et non à merci. Il ne le voulut donc pas ; au contraire, il leur envoya dire, en les défiant comme traîtres à sa couronne : qu’il ne voulait pas leur accorder la vie, qu’il voulait leur mort et celle de leurs enfants pour punition d’une offense comme celle qu’ils avaient méditée et faite contre l’Eglise de Rome et la maison de France ; qu’il n’aurait jamais merci d’eux jusqu’à ce qu’ils fussent morts, ainsi qu’ils l’avaient bien mérité, et qu’ils eussent à ne jamais reparaître devant lui. Un messager du roi Charles partit avec cette réponse et retourna à Messine. Et alors les Messinois eurent grand peur de mourir, et restèrent quatre jours en conseil, ou de se défendre, ou de se rendre pour être tués. Un jour, le comte de Montfort et le comte de Brienne
vinrent avec un grand nombre de cavaliers et d’hommes de pied, et allèrent
contre un pays qui avait pour nom Melazzo, brûlant et dévastant tout. Et
quand ceux de ce pays virent ceci, ils sortirent comptant se défendre. Et quand
les Français les virent, ils s’approchèrent d’eux, et prirent et tuèrent
beaucoup de Messinois et de ceux de Melazzo. Lorsque la nouvelle en vint à
Messine, ils se tinrent tous pour morts, et envoyèrent chercher le légat qui
devait venir à Messine pour se mettre d’accord avec le roi Charles. Et ce fut
au mois de juillet que le légat entra à Messine et présenta les lettres du pape aux
communes de Messine, et l’acte que l’Eglise avait dressé contre eux, s’ils
lui donnaient la terre par voie de paix et s’ils portaient les clefs au roi
Charles, comme à leur seigneur légitime ; et les termes de l’accord étaient :
qu’il pourrait les prendre et les mettre tous à mort. Et la lettre disait de
cette manière : « Aux perfides juifs de l’île de Sicile : Le pape Martin IV vous fait donner tel salut que vous le méritez après avoir rompu la paix, tué des chrétiens et versé le sang de ses fils. Nous vous ordonnons que, nos lettres vues, incontinent vous vous rendiez, et vous donniez la terre à notre fils et champion Charles, roi de Jérusalem et de Sicile par l’autorité de la sainte Eglise de Rome. C’est pourquoi vous devez obéir au susdit comme à votre légitime seigneur ; et si vous ne lui obéissez pas, je vous déclare excommuniés et interdits, selon la raison divine, en vous menaçant de la justice spirituelle. » Quand les Messinois entendirent cette lettre et ces
commandements, ils eurent grand peur, et élurent trente hommes du peuple,
lesquels devraient chercher le moyen de pouvoir s’accorder avec le roi
Charles et avec le légat du pape. Et quand ces trente hommes eurent bien
réfléchi et pris conseil entre eux, ils allèrent devant le légat, et les
Messinois lui dirent : « Nous sommes venus pour vous dire ce qui doit se
faire. » Et il répondit : « Dites ce que vous voulez? — Nous demandons
les conditions suivantes au roi Charles : nous lui donnerons la terre, et
nous continuerons à payer de la même manière que nous payions anciennement du
temps du roi Guillaume, et nous ne voulons d’autres seigneurs que des Latins[8] pour nos
officiers, et non pas des Français et des Provençaux,, et nous voulons qu’il
nous pardonne l’offense que nous et nos enfants avons faite à ses chevaliers
et à leurs gens ; et si ceci est ainsi fait, nous lui serons bons et fidèles.
