MICHEL LE TELLIER ET LOUVOIS

DEUXIÈME PARTIE. — LES GRANDES AFFAIRES

 

CHAPITRE VIII. — L'ARMÉE DE LE TELLIER ET DE LOUVOIS.

 

 

I. — Vue générale sur l'administration militaire au XVIIe siècle.

 

L'étude des relations entre Le Tellier et Louvois, de 1661 à 1667, et même jusqu'en 1685, a conduit à des constatations précises. Au début, le père est sans conteste au premier rang : un peu plus tard, les deux hommes collaborent dans l'administration militaire : enfin, étant assuré de l'appui confiant du souverain, Louvois se dégage complètement, mais en pouvant toujours compter sur l'aide du secrétaire d'état en titre, et particulièrement quand les circonstances l'exigent. En soutenant qu'il a commencé a diriger dès février 1662, Rousset n'a donc pas tenu compte de la réalité. Son assertion est indubitablement erronée, puisque, à cette époque, l'instruction technique du futur ministre était loin d'être entièrement achevée. Elle est, en outre, paradoxale : comment admettre que Louis XIV ait voulu laisser un jeune homme de 21 ans, encore apprenti, diriger le secrétariat d'état de la guerre avec la faculté, le pouvoir de modifier, de réformer tout ce qui intéressait les affaires militaires ?

Louvois n'a donc pas pu tout faire, créer les institutions indispensables a la fondation et à l'établissement d'une armée sur un modèle nouveau, différente des bandes de la guerre de Trente ans et animée d'un esprit monarchique. Il a eu des précurseurs, qui ont agi dans ce sens. Sans remonter jusqu'au XVIe siècle, je rappelle seulement que, le 11 mars 1626, Richelieu promulgua un règlement relatif aux secrétaires d'état, qui continuent, comme auparavant, à administrer un certain nombre de provinces, mais sont, en outre, pour la première fois, spécialisés, l'un avec la maison du roi, l'autre avec les affaires étrangères et celles de la religion prétendue réformée, le troisième avec la marine du Ponant, le quatrième avec la guerre, le taillon et la marine du Levant[1]. Désormais, il y aura un secrétaire particulier de la guerre.

Sans doute, l'action des trois premiers, Beauclerc jusqu'en 1630, Abel Servien jusqu'en 1636, et Sublet de Noyers jusqu'en 1643, n'a pas fait l'objet d'une étude sérieuse et méthodique, lacune assurément fâcheuse dans l'histoire des institutions militaires sous l'ancien régime. Néanmoins, quelque grande que soit notre ignorance, on ne peut admettre que ces ministres soient restés entièrement inertes, d'autant plus qu'en 1635 la France entre en guerre avec les Habsbourgs de Madrid et de Vienne. Ne sait-on pas, en effet, qu'en janvier 1629 fut rédigé le célèbre code Michau, marquant toutes les réformes désirables, dans les diverses branches de l'administration, pour satisfaire aux vœux et doléances des Etats-Généraux de 1614 et des assemblées des notables de Rouen- et de Paris (1617, 1626) ? Ne peut-on supposer, avec la plus grande vraisemblance, que les articles si nombreux concernant les gens de guerre, leur manière de vivre, la discipline, etc.[2], furent fournis par le secrétaire d'état de la guerre ? Ce premier code, quelque imparfait qu'il soit, mal ordonné, heurté, mais plein d'idées neuves, est, en tout cas, la source à laquelle se reporteront souvent les Ministres eux-mêmes. Le Tellier, en particulier, recourt aux règlements portés contre les déserteurs dès 1635[3], à ceux concernant la création des commissaires généraux des vivres en cette même année, aux ordonnances des 27 mars 1636 et 4 octobre 1641  (article 3) 26 février et 10 octobre 1642 (article 19) sur tes étapes, le logement, la police et la justice. Il les rappelle dans les préambules de ses actes législatifs et projette ainsi une lueur, trop faible encore au gré de l'historien, sur l'administration de ses prédécesseurs immédiats[4].

Il n'est pas dans mon dessein d'exposer, ici à nouveau, l'œuvre administrative du père de Louvois. Dans mon ouvrage sur Michel Le Tellier et l'organisation de l'armée monarchique, j'ai abondamment prouvé que le secrétaire d'état n'avait pas été mou et insouciant, parce que politique, qu'il est faux d'affirmer que les questions d'administration proprement dite ne le touchaient guère, non plus que la gloire des réformes et, aussi, que l'armée française en 1662 était dans un déplorable état[5]. D'autre part, certains, qui ne contestent pas l'activité législative de Le Tellier, soutiennent que la répétition fréquente des ordonnances indique, semble-t-il, la faiblesse du pouvoir central à l'égard des contrevenants et l'inobservation de ses règlements réitérés. Que, pendant la guerre et jusqu'au traité des Pyrénées en 1659, officiers et soldats aient pris de nombreuses libertés, et que, par suite, il se soit produit un relâchement de la discipline, rien n'est moins contestable. Mais leur réformation de 1659 à 1661 a tout remis en ordre. Par la suppression de nombreuses compagnies, par le seul maintien de celles dont les chefs avaient accompli régulièrement leur devoir, par la substitution d'une armée de paix à une armée de guerre, tout a été changé. Le roi ayant manifesté la volonté d'être le maitre et disposant de toutes les grâces, les militaires se sont soumis : ils ont accepté les ordonnances que, jusqu'à la guerre de Dévolution environ, le secrétaire d'étai a multipliées pour faire pénétrer, parmi les troupes, l'esprit d'ordre et de discipline.

Au surplus, beaucoup de ces actes législatifs présentent un caractère particulier, celui d'être des actes de rappel, des actes saisonniers. A notre époque, au début de l'été, les préfets ne font-ils pas afficher des ordonnances enjoignant de museler les chiens par mesure de précaution contre la rage ? Cela signifie-t-il que leurs prescriptions de l'année précédente n'ont pas été observées ? Nullement : il s'agit uniquement pour eux d'attirer l'attention de leurs administrés sur un cas annuellement renouvelable. Il en est de même pour le secrétaire d'état de la guerre. Quand, avec la mauvaise saison, cesse la campagne, il promulgue le règlement du quartier d'hiver. Lorsqu'au contraire s'avance l'époque de l'ouverture des hostilités, il rappelle aux officiers qu'ils doivent rejoindre leurs postes : pour que les effectifs se maintiennent, il renouvelle les peines contre les déserteurs, les passe-volants, etc. C'est là une coutume qui s'établit avec Le Tellier et qui continuera ensuite.

Dans les Mémoires ou Essai pour servir à l'histoire de François Michel Le Tellier, marquis de Louvois, l'auteur anonyme (Chamlay, Gilbert de Saint-Pouenges ?), qui a bien connu Je ministre, croit, de son côté, devoir caractériser son œuvre en ces termes : Le grand ouvrage du marquis de Louvois est d'avoir rédigé les anciennes et les nouvelles ordonnances militaires en un seul corps, retranchant ce qui n'était plus d'usage et établissant de nouvelles règles sur la pratique journalière de ce qui se passe parmi les troupes avec un ordre merveilleux qui maintient la discipline et qui assure parfaitement le service[6].

Ici, de nouveau, on se trouve en présence d'une erreur, surprenante de la part d'un homme, qui a vécu dans l'entourage du secrétaire d'état, la codification, par Louvois, des institutions militaires, leur réunion en un ensemble unique. Ni au temps de ce ministre ni auparavant on ne rencontre pareille tentative. Ce qui a existé, à l'époque de Le Tellier bien plus qu'à celle de son fils, c'est non pas un ensemble, mais des ensembles, c'est-à-dire des ordonnances générales, traitant chacune d'une même question et reproduites ou imitées par la suite. Voici quelques exemples. L'ordonnance du 28 octobre 1643 réglemente le quartier d'hiver : les principes et les modalités qu'elle indique et recommande se retrouveront dans tous les actes ultérieurs[7]. Celle du 20 décembre 1643 est consacrée au recrutement qu'elle organise sans modifier profondément le régime passé[8]. En l'année 1647, les 24 février et 12 octobre, et en l'année 1649, le 21 janvier, sont promulgués les règlements relatifs à l'incorporation de la cavalerie étrangère dans la cavalerie française, aux gardes suisses et aux chevau-légers : les deux ordonnances du 1er avril 1654 sur le rang des régiments d'infanterie complèteront cet ensemble, qui détermine si exactement la hiérarchie que celle du 26 mars 1670 sera une simple réédition[9]. De même en ce qui touche le service intérieur : après une première tentative le 4 décembre 1649, tout ce qui concerne le logement, la solde, la subsistance, la police, etc., est contenu dans l'ordonnance du 4 novembre 1651 et ses compléments des 12 février et 28 avril 1653. Cet ensemble pourra subir quelques modifications de détail, mais c'est à lui que l'on se reportera toujours : à cet égard, il restera l'institution fondamentale jusqu'à la fin de la monarchie absolue[10]. Après la paix des Pyrénées enfin, il s'agit d'organiser le commandement dans les villes ou les garnisons pour éviter toute contestation entre les officiers, de fixer claire, ment et définitivement le service (garde, exercice, revues, congés, etc.) : tel est l'objet de quatre actes, le règlement général du 12 octobre 1661, le règlement particulier du 16 février 1662 appliqué ensuite à toutes les villes, l'ordonnance du 6 mars 1662 et le règlement du 25 juillet 1665, interprétation de plusieurs articles antérieurs. Ce groupe, comme le précédent, pourra être changé sur quelques points spéciaux, par exemple à propos de la lutte entre le mousquet et le fusil : mais ses prescriptions resteront, pour la plupart, valables pendant un très long temps, jusque vers le milieu du XVIIIe siècle[11].

Ces exemples, volontairement choisis dans la période qui s'arrête à l'année 1666, sont assez nombreux et, semble-t-il, assez caractéristiques pour permettre de soutenir fortement et à bon droit que, s'il n'a jamais existé un corps où furent réunies les anciennes et nouvelles ordonnances, du moins il y eut des ensembles, des actes concernant et réglant certaines questions administratives d'une manière, peut-on dire définitive, et que, pour la plupart, ils datent de l'époque où Le Tellier était seul secrétaire d'état de la guerre. C'est lui qui a doté l'armée nouvelle des institutions essentielles. Il a procédé toujours de la même manière : il promulgue une ordonnance ou un règlement sur un cas particulier, observe l'impression produite, note les critiques et les résultats obtenus. S'il le juge nécessaire, il se remet à la tâche, même à plusieurs reprises, pour modifier, compléter ou interpréter l'acte primitif et empêcher ainsi, dans l'avenir, toute contestation, c'est-à-dire la persistance du désordre et de l'indiscipline ; dans ce but, il rédige et publie en dernier lieu une ordonnance ou un règlement ayant une portée générale.

