L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

XVI — LE PREMIER TARQUIN.

 

 

Après Romulus, trois rois sabins se sont succédé à Rome ; ils vont être suivis par trois rois étrusques. Cela n’a rien d’extraordinaire : les Sabins étaient une nation guerrière qui, descendant de ses montagnes, avait occupé une partie du Latium et formé anciennement avec les Pélasges un établissement sur les huit collines.

Les Étrusques étaient une nation guerrière aussi et plus civilisée que les Sabins ; elle n’était séparée du Palatin que par le Tibre.

Les Étrusques avaient déjà campé sur le Cælius et possédé le Capitole ; mais comment Rome tout entière, comment ses deux moitiés, la Rome latine et la Rome sabine, en vinrent-elles à reconnaître le pouvoir d’un chef étrusque ?

L’histoire ne nous le dit point, et nous ne pouvons que l’entrevoir.

Le dernier roi sabin avait cherché à gagner et à effrayer tour à tour la population latine qui lui était soumise ; mais il n’avait pu y réussir. Le sentiment de l’inégalité et de l’infériorité politique, la haine de race, avaient dû résister aux avances et aux menaces d’un maître qui était à la fois un étranger et un ennemi. La population latine préféra un autre étranger qui n’était pas un ennemi.

Dans cette population, les hommes du Palatin, — ils avaient été refoulés sur leur colline, mais n’avaient pas été vaincus, ce qui, malgré leur petit nombre, leur donnait un certain avantage, — les hommes du Palatin durent être à la tête du mouvement favorable au candidat nouveau ; ils favorisèrent en lui l’adversaire de leurs adversaires, le maître de leurs maîtres.

Eux n’avaient aucun candidat possible : on ne parle pas de la race de Romulus ; on ne dit pas même qu’il ait laissé une fille qui pût transporter sur la tête d’un gendre ce droit à l’élection qui, comme l’a remarqué Orioli, repayait presque à chaque changement de règne depuis Numa jusqu’au dernier Tarquin.

En dehors de ce nom uniquement célèbre dans leurs courtes et obscures annales, il n’existait parmi. eux aucun nom considérable d’homme ou de famille. Comme ils n’avaient joué aucun rôle, ils n’avaient aucun titre.

Parmi les autres Latins, il pouvait se trouver quelques familles qui avaient eu une certaine importance dans leur pays : nous le savons pour les Albains du Cælius ; mais ces familles avaient été absorbées dans l’aristocratie sabine, et d’ailleurs laquelle eût pu fournir un prétendant accepté par tous les Latins ? Ceux de l’Aventin étaient plus nombreux que ceux du Cælius ; ceux du Cælius, sortis de la métropole du Latium, se regardaient comme supérieurs à ceux de l’Aventin.

Les habitants du Palatin étaient les moins nombreux et devaient être les plus superbes ; car ils étaient, parmi les Latins, les plus anciens possesseurs du sol, et ils n’étaient pas des captifs transplantés, ils n’avaient pas été subjugués par les armes.

Ce que les Latins de ces trois collines, que la haine rapprochait, comme elles sont rapprochées par la nature, mais qui étaient divisées par l’orgueil, comme elles sont séparées par elle, pouvaient désirer de plus avantageux, c’est que l’empire, auquel nul d’entre eux n’était en mesure de prétendre, passât dans des mains neutres, non aux mains d’un peuple, mais aux mains d’un homme. L’avènement au trône d’un chef étrusque fut pour eux, à défaut d’un triomphe, une consolation.

Dans les républiques italiennes du moyen âge, quand les partis ne pouvaient s’entendre, ils appelaient un podestà étranger, chacun voulant à tout prix échapper à la domination des autres ; les partis ont fait ainsi quelquefois ailleurs qu’en Italie et depuis le moyen âge.

Ancus Martius avait laissé des fils qui représentaient le droit de la nation sabine à régner. Ils maintinrent ce droit par une opposition qui aboutit au meurtre de Tarquin. Leur cause était celle de la nationalité sabine ; cette cause ne triompha pas dans l’élection du successeur d’Ancus.

Qui put empêcher son triomphe, si ce ne fut la résistance de la nationalité latine, dont les Romains du Palatin, à cause de la situation que leur faisait l’histoire et la topographie, durent former comme le centre, et que durent appuyer les deux collines latérales, l’Aventin et le Cælius.

Une partie des chefs sabins put s’y joindre par colère contre une royauté qui ne les avait peut-être pas assez ménagés et trop ménagé leurs ennemis. Il y a aussi dans l’histoire de tous les temps des exemples de cet instinct qui pousse les hommes à briser un pouvoir qui sert leurs intérêts quand il n’obéit pas à leurs passions.

Le choix d’un Étrusque étranger à la race sabine et à la race latine fut un compromis entre elles, et, par le fait, une victoire déguisée des Latins.

Aussi les Latins, et les Romains à leur tête, vont-ils grandir sous le premier Tarquin et son successeur, en attendant que, réunis aux Sabins, les deux peuples, détestant de concert ce que de concert ils avaient accepté, se soulèvent ensemble contre le dernier des Tarquins.

Cette explication générale donnée, voyons comment la tradition racontait l’histoire de cet étranger qui devint roi, et les événements qui firent succéder à la royauté des Sabins la royauté d’un Étrusque.

On racontait qu’un homme de Corinthe, nommé Démarate, à la suite d’une révolution politique, avait été contraint de fuir sa patrie ; que Démarate, qui avait des relations par son commerce avec la ville de Tarquinie, en Étrurie, était venu s’y fixer, s’y était marié, et qu’un de ses fils avait été le père de Tarquin[1].

Mais Démarate ne trouva pas dans l’Étrurie, où dominait une aristocratie religieuse et guerrière, la considération que lui donnaient à Corinthe ses grandes richesses et son grand commerce. Le commerce devait être un jour dans l’Étrurie moderne ce qu’il était alors dans les libres démocraties de la Grèce ; mais ce temps n’était pas venu, et on ne pouvait encore y jouer le rôle des Médicis.

Mécontent de son séjour à Tarquinie, le séjour de Rome, qui n’en était qu’à une vingtaine de lieues, le tenta. C’était une ville nouvelle où l’on était déjà venu d’Étrurie chercher fortune Il trouverait là une société nouvelle aussi, dans laquelle les conditions étaient moins établies, les rangs moins fixes, et où peut-être toutes les places n’étaient pas prisés.

Le petit-fils de Démarate fit donc comme son grand-père, il changea de patrie ou plutôt de résidence, car l’Étrurie avait été pour son grand-père un refuge et n’était pas devenue pour lui une patrie. Il rassembla titi grand nombre de clients et partit pour Rome, faisant le chemin suivi par les voyageurs qui y viennent aujourd’hui de Cività-Vecchia[2].