» Quand le légat eut entendu ces paroles, il dit : « Nous enverrons au camp
où est le roi Charles, et nous verrons ce qu’il veut ; s’il plait à Dieu,
nous amènerons tout à bien. » Et incontinent le légat fit venir un de
ses camerlingues et l’envoya au roi Charles avec toutes ces conditions écrites,
en lui faisant dire aussi de sa part, que cela devait lui plaire, et en le
priant d’accepter ces conditions et de leur pardonner, afin que Dieu lui
pardonnât à lui-même. Or, quand le roi Charles entendit une demande semblable à celle que lui faisaient les Messinois, il fut très en colère, et dit : « Quoi ! Ceux qui méritent la mort font et demandent des conditions ! Au lieu de me rendre ma seigneurie, ils m’offrent la seigneurie ancienne du roi Guillaume qui n’avait ni terre ni rente ! Dites-leur que je leur fais grâce de la mort, mais je veux qu’ils soient en mon pouvoir, pour faire d’eux tout ce que je voudrai ; je leur donnerai la forme de gouvernement qu’il me plaira, comme seigneur absolu, et ils paieront les collectes et les douanes selon l’usage actuel. Si ceci leur plaît, qu’ils le fassent ; et si ce n’est pas à leur plaisir, qu’ils se défendent, car ils en ont besoin. » Cependant le camerlingue du légat arriva à Messine avec la réponse que vous venez d’entendre. Et lorsque les trente Messinois l’eurent entendue, ils allèrent faire part au peuple de la réponse qu’avait faite le roi Charles ; et le peuple répondit tout d’une seule voix : « Nous voulons souffrir tout, plutôt que cela soit ainsi, car chacun d’eux voudrait toujours se venger ; nous aimons mieux mourir dans notre pays que de venir à perdition entre les mains de nos ennemis. » Et ceci fut dit au légat, qui fut très en colère et dit : « Puisque vous ne voulez pas faire cet accommodement avec le légat et avec le roi Charles, je vous déclare excommuniés et interdits, de la part du Saint-Père le pape et de l’Eglise de Rome. » Et sans en dire davantage il sortit de Messine. Et avant de partir, il ordonna à tous ceux qui avaient les ordres sacrés de sortir de la terre dans l’espace de trois jours ; et encore il commanda aux communes de Messine de se présenter sous quarante jours pour entendre leur sentence, sous peine de perdre la’ terre qu’ils tenaient de lui, c’est-à-dire de l’Eglise romaine. Quand le roi vit le légat et sut la réponse des Messinois, il prit conseil de ses comtes pour savoir ce qu’il avait à faire ; et les barons lui conseillèrent de presser tellement la terre par les combats, qu’on l’eût par force. Et le roi Charles s’arrêta à peser ce conseil un jour et une nuit ; et puis le matin suivant il fit venir ses barons et leur dit : « Seigneurs, je ne suis pas d’accord avec vous sur l’avis que vous avez adopté, garce que, si je faisais comme vous me le conseillez, je dévasterais ma terre. Je ne veux pas tuer ces enfants, parce que ce n’est pas leur faute ; je veux au contraire les assiéger si étroitement qu’ils puissent mourir par besoin de manger ; et avant qu’ils ne meurent, nous aurons notre terre et tout ce que nous voulons ; et nous avons nos machines et nos instruments de guerre pour les effrayer et venir à notre intention. » Et ainsi fut fait. Un jour, le roi Charles voulant donner bataille à la terre, tous les Messinois accoururent avec leurs femmes, servantes et petits enfants, et firent un mur du côté où étaient les ennemis, et ils commencèrent à se défendre ; et pendant ce temps ils nommèrent un capitaine et gouverneur. Ils se défendirent bien de cette manière pendant deux mois contre le roi Charles. Et dans ce temps le roi d’Aragon partit de Catalogne, et
il fit voile pour Tunis ; et il prit en Barbarie une terre nommée Alçoyl ;[9] il donna une
bataille et resta en ce lieu pendant quinze jours, et cela eut lieu dans le
mois d’août. Messire Jean de Prochyta et les autres ambassadeurs de la Sicile