Jusque vers 1666, l'attribution des réformes à Le Tellier est donc aisée et indiscutable. Mais ensuite, au moment de la guerre de Dévolution, la collaboration entre le père et le fils est établie. Elle est pour l'historien, conséquence inattendue, un obstacle insurmontable à toute décision justifiée sur la paternité de telle ou telle institution. Lequel des deux ministres l'a conçue et réalisée, on ne saurait l'affirmer avec certitude. Pour faire l'honneur de toutes à Le Tellier, on ne peut arguer du fait qu'il signe tous les actes jusqu'en 1677, ou encore invoquer l'absence de Louvois au moment ou un règlement a été élaboré et appliqué. Par exemple, parce qu'il est en Flandre le 12 novembre 1670 et en Franche-Comté au mois d'avril 1674, devra-t-on lui dénier toute participation dans le règlement sur les désordres commis par les soldats estropiés soit dedans soit dehors l'hôtel des Invalides, ou dans l'édit du roi pour l'établissement de cet hôtel ?[12] Par contre, quels arguments et quelles preuves pourrait-on avancer pour refuser entièrement au père, pendant cette période de douze ans, toute activité législative alors que celle-ci a été si vive et si intense pendant de longues années précédentes ? Tout au plus, sera-t-on porté à supposer que sont plutôt dans la manière de Louvois les institutions du genre spectaculaire, dirait-on aujourd'hui, destinées à glorifier et à surélever la majesté de la royauté bourbonienne non seulement aux yeux des Français, mais de l'Europe entière, et donnant lieu à des cérémonies grandioses au cours desquelles cette majesté se manifeste pleinement dans toute sa splendeur hautaine et satisfaite, telle l'inauguration solennelle par Louis XIV de l'hôtel royal des Invalides ? Peut-être aussi, à mesure que, par la volonté du souverain et de son ministre, l'armée, changeant de caractère, devient une armée d'offensive et de conquête et voit s'accroître énormément ses effectifs, pourra-t-on attribuer au fils de Le Tellier les actes créant de nouvelles armes spéciales, grenadiers, canonniers, etc. En réalité, sur ce terrain, on en est réduit à des hypothèses plus ou moins vraisemblables. Le problème reste et restera insoluble : au cours de ces douze années, il est impossible de déterminer la part respective du père et du fils dans l'œuvre administrative.

Cette œuvre, en revanche, apparaît comme étant beaucoup plus fournie et variée avant 1666 qu'après. Si l'on parcourt les volumes 16 à 21 des ordonnances militaires du ministère de la guerre, on reconnaît aussitôt que l'activité législative est marquée particulièrement, en 1643, 1645, 1647, 1649, 1651, de 1653 à 1655, de 1661 à 1663, et en 1665-1666[13]. De même, dans la table des ordonnances du règne de Louis XIV, dressée dans la collection Cangé[14], la liste des documents du 15 mai 1643 à 1668 occupe une centaine de folios, tandis que celle des pièces, depuis 1669 jusqu'à la mort de Louvois (16 juillet 1691), en remplit seulement une cinquantaine. A quoi tient cette disproportion à première vue surprenante ? A un changement total de la politique extérieure de la France, précisément à partir de 1665, année où mourut le roi d'Espagne Philippe IV. Son gendre, Louis XIV, aime la guerre, l'aimera trop comme il le reconnaîtra lui-même avant de mourir. Désireux d'accroître le prestige de la monarchie et d'effectuer des conquêtes territoriales, il trouve en Louvois un collaborateur ardent, dévoué, animé des mêmes sentiments. Au système dç défense, représenté par la petite armée de 30.000 hommes, constituée par Le Tellier après 1659, tous deux substituent le système offensif, pour lequel il faut des troupes beaucoup plus nombreuses[15], un grand développement et une extension rapide des préparatifs pour les munir de tout ce qui leur est nécessaire, armes, munitions, vivres, etc. , un souci de plus en plus vif pour les fortifications destinées, soit à corriger les bizarreries de la frontière flamande depuis 1668, soit à servir de points de départ pour l'invasion des pays étrangers. Ces préoccupations, d'ordre technique et pratique, finissent par absorber complètement l'attention du souverain et de son ministre, qui songent à la guerre contre l'Espagne d'abord, contre la Hollande ensuite. Pour eux, il s'agit donc, avant tout, de former un puissant instrument de domination, et non pas de rechercher des améliorations. Sauf pour des cas particuliers, les institutions seront celles qui existaient déjà on vivra beaucoup sur le passé.

 

II. — La vénalité des charges.

 

Que fut l'armée royale, entre 1660-1 où s'opéra la réformation après la paix des Pyrénées, et 1678 où s'en effectua une seconde après le traité de Nimègue ? Cette réformation fut-elle fondée sur des principes anciens ou nouveaux, heureux ou fâcheux ? Fut-elle complète ou partielle ? Quels en furent les caractères essentiels, et se modifièrent-ils ou non pendant cette période de seize à dix-sept ans ?

L'un des principes qui subsiste est celui de la vénalité ... de toutes les charges militaires, interdite absolument par l'article 190 du code Michau en 1629[16]. Le Tellier s'inspirant, autant que Colbert, des intentions et des actes du grand cardinal de Richelieu, a tenté cependant de réaliser cette réforme. Le 19 août 1648, dans un premier essai, restreint, mais significatif, il abolit le trafic des charges dans les troupes d'élite, qui devaient servir de modèle aux autres. Peut-être pensait-il à généraliser plus tard le nouveau régime, à l'appliquer à toute l'armée[17]. Mais il suffit de considérer la date de l'ordonnance pour comprendre que la mauvaise situation financière et le trouble politique du début de la Fronde étaient des circonstances peu favorables et qu'il fallait remettre la mise en pratique de cette innovation à des temps meilleurs.

Ceux-ci parurent venir avec le retour de Louis XIV, puis de Mazarin à Paris, avec la consolidation du pouvoir royal, résultat de la défaite des rebelles. Laissant de côté les charges des officiers généraux, qui ne s'achètent pas, Le Tellier rendit donc, le 2 avril 1654, une ordonnance applicable à toute l'infanterie, même aux Vieux et aux Petits Vieux régiments. L'habitude, dit-il, prise par les capitaines vieillis de vendre leurs charges et de se retirer du service, ne faisant que croître, constitue un grave danger : car, leurs successeurs n'ont pas l'expérience suffisante ou les qualités requises, tandis que ceux qui seraient de bons officiers, découragés par ce commerce des charges, s'en éloignent, comme si l'on ne pouvait plus y parvenir que pour de l'argent. Le roi n'admettra donc plus aucune démission des capitaines, lieutenants et enseignes pour prix d'argent. Il se réserve de récompenser les anciens officiers selon l'ancienneté et le mérite de leurs services[18]. Cette excellente intention resta, encore une fois, lettre morte. La promesse, en effet, d'indemniser les vieux capitaines, privés de gros bénéfices, était beaucoup trop vague ; sa réalisation paraissait devoir être fort lointaine ou même impossible par suite du délabrement des finances. D'autre part, à la tête du gouvernement, Mazarin, pour des motifs politiques ou personnels, enleva toute raison et toute force à la réforme en distribuant sans compter des brevets de don de charges militaires à toutes sortes de personnes, même à des femmes ; dont il voulait reconnaître les services et qui pouvaient disposer à leur gré de ces charges et, par suite, les vendre. Du reste ne s'était-il pas servi l'un des premiers en s'attribuant, dès le 2 février 1654, deux mois avant l'ordonnance, un de ces brevets de toutes les charges de la maison de la reine future[19].

Ainsi fut pris le pli. Le Tellier dut se contenter, plus tard, d'une modification beaucoup plus modeste. Le 30 septembre 1664, la vénalité fut abolie dans les gardes du corps : en réalité, il s'agit simplement des charges de lieutenants, enseignes, exempts et places d'archers des quatre compagnies de ces gardes. Le roi se résout à en retirer à soi la disposition, laissée jusqu'alors aux capitaines. Leurs anciennes provisions seront remplacées par d'autres, signées par le souverain et contresignées par le secrétaire d'état de la guerre, qui, désormais, conservent pour eux seuls la nomination. A titre de dédommagement, les capitaines de ces compagnies obtiennent une augmentation de gages de quatre mille livres par an[20]. Le roi, indemnisant immédiatement et, en outre, .manifestant sa volonté, entend qu'ils se soumettent au présent règlement. Il en sera de même, en 1672, dans les compagnies de gendarmes[21].

En définitive, les projets, d'abord trop vastes, de Le Tellier aboutissent à un changement minime. L'abus était trop ancré et touchait à des intérêts financiers difficilement attaquables, si le gouvernement royal n'avait pas la possibilité de rembourser les charges vénales pour en disposer ensuite à son gré. Jusqu'à la Révolution française, colonels et capitaines trafiquèrent de leurs régiments et compagnies.

 

III. — La hiérarchie militaire.

 

D'après C. Rousset[22], en 1662, la hiérarchie des grades dans l'armée était confuse ou méconnue, compliquée par des rivalités aristocratiques. L'opinion de l'auteur, qui s'est abstenu de consulter, au ministère de la guerre, la collection des ordonnances militaires et les volumes contenant les documents antérieurs à cette année, ne correspond nullement à la réalité.

Depuis le 5 avril 1660, en tête ou plutôt au-dessus de tous les officiers se trouve le maréchal général des camps et armées du roi, grade exceptionnel conféré à Turenne, dont on reconnaît ainsi les services éclatants, rendus pendant la guerre contre les Habsbourgs[23]. A lui sont subordonnés les maréchaux de France, choisis par le roi : ayant, avant 1661, causé fréquemment de graves dangers par leur mésentente, ils susciteront encore des difficultés en 1672 par leur esprit d'insubordination, leur orgueil et leur désir irréductible de ne s'incliner devant personne, comme j'aurai à le montrer. Aussi, les maréchaux, promus après la mort de Turenne, furent-ils tenus, par l'ordonnance du 31 juillet 1675, de prendre rang d'après la date à laquelle ils ont été nommés lieutenants-généraux, c'est-à-dire l'ancienneté[24].