Arrivé sur le Janicule, il vit à ses pieds cette Rome où il entrait inconnu et où il devait régner. C’est encore aujourd’hui le lieu d’où on en saisit le mieux l’ensemble. La ville qu’il avait devant les yeux était dispersée sur les collines. En face de lui se déployait le Quirinal, alors le mont dominant de Rome, où s’élevait le principal temple sabin, un peu à sa droite, la petite colline Tarpéienne, qui, sous son règne, devait commencer à s’appeler le Capitole.

C’est une belle légende que celle de l’aigle qui enlève la coiffure de Tarquin et la replace sur sa tête au moment même où il arrive sur le Janicule. L’aigle, qui devait être dans la suite le symbole de la grandeur romaine, lui apparaît et le couronne sur la plus haute des huit collines en présence du resplendissant horizon, image de la magnifique perspective que son ambition rêvait.

Le prodige fut interprété dans le sens de cette ambition par la femme de Tarquin, par Tanaquil qui paraît dès ce moment aussi résolue qu’elle se montra le jour de la mort de son époux, quand sa fermeté assura la couronne à Servius. Le rôle des femmes commence dans l’histoire romaine, et il commence par une femme étrusque ; il se continuera par une femme sabine, Lucrèce.

Le nouveau venu se présente devant le roi sabin, qui, menacé par l’antipathie des Latins, par le mécontentement des chefs de sa nation, entouré d’ennemis, avait besoin d’appui. Tarquin était jeune, ambitieux, hardi ; il s’offre, lui et ses nombreux clients, à combattre les ennemis du roi ; il met à la disposition d’Ancus ses richesses, qui durent être agréées de grand cœur. Le commerce naissant de Rome n’avait pas dû encore produire des résultats bien considérables, et on n’a aucun renseignement, que je sache, sur ce que pouvaient être les impôts sous les rois sabins[3] ; la royauté sabine, qui chancelait, ne devait pas avoir la main très ferme pour les lever. On comprend que l’Étrusque fut bien accueilli.

Il servit dans la guerre contre Fidène[4]. Les Fidenates étaient à demi Sabins, à demi Étrusques ; ce qui n’empêchait point un roi sabin, secondé par un général étrusque, de les combattre.

Ancus mourut, laissant deux fils en bas âge. La royauté était élective chez les Sabins, et il n’y avait pas encore eu d’exemple d’un roi à qui son fils eût succédé. Un général victorieux, un chef de tribu riche et habile, appartenant à une nation plus civilisée que les Sabins, à une nation avec laquelle ils avaient été fréquemment déjà en contact, n’eut pas trop de peine à écarter deux enfants du trône et à se faire élire. Selon Tite-Live (I, 35), pour éviter leur concurrence, il les avait envoyés à la chasse, sans doute dans la grande forêt ; dont Rome était encore environnée. Ce trait naïf a bien l’air d’appartenir à la tradition primitive.

Le rôle de Tarquin était, en s’appuyant sur les Latins, qui l’avaient vu avec plaisir remplacer un roi sabin, de ménager les chefs sabins qui pouvaient se repentir d’avoir laissé la royauté sortir de leur nation.

Presque tout ce qu’on rapporte de lui s’explique par celte double nécessité de la situation de Tarquin.

Tarquin est un Étrusque qui, sans cesser complètement de l’être, se fait Sabin et Latin le plus possible.

A son prénom étrusque, Lucius[5], qu’il garda, il joignit celui de Tarquinius, dont il fit un nom de yens à la manière sabine ; Priscus, son surnom[6], ne voulait pas dire l’ancien, c’était le nom même des Sabins aborigènes, et il doit se traduire le vieux Sabin[7].

Tarquin fit à cet égard comme les chefs mongoles qui, devenus empereurs de la Chine ; prirent un nom chinois.

Sa femme Tanaquil[8] adopta de même un nom sabin, Cæcilia[9], et se transforma dans la tradition en matrone sabine. On conservait dans le temple du dieu sabin Sancus, sur le Quirinal, avec les sandales de l’épouse de Tarquin, sa quenouille et son fuseau entouré de laine[10]. Elle avait, disait-on, filé la robe de son gendre, Servius Tullius.

Tanaquil, sous le nom de Cæcilia, était devenue le type de la matrone chaste, filant la laine comme Lucrèce. Or ce type était sabin, aussi bien que Lucrèce ; car, nous le verrons, ce qu’on a appelé la matrone romaine, c’est la matrone sabine. Aux épousés des Sabins devait appartenir, comme à ceux ci, l’austérité de mœurs, attribut de cette race. Elles étaient les sœurs des Vestales.

Je ne puis avoir une aussi bonne opinion des femmes du Palatin, compagnes de brigands et d’aventuriers.

En devenant Sabine, Tanaquil avait gardé dans les imaginations quelque chose de la devineresse étrusque ; car on conservait aussi sa ceinture[11], garnie de talismans.

Animée du même esprit, la tradition mettait la demeure du premier roi étrusque sur la Velia[12], où avait été celle des deux derniers rois sabins, que la pensée de tout son règne fut de continuer en les remplaçant.

Il tourna d’abord ses armes contre les Sabins[13]. Cette fois, une telle guerre pouvait avoir un motif politique. Écraser au dehors la puissance sabine n’était pas un mauvais moyen de l’abaisser au dedans. Les hommes de la Sabine, de concert avec les Étrusques, s’armèrent contre Tarquin.

Le grand nombre de villes prises aux Sabins Semble indiquer une ligue nationale contre le destructeur de la royauté sabine à Rome.

Probablement les Étrusques qui s’allièrent aux Sabins étaient les Étrusques de Véies, accoutumés à s’unir aux Sabins de Fidène.

En effet, c’est de ce côté, près du confluent de l’Anio et du Tibre[14], que Tarquin exécuta le stratagème au moyen duquel il parvint à brûler les barques de l’ennemi.

Ici Denys d’Halicarnasse, dont l’histoire était jusqu’à ce moment tout à fait conforme à la vraisemblance, s’en éloigne complètement. Les peuples de l’Étrurie se liguent contre Tarquin. Dans cette prétendue ligue générale de l’Étrurie, renforcée des Sabins, on rie voit figurer que des lieux très voisins de Rome[15]. Cependant les douze peuples étrusques se décident à reconnaître sa suprématie.

Tarquin, dont le petit royaume, malgré les conquêtes d’Ancus et les siennes, aurait tenu dans telle des douze provinces de l’Étrurie, Tarquin se montre généreux ; il promet de ne tuer, de n’exiler et de ne dépouiller personne, et octroie à chaque ville le droit de se régir elle-même comme elle l’entendra.