allèrent par mer en Catalogne, vers le roi d’Aragon, pour qu’il vînt prendre
possession de l’île de Sicile ; et les ambassadeurs furent, l’un messire Jean
de Prochyta, et l’autre messire Guillaume de Messine, et deux syndics de l’île
de Sicile ; et ils vinrent où était le roi d’Aragon, et le roi les reçut
volontiers, et leur fit de grands honneurs ;[10] et le roi d’Aragon
demanda à messire Jean des nouvelles du roi Charles. « Il est déjà à Messine, lui dit-on, avec une grande armée, et il a
beaucoup pressé la terre. —Conseillez-moi, dit le roi, que dois-je faire? »
Et messire Jean lui répondit : « Ne redoutez rien, mais venez dans l’île de
Sicile, et envoyez dire au roi Charles d’abandonner votre terre, car le saint
pape vous l’a donnée, parce quelle était à votre femme, et alors vous
entendrez la réponse. Et sachez que ce messire Guillaume est ambassadeur de
Messine ; c’est pourquoi, vous écouterez ce qu’il vous dira, lui et tous les
autres syndics de Messine et de Sicile. » Alors les ambassadeurs de Sicile et
tous les autres ensemble se levèrent et dirent : « Seigneur roi, vos fidèles
de Sicile vous désirent ardemment, et nous envoient vous prier de venir en
terre de Sicile, faire lever le siège au roi Charles et à son armée ; nous n’attendons
d’autres secours que les vôtres. Nous vous prions donc qu’il vous plaise
prendre cette délibération pour l’amour de Dieu. Et si vous ne voulez pas venir
les secourir et les aider, ils demanderont leur pardon et suivront les
commandements du roi Charles et de l’Eglise romaine. » Et quand ces paroles furent finies, tous les autres syndics et ambassadeurs dirent la même chose au roi d’Aragon, et le roi d’Aragon dit : « J’irai volontiers dans l’île de Sicile, au secours de mes fidèles ; c’est pourquoi allez, et dites en chaque lieu que j’arriverai bientôt maintenant ; et qu’ils soient contents, car je serai là à leur secours. » Et ils quittèrent le roi d’Aragon avec cette réponse. Le roi d’Aragon partit incontinent d’Alcoyl et vint en
Sicile.[11]
Messire Palmieri Abbate et tous les barons de la Sicile vinrent aussitôt
au-devant de lui, et prirent conseil sur ce qu’ils avaient à faire, et messire Jean de Prochyta
se leva et dit : « Seigneur roi, il nous semble que vous devez aller dès à
présent à Palerme, et alors nous penserons à ce qui doit être fait ; là nous
saurons ce que fait le roi Charles, ce qu’il a fait à Messine et dans les
terres, et sur cela nous prendrons bon conseil, s’il plaît à Dieu. » Et ainsi
fut fait. L’an mil deux cent quatre vingt-deux de la naissance de Jésus-Christ, au mois d’août, le roi d’Aragon alla à cheval de Trapani à Palerme, dont les habitants firent de grandes fêtes à son arrivée, comme des gens qui se réjouissaient d’être délivrés de la mort ; et plus de six mille personnes vinrent à sa rencontre en grande richesse, soit dames, demoiselles, hommes et femmes, comtes, barons et chevaliers. L’archevêque de Mont Real ne voulut pas s’y trouver pour lui donner la couronne, l’archevêque de Palerme étant mort ; et cet archevêque de Mont Real s’étant échappé, il se réfugia chez le pape. Il ne fut pas couronné, mais seulement proclamé par le peuple, et un jour tous les barons de la Sicile vinrent à Palerme, et eurent conseil avec lui. Messire Palmieri Abbate se leva, et dit : « Le Seigneur Dieu soit loué ! Vous êtes venu et vous avez fait ce que nous désirions par votre bonté et par celle de messire Jean de Prochyta. C’est pourquoi nous vous prions qu’il vous plaise terminer cette affaire aussi bien qu’elle a commencé ; mais il serait fort à désirer que vous fussiez venu avec plus de monde ; car si le roi Charles descend sur toute l’île de Sicile, et il a bien quinze mille cavaliers, nous aurons trop à faire pour combattre avec lui ; c’est pourquoi, il me semble que nous devrions penser à avoir le plus de troupes possible ; et je crois que Messine est déjà perdue, tant elle était étroitement bloquée et dépourvue de vivres. » Lorsque le roi d’Aragon entendit ces paroles, il hésita