L'on a voulu voir là l'origine de ce que l'on a appelé l'ordre du tableau. En réalité, le principe de l'ancienneté avait été instauré depuis longtemps et appliqué aux lieutenants-généraux eux-mêmes. Ceux-ci, appelés quelquefois les enfants terribles de l'armée, étaient, comme leurs supérieurs, d'âpres défenseurs de leurs privilèges. A la tête des troupes, ils servaient par roulement, un jour chacun ; pendant la guerre, leurs jalousies et leurs discordes avaient eu, parfois, pour résultat de rendre les opérations incohérentes et peu fructueuses. Aussi, dans les mois de mai et juin 1656, des lettres avaient-elles été envoyées à plusieurs d'entre eux pour leur annoncer que l'usage du roulement serait maintenu, mais pour dire aussi aux lieutenants-généraux que, désormais, le roi choisirait le plus ancien d'entre eux pour commander l'armée en l'absence du général en chef : les autres devront le reconnaître et lui obéir sans difficulté[25]. Il en sera de même pour leurs adjoints, les maréchaux de camp, dont le nombre et l'importance seront diminués par l'apparition de nouveaux officiers généraux.

L'établissement de cette hiérarchie, simple et ordonnée, eut, en effet, deux conséquences, en apparence contradictoires. Il amena la disparition du maréchal et des sergents de bataille, dont les attributions n'avaient jamais été nettement définies et dont l'autorité était même contestée par les mestres de camp et les colonels des régiments[26]. En revanche, il provoqua la naissance des brigadiers. Le premier essai de cette institution fut tenté le 8 juin 1657, peut-être sous l'influence de Turenne, nommé quelques mois auparavant (24 avril) colonel général de la cavalerie. Treize brigadiers de cavalerie furent alors créés par brevet[27] : ils commanderont un certain nombre de régiments et compagnies, sous l'autorité des chefs de l'armée où ils serviront et des officiers généraux de la cavalerie légère. Ainsi leur rang est déjà fixé, bien que leurs fonctions ne soient que temporaires, pour la durée de la guerre : pendant la paix, en effet, le brigadier, mestre de camp éprouvé, reprend la direction de son régiment. On lit, dans le règlement promulgué par Turenne pour la cavalerie, le 20 novembre 1661, à propos du commandement des compagnies : Quand il y aura un brigadier, il commandera à tous les mestres de camp et capitaines... S'il s'y rencontre des brigadiers faits de même temps et desquels les brevets soient de même jour, ils tireront à qui commandera la première semaine et rouleront ainsi au commandement, sans que la chose tire à aucune conséquence...[28] Par suite, c'est seulement au moment où la guerre reprendra que l'expérience sera reprise et deviendra définitive, en juin 1667 pour les brigadiers de cavalerie, en mars 1668 pour ceux de l'infanterie[29]. Mais, cette fois, ces nouveaux chefs commanderont en permanence des brigades et prendront rang entre eux d'après la date de leur nomination : ils deviennent les derniers des officiers généraux.

La hiérarchie normale de ceux-ci, dont le roi se réserve exclusivement le choix et qui tiennent rang entre eux d'après des règles fixes et immuables, se trouve ainsi établie au temps de la guerre de Dévolution : .aucun changement n'y sera apporté plus tard.

Parallèlement à elle, il en existe une autre, celle des cola-nefs généraux des diverses armes, et.clu grand maître de l'artillerie. La tendance des secrétaires d'état a été d'affaiblir, de restreindre et, au besoin, de supprimer les prérogatives, jugées excessives, attachées à ces grandes charges et capables d'empêcher ou d'entraver le plein exercice de l'autorité royale. Parmi ces colonels généraux, ceux des corps étrangers, Ecossais, Polonais, Corses, ne pouvaient inspirer aucune crainte par suite de la faiblesse des effectifs sous leurs ordres, et d'ailleurs leur existence fut éphémère. Seul, celui des Suisses aurait pu porter quelque ombrage, surtout quand c'était un homme énergique et entiché de ses privilèges, comme Schomberg. Mais, dès 1665, le roi s'est emparé de la nomination des officiers des gardes suisses, et, d'autre part, sous Eugène, comte de Soissons, époux d'Olympe Mancini, et le duc du Maine, bâtard de Louis XIV, qui succédèrent à Schomberg, cette charge devint exclusivement lucrative et honorifique, dépourvue de toute indépendance.

Bien plus puissant, de l'avis même de Louis XIV[30], était le duc d'Epernon, colonel général, qui nommait à tous les emplois dans l'infanterie française. Dès la fin de la Fronde, Le Tellier s'attacha à restreindre ce droit : par des mesures successives, malgré les vives protestations du duc, il l'attribua, dès 1656, au roi, ne laissant au colonel général, que le privilège de donner son attache à l'officier nommé par le souverain. Cette grande charge n'a donc plus aucune utilité : il suffit d'attendre patiemment la mort du titulaire pour en proclamer la disparition. On a voulu quelquefois[31] faire honneur à Louvois de cette suppression. La date permet de rendre évidente l'erreur. D'Epernon meurt le 25 juillet 1661, le surlendemain la décision est prise dans le conseil, l'édit de suppression parait aussitôt et sera enregistré le 2 septembre[32]. Depuis lors, le roi nomme tous les officiers d'infanterie, le secrétaire d'état de la guerre leur délivre les brevets indispensables.

Pour la cavalerie, les colonels généraux ont été d'abord le comte d'Alais, les ducs d'Angoulême et de Joyeuse, personnages effacés, insignifiants même, sans initiative et sans énergie. Le pouvoir réel était aux mains du mestre de camp général, tendant de plus en plus à agir en toute indépendance, surtout quand ce haut officier était l'acariâtre et grognard Bussy-Rabutin. Pour le contrôler et le réduire, fut créé un commissaire général, dont les attributions furent soigneusement et minutieusement stipulées, le 25 mai 1654 et le 7 septembre 1655[33]. Telle était la situation quand, en 1657, Turenne devint colonel général de la cavalerie. On ne pouvait agir avec le grand soldat comme avec le duc d'Epernon. Néanmoins, à partir de 1667, des restrictions furent apportées à son pouvoir de nomination, et cela sans trop de difficultés. Après sa mort en 1675, son neveu, le comte d'Auvergne, n'eut plus aucune influence, nourri de couleuvres sur sa charge depuis longtemps par Louvois[34]. Malgré de fréquentes sollicitations, il s'obstina à ne pas vouloir s'en défaire moyennant argent. Le roi fit ainsi des économies et imposa son autorité dans la cavalerie comme dans l'infanterie[35].

Le même sort fut réservé à la grande maîtrise de l'artillerie. Pas plus que le maréchal de La Meilleraye à l'égard de Richelieu, le duc de Mazarin, son fils, ne montra des velléités d'indépendance envers Louis XIV. Personnage dont il est inutile de rappeler les bizarreries, considéré comme atteint de dérangement cérébral, pourvu de toute une série de gouvernements, en particulier celui de l'Alsace où il fut en conflit avec les intendants et les gouverneurs des places, il était complètement dévoué et soumis au secrétaire d'état. En 1669, il vendit sa charge au comte du Lude, familier et aide de camp de Louis XIV, protégé de Louvois. Sous ce grand maître, l'artillerie est incorporée dans l'armée, comme le désirait le ministre. Du Lude acceptera d'être nommé successivement colonel du régiment des fusiliers et de celui des bombardiers. Il est l'homme du roi.

En définitive, à l'époque à laquelle nous nous plaçons, les colonels généraux des diverses armes et le grand maître de l'artillerie ont perdu progressivement la puissance dont ils disposaient. Soit par suppression, soit plutôt par absorption faite sans violence par les secrétaires d'état, ces grandes charges ne constituent plus un danger pour la royauté, et, chez leurs titulaires, l'esprit monarchique à remplacé l'esprit féodal.

Nous arrivons ainsi aux officiers des régiments, si turbulents et si susceptibles. Leur hiérarchie est fixée d'une manière irrévocable, quelques jours après la mort du duc d'Epernon, par l'ordonnance du 28 juillet 1661. En tête le colonel, puis le lieutenant-colonel dont le rôle grandit dès lors parce qu'il devient le chef effectif du régiment, après lui le major chargé de veiller au bon ordre, à la police, à la répression des fraudes, etc.[36], enfin le capitaine, le lieutenant, et le sous-lieutenant apparu le 26 janvier 1657 dans les gardes françaises[37] et plus tard dans les autres régiments. Tous ces militaires prendront rang entre eux d'après un principe unique, l'ancienneté, la date des commissions : s'il en est qui aient été promus en même temps, ils tireront au sort entre eux et marcheront dorénavant dans le rang qui leur sera échu[38]. N'est-ce donc pas là l'établissement d'un annuaire, de l'ordre du tableau contre lequel se sont si violemment élevés Saint-Simon et Feuquières ? Louvois ne fera que régulariser ce qui existait déjà avant lui.

En dehors ou à côté de cette hiérarchie, si semblable à celle de nos jours, restaient les officiers réformés et les cadets.

Au sujet des premiers, le fils de Le Tellier écrivait lorsque fut conclu le traité d'Aix-la-Chapelle. Il est vrai que le roi fait des réformes. Mais il serait bien difficile de n'en pas faire à l'occasion d'une paix aussi profonde que celle-ci va être, et, le roi entretenant tous les officiers, chacun a sujet de se louer de sa bonté[39]. Il oubliait qu'avant lui cette préoccupation de constituer une réserve d'officiers éprouvés avait hanté l'esprit de son père. Dès la fin de 1657 et jusqu'en 1665, Le Tellier avait pris des mesures pour régler le sort des officiers réformés, entretenus à la suite des compagnies, touchant demi-solde et devant fournir un service de six mois, attendant une vacance par mort ou autrement ou de nouvelles levées. Ces militaires seront rappelés en tenant compte de l'ancienneté de leurs services. Tant qu'ils seront dans la position de réforme, ils marcheront après leurs collègues en activité[40], mais commanderont aux lieutenants, sergents, etc. Avec eux la monarchie disposa d'instructeurs pour les recrues quand on se prépara à la guerre de Dévolution, de capitaines ou lieutenants exercés lorsqu'on procéda à de nombreuses levées en prévision de la lutte contre la Hollande. Elle s'adressait à eux quand elle entreprenait quelque expédition hors de France, par exemple à Candie en 1669 : il est vrai que la perspective d'aller si loin ne leur sourit guère et qu'il fallut user de contrainte pour en entraîner un nombre suffisant[41]. En revanche, ceux qui acceptèrent sans hésitation l'offre du secrétaire d'état ne purent que s'en réjouir, comme l'indique clairement Louvois : J'attends au premier jour le résultat des conseils de guerre, tenus par les officiers en pied sur le choix de ceux à qui l'on donnera des compagnies de nouvelle levée. Mais il faut empêcher que cela ne se fasse par cabale et que l'on ne fasse de tort à personne, c'est-à-dire qu'un officier qui aura de quoi faire sa compagnie, qui sera le premier a monter, soit nommé s'il n'a rien fait pour s'en rendre indigne, et, parmi ceux-là il est sans doute que ceux qui ont été en Candie doivent suivre le premier rang[42]. Et ainsi les officiers réformés reprenaient place dans la hiérarchie normale, la royauté ayant pris la précaution, dès cette époque, de conserver les cadres.