La grande confédération se soumet à ce roitelet, et lui envoie, en témoignage de sa sujétion, les insignes de la royauté étrusque[16] : la couronne d’or, la chaise d’ivoire, le sceptre surmonté par l’image de l’aigle, la robe de pourpre brodée d’or et les douze haches des licteurs.

Toutes ces choses, qui à Rome servirent à relever la dignité des consuls et à orner la majesté des triomphes, avaient, je n’en doute point, une origine étrusque. Seulement elles ne furent pas envoyées à Tarquin comme souverain de l’Étrurie, mais apportées de son pays par le chef étrusque[17].

La soumission de l’Étrurie est suivie de celle des Sabins ; après une bataille que leur livre Tarquin à la tête d’une armée de Romains, de Latins et d’Étrusques, et dans laquelle ils sont défaits ; le roi, vainqueur, rentre à Rome pour y triompher.

Tout cela, en laissant de côté des exagérations évidentes, veut seulement dire que le premier roi étrusque fit comme ses prédécesseurs, et guerroya contre ses voisins[18].

Ici se place la grande pensée monumentale du règne de Tarquin, le temple du Capitole, dont la destinée devait être liée aux triomphes de Rome, et dont le nom en est encore le symbole.

Car ce fut, disent les historiens, à la suite de cette guerre, après la prise d’Apiola et avec le butin fait dans cette ville[19], que Tarquin résolut d’élever un temple sur le mont Tarpéien, lequel, à partir de ce moment, prit le grand nom de Capitole. Ce temple fut le monument des rois étrusques. Le premier Tarquin en jeta les fondements ; son œuvre fut continuée par le second.

J’ai appelé la pensée de Tarquin une grande pensée. C’est qu’en effet la fondation du temple Capitolin est l’expression de la politique de Tarquin, politique entrevue par les rois sabins ses devanciers, et pleinement réalisée sous son successeur. Tarquin semble .avoir voulu faire, pour ainsi dire, un temple de fusion appartenant également aux trois races qu’il cherchait à mettre sur un pied d’égalité et à réunir dans une même unité nationale, en même temps qu’il voulait, en contrebalançant, par l’importance donnée aux Latins, l’ascendant des Sabins, établir, sans qu’il y parut trop, la prédominance de la nationalité étrusque.

Avant Tarquin, il y avait sur le mont sabin par excellence, le Quirinal, un temple qu’on a appelé le Vieux Capitole. Il ne pouvait alors porter ce nom ; le mont Saturnien lui-même ne reçut son nom immortel. que lorsque, sous Tarquin, on y eut trouvé, en jetant les fondements du temple, cette tête coupée, caput Oli[20], dont on fit Capitole, découverte de laquelle les devins, ou plutôt les écrivains postérieurs, conclurent que là devait être la tête, le chef-lieu, la capitale du monde.

A l’époque de Tarquin, l’on ne pouvait concevoir une si vaste espérance. S’il y a quelque chose de vrai dans cette histoire, la tête était celle d’un chef étrusque enterré jadis sur le Capitole, à l’époque où les Étrusques s’y étaient établis. On disait aussi que les os de Tarpeia avaient été transportés ailleurs[21] quand on avait voulu bâtir le temple de Jupiter, ce qui semble indiquer la présence de sépultures antiques sur le mont Capitolin.

Le nom du Golgotha vient de crâne, comme celui du Capitole vient de tête. Il est remarquable que ces deux collines aient le même nom. Un autre rapprochement, bien que fortuit, m’a frappé ; comme je rôdais autour du Capitole, en songeant à la tête d’Olus, je me suis trouvé en face de la porte d’une église, et j’ai vu au-dessus de cette porte l’image d’une tête coupée : c’était l’église de Saint-Jean-Décollé, dans laquelle on conduit les condamnés avant le supplice.

Le temple du Quirinal était consacré à trois divinités, Jupiter, Minerve, Junon[22], dont la première était commune aux Sabins, aux Latins et aux Étrusques. Mais Jupiter était plus particulièrement un dieu national des Latins ; chez lesquels il avait succédé au vieux Saturne. Le temple de Jupiter Latiaris était le centre de la confédération latine. C’est à Jupiter que fut dédié surtout le nouveau temple, et dans l’usage, bien qu’il se composât de trois sanctuaires, il s’appela toujours le temple de Jupiter.

Minerve et Junon étaient les noms sabins de deux divinités qui étaient aussi l’objet du culte des Étrusques[23]. Cette triade divine était un objet spécial de ce culte.

Élever un temple à Jupiter, c’était flatter les Latins, c’était consoler les déshérités d’Albe, qui habitaient le Cælius, de n’être plus en possession du temple de Jupiter latin sur la montagne Albaine. Élever un temple à Jupiter, à Minerve et à Junon, c’était ; en honorant trois grandes divinités de l’Étrurie, en faisant acte de dévotion étrusque, rendre hommage à trois divinités également sabines, et, en leur consacrant un temple nouveau, refaire étrusque le Capitole, qui l’avait été autrefois, tout en y supprimant le plus possible les cultes sabins, sauf, quand la résistance était trop forte, à transiger avec eux, comme on fit pour le dieu Terme, la Jeunesse ; enfin c’était opposer au Quirinal, demeuré sabin, et enlever pour ainsi dire aux Sabins le culte exclusif de l’antique triade que l’Étrurie, comme la Sabine, avaient reçue des Pélasges[24].

Ainsi ce temple devait être commun à tous, réunir dans son sein le Jupiter latin, la Minerve étrusque, la Junon sabine, et, par ce triple culte, offrir comme un symbole des trois peuples au milieu desquels il fut élevé[25].

Mais si, par la pensée qui l’avait fondé, ce temple appartenait également aux Sabins, aux Latins et aux Étrusques, par l’art il était certainement étrusque, car il fut construit par des ouvriers de ce pays[26].

Or Vitruve (IV, 7) nous donne, à propos de l’architecture propre aux temples étrusques, des détails au moyen desquels on peut retrouver celle du temple de Jupiter. Dans l’origine, il était bas, avec des colonnes d’un fort diamètre et très éloignées, presque aussi large que long[27], ce qui devait lui donner l’air écrasé et trapu.

Son pourtour (207 ½ sur 192 ½) était de huit cents pieds, et ne changea jamais. Quand on le reconstruisit sous la république, on voulut l’agrandir ; mais les pontifes s’y opposèrent.