beaucoup, en entendant que le roi Charles avait tant de troupes, et
incontinent il envoya des courriers dans l’île de Sicile, comme si le roi
Charles venait à Palerme. Et cette nuit il arriva un notaire comme
ambassadeur de la part des communes de Messine, et ce messager dit au roi d’Aragon
comment il n’y avait plus de vivres à Messine que pour huit jours, pas
davantage. « Et vous devez, ajoutait-il, nous donner secours d’hommes et de vivres, car nous
ne pouvons d’aucune manière résister plus longtemps au roi Charles. Ainsi
nous nous rendrons à lui, puisque nous ne pouvons pas faire autrement. » Et
lorsque le roi d’Aragon eut entendu ces paroles, il fit appeler tous les
barons de la Sicile et leur conta le fait. Alors messire Gualteri de Calatagirone
se leva et dit : « Il me semble que vous, seigneur roi, vous devriez faire
une chevauchée jusqu’à Melazzo, qui est près de Messine, parce que je crois
qu’aussitôt que le roi Charles apprendra votre arrivée, il fera lever le
siège à son armée ; car si Messine est perdue pour nous, notre entreprise ira
à mal. » Messire Jean de Prochyta se leva et dit : « Il me semble que ceci
doit se faire de cette manière ; car le roi Charles n’est pas homme à avoir
peur et à fuir : envoyons une lettre au roi Charles de la part du roi d’Aragon
; et nous lui dirons comment le pape Nicolas avait donné la terre au roi d’Aragon
; c’est pourquoi il faut qu’il l’abandonne. Et si par hasard il ne veut pas
quitter la terre et partir, défendez-la comme une chose qui vous appartient.
Et lorsqu’il aura donné son refus, envoyez à Messine votre amiral avec vos
galères, et ordonnez-lui de s’emparer de tous les vaisseaux qui porteront des
vivres au roi Charles et à son armée ; car c’est ainsi qu’il faut que le roi
Charles meure, et que Messine soit délivrée. Et de cette manière vous tirerez
de lui et de ses gens la plus terrible vengeance qui ait jamais été prise par
aucun seigneur au monde ; et s’il quitte les lieux, il pourra s’en aller ; et
nous, nous nous arrêterons pour voir s’il ira dans quelque endroit de l’île,
ou s’il ira dans son royaume, ou en Calabre. » Quand le roi et les barons eurent entendu ces paroles, ils se mirent d’accord, et envoyèrent incontinent au camp du roi Charles deux chevaliers catalans avec des lettres. L’un s’appelait messire Guillaume et l’autre messire Amlerigo ; et les lettres disaient de cette manière : « Pierre, roi d’Aragon et de Sicile, à vous Charles, roi
de Jérusalem et comte de Provence : nous vous faisons savoir notre arrivée dans l’île de Sicile,
comme dans un royaume qui nous a été donné par la sainte Eglise de Rome, par
l’autorité du pape Nicolas IV ; c’est pourquoi nous vous ordonnons, après la
lecture de nos lettres, de quitter la Sicile avec tous vos hommes. Sachez
que, si vous ne faites pas ainsi, nos fidèles chevaliers seront bientôt en
votre présence, pour votre malheur et celui de vos gens. » Quand le roi eut vu cette lettre, il eut conseil avec ses
barons ; et ceux-ci furent très étonnés d’entendre les outrages qu’elle
contenait contre le roi Charles et ses chevaliers. Guy de Montfort se leva
alors, et dit : qu’il lui semblait chose étrange qu’un seigneur si peu
puissant osât enlever la terre à un des meilleurs et des plus grands seigneurs
du monde. Cependant le roi Charles dit à chacun de dire son opinion, et le
comte de Bretagne se leva et dit : qu’il lui semblait qu’il devait répondre
au roi d’Aragon par une lettre, en lui disant qu’il l’avait trompé et trahi,
et qu’il n’aurait pas dû le faire, puisque le roi Charles ne lui avait fait
aucun outrage ; « et comme, ajouta-t-il, le roi d’Aragon ne tient ces terres