Une autre façon d'avoir des militaires instruits et capables fut de développer l'institution des cadets, si fortement recommandée par le code Michau[43]. A quelle date précise fut-elle mise en pratique ? On ne saurait l'affirmer avec certitude. On rencontre des cadets répartis dans les quatre compagnies des gardes du corps en 1666 : les uns touchent une solde mensuelle de 30 livres, les autres ne sont pas rémunérés. Tous doivent également travailler : ceux qui n'ont pas de solde feront le service aussi régulièrement que ceux qui la reçoivent et, lorsqu'ils y manqueront, ils seront punis tout ainsi que ceux qui seront couchés sur le rôle desdites compagnies[44]. Il y en eut aussi dans les troupes tenant garnison en province, par exemple à Perpignan en 1672[45]. Cette coutume d'entretenir et d'instruire des cadets dans les régiments disparut lorsqu'en 1682 Louvois forma avec eux des compagnies spéciales : l'échec de cette tentative, après la mort du ministre, entraîna le retour à l'ancien système. Ainsi les cadets, aspirants officiers, ne commençaient à entrer dans la hiérarchie que lorsqu'ils obtenaient une lieutenance.

Enfin, les secrétaires d'état eurent, aussi, à fixer la hiérarchie collective, celle des régiments et des compagnies. Ce fut, pour eux, une tache des plus ardues que de mettre fin à des compétitions incessantes, violentes et frisant, même, l'insubordination. Avec une patience infatigable, Le Tellier examine chaque cas particulier, le résout tout au moins provisoirement jusqu'à ce qu'il puisse édicter un règlement général. Dans ses Mémoires (année 1666), Louis XIV a fait écrire : Sans m'étonner de toutes ces différentes prétentions que chacun des corps portait avec tant de chaleur que personne n'avait encore osé en décider... Le Grand Roi a commis une grave erreur : c'est bien avant 1666 que les règlements sont intervenus[46]. Sans entrer dans le détail de toutes les ordonnances particulières, il suffira de signaler celles qui ont une portée générale. Dès le 24 février 1647, la cavalerie étrangère est incorporée dans la cavalerie française, et, dans ce corps devenu unique, les régiments prennent rang suivant la date de la commission de leurs colonels[47]. Dans cette cavalerie, l'aristocratie était formée par les compagnies destinées au service particulier du roi et de sa famille. De 1659 au 15 décembre 1665, le problème fut résolu : en tête marcheront les gardes, les gendarmes, les chevau-légers, les gendarmes écossais et les mousquetaires de Sa Majesté ; à la suite et par ordre, les gendarmes et chevau-légers de la reine mère, ceux de la reine, ceux du dauphin, ceux du duc d'Orléans[48].

Dans l'infanterie, le premier principe adopté est qu'un régiment étranger, quel qu'il soit, ne peut avoir le premier rang : les Suisses, les gardes écossais, par exemple, seront toujours précédés par le plus ancien régiment français, qui sera avec eux dans la même garnison, et ne marcheront qu'en deuxième ligne[49]. Le second principe est que, pour les régiments français, un officier de chacun d'eux apportera au secrétaire d'état les titres et mémoires contenant les raisons dont ils se voudront aider pour la preuve du rang qu'ils prétendent[50]. Les deux ordonnances du premier avril 1654 font connaître la décision du ministre[51]. Après avoir fixé le rang des Vieux et des Petits-Vieux, Le Tellier dresse la liste des autres régiments d'après le jour et date de la commission de sa levée. Cette solution, logique d'ailleurs, ayant suscité beaucoup de mécontentements, il cassa des capitaines, ordonna l'arrestation de colonels, etc. Sans doute, y aura-t-il encore des conflits de préséance : mais ce ne seront que des conflits particuliers, n'excitant plus l'animosité. Les ordonnances des 19 et 28 février 1666 et du 26 mars 1670 se bornent, en réalité, à répéter des stipulations formulées depuis l'époque de Mazarin et dont certaines subsisteront jusqu'en 1777[52].

Les contestations provoquées par le rang, la hiérarchie, ont pris alors une ampleur extraordinaire, parce qu'elles touchent et aux privilèges nobles et au point d'honneur. Elles ont donné lieu, d'abord à une infinité de solutions particulières, ensuite à quelques règlements qui ont défini et formulé les bases essentielles. Celles-ci sont très simples : pour les officiers généraux et les chefs des diverses armes, le roi choisit à sa guise et de sa seule autorité. L'ancienneté de service devient la règle pour tous les autres militaires et détermine leur rang. Que ces principes soient bons ou présentent des inconvénients, peu importe : ils sont ceux sur lesquels est fondée, d'une façon nouvelle, l'armée française, et qui ne varieront guère dans l'avenir.

 

IV. — Le Recrutement.

 

Invariable aussi, et il devait le rester, fut le mode de recrutement des troupes, dont le code Michau s'occupe longuement pour le confier aux officiers et aux commissaires des guerres, agissant de concert[53]. Celui des étrangers est réglé par des capitulations, conventions conclues entre le secrétaire d'état et les colonels ou capitaines étrangers, suisses, allemands, etc. Celui des soldats français est confié à des officiers, qui, moyen, nant une prime, s'engagent à lever pour le roi un certain nombre de recrues, d'après le principe de l'engagement volontaire. Dès le 20 décembre 1643, Le Tellier publie l'ordonnance essentielle, contenant les idées générales d'après lesquelles devra s'effectuer le recrutement[54], et pendant les années suivantes sont précisés les détails de l'organisation, surtout en 1644-6[55]. Or, par esprit de lucre, les officiers, une fois la prime reçue, se gardent bien de procéder à une levée, qui risque de diminuer leur bénéfice. Le roi n'en ayant pas pour son argent, le secrétaire d'état intervient pour les obliger à avoir le nombre de soldats... pour lequel ils auront reçu le prêt et le pain pendant l'hiver, outre ceux pour lesquels ils auront touché le fonds des recrues sinon, cassation, arrestation, contrainte par corps, saisie et vente des biens des coupables. Dans les documents ultérieurs, Le Tellier fixera l'effectif, d'ailleurs variable suivant les temps, d'une compagnie. Mais l'ordonnance du 22 décembre 1654 a indiqué le principe et les peines, et elle servira de modèle à toutes celles qui suivront pour rappeler aux capitaines d'infanterie leurs obligations[56].

Croire que les administrateurs civils de la guerre vinrent ainsi, par des moyens législatifs, à bout de la négligence, de la rapacité, des friponneries des officiers serait émettre un jugement téméraire. Choisissons quelques exemples significatifs. En 1667, un commandant se plaint que des capitaines, partis en congé pour lever des recrues, ne reviennent plus et empêchent les autres d'accomplir leur devoir[57]. En 1672, de son côté, un commissaire des guerres écrit : C'est une négligence si grande par aucuns capitaines qu'il y en a qui, depuis trois mois, sont en recrue sans envoyer un seul homme[58]. Comment réagissent les secrétaires d'état ? Energiquement, mais de différente manière. Si le mauvais exemple donné par un officier est capable de préjudicier considérablement au service, Le Tellier le casse : il admet pourtant qu'un capitaine coupable, mais ayant jusqu'à sa faute de beaux états de service, soit simplement mis dans la situation d'officier réformé[59]. Louvois repousse les atténuations. Non seulement il refuse de s'intéresser à un militaire casse ou à un militaire négligent qui désire obtenir une lieutenance du roi[60], mais il fixe un délai pour que les compagnies soient complètes : sinon, retrait d'emploi et remplacement par des capitaines réformés[61]. Au moment où se font les préparatifs contre la Hollande, il écrit au maréchal D'Humières : Si, entre ci et Noël, que je me rendrai à Lille, les compagnies ne sont sur le pied que Sa Majesté le désire, je porterai avec moi les ordres pour les casser, qui seront exécutés pendant que je serai sur les lieux[62]. La sévérité s'accroît quand la guerre a éclaté : Si, au moyen de deux mois, mande-t-il à un officier, que le roi vous a fait payer complets, votre compagnie ne l'est au plus tôt, vous devez vous attendre non seulement à être cassé, mais aussi à être arrêté pour la restitution de l'argent que vous avez reçu pour les hommes que vous n'avez pas[63]. Cependant, il se refuse à accorder aux commissaires des guerres le droit de cassation ; qui appartient au roi seul. Il leur concède seulement celui d'interdiction provisoire en attendant les ordres définitifs, qui ne peuvent émaner que du gouvernement central[64]. N'est-ce pas là une des sérieuses raisons, expliquant la persistance de cet abus invétéré, malgré les efforts des secrétaires d'état, quoiqu'il apparaisse moins grave après 1662 que pendant la période troublée de la Fronde ?

Les capitaines ou leurs délégués ne respectent pas davantage toujours les prescriptions gouvernementales relatives au caractère que doit avoir l'enrôlement. Louvois mande bien aux capitouls de Toulouse que l'intention du roi n'est pas que les officiers, qui font des levées pour son service, engagent qui que ce soit par force si les capitouls apprennent quelques désordres à cet égard, ils ont, non pas à en informer eux-mêmes, mais à avertir, l'intendant qui accueillera leurs plaintes et y pourvoira s'il le trouve juste[65]. Or, précisément en ces années 1673-4, les intendants envoient au secrétaire d'état des informations précises et alarmées. En Languedoc, d'Aguesseau est assailli de réclamations passionnées : un misérable enrôlé de force et enfermé dans une chambre, s'est précipité par la fenêtre et est en grand danger de sa vie : les peuples commencent de s'enfuir et de se cacher, dès qu'ils voient un officier recruteur : seule une ordonnance pourrait remédier à ce désordre[66]. D'après l'intendant de Montauban, on prend partout indistinctement par force et violence, sans aucun enrôlement et sans rien donner... les passants, voyageurs, pâtres, paysans, charretiers, même jusqu'aux enfants et vieillards ; les marchés sont déserts, les paysans n'osant sortir de leurs demeures ; à la campagne, les troupeaux sont sans gardiens, qui s'enfuient aussitôt qu'ils aperçoivent un cavalier ou un piéton qui ait une épée au côté[67]. Les recruteurs n'hésitent pas à opérer de la même façon sur les terres du ministre en personne : ils enlèvent un oiselier à Vélizy, propriété de Louvois, qui charge le commissaire Benoit de demander son congé au capitaine, afin qu'il puisse s'en retourner chez lui[68].