On se contenta d’augmenter sa hauteur sans rien ajouter à son étendue. Un motif analogue, quoique produisant un effet inverse, a donné à Saint-Pierre ses dimensions gigantesques. On a exigé des architectes qu’ils comprissent dans l’enceinte de l’église, outre l’espace ajouté d’abord à l’ancienne basilique, tout l’espace qu’avait occupé celle-ci.

Dans les deux cas, on a obéi au même sentiment un respect religieux pour le sol primitivement consacré.

Le temple de Jupiter dut être bâti avec le tuf du mont Capitolin, le plus compacte qui soit à Rome, et dont il existait des carrières dans le sein de la colline.

Ainsi nous connaissons la forme, l’histoire de ce temple et jusqu’à ses matériaux ; mais il est très difficile de savoir exactement où il était placé.

Le mont Capitolin a deux cimes : l’une, au sud-ouest, est connue sous le nom de roche Tarpéienne ; l’autre, au nord-est, porte l’église d’Araceli, sur laquelle était la citadelle et sur laquelle était le temple de Jupiter ?

C’est une des questions de topographie romaine les plus importantes et les plus difficiles à trancher. Il est assez piquant qu’on soit embarrassé à Rome pour dire : le Capitole était là.

Après y avoir bien pensé, je me suis décidé pour la cime nord-est, celle d’Araceli. Je crois que l’église est où était le temple[28].

On plaça sur le faîte du temple des statues, comme on en a placé dans les temps modernes sur les églises romaines, à Saint-Jean de Latran, par exemple, où elles font, en se détachant sur le bleu du ciel, un si grand effet.

Une de celles qui décoraient le temple du Capitole représentait le dieu étrusque et sabin Summanus[29]. Tarquin fit aussi exécuter par un artiste étrusque[30] un quadrige, une statue de Jupiter et une statue d’Hercule en terre.

Le choix de ces divinités semble dicté par le désir de concilier à la fois les Sabins et les Latins, qui fut l’âme de la politique de Tarquin. Summanus était un dieu tout ensemble étrusque et sabin ; Jupiter, un dieu commun à tous, mais particulièrement cher aux Latins, et Hercule considéré comme identique à Sancus, dieu sabin[31]. C’est toujours le même désir de plaire aux Latins et la même crainte de déplaire aux Sabins.

Ces deus sentiments, qui dominent toute la conduite de Tarquin et l’expliquent, parurent dans la tentative que fit ce roi de créer trois tribus nouvelles, tentative qui avait pour but de mettre sur un pied d’égalité les patriciens et les plébéiens, les Latins et les Sabins, et qui rencontra de la part des Sabins une résistance devant laquelle Tarquin dut gauchir.

Quand Tarquin arriva, il trouva trois populations occupant des quartiers différents et possédant des terres séparées dans le territoire romain[32] ; mais elles n’étaient pas organisées en tribus.

Les éléments de la tribu existaient ; son organisation était à naître. Sous Tarquin seulement[33], elles s’appelèrent les Titiès, les Rhamnès, les Lucérès.

Tout le monde reconnaît dans les Titiès et les Rhamnès les Sabins[34] et les Romains[35].

On s’accorde généralement à voir dans les Lucérès des Étrusques[36].

Jusque-là il ne pouvait y avoir d’égalité entre les Sabins et leurs vassaux du Palatin, entre les Sabins et les Étrusques du Cœlius.

Un roi sabin ne pouvait instituer cette égalité ; au premier roi étrusque, à un roi neutre pour ainsi dire, il appartenait de commencer à l’introduire.

Mais il voulut faire plus encore.

Dans ces trois tribus, les populations latines, établies par les deux rois ses prédécesseurs sur le Cœlius et sur l’Aventin, n’étaient pas représentées. Ce fut pour leur faire une place dans la cité qu’il eut la pensée de créer trois nouvelles tribus, et, pour que ces tribus latines fussent marquées du sceau étrusque et dans la main du roi, de leur donner son nom, le nom de ses amis, c’est-à-dire de placer à leur tête lui-même et des chefs étrusques.

Mais c’en était trop : l’orgueil sabin se révolta. Tarquin fut obligé de renoncer à accomplir ouvertement son projet ; mais il atteignit à peu près le même but par un autre chemin.

Chaque tribu contenait depuis Tullus Hostilius deux cents cavaliers[37]. Au lieu de doubler le nombre des tribus, Tarquin fit ce qu’avait fait déjà Tullus Hostilius, il doubla le nombre des cavaliers dans chacune des tribus.

C’est ce qu’on appelait les centuries des cavaliers (equites), et qu’il ne faut pas confondre avec les tribus dont les cavaliers formaient la partie aristocratique.

Il est clair que la résistance dut venir des Sabins et non des Étrusques, intéressés aux succès du dessein de leur roi, dessein formé dans l’intention d’opposer un contrepoids à la puissance des Sabins, rivale de la leur.

Aussi l’augure qui combattit à ce dessein n’était-il pas un augure étrusque, mais un augure sabin ; son nom, Attus Nævius, en est la preuve.

Le prodige attribué à cet augure nous ramène au Comitium, où, par un secret de son art magique, il avait transporté, du versant occidental du Palatin, le figuier ruminal sous lequel avait été exposé Romulus, et que les Sabins voulaient posséder chez eux dans le lieu découvert où ils délibéraient, comme un gage de leur suprématie sur le Palatin. Ce fut aussi dans le Comitium que Nævius opéra un autre miracle[38].

Cet Attus Nævius, disciple des Étrusques et le plus célèbre augure de son temps, avait commencé, comme le pape Sixte Quint, par garder des pourceaux. Il parait que son âme n’était pas moins bien trempée que celle du porcher de Montalte ; car il osa se faire l’intrépide interprète de la résistance de sa nation, et, comme plus d’un pape aussi énergique que lui, opposa victorieusement l’autorité religieuse au pouvoir royal.

Le roi, irrité, mande Nævius devant lui ; il était assis sur son tribunal, au sommet des degrés par où l’on montait de la curie[39].

Le lieu de la scène est donc parfaitement déterminé par la tradition, et nous pouvons assister au drame qui se joue dans le Comitium, où sont les patriciens sabins, et en présence de la foulé latine qui remplit le marché.

Je vais vous montrer, dit le roi, que l’art de cet homme est menteur.

Nævius s’était approché et se tenait au bas des degrés. Le roi n’osait laisser paraître sa colère contre le saint personnage, dont la légende racontait qu’enfant il avait deviné l’art augural pour retrouver ses pourceaux égarés ; le saluant avec douceur, il lui dit :

Il faut nous faire voir, ô Nævius ! ton habileté dans l’art de deviner. Voulant accomplir une grande chose, je désirerais savoir si elle est possible. Va donc consulter les oiseaux et reviens promptement, tandis que moi, assis en ce lieu, je t’attendrai.