ni de l’Eglise romaine ni du pape, et qu’au contraire il les tient par fraude
et par trahison, envoyez-lui dire de partir incontinent de votre terre, ou autrement
que vous le ferez repentir comme un traître de ce qu’il a fait ; car on n’a
jamais vu aucun seigneur qui en attaquât un autre sans raison ; et, comme un
traître, il avait fait courir le bruit et avait dit qu’il allait contre les
Sarrasins, et à présent il est venu sur les chrétiens et contre l’Eglise de
Rome ; et faites-lui
dire, de notre part, que vous parlez ainsi par la volonté des barons, qui
sont tous d’accord dans le même langage. » C’est pourquoi le roi Charles fit faire, pour les ambassadeurs du roi d’Aragon, une lettre dont voici le contenu : « Charles, par la grâce de Dieu, roi de Jérusalem et de Sicile, comte de Provence, prince de Capoue et de Forcalquier, à toi Pierre, roi d’Aragon, comte de Barcelone. Je m’étonne comment tu as osé entrer en l’île de Sicile, qui nous a été donnée par l’autorité de l’Eglise romaine. C’est pourquoi je t’ordonne, par l’autorité de mon commandement, que sur le vu de ma lettre, tu partes incontinent du royaume de Sicile, comme un mauvais traître, où bien tu verras aussitôt arriver moi et mes chevaliers, qui désirent se mesurer avec tes gens. » Les messagers partirent par ordre du roi Charles,
arrivèrent à Palerme, et allèrent présenter cette lettre au roi d’Aragon qui,
l’ayant lue et vue, eut conseil avec ses barons. Alors messire Jean de
Prochyta se leva, et dit : « Pour Dieu, ordonnez aussitôt à votre amiral de
faire voile pour Messine, et donnez-lui l’ordre de s’emparer de tous les
vaisseaux du roi Charles ; et puisque vous l’avez défié, faites tout ce que
vous pourrez pour lui nuire. Et je vous prédis ce qui arrivera ; c’est que le
roi Charles sera prisonnier, et que vous le ferez périr d’un genre de mort
qui convient à un tel homme. » Et incontinent on fit venir l’amiral Roger de Lauria
; et le roi d’Aragon lui ordonna d’apprêter sur-le-champ la flotte, d’aller à
Messine, et de prendre et brûler tous les vaisseaux du roi Charles. Cependant il était arrivé de Gènes un espion de messire
Alain Alquier, qui était amiral du roi Charles. Il partit incontinent de
Palerme ; il vint à l’armée, et raconta à son amiral l’arrivée de messire
Roger de Lauria. Alors messire Alquier alla trouver le roi Charles, et lui
dit : « Seigneur, hâte-toi de passer en Calabre, attendu qu’il est arrivé de
Palerme un espion qui m’a raconté comment l’amiral du roi d’Aragon vient à
Messine avec toute sa flotte et veut prendre tous nos vaisseaux ; et sache
que je n’ai pas de galères, et n’ai que des bâtiments désarmés ; ainsi il
nous les prendra, et nous les perdrons sans bataille ; et tu resteras dans cette
contrée sans vivres, et il faudra que tu meures de faim ; et ceci sera d’ici
à trois jours. C’est pourquoi pense à passer en Calabre pour cette raison. L’hiver
approche, et tu n’as pas de bon port où tu puisses rester toi et tes
vaisseaux. Et si cela, par hasard, ne te plaît pas, les vaisseaux seront
brisés. Pense donc à passer en terre ferme, afin que ce dont tu as besoin arrive
de notre pays. » Le roi Charles fut alors très courroucé ; il tint conseil avec ses barons, et raconta ce que lui avait dit son amiral messire Alquier. Les barons ayant entendu ces paroles, en furent très désolés, et dirent au roi Charles : « Nous sommes très fâchés que vous n’ayez voulu prendre Messine, ni par paix, ni par guerre ; à présent nous ne pouvons l’avoir d’aucune manière, ce dont nous sommes très désolés. Passons donc en terre ferme, et il arrivera ce que Dieu voudra. » Et ceci fut ordonné par tous les barons. Lorsque le roi Charles entendit ces paroles il perdit courage et devint hors de lui-même, et soupira, en disant : « Je suis mort, puisqu’il m’est arrivé tant de malheurs, et que ma terre m’a été prise par un homme à qui jamais je n’ai déplu. Je suis très fâché de ne pas avoir voulu prendre Messine ; mais puisqu’il en est ainsi, passons en Calabre, et qu’il meure celui qui sera coupable de cette trahison, et ceux qui y auront pris part. » Et il finit ainsi de parler. Et ce fut au mois de septembre que l’armée se retira de devant Messine, et passa en Calabre. La reine passa le premier jour, le second le roi avec beaucoup de troupes, et il laissa deux capitaines avec deux mille cavaliers et leur dit : « Tenez-vous bien cachés ; et quand les habitants de Messine sortiront pour piller les équipages, vous les assaillirez et entrerez avec eux à Messine ; si cela réussit, je reviendrai vers vous. » Et ainsi fut ordonné. Les habitants de Messine ayant appris ceci par leur espion, ordonnèrent incontinent que personne ne sortît de la ville, et ainsi fut fait. Quand les Français virent que les Messinois ne sortaient pas, ils montèrent sur leurs vaisseaux et passèrent en Calabre, et dirent au roi Charles : « Seigneur, nous avons manqué notre but ; les Messinois ne sont jamais sortis hors de la ville. » Le roi Charles fut alors plus irrité, et dit : « Nous verrons à présent ce que fera le roi d’Aragon et ses gens. » Le jour après, l’amiral Roger de Lauria arriva par ordre du roi d’Aragon, et entra dans le phare de Messine, en grande pompe, avec dix galères. Il attaqua les vaisseaux du roi Charles, et il prit et coula à fond des galères et des vaisseaux, et on prit cinq galères de la commune de Pise, que l’on mena à Messine, croyant qu’on pourrait prendre sur mer le roi Charles. Celui-ci l’ayant appris, en fut tellement désolé, qu’il aurait voulu être mort. Il était alors en vue de la Calabre, et il congédia toute sorte de gens qui étaient étrangers et soldés, excepté ceux qu’il avait à terre de chez lui ; et ceci fut en octobre. Dans ce mois d’octobre, le roi d’Aragon vint à Messine
avec messire Jean de Prochyta, et ils furent reçus par les habitants, en
grande fête et avec grande pompe ; et il alla au-devant de lui un grand
nombre de chevaliers, de dames et de demoiselles, et tous les autres bonnes
gens du pays, qui lui firent de grandes fêtes comme à leur prince, leur roi
et leur seigneur.[12] Et ainsi finit cette histoire. FIN DE LA CHRONIQUE DE PROCHYTA. |
[1] Philippe, empereur
titulaire de Constantinople, marié à Béatrice d’Anjou. Philippe mourut en 1286.
[2] Lacune dans le texte.
[3] Redevance
annuelle que le pape retirait du royaume de Naples
[4] Voyez
la Chronique des Albigeois et la Chr. de Jacques le Conquérant. Pierre avait pris le parti du comte
Raymond de Toulouse.
[5] Les
historiens catalans Muntaner et d’Esclot se taisent sur ces conférences avec Prochyta
avant le voyage d’Afrique
[6] Simon de Brion, cardinal
prêtre du titre de sainte Cécile, fut élu
pape à Viterbe, le 22 février 1281, et prit le nom de Martin IV.
[7] Voyez dans Muntaner le
récit de ces mêmes faits.
[8] Italiens.
[9] Cf. Muntaner à cette année.
[10] Cf. Muntaner. Le roi Pierre d’Aragon écrivit alors
au roi Édouard d’Angleterre une lettre pour lui rendre compte de ce qui se passait.
[11] Le
5 août 1282
[12] Je renvoie aux récits de
Muntaner et de d’Esclot pour les événements qui suivirent celle occupation de
la Sicile. A Bordeaux Charles d’Anjou envoya à cette occasion provoquer Pierre
d’Aragon à un duel en champ clos de cent contre cent et de sa personne contre
sa personne. Plusieurs des actes qui furent dressés à cette occasion se
retrouvent dans la chronique de Carbonell, à la suite du règne de Pierre III.
Les archives du royaume à Paris contiennent la copie certifiée du défi de
Charles, par l’autorité pontificale. Rymer donne aussi trois lettres d’Edouard
Ier au roi Charles d’Anjou, qualifié prince de la Mourée, et
au prince de Salerne, son fils.