Ces excès engendrent parfois des incidents graves. Rien ne montre mieux que l'affaire du lieutenant Colombet, à Sézanne en Champagne, les diverses répercussions, la confusion des pouvoirs, l'attitude du gouvernement, la résistance indignée de l'intendant Caumartin : rien n'illustre mieux les inconvénients du recrutement prétendu volontaire. Colombet ne pouvant persuader à un garçon maréchal de s'enrôler... le saisit par sa cravate et, comme le garçon s'échappait de ses mains, il lui donna par derrière un coup d'épée dans le corps, dont il est fort mal. L'intendant charge son subordonné Bruché d'arrêter l'officier : si le blessé guérit, l'affaire pourra être accommodée ; s'il meurt, Bruché instruira le procès jusqu'au retour de Caumartin. Le subdélégué demande l'appui du commissaire des guerres, Malézieux, qui, refusant d'intervenir, adresse à Louvois un rapport contenant une version totalement différente de celle de l'intendant, à peu près semblable à celle de l'officier, blessure insignifiante puisque la victime s'est évadée, désertion des recrues qui s'évadent à la faveur de l'emprisonnement de Colombet. Celui-ci est élargi par jugement du subdélégué, paie deux écus au chirurgien et part avec sa recrue aisément retrouvée : le garçon fera partie de la recrue suivante.

Alors intervient Louvois. Il blâme le subdélégué de se mêler de ce qui regarde la troupe, le commissaire des guerres pour l'avoir souffert et Caumartin lui-même : Il est bien, à propos, lui écrit-il, qu'à l'avenir vous vous absteniez de faire arrêter les officiers, sans, auparavant, avoir bien examiné les plaintes qui sont faites et la suite que cela peut avoir, et en donner avis ici afin de recevoir les ordres de Sa Majesté. En recevant cette mercuriale, l'ami de Retz et de Mme de Sévigné, le franc et intègre Caumartin ne put se contenir. Après avoir exposé la continuité déplorable des violences, la chose est venue à un point, dit-il, qu'en vérité il n'y avait plus moyen d'en souffrir. On se contentait autrefois d'enrôler les ivrognes et ceux qui avaient à moitié consenti. Mais, à présent, les capitaines prennent qui leur plaît, les bergers dans les campagnes, les guides, les coqs de paroisse, les marchands dans les villes : rien ne s'en sauve, et, si on ne veut croire un sergent ou un valet d'officier à sa parole quand il dit qu'un homme s'est engagé, quoique toutes les apparences soient du contraire, le capitaine crie miséricorde et est près d'abandonner sa levée. Et l'intendant conclut dignement : j'avoue que, quand j'ai vu un misérable avec un coup d'épée au travers du corps, parce qu'il n'avait 'pas voulu s'enrôler, je n'ai pas cru devoir laisser cette action impunie. Le mot de la fin est dit par le commissaire des guerres à propos des habitants de Château-Thierry : Toute cette affaire fait le meilleur effet du monde pour le bien des troupes en cette ville. Tout le monde y est si soumis et si mortifié qu'elles y seront dorénavant très bien[69].

Pourquoi Louvois a-t-il si vertement rudoyé les civils alors qu'il s'affirmait partisan de l'engagement vraiment volontaire ? Il l'indique lui-même avec la plus grande netteté au moment où éclate le conflit provoqué par l'acte du lieutenant Colombet les grandes levées effectuées pour continuer la guerre de Hollande, ayant épuisé le pays, il faut être un peu moins difficile en ce temps-ci ou les hommes deviennent rares[70]. Voilà pourquoi, nécessité n'ayant pas de loi, il accepte les soldats, d'où qu'ils viennent et quel que soit leur passé, un archer de la maréchaussée de Poitiers condamné aux galères, des pauvres de l'hôpital général qui peuvent bien servir dans les troupes et qui s'enrôleraient volontiers, des enfants de quinze ans, etc.[71] Voilà aussi, pourquoi il se montre brutal à l'égard de ceux qui, comme les subdélégués, excèdent leurs attributions, et risquent, pour des raisons humanitaires, morales ou autres, de restreindre et de compromettre le recrutement indispensable. Mais les procédés violents n'expliqueront-ils pas la grande plaie, la désertion, comme il sera dit ci-dessous ?

Après avoir fait constater par le commissaire des guerres que sa compagnie est complète, le capitaine n'éprouve aucun scrupule à ne pas la maintenir : car, plus il manque de soldats, plus ses bénéfices augmentent. Il trouve parfois des complices parmi les commissaires eux-mêmes ou parmi les subdélégués qui, affirme un intendant, autorisaient l'usage de passer les compagnies pour cinquante, complètes ou non[72]. Et, d'un air désabusé, il ajoute : On me fait passer pour un homme du vieux temps et qui m'attache à la lettre moulée, quand je parle de présents et effectifs. Le souverain, en effet, a exprimé sa volonté formelle de ne payer que sur le pied effectif[73], et, dans ce but, de faire passer, à l'improviste, la revue des compagnies. Alors se développe l'ingéniosité surprenante des capitaines, qui, prévenus à l'avance, se servent de passe-volants pour tromper les commissaires[74]. Des milliers d'exemples nous apprennent des milliers de ruses : les officiers en garnison à Avesnes et au Quesnoy, par exemple, n'hésitent pas à faire entrer de nuit et monter avec des cordes sur les bastions desdites places des passe-volants qu'ils font venir des lieux des environs, afin de faire paraître leurs compagnies plus fortes qu'elles ne sont effectivement[75]. Pour mettre fin à un autre genre de trafic, Louvois écrit à un commissaire : Si les capitaines de votre département veulent prendre pour soldats les valets de leurs lieutenants, vous pouvez le leur promettre : mais, s'ils les servent encore, il faut les traiter comme passe-volants[76].

Contre ce véritable fléau, Le Tellier, dès le début, édicte des peines très sévères. Depuis l'article 7 de l'ordonnance du 28 avril 1653 jusqu'à celle du 14 février 1662, c'est la peine de mort. Pendant les années suivantes, 1663-5, années de paix, on se contentera du fouet et de la marque infamante de la fleur de lys. La guerre de Dévolution en 1667 ramène la peine de mort et la paix d'Aix-la-Chapelle en 1668 la fustigation. Le mal ayant fortement repris pendant le conflit avec la Hollande, Louvois, le 1er juin 1676, prescrit de couper le nez au passe-volant[77]. En même temps, d'autres mesures atteignent les officiers fraudeurs, interdiction, paiement de la prime de dix pistoles au soldat dénonciateur, qui reçoit son congé[78]. On encourage les magistrats municipaux à faire connaître les passe-volants aux commissaires des guerres[79]. Surtout, on soutient fermement ces derniers, lorsqu'ils accomplissent leur devoir. Le gouverneur de Belle-Isle, par exemple, ayant mis en prison un soldat dénonciateur, quoiqu'il fût muni d'un congé délivré par le commissaire Joinville, Le Tellier mande à son fils que cet acte, s'il est accepté, anéantira dorénavant le travail des commissaires pour l'exécution de l'ordonnance rendue contre les passe-volants, étant plus expédient, en telle matière, que le passe-volant souffre sans raison que de discréditer le commissaire ou d'exposer le dénonciateur au ressentiment des officiers. Sur sa proposition, le gouverneur est privé de traitement pendant trente jours, le major interdit pendant trois mois, le capitaine, qui avait le passe-volant, est cassé, le dénonciateur libéré et remis au commissaire : le gouverneur fait acte de soumission[80]. Tous doivent donc prêter appui au représentant civil du secrétaire d'état. L'ordonnance contre les passe-volants doit être lue toutes les fois qu'il passera la revue : on doit lui signaler les soldats d'occasion qui se trouveraient dans les compagnies, le seconder dans sa tache de toutes façons : Ledit commissaire étant obligé d'user de précautions pour empêcher les abus que les capitaines auraient dessein de faire, vous devez, lit-on dans une dépêche de Louvois, lui faire ouvrir la porte de la place aussitôt qu'il se présentera et faciliter toutes les choses qu'il pourra désirer de vous, concernant son emploi[81].

Ainsi, Le Tellier et son fils ont eu la même attitude à l'égard de cette fraude, longtemps vivace. Il semble bien que, s'ils ne sont pas parvenus à la supprimer, ils l'ont cependant fortement enrayée par leur énergie inlassable à combattre la cupidité enracinée des capitaines.

Ils eurent aussi à s'opposer à une coutume, qui les empêchait de connaître, l'état au vrai des troupes, celle de passer d'une compagnie dans une autre, d'une garnison dans une armée en campagne. Le soldat, en effet, après avoir touché sa prime, va ailleurs contracter un nouvel engagement, qui lui procurera quelque bénéfice. Le capitaine, lui, est intéressé à voir sa compagnie dépérir et il laisse faire : au contraire, les commandants de places, recrutant pour de modiques sommes des enfants, les vendent très cher à ceux qui en ont besoin pour entrer en campagne[82]. De là naît un désordre inouï, chue Le Tellier trouve installé quand il devient secrétaire d'état de la guerre[83]. Comme pour d'autres abus, il ne peut intervenir et sévir qu'après la fin de la Fronde. L'article IX de l'ordonnance du 28 avril 1653 sert dès lors de modèle et sera ensuite copié jusqu'en 1665 : il défend au soldat de quitter sa compagnie sans congé, au capitaine de le recevoir s'il ne peut exhiber ce congé : le premier est puni de mort, le second est cassé[84].

Bien plus grave et plus long fut le trouble causé par la désertion. Déjà signalé en 1635 par deux déclarations qui édictent la peine de mort contre les coupables[85], il sévit tant que dure la guerre contre les Habsbourgs, compliquée parfois d'une guerre civile. Les multiples ordonnances de Le Tellier n'obtiennent, pendant cette période si agitée, qu'un médiocre résultat[86]. La réforme radicale, effectuée dans l'armée après la paix des Pyrénées, fit cesser, pour un temps, la désertion. Mais celle-ci reprit lors des préparatifs de la guerre contre l'Espagne, et, de nouveau, ne put être entièrement réprimée. Elle a des conséquences fort fâcheuses, comme la désorganisation des régiments. Le plus souvent en effet, il s'agit de désertions non pas individuelles, mais collectives. En 1668, par exemple, les deux régiments lorrains ont tant fait par leur désertion qu'ils se sont réduits à rien : il ne leur reste pas vingt hommes[87]. En 1669, dans le régiment du roi, les soldats partent en troupe de dix ou douze et tirent sur les officiers qui tentent de les arrêter[88]. En 1670, dans celui de Furstenberg, il disparaît en deux jours trois ou quatre cents fantassins[89]. Et cela continue et s'aggrave, pendant la guerre de Hollande, au point qu'en 1677, Louvois constate le passage en territoire ennemi de 2.000 déserteurs français avec plusieurs sergents et même 17 officiers, lieutenants ou sous-lieutenants[90].

A quelles causes attribuer la persistance de cet abus ? Certains évoquent l'inconstance étonnante du soldat : ils ont un si grand désir de s'en aller qu'il y a eu beaucoup de peine à les retenir, et la plupart s'étaient évadés avant la réforme[91]. En Bourgogne, un commissaire des guerres croit que la désertion provient de ce que les officiers prennent souvent des soldats venant de Franche-Comté, qui s'en retournent[92]. En réalité, la raison vraie et essentielle est quelque injustice de la part du capitaine envers le militaire : il faut, continue Louvois, que les officiers paient à leurs soldats toute leur solde sans en retenir autre chose que les neuf deniers pour leurs habits[93]. Il est en effet des capitaines qui, journellement, donnent seulement aux soldats un sol et demi et aux sergents trois sous et demi[94]. De leur côté, les déserteurs confirment cette opinion en assurant que le roi payait fort bien, mais que les officiers retenaient l'argent et les rouaient de coups de bâton quand ils en demandaient[95]. Et, pour le ministre, cette constatation devient un leitmotiv.

D'autre part, cette licence s'éternise, parfois en se développant, parce que les prévôts des maréchaux, qui devraient la réprimer, n'accomplissent pas leurs fonctions. Moyennant argent, ils délivrent des déserteurs emprisonnés ou bien ne les arrêtent pas, et leurs lieutenants les imitent[96]. Les intendants sont invités à leur rappeler leur devoir et à les prévenir qu'ils seront privés de leurs charges en 1668, de deux années de gages en 1673[97]. Il arrive aussi que des commissaires des guerres envoient des soldats loger chez des prévôts négligents : à l'un d'eux gui proteste, il est répondu que le roi ne veut pas que ceux de ses officiers qui ne font pas leur devoir jouissent des privilèges de leurs charges. Comme il promet de bien servir désormais, Louvois accepte qu'on retire les soldats logés chez lui, ses officiers et archers. Mais, si, dans la quinzaine, il n'a pas fourni des preuves effectives de son zèle, le commissaire lui donnera et à eux le double de ce que vous aurez eu pendant ce temps-là[98]. C'est contre une autre catégorie de complices que Le Tellier, de son côté, doit se montrer sévère à la même époque. A Douai, en effet, les carmes ont accueilli, dans leur couvent, les soldats du Royal-Italien, qui voulaient déserter. Le secrétaire d'état s'attaque à la bourse de ces religieux : Pour punir les carmes de la conduite qu'ils ont tenue en cette occasion, le roi désire que, s'ils ont du temporel, vous le fassiez saisir, sans qu'ils en puissent rien recevoir jusques à nouvel ordre de Sa Majesté[99]. Venant à la rescousse, Louvois enjoint au gouverneur de la place de ne point absolument souffrir que les religieux se mettent sur le pied de réfugier les criminels[100].

Les secrétaires d'état ont donc tenté de réveiller les énergies défaillantes : ce ne pouvait être cependant qu'un palliatif. Un remède plus efficace sembla devoir être la publication d'ordonnances précises et rigoureuses. Tel est du moins l'avis de Louis XIV, qui s'attribue la paternité de ce projet et sa réalisation : Je fis, dit-il, une ordonnance, dont le fruit s'est fait connaître dans la suite des temps[101]. Il ignore les tentatives de Le Tellier avant 1660 et, s'il considère qu'en 1666 il apporte des remèdes plus effectifs que ceux dont on s'était servi jusque-là, peut-être est-ce pour réserver tout l'honneur à la seule majesté royale. En tout cas, c'est bien en 1666 que sont promulguées, non pas une, mais trois ordonnances successives, les 31 mars, 20 mai et 28 octobre, dont les deux dernières ne sont que l'ampliation de la première[102]. Elles ont pour caractère de préciser le rôle des officiers, des prévôts, des commissaires des guerres, qui sont tous tenus d'adresser leurs rapports, états, reçus, jugements, etc., au secrétaire d'état, à qui tout revient ainsi et qui décide en dernier ressort.

Quelle efficacité réelle eurent ces actes administratifs ? Cela (la désertion) ne se peut pas empêcher tout à fait, reconnaît Louvois lui-même en 1670. A son avis, il faut envoyer, le soir, de petits partis de cavalerie se mettre en embuscade sur les chemins pour surprendre et arrêter les déserteurs, en faire pendre quelques-uns, publier une ordonnance promettant cent livres aux paysans ramenant un délinquant : Quand même les paysans ne l'exécuteront pas, elle fera peur aux soldats, semble croire le ministre, et leur ôtera la pensée de déserter[103]. Ou bien encore, pourrait-on libérer les déserteurs emprisonnés, les donner aux officiers qui se trouveront sur les lieux, pour compléter ainsi leurs levées[104]. Enfin, un militaire émet une suggestion fort raisonnable : Pardon, Monseigneur, de la liberté que je prends de vous dire qu'il me semble que les soldats auraient plus de peine à déserter, s'ils étaient tous vêtus de la même manière, parce qu'on les connaîtrait partout plus facilement. Idée fort juste sans doute, mais trop difficilement réalisable pour des raisons financières surtout.

Pour que le recrutement ne cause pas tant de déboires, ne conviendrait-il pas, songe Louvois, de rechercher des officiers riches, qui, grâce à leur fortune, maintiendraient leur régiment en un bon état ? Aussi, pour le commandement' de celui de Rambures, le ministre propose-t-il M de Nangis, parce qu'il dispose annuellement de 20.000 écus de rente[105]. Evidemment cet expédient ne pouvait être généralisé, tous les officiers nobles n'étant pas riches et le mérite ne devant pas être toujours sacrifié a la fortune. De même, quand le ministre s'adresse aux intendants pour qu'ils enjoignent aux commissaires des guerres de se montrer sévères dans les revues, il serait téméraire d'accorder à sa dépêche une trop grande importance : n'est-elle pas écrite, en prévision d'un voyage prochain de Louis XIV en Flandre, pour que tout soit en excellent état au moment de sa venue[106] ? En revanche, il convient d'attribuer, je crois, une action efficace aux inspecteurs généraux, véritables successeurs des sergents de bataille. En 1667 Martinet pour l'infanterie, en 1668 le chevalier de Fourilles pour la cavalerie furent investis de cette fonction et disposèrent sous eux, d'un personnel assez nombreux d'inspecteurs ordinaires. Régulières et fréquentes, leurs tournées eurent assurément un excellent résultat, non seule.-ment au point de vue du recrutement, mais pour tout ce qu'on appelait la police générale des troupes[107].

En définitive le recrutement, tel qu'il fut pratiqué jusqu'en 1677, n'offre à l'historien aucune innovation, aucune amélioration sur ce qui était auparavant en usage. Très défectueux, il est une cause de faiblesse pour l'armée royale, et les tentatives des secrétaires d'état pour parvenir à des modifications favorables ont été fort peu heureuses. Toutefois, peut-on soutenir que le recrutement a été constamment défectueux, sans interruption aucune ? Il ne le semble pas. Aux mois de mai et juin 1669, Louvois communique à son père les impressions que lui laisse son inspection en Flandre, impressions excellentes pour l'infanterie, mélangées pour la cavalerie. Qu'il se montre satisfait pour que le maître le soit aussi, peut-être inclinerait-on à le penser, s'il ne fournissait des détails d'une précision extrême[108] et dont la vérité ne saurait être suspectée. Il apparaît ainsi que, lorsque se présentait le représentant direct du souverain, le recrutement fonctionnait normalement, bien même. Mais il aurait fallu que le secrétaire d'état fût partout pour que l'obéissance fût effective, et il ne le pouvait pas.

 

 

 



[1] Les spécialisations changeront à plusieurs reprises, mais le fait important est qu'elles sont appliquées, pour la première fois, en 1626.

[2] Isambert, XVI, articles 81, 181-188, 190, 200, 204-205, 213 à 343.

[3] Id., p. 458 et 463, 8 août et 18 décembre 1635 déserteurs condamnés à mort.

[4] V., p. ex., B. N., f. fr., 4256, f° 51, ordonnance du 1er mars 1662 : — D. G., ord. mil., t. 21, n° 120, ordonnance du 12 novembre 1665. On peut, aussi, voir la correspondance de Sublet de Noyers avec Le Tellier, pub. p. Caron, Michel Le Tellier, son administration comme intendant d'armée en Piémont...

[5] Rousset, I, 164-165, 172.

[6] Texte pris dans la copie ; B. N., f. fr., 14189, p. 295-296.

[7] B. N., collect. Cangé, t. 26, f° 68.

[8] Id., f° 109.

[9] Id., t. 27, f° 68, 115 et 128, — t. 28, f° 313 et 341 : — D. G., ord. mil., t. 22, n° 108.

[10] V. le texte de ces trois ordonnances dans L. André, Michel Le Tellier..., appendices II-1V, p. 667-696. Les renvois à celle de 1651, surtout à son article 20, relatif aux exemptions de logement, sont excessivement nombreux : v., p. ex., B. N., collect. Cangé, t. 32, f° 85, 129, 143, 171, 187, — t. 81, f° 145, 18 mars et 20 décembre 1676, 15 janvier 1672, 2 décembre 1678, et 30 janvier 1687, lettres de Louvois, arrêts ou ordonnances. — Cf. le Règlement pour la fourniture et la distribution des étapes et pour le logement et la police des troupes marchant à la campagne, 12 novembre 1655, complément de plusieurs articles de l'ordonnance de 1651 : D. G., ord. mil., t. 21, n° 120.

[11] B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 81 et sq., ou A. N., O1, 4, f° 225-231, règlement du 12 octobre 1661 en 29 articles : — D. G., ord. mil., t. 20, n° 170, règlement du 16 février 1662 en 6 articles : — Id., n° 176 ou B. N., f. fr., 4256, f° 25-27, ordonnance du 6 mars 1662 : — D. G., ord. mil., t. 21, n° 112, règlement du 25 juillet en 58 articles.

[12] B. N., collect. Cangé, t. 31, f° 137 et 262.

[13] On peut aussi consulter à la B. N. la collect. Cangé, t. 26-30, ou aux A. N., la collect. Rondonneau, AD VI, 14.

[14] B. N., collect. Cangé, t. 81.

[15] V. B. N., f. fr., 4255, f° 5-8, 9-13, 177, états des troupes d'infanterie et de cavalerie qui sont au service du roi, et Mémoire contenant la quantité de troupes d'infanterie..., année 1666 : v. les corrections dans L. André, Michel Le Tellier..., p. 295. En 1666, le total de l'armée se monte à 97.515 hommes environ.

[16] Isambert, XVI, p. 278.

[17] B. N., collect. Cangé, t. 27, f° 169.

[18] B. N., f. fr., 4223, f° 125 ou D. G., ord. mil., t. 19, n° 82.

[19] Id., 4222, f° 109-110 : v. des références dans L. André, Michel Le Tellier..., p. 202, note 3.

[20] D. G., ord. mil., t. 21, n° 87, ou B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 153.

[21] Daniel, Hist. mil. fr., II, 192.

[22] Rousset, I, 164-165.

[23] A. N., K, 118 B, n° 992, ou B. N., f. fr., 4195, f° 112, ou D. G., ord. mil., t. 20, f° 112-117 ; Mémor. du conseil, I, 31.

[24] B. N., collect. Cangé, t. 32, f° 51 ou Briquet, Code mil., t. IV : — Rousset, II, 166-167.

[25] V. les références dans L. André, Michel Le Tellier..., p. 131 et note 4.

[26] La date de disparition de ces officiers ne peut pas être établie avec certitude ; on ne trouve plus de maréchal de bataille après 1662 : bien qu'il soit question du sergent de bataille encore dans l'ordonnance du 28 avril 1653, il me semble que cet officier a disparu depuis 1651.

[27] B. N., collect. Cangé, t. 29, f° 237, ou D. G., ord. mil., t. 20, n° 19 : le titre de cette ordonnance est Brevet de brigadier de cavalerie.

[28] D. G., ord. mil., t. 20, ni 199, ou B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 119.

[29] V. Daniel, Hist. mil. fr., II, p. 42-44.

[30] Louis XIV, Mém., II, 401.

[31] Mention, p. 105.

[32] B. N., collect. Cangé, t. 30. F° 73, ou D. G., ord. mil., t. 20, n° 152. — Cf. Louis XIV, Mém., II, 401 ; — Mémor. du conseil, II, 244-245, séance du 27 juillet 1661.

[33] Provisions dans B. N., collect. Cangé, t. 28, f° 331 et t. 29, f° 54, ou D. G., ord. mil., t. 19, n° 101 et 170, ou B. N., f. fr., 4188, f°8 310-312, et 4190, f° 309-311.

[34] Saint-Simon, Mém., II, 210 : — Cf., XI, 58-59.

[35] Je ne m'arrête pas à la création, en 1668, de la charge de colonel général des dragons pour Lauzun ni à l'établissement, en 1669, d'un état-major pour les dragons : B. N., collect. Cangé, t. 31, f° 49 : — Daniel, II, 504-505, remarque, en effet, à bon droit, que tout est fait sur la nomination du roi seul.

[36] Aussi les ordonnances s'occupent-elles souvent de cet officier : 12 octobre 1661, 21 avril et 17 novembre 1663, 6 juillet 1664, 25 juillet 1665. Louvois tient la main à ce que le major ou sergent-major ne soit pas molesté par les échevins des villes. Le 22 janvier 1671, il écrit durement aux consuls de Toulon : Il est bon que vous sachiez que, quand un major, qui est un homme de guerre, veut bien vous demander permission d'aller coucher hors de la place, vous, qui n'êtes que de simples bourgeois, devez toujours la lui accorder, si ce n'est dans des rencontres où le service du roi vous en empêche effectivement, et que, s'il vous arrive de pareils emportements, Sa Majesté pourrait bien se résoudre à vous ôter le pouvoir qu'Elle vous a donné. A. N., Guerre A1, 254 min., janvier f° 188. La sollicitude du ministre pour cette sorte de surveillant général va même très loin et pourrait être gênante : Le roi n'entend point, écrit-il à Vauban le 7 février 1672, que les officiers majors de la citadelle de Lille épousent des Flamandes, et, ai le sieur de Saint-Vincent veut se marier, il le peut faire pourvu que ce soit avec une Française : sinon, il faut, pour conserver sa charge qu'il ne se marie point : A. N., Guerre A1, 292 orig., pièce 23.

[37] B. N., collect. Cangé, t. 29, f° 221, ou D. G., ord. mil., t. 20, n° 5, ou B. N., f. fr., 4192, f° 36-37. — Cf. Daniel, II, 61.

[38] D. G., ord. mil., t. 20, n° 151, — B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 81 et sq., - D. G., ord. mil., t. 21, n° 56, ou B. N., f. fr., 4256, f° 44, B. N., f. fr., 4256, f° 52. — D. G., ord. mil., t. 21, n° 112, ordonnances des 28 juillet et 12 octobre 1661, 25 novembre 1663, 24 juin 1664 et 25 juillet 1665.

[39] A. N., Guerre A1, 222 tr., n° 600, Louvois à Le Pelletier de Souzy, 29 mai 1668 : — v. dans Rousset, I, 161, deux autres lettres à Le Tellier et à Rochefort.

[40] B. N., f. fr., 4192, f° 226 et sq., - D. G., ord. mil., t. 20, n° 37, 41, 122, 148 et 157, — B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 79, — D. G., ord. mil., t. 21, n° 21, 29 et 112, ordonnances des 27 octobre, 10 et 24 décembre 1657, 5 octobre 1660, 7 juillet, 18 septembre et 12 octobre 1661, 18 avril et 21 juin 1663, et 25 juillet 1665.

[41] A. N., Guerre A1, f° 51-2, lettre curieuse de Le Tellier à Navailles, commandant en chef de cette expédition, 24 mai 1669 : Il y a bien de l'apparence que plusieurs des réformés attachés à la suite des régiments se rendront, à leur devoir avant l'embarquement, et, au cas qu'il en manque quelques-uns, ils seront cassés, et vous pourrez donner des places d'officiers réformés à ceux des gentilshommes volontaires qui s'embarqueront, lesquels auront du mérite et du service. Vous observerez seulement de ne pas les remplir toutes par la raison que les fonds faits pour la subsistance des troupes sont faibles et qu'il sera bon d'employer les revenants bons des places vacantes aux autres dépenses de l'armée. Je ne vous dis point que Sa Majesté désire que, dans les promotions des places d'officiers réformés, vous observiez ce qui est porté par votre instruction, parce que je sais bien que vous exécuterez ponctuellement la volonté de Sa Majesté en cela.

[42] A. N., Guerre A1, 248 min., octobre f° 45, — 252 tr., f° 81 et 83 Louvois à Saint-Pouenges, 7 et 9 octobre 1670.

[43] Isambert, XVI, 280, art. 200 : Nous voulons que les compagnies de cavalerie et infanterie entretenues soient remplies des enfants de notre noblesse et qu'en chacune compagnie, il y en ait au moins la cinquième partie.

[44] Briquet, II, 98, ordonnance du 30 décembre 1646, ar. VI : — Daniel, II, 137-138. — Cf. Louis XIV, Mém., I, 54, 238, 242-243, — II, 118.

[45] A. N., Guerre A1, 300 orig., pièce 94, Carlier à Louvois, 17 février 1672, à propos d'un cadet tué en duel.

[46] Louis XIV, Mém., I, 241, — II, 122.

[47] D. G., ord. mil., t. 17, n° 109, — B. N., collect. Cangé, t. 27, f° 68, — B. N., f. fr., 4175, f° 119, et 4223, f° 52, ordonnance du 24 février 1647.

[48] D. G., ord. mil., t. 21, n° 125, ou A. N., Guerre A1, 198 tr., n° 53, 15 décembre 1665.

[49] B. N., f. fr., 4205, f° 72, Le Tellier à Villequier, 2 avril 1650 : — D. G., ord. mil., t. 19, n° 214, ou B. N., f. fr., 4191, f° 194 v° et 4223, f° 133, ou B. N., collect. Cangé, t. 29, f° 128, ordonnances du 27 mai 1656. - Cf. B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 36, 26 novembre 1660, — B. N., f. fr., 4256, f° 34 v° et 36 v°, 11 février et 21 avril 1663. — On trouvera d'autres références dans L. André, Michel Le Tellier..., p. 195, note 2.

[50] D. G., ord. mil., t. 19, n° 54, ou B. N., collect. Cangé, t. 28, f° 261, 16 décembre 1653.

[51] D. G., ord. mil., t. 19, n° 80 et 81, ou B. N., f. fr., 4188, f° 201-203, ou 4223, f° 130 : — Cf. Weygand, p. 140.

[52] D. G., ord. mil., t. 21, ordonnances des 19 et 28 février 1666, — t. 22, n° 108, ordonnance du 26 mars 1670.

[53] Isambert, XVI, p. 286 et 299, art. 235 et surtout 310-333.

[54] D. G., ord. mil., t. 16, n° 111, ou B. N., collect. Cangé, t. 26, f° 109. Il s'inspire, d'ailleurs, beaucoup du règlement publié par son prédécesseur. Sublet de Noyers, le 10 janvier 1643, sur les recrues de l'armée où Le Tellier était alors intendant : B. N., f. fr., 5158, f° 120-123.

[55] V., p. ex., B. N., collect. Cangé, t. 26, f° 136, 225, 235, t. 27, f° 137, ordonnances des 15 janvier 1644, 31 janvier et 6 avril 1645, 31 janvier 1648 : celles des 4 novembre 1651, 12 février et 28 avril 1653 n'apportent aux stipulations antérieures que des changements insignifiants, v. le texte dans L. André, Michel Le Tellier..., appendices.

[56] D. G., ord. mil., t. 19, n° 128, ou B. N., collect. Cangé, t. 81, f° 56, ou B. N., f. fr., 4189, f° 298-299.

[57] A. N., Guerre A1, 210 tr., n° 109 et 228, Du Passage à Louvois, 11 décembre, et Rochefort au roi, 27 décembre 1667.

[58] Id., 295 orig. pièce 22, Le Vacher à Louvois, 3 octobre 1672.

[59] Id., 233 min., f° 158, Le Tellier à Navailles, 24 mai 1669.

[60] Id., 234 min., août f° 16, — 302 min., f° 237, Louvois à Bachimont, 2 août 1669, et à Le Tellier, 13 mars 1673.

[61] Id., 215 min., f° 218, au commissaire Aubert, 13 juin 1668.

[62] Id., 257 min., décembre f° 15, — 260 orig., pièce 266, let. du 4 décembre 1671.

[63] Id., 365 min., p. 48, au capitaine Marcé, 4 mars 1674.

[64] Id., 363 min., p. 103, — 404 tr., p. 33, au commissaire Benoit, 8 janvier 1674.

[65] Id., 305 min., août f° 33, Louvois aux capitouls, 3 août 1673.

[66] Id., 362 orig., pièce 14, Aguesseau à Louvois, 7 octobre 1673.

[67] Id., 419 orig., pièce 18, Feydeau de Brou à Louvois, 3 janvier 1674.

[68] Id., 475 min., p. 313, Louvois à Benoit, 26 juin 1676.

[69] Les documents relatifs à l'affaire du lieutenant Colombet sont dans A. N., Guerre A1, 360 orig., pièces 2, 7, 10, 14, 56, 93 et 161, — et 303 min., f° 124 et 142 : ils vont du 1er au 26 avril 1673.

[70] A. N., Guerre A1, 302 min., f° 76, Louvois au commissaire Benoit, 6 mars 1673.

[71] Id., 470 min., p. 314, Louvois à Marillac, 20 janvier 1676 : — 471 min., p. 176, Louvois aux directeurs de l'Hôpital général, 13 février 1676.

[72] Id., 419 orig., pièce 15, Miromesnil à Louvois, 2 janvier 1674.

[73] Id., 314 tr., f° 155 v°, Louvois à Turenne, 4 mars 1673.

[74] V. dans Rousset, I, 199, le récit de l'affaire du commissaire Aubert, en 1671.

[75] D. G., ord. mil., t. 20, n° 168, — ou B. N., f. fr., 4256, f° 18, — ou B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 101, ordonnance du 14 février 1662. — Cf. A. N., Guerre A1, 190 tr., f° 315 et 385-386, la question des passe-volants pendant la campagne en Autriche en 1664.

[76] A. N., Guerre A1, 340 orig., pièce 42, Louvois au commissaire Le Vacher, 9 novembre 1673.

[77] D. G., ord. mil., t. 19, n° 23 et 188, t. 20, n° 131 et 168, — t. 21, n° 17, 59 et 112, — ou B. N., collect. Cangé, t. 30, f° 270, — ou B. N., f. fr., 4195, f° 246 v°, — 4224, f° 83 bis, — 4256, f° 18, 36 et 45, ordonnances des 28 avril 1653 (article VII), 16 janvier 1656, 24 novembre 1660, 14 février 1662, 21 mars et 22 décembre 1663, 25 juillet 1665 (articles 50-1), 15 juillet 1667. Cf. Rousset, I, 198 : — Dussieux, II, 215-6 : — Mention, p. 49.

[78] Cet encouragement à la délation peut donner lieu à des excès regrettables. Robert, en effet, raconte à Louvois, le 27 mars 1673 : Dans la dernière revue qui s'est faite à Campen, n'y ayant point de cornette à porter l'étendard dans la compagnie de Lauzon, il le fit porter par un petit garçon de 15 ou 16 ans, qui n'avait ni pistolets, ni bottes, ni épée, ce qui montre fort évidemment que M. de Lauzon n'avait pas eu dessein de le faire passer pour cavalier. Cependant un cavalier de sa compagnie ne manqua pas die s'en rendre dénonciateur et de prétendre son congé et cent écus en conséquence, ce que j'ai trouvé si déraisonnable que j'ai mandé que l'on tint le dénonciateur en prison jusques à nouvel ordre, que j'attendrai de vous. A. N., Guerre A1, 322 tr., f° 53-54, — 388 orig., pièce 61. — Sur le paiement, par le capitaine, de la prime accordée au dénonciateur, v. A. N., Guerre A1, 473 min., p. 179, — 483 tr., f° 129, — 498 orig., pièce 174, Le Tellier à Louvois, 9 avril 1676. Sur l'interdiction, A. N., Guerre A1, 234 min., juillet f° 88, Louvois à La Vercautière, 10 juillet 1669 : — Id., 294 orig., pièce 288, commissaire Faure à Louvois, 30 août 1672.

[79] A. N., Guerre A1, 294 orig., pièce 228, même commissaire à Louvois, 30 août 1672.

[80] Id., 360 orig., pièce 332, Le Tellier à Louvois, 3 juin 1673 : — 361 orig., pièce 161, lettre de Logerie : v. celle de Louvois dans Rousset, I, 203-204.

[81] Id., 256 min., août f° 295, Louvoie à Montgogne, 26 août 1671.

[82] V. la lettre de Vauban à Louvois, 11 janvier 1675, dans Rousset, II, 127.

[83] D. G., ord. mil., t. 16, n° 111, ordonnance du 20 décembre 1643, article 11.

[84] Id., t. 19, n° 23 et 139, — t. 20, n° 130 et 157, — t. 21, n° 3, 4, 53, 57, 118, 135, 138 et 161, ordonnances des 28 avril 1653 (art. IX), 26 janvier 1655, 21 novembre 1660, 12 octobre 1661 (art. 21), 5 et 22 janvier, 12 et 26 novembre 1663, 14 octobre 1665, 31 mars, 20 mai et 28 octobre 1666. — Si ce sont les soldats qui touchent, ils passeront en conseil de guerre et seront forçats à perpétuité : Id., t. 21, n° 153, ordonnance du 8 septembre 1666.

[85] Isambert, XVI, p. 458 et 463, 8 août et 18 décembre 1635.

[86] V. L. André, Michel Le Tellier..., p. 259 et sq. (exemples et références).

[87] A. N., Guerre A1, 226 tr., n° 183, Chamilly à Louvois, 24 mai 1668.

[88] Id., 244 tr., f° 13-16, Humières et Le Pelletier de Souzy à Louvois, 4 et 5 novembre 1669.

[89] Id., 250 tr., f° 72 v°, Saint-Pouenges à Louvois, 25 septembre 1670 : — Cf. Id., f° 94 bis, Créqui au roi, 29 septembre 1670.

[90] Id.. 532 tr., f° 321-2, Louvois à Luxembourg, 28 juin 1677.

[91] Id., 227 tr., n" 107, Charuel à Louvois, 17 juin 1668 : — 260 orig., pièce 100, Jencourt à Louvois, 23 octobre 1671 : — 532 tr., f° 249, à Luxembourg, 10 juin 1677.

[92] Id., 294 orig., pièce 228, commissaire Faure à Louvois, 30 août 1672.

[93] Id., 246 min., janvier f° 51, et 247 min., juin f° 38, Louvois à Carlier, 8 janvier, et au commissaire Maurice, 16 juin 1670. — Idem, 532 tr.. f° 249, à Luxembourg, 10 juin 1677.

[94] Id., 294 orig., pièce 228, commissaire Faure à Louvois, 30 août 1672.

[95] Id., 532 tr., f° 322, Louvois à Luxembourg, 28 juin 1677. — Quelquefois le motif est différent : en 1671, à Douai, les soldats ne veulent pas travailler aux fortifications : sur tordre des lieutenants-colonels, on leur retient la paie entière : alors ils s'en vont. Et l'informateur de Louvois ajoute : Il est étrange que des gentilshommes ont déserté comme les coquins, et, ce qui est le plus fâcheux, c'est que c'est la tête des compagnies qui s'en est allée. A. N., Guerre A1, 261 orig., pièce 46, Dufay à Louvois, 4 août 1671.

[96] Id., 359 orig., pièce 125, Feydeau de Brou à Louvois, 8 février 1673.

[97] Id., 221 min., f° 2, — 302 min., f° 157, Louvois à Caumartin, 1er décembre 1668 et 10 mars 1673.

[98] Id., 301 min., février 1673, f° 16, Louvois au prévôt de Saint-Jean D'Angély, 1er février 1673.

[99] Id., 268 min., août f° 14, — 271 orig., pièce 153, Le Tellier à Ernemont, 7 août 1672.

[100] Id., 268 min., septembre f° 89, — 278 orig., pièce 148, Louvois à Montpezat, 13 septembre 1672.

[101] Louis XIV, Mém., I, 240.

[102] D. G., ord. mil., t. 21, n° 135, 138 et 161. — Auparavant, il y a encore les ordonnances des 12 novembre 1663 et 14 octobre 1665 : B. N., f. fr., 4256, f° 42, — D. G., ord. mil., t. 21, n° 118.

[103] A. N., Guerre A1, 250 tr., f° 94 bis, Créqui au roi, 29 septembre 1670 : — 252 tr., f° 48-9, Louvois à Créqui, 28 septembre 1670. — Cf. Id., 261 orig., pièce 46, Dufay à Louvois, 4 août 1671.

[104] Id., 301 min., février f° 285, Louvois à Feydeau de Brou, 22 février 1673.

[105] Id., 476 min., p. 391, — 484 tr., f° 197, — 501 orig., pièce 156, Louvois à Le Tellier, 31 juillet 1676.

[106] Id., 246 min., janvier f° 107, Louvois aux intendants, 16 janvier 1670.

[107] N'ayant pas à traiter la question des inspecteurs généraux, je me borne à renvoyer au P. Daniel, t. II (une erreur de date), Rousset, I, 206-7, et Luçay, p. 68. — Dangeau, I, 278, note, à la date du 6 janvier 1686 : Ces inspecteurs s'appellent inspecteurs généraux et ont sous eux, dans chaque place de leur département, des inspecteurs particuliers que les troupes, par sobriquet appellent des apôtres. Le 19 mai 1669, Louvois écrit à Le Tellier, pendant une tournée en Flandre, à propos des officiers de cavalerie : Il est du service du roi de trouver quelque M. Martinet (pour ainsi dire) pour réveiller un peu les officiers qui s'endorment autant que l'étaient les officiers d'infanterie pendant la présente paix : A. N., Guerre A1, 241 tr., f° 342 et sq. — V. B. N., collect. Cangé, t. 31, f° 168, ordonnance sur l'inspection de la cavalerie, 1671.

[108] A. N., Guerre A1, 241 tr., f° 342, 346, 350 et 353 v°, Louvois à Le Tellier, 19, 21, 24 et 25 mai 1669. — En 1671 et 1672, Charuel, intendant en Lorraine, donne aussi de bons renseignements sur l'état des troupes : A. N., Guerre A1, 253 tr., f° 246, — 265 tr., f° 262 v°, à Louvois, 24 juin 1671 et 6 mars 1672.