Le devin obéit, il revint bientôt après avoir consulté les auspices, et déclara que l’action projetée par le roi était possible. Alors le roi, riant de ce discours, lui dit :

A cette heure, ô Nævius, il est clair que tu es un imposteur, et que tu nous trompes manifestement, puisque tu as osé affirmer qu’une chose impossible peut être faite.

Et, tirant de son sein un rasoir et une pierre à repasser, il ajouta :

Je m’étais demandé si, en frappant cette pierre avec ce rasoir, je pourrais la trancher par le milieu.

Alors tous ceux qui étaient présents s’étant mis à rire, l’augure, sans se déconcerter, répondit :

Frappe avec confiance[40] cette pierre, et elle sera tranchée par le milieu.

Le roi frappa la pierre avec le rasoir, et le rasoir, fendant la pierre, alla couper un morceau de la main qui le tenait. Tarquin ne songea plus à braver un tel homme, et exécuta son plan d’une façon détournée.

Il fit élever à Nævius une petite statue en bronze qui le représentait la tête voilée, et qu’on voyait encore au temps d’Auguste sur les degrés par où l’on montait au Comitium un peu élevé au-dessus du marché, près du figuier ruminal, en avant et à gauche de la curie. On enterra près de là le rasoir[41] et la pierre à repasser, et le lieu fut déclaré saint comme ceux que la foudre avait consacrés.

Ce plan de fondre les races par l’égalité, de favoriser le plus possible les Latins sans trop mécontenter les Sabins, de remplacer tout doucement l’ascendant de ceux-ci par l’ascendant des Étrusques ; ce plan auquel se rapportait également la fondation du temple Capitolin et la nouvelle organisation des tribus, Tarquin le poursuivit en toute chose. Tout ce que l’on sait de ses institutions politiques est conçu dans le même esprit.

Il augmente le sénat de cent membres nouveaux, lesquels, comme dit Tite-Live, y formèrent le parti du roi, qui les y avait fait entrer[42]. Déjà le nombre des sénateurs, de cent dans l’origine, avait été doublé, sans doute pour y pouvoir admettre les patriciens d’Albe et d’autres patriciens latins. Sous Tarquin, il fut porté à trois cents[43], et cette fois les Étrusques, qui probablement, vu l’insignifiance du nombre de ceux qui étaient restés sur le Cælius, n’y avaient pas encore été admis, renforcés par les nouveaux arrivés d’Étrurie, vinrent y prendre place sous un roi étrusque.

Ce nombre de trois cents sénateurs, au temps de Tarquin, achève de prouver que ce fut lui qui le premier fit trois corps politiques des tribus qui jusqu’à lui n’étaient que trois races.

Selon Denys d’Halicarnasse, ces cent nouveaux sénateurs fient des plébéiens. Cela veut dire que Tarquin introduisit dans le sénat, avec ses Étrusques, des Latins sur lesquels il croyait pouvoir compter. Il fit ce que j’appellerais, si j’osais employer des expressions trop modernes, mais au fond exactes, une fournée étrusco-latine pour rendre une majorité sabine impossible.

Par la même raison, au lieu de quatre Vestales, il en créa six, trois pour les cavaliers anciens dans les centuries, trois pour les nouveaux[44], et un augure pour chacune des trois[45].

Le premier roi étrusque voulut inaugurer par de grands travaux d’utilité publique l’avènement de sa nation à la souveraineté.

Romulus avait élevé une muraille autour de sa petite ville du Palatin ; les rois sabins en avaient agrandi de beaucoup l’enceinte et l’avaient fortifiée ; ils avaient bâti un port, une citadelle et une prison. Les rois étrusques construisirent le cirque, qui devint, avec le temps, le plus grand monument de Rome ; et un système d’égouts qui excitait l’admiration de Pline, et dont un reste très imposant, le grand égout (Cloaca maxima), excite encore aujourd’hui la nôtre.

Je parlerai de cet égout quand j’en serai venu à Tarquin le Superbe, son principal auteur[46] ; mais je dois dire dès à présent que l’ensemble des travaux de dessèchement et d’assainissement dont la Cloaca maxima fut le complément magnifique remonte au premier Tarquin[47].

Pour le grand cirque, il lui appartient sans conteste.

Le cirque n’existait pas[48], et il ne pouvait exister avant Tarquin ; car, avant les desséchements exécutés par ce roi, la vallée devait être en partie au moins inondée par le prolongement du Vélabre entre le Palatin et l’Aventin[49]. D’ailleurs, dans cette vallée, Ancus Martius avait établi une partie considérable de la population latine, transportée par lui à Rome. Il n’y avait donc pas alors de cirque en cet endroit.

Le cirque à Rome ne fut point dans l’origine une imitation de l’hippodrome grec, comme il le devint depuis[50].

Ce fut une importation étrusque. Tarquin fit venir de son pays, et non de la Grèce, des chevaux de race et des pugilistes[51].

Les athlètes grecs parurent à Rome pour la première fois au sixième siècle[52].

Il faut écarter de ces commencements l’idée des carceres, constructions appropriées au départ des chars ; les cirques ne furent disposés ainsi que plus tard[53].

Si l’on vent avoir le spectacle de ces courses et de ceux qui y prenaient part, il faut traverser Rome, et, de l’emplacement du grand cirque, se rendre au musée du Vatican pour y voir les fac-simile de peintures étrusques représentant des cavaliers et des lutteurs étrusques.

Mais on peut, sans quitter la rue des Cerchi, retrouver, par la pensée et même par les yeux, le souvenir des jeux du cirque.

Que de fois, suivant à pas lents cette rue habituellement solitaire, j’ai écouté, à travers le silence du soir, retentir dans un passé lointain les applaudissements et le tumulte de la foule qui jadis le remplissait. Je ne voyais d’abord que des charrettes arrêtées à son extrémité, près du gazomètre, là où sous la république et l’empire stationnaient les chars qui attendaient le signal pour s’élancer dans la lice. Alors, quelquefois, un paysan romain à l’air farouche, et qui semblait plutôt du temps où le cirque fut construit que de celui où a été bâti le gazomètre, fièrement campé sur une de ces charrettes, fuyait avec elle devant moi dans la poussière ; ou bien, deux pâtres de la campagne, sur de petits chevaux noirs d’un aspect aussi sauvage que le leur, galopaient avec furie, cherchant à se dépasser ; sans se douter qu’ils traversaient le grand cirque et qu’ils m’offraient l’image des courses qu’en ce lieu les Étrusques enseignèrent aux Romains.

Les détails que nous a conservés la tradition sur la disposition du cirque de Tarquin, s’ils ne sont pas certains, sont caractéristiques. Denys d’Halicarnasse, qui a l’air de croire que le cirque existait ayant ce roi, dit que jusqu’à lui les spectateurs étaient debout sur dès planches soutenues par des poteaux, et qu’il les fit asseoir sur des sièges couverts[54] ; qu’il assigna une place déterminée à chacune des curies, et, selon Tite-Live, aux sénateurs et aux chevaliers[55]. Je doute que ces auteurs aient pu être aussi exactement informé de ce qu’était la police des cirques sous le règne de Tarquin ; mais je vois dans cette tradition un signé de l’opinion qu’avait laissée d’elle la monarchie étrusque. On lui attribuait un progrès dans ce que nous appelons le confort et la régularité administrative. Ne semble-t-il pas lire une ordonnance de préfet ?

C’est que la monarchie étrusque fut en effet un progrès remarquable vers la civilisation, la richesse, le bien-être. Le second roi de cette monarchie fit de la fortune de chacun la base et la mesure des droits politiques. Nous sommes bien loin des brigands de l’Asile, de l’écartèlement de Fufetius, et même de la fosse aux supplices du bon Ancus[56].

Sur les grands travaux entrepris par les rois étrusques, la tradition varie un peu, les attribuant tantôt à celui-ci, tantôt à celui-là[57] ; mais elle est constante à les placer sous ces rois.

Ainsi l’enceinte qui enferma les sept collines de la rive gauche et la forteresse du Janicule par un mur,et du côté de la plaine, là où ce mur n’aurait pas suffi, lui adjoignit un fossé et un relèvement de terre ; cette enceinte, qui fit des différentes Romes que nous avons vues naître une seule Rome, et qui cimenta l’union des populations établies sur les diverses collines par de communs moyens de défense ; cette enceinte, qui, comme l’a dit si bien Virgile, enveloppait les sept Arces, c’est-à-dire les sept sommets fortifiés, jusqu’alors plus ou moins isolés et indépendants ; cette enceinte, dont on peut suivre la direction et dont plusieurs portions existent, on l’attribue tantôt à Tarquin l’ancien, tantôt à ses deux successeurs ; on en fait même remonter une partie au dernier des rois sabins, à Ancus Martius.

C’est que tous ces rois y ont travaillé l’un après l’autre. La part de chacun est assez difficile à faire. Selon toute vraisemblance, le roi sabin creusa le fossé des Sabins du côté de la plaine, du côté le plus exposé,  et devança dans cette région le travail analogue de Servius Tullius. Ancus, en fortifiant le Quirinal, mont sacré des Sabins, le Viminal, dépendant du Quirinal, l’Esquilin, voisin du Viminal et habité de même par les Sabins, allait au plus pressé ; mais on peut croire avec Tite-Live que Tarquin conçut le premier la pensée d’entourer toute la ville d’un mur de pierre, sans rejeter ce que dit Denys d’Halicarnasse[58], que des murs grossiers et faits à la hâte existaient déjà. Ces murs pouvaient être en terre comme le mur de terre des Carines, peut-être même en brique ; car l’emploi de la brique est de toute antiquité, il date de Babylone et de l’Égypte[59], et les Sabins, qui avaient appris des Étrusques à faire des vases et des statues d’argile, avaient pu apprendre d’eux aussi à faire des briques.

Les murs de Rome étaient une œuvre d’un intérêt général. Tarquin fit quelque chose de particulièrement agréable aux Latins en, embellissant le marché, qui citait surtout à l’usage de cette partie de la population adjointe par lui aux anciennes tribus ; elle n’avait certes pas pour cela passé tout entière dans l’aristocratie, et ceux même qui avaient reçu le titre de patriciens et de cavaliers étaient toujours appelés de familles moindres (minerum gentium).

C’étaient les Latins restés plébéiens qui faisaient surtout le commerce ; l’orgueil, je dirais presque féodal, du patriciat sabin et du patricial étrusque devait le dédaigner.

J’ai parlé de l’existence vraiment féodale des grandes gentes sabines ; l’Étrurie aussi était aristocratique. Les Lucumons seuls pouvaient prétendre aux hautes dignités[60], et le peu de succès qu’avait eu parmi eux Démarate, le riche commerçant de Corinthe, montre que leurs préjugés étaient assez contraires au négoce.

Ce fut donc surtout à l’intention des Latins que Tarquin construisit des portiques autour du marché, lui donnant déjà cette disposition de l’agora des villes grecques[61], du Forum des villes italiotes, comme de la piazza des villes de l’Italie moderne, qui, en général, sert aussi de marché : un carré long, entouré d’un portique.

Tandis que le roi étrusque, en travaillant un peu pour tout le monde, croyait travailler pour lui-même, il n’avait pas fait entrer dans ses calculs les rancunes sabines et les désirs de vengeance de l’ambition déshéritée.

Les fils d’Ancus, du dernier roi sabin, vivaient. Pendant le long et brillant règne de Tarquin, ils ne s’étaient point résignés à leur destinée, et avaient souvent, dit Denys d’Halicarnasse (III, 72), tenté de le renverser, ce qui, si je ne me trompe, montre qu’ils avaient un parti dans l’aristocratie sabine, disposée à la révolte contre un roi étranger, et que les mesures populaires de Tarquin envers les plébéiens et les Latins avaient dû finir par exaspérer.

Ce mécontentement fut porté au comble quand Attus Nævius, cet augure sabin qui avait résisté au roi dans l’affaire des tribus, et continuait probablement à entretenir une résistance que devait exciter encore chez lui une rivalité avec les augures étrusques ; quand Attus Nævius, qui avait fait à l’appui de son opposition un miracle, chose toujours facilement crue dans ce pays-ci, et d’un grand effet, disparut tout à coup. Le roi fut soupçonné de sa mort. Les fils d’Ancus, qui propageaient ce bruit, parurent dans le marché à la tête d’un grand nombre de clients. Ils n’étaient pas, comme les représente Denys d’Halicarnasse, des hommes habiles et bien parlants, faisant de belles harangues dans le Forum : c’étaient de farouches chefs de clan descendus de leur montagne, où Ancus les avait relégués dès leur enfance, et venant exciter une plèbe superstitieuse et crédule. Ils l’excitèrent si bien, que, lorsque le vieux roi parut dans le marché, on lui cria qu’il était un impie, un sacrilège, et on voulut le chasser.

Tarquin fut obligé de se défendre ; il parvint à se disculper ; mais la vendetta était alors, à Rome, implacable comme aujourd’hui.

Les fils d’Ancus ne renoncèrent point à leur dessein et l’exécutèrent ainsi qu’il suit.

Ils apostèrent deux prétendus bûcherons qui, armés de leur serpe, vinrent sur le midi devant la maison du roi, située au sommet de la Velia, quartier des Sabins, où ceux-ci étaient en nombre ; et ; comme chacun prétendait avoir à se plaindre de l’autre, ils commencèrent à se quereller et à se gourmer, demandant justice et criant beaucoup. Rien ne peint mieux qu’une pareille scène la physionomie encore agreste de Rome, même sous le premier roi étrusque. D’autres conspirateurs, déguisés en paysans, parlaient, les uns pour celui-ci, les autres pour celui-là, et augmentaient le tumulte.

Je ne suis pas convaincu qu’ils ne fussent point des paysans véritables, des Sabins de la montagne, détestant le roi intrus, et qu’on avait décidés à faire un mauvais coup. Toute cette foule pénètre dans la maison d’Ancus, et les bûcherons continuent devant lui à se disputer avec violence.

A la manière des paysans, embarrassés dans leur feinte plaidoirie, ils s’embrouillèrent, et, ce qui est bien dans le caractère de la foule partout mobile, particulièrement d’une foule romaine, on se mit à rire. Alors, saisis d’une colère simulée ou peut-être véritable, ils s’en prirent au roi, le frappèrent à la tète avec leur serpe, et, le laissant pour mort, s’enfuirent à la montagne, à la Macchia, sans être arrêtés, pas plus qu’on ne l’est à Rome pour un assassinat commis comme celui-ci en plein midi, pas plus que ne l’a été le meurtrier de Rossi.

Il est impossible de ne pas reconnaître dans ce récit de la mort d’Ancus le caractère de la tradition populaire, un caractère de simplicité et de rusticité qu’on n’aurait pas imaginé plus tard. Pour moi, c’est là le critérium de la vérité, au moins de la possibilité des faits dont se compose l’histoire de Rome dans les premiers temps.

Quand la tradition fait agir des pâtres brutaux comme agiraient les paysans de l’Agro Romano ou de la Sabine, qui ressemblent assez aujourd’hui à ce qu’ils étaient au temps de Tarquin, je me dis que la tradition n’a pas été supposée ou arrangée postérieurement, et qu’elle peut contenir quelque chose de vrai.

Ainsi finit le riche et ambitieux Lucumon, qui était parvenu au trône par son adresse, qui avait fait des guerres heureuses et élevé de grands monuments : il fut tué à coups de serpe.

Cette vieille histoire pourrait être d’hier, et tous les traits en sont merveilleusement appropriés aux mœurs des Romains d’aujourd’hui, qui doivent avoir du sang sabin dans les veines ; car, ainsi que je l’ai montré, les Sabins étaient à Rome en assez grand nombre, et leurs descendants ont dû former une part considérable du peuple romain.

Passons au successeur de Tarquin, à ce Mastarna, aventurier étrusque, dont on a fait le roi Servius Tullius.

 

 

 



[1] Je ne vois aucune raison de rejeter ce fait, très vraisemblable. Les relations de l’Étrurie et de la Grèce sont attestées par les vases étrusques qui, la plupart, sont des produits de l’art grec. L’expulsion de la famille corinthienne des Bacchiades, et l’établissement de la tyrannie de Kypselos, qui causèrent la fuite de Démarate, tombent à une époque qui s’accorde avec celle de la venue de Tarquin à Rome. Rien de plus naturel encore qu’un grand commerçant comme Démarate ait été obligé de fuir à la suite d’une révolution faite par la multitude an profit d’un tyran.

[2] Tarquinie était placée sur une hauteur au bord de la Marta. La nécropole, située plus à l’ouest près de Corneto, est indiquée par de nombreux tombeaux étrusques dont les peintures sont célèbres. Tarquinie ne pouvait guère être une ville de commerce ; le port le plus voisin, avant que Trajan en eût fondé un à Centum-Cellæ (Cività-Vecchia), devait être Cosa (Müller, Etr., I, p. 266) ; mais c’était une ville très importante sous le rapport religieux. C’est près de Tarquinie qu’était sorti d’un sillon le nain savant Tagès et qu’il avait enseigné en naissant la science de la foudre et des présages ; le héros Éponime de la ville Tarchon avait fondé les douze cités de deux confédérations étrusques.

[3] Le mot mulcta, amende, étant sabin, on peut croire que les amendes faisaient la meilleure part du revenu royal. Peut-être le champ de Mars, que nous avons reconnu pour sabin, était déjà la propriété des rois sabins, comme il fut le domaine des rois étrusques.

[4] Denys d’Halicarnasse, III, 40.

[5] Valère Maxime (De Præn.) a rapproché avec raison Lucius de Lucumo, titre que portaient les chefs étrusques. Lucerus était le nom de celui qui, disait-on, était venu d’Ardée au secours de Romulus (P. Diacre, p. 119), et que Properce appelle Lucomedius. On a trouvé Leukmai, nom propre, dans une tombe étrusque.

[6] Tous les hommes du Palatin n’ont qu’un nom, Romulus, Remus, Faustulus ; tous les Sabins en ont deux, Titus Tatius, Mettus Curtius, Numa Pompilius, Tullus Hostilius. Ce second nom en ilius ou ius est analogue aux noms de gens. Raison de plus de croire plutôt aux gentes sabines qu’aux gentes du Palatin.

[7] Priscus était synonyme de Cascus. (Varron, De L. lat., VII, 28.) Ce nom d’un ancien peuple a pris le sens d’ancien. Quelque chose de semblable est arrivé chez nous au mot Gaulois. Niebuhr l’a vu le premier. Mais comment n’a-t-il pas reconnu dans les Casci, nom donné aux aborigènes venus de la Sabine, des Sabins, lui qui avait montré que les Prisci étaient opposés aux Latins dans cette locution Prisci Latini, pour Prisci et Latini ? Les Casci ou Prisci étaient les anciens habitants de la Sabine. Priscus fut le nom de plusieurs personnages que leur prénom ou leur nom de gens fait croire avoir été Sabins d’origine. Attius Priscus, Priscus Attilius, Priscus Cornelius. Attius et Attilius étaient des prénoms sabins ; la gens Cornelia était sabine. D’ailleurs, selon Tite-Live (I, 34), Tarquin prit ce nom en entrant à Rome ; il ne pouvait savoir qu’il serait un jour plus ancien qu’un autre Tarquin.

[8] Tanaquil est un nom qu’on a trouvé dans une tombe de Tarquinie et sur plusieurs statues d’animaux fantastiques, entre autres la Chimère étrusque de Florence.

[9] Les Cæcilii étaient originaires de Préneste, ville sabellique, peut-être sabine. Voilà pourquoi cette illustre famille était plébéienne, c’est qu’elle était étrangère aux Sabins de Rome. Mais elle pouvait cependant être sabine, car par son nom elle se rattachait au héros indigène Cœculus, fondateur de Préneste (Festus, p. 44), dont elle prétendait descendre.

[10] Pline, Hist. nat., VIII, 74, 1.

[11] Festus (p. 238-40) . Suivant une tradition rapportée par Plutarque (Quæst. Rom., 27), Caia Cæcilia eût été la femme du fils de Tarquin ; une autre tradition donne pour épouse à Tarquin une Gegania. (Denys d’Hal., IV, 7.) Les Geganii étaient une des gentes d’Albe, transplantées sur le Cælius par T. Hostilius. Par ses diverses suppositions de mariage entre un roi ou un fils de roi étrusque et une femme sabine ou latine, la tradition semble avoir voulu exprimer la politique de rapprochement avec les Latins et d’union entre les Sabins et les Latins, qui fut celle du premier Tarquin.

[12] Tite-Live, I, 41 ; Solin, 24.

[13] Denys d’Halicarnasse (III, 49) dit les Latins ; mais toutes les villes qu’il énumère sont au delà de l’Anio, et, par conséquent, même si on n’en avait d’autres preuves, étaient en pays sabin : Crustumerium, Nomentum, Corniculum, Collatia, Cameria, étaient sabines. Pour Nomentum et Crustumerium il ne peut y avoir de doute. Le nom de Nomentum subsiste encore à peine altéré dans celui de Lomento, et la voie Nomentane traverse l’Anio sur un pont dont les visiteurs de Rome n’auront pas oublié l’effet pittoresque. Crustumerium donnait son nom aux collines d’où sort l’Allia pour se jeter dans le Tibre au-dessus de l’Anio. Pour Corniculum, elle était certainement dans le voisinage des monts Corniculani, et, quand leur position ne serait pas déterminée par un passage de Denys d’Halicarnasse, qui l’indique (I, 16) entre Tibur et Ficulée, que nous savons avoir été sur la voie Nomentane (Nibby, Dint., II, p. 46), la forme de leurs cônes pointus en manière de corne ferait reconnaître les monts Corniculani dans ces collines d’un aspect si remarquable qui portent les petites villes de Monticelli, San-Angelo et Palombara, parmi lesquelles il faut chercher celle qui a remplacé Corniculum. Collatie était sabine aussi (Tite-Live, I, 38) ; nous en parlerons bientôt. Le site de Cameria est inconnu ; mais son nom est le même que celui d’une ville d’Ombrie (Cameria ou Camerinum) ; c’est donc un nom sabellique, par conséquent, Cameria était une ville sabine.

[14] Denys d’Halicarnasse, III, 55-6.

[15] Sur la rive droite du Tibre, Véies (Isola Farnese), à six lieues, et Cære (Cervetri près Palo), à neuf. Sur la rive gauche, Fidène (Castel-Giubileo) et Eretum, que Nibby (Dint., II, 144-5) retrouve avec assez de vraisemblance dans Grotta-Marozza, à environ six lieues de Rome. Tite-Live ne dit rien de cette guerre contre les Étrusques ; mais Florus (I, 5, 5) parle des peuples de l’Étrurie vaincus et subjugués dans de nombreux combats, et Orose (II, 45) dans d’innombrables combats. A mesure qu’une fausseté historique va se répétant, elle s’amplifie.

[16] Denys d’Halicarnasse, III, 61.

[17] Strabon, V, 2, 2.

[18] Il faut joindre aux expéditions de Tarquin contre les peuples sabelliques une guerre contre la formidable nation des Èques, guerre dont parlent Strabon (V, 5, 4) et Cicéron (De Rep., II, 20).

[19] Pline, Hist. nat., I, 9, 15.

[20] Arn., ad Gent., VI, 7.

[21] Plutarque, Romulus, 18.

[22] Ce vieux Capitole sabin avait dû être érigé lui-même sous l’influence de la discipline étrusque, influence que nous avons vue avoir été subie par les Sabins ; ceci en serait le plus ancien exemple. En effet, Servius (Æn., I, 422) nous apprend que dédier un temple à Jupiter, à Minerve et à Junon, était une coutume étrusque ; selon les livres sacrés de l’Étrurie, ces trois divinisés lançaient la foudre.

[23] Minerve paraît chez les Étrusques sous ce nom, Menerfa, qui est sabin, et qui devait avoir été porté en Étrurie par les Ombriens, anciens habitants du pays étrusque et de la môme race que les Sabins. De plus, le clou que l’on plantait dans le mur de la Cella dédiée à Minerve dans le temple du Capitole, était un emprunt au culte étrusque. Chaque année, on fichait un clou dans le temple de la déesse Nortia, à Volsinii. (Tite-Live, VII, 3.) Junon, en Étrurie, s’appelait Cupra, nom également d’origine ombrienne ; car il est sabellique et de même racine que le mot sabin Cyprius, bon.

[24] L’association de ces trois divinités était très antique ; on la retrouve en Grèce. (Pausanias, X, 5, 2.) Les Sabins devaient le culte de cette triade à leurs rapports avec les Pélasges ; les Pélasges tyrrhéniens l’avaient porté en Étrurie.

[25] Un bas-relief, placé dans l’escalier du palais des Conservateurs, et qui représente Marc-Aurèle montant en triomphe au Capitole, offre une image exacte de ce que le temple était au temps de Marc-Aurèle.

[26] Tite-Live, I, 56.

[27] Il avait quinze pieds de plus seulement en longueur (Denys d’Hal., IV, 61), trois rangs de six colonnes à la façade, un ou deux rangs de sept sur chacun des côtés. (Ott. Müller, Etr., II, p. 232-3 ; Hirt Gesch. d. Bauk. b. d. Alt., II, p. 245 ; Abek, Mitt. it, p. 221.)

[28] La difficulté tient en partie de ce que le mot aræ, citadelle, est quelquefois pris pour le temple, et Capitolium, tantôt pour le temple de Jupiter, tantôt pour tout le mont Capitolin ; que le nom de mons Tarpeius est donné aussi parfois à la colline tout entière, et que les deux sommets étant très voisins, les mêmes expressions peuvent souvent s’appliquer à tous deux. Laissant de côté les passages douteux, je m’attacherai seulement à ceux qui me paraissent démonstratifs. C’est, je crois, la méthode à suivre dans ce genre de recherches pour les simplifier en les abrégeant. La partie du mont Tarpéien ou Capitolin sur lequel on éleva le temple dominait le Forum (Denys d’Hal., III, 69) ; donc le temple de Jupiter regardait le Forum. Or il regardait aussi le midi. (Denys, IV, 61.) S’il eût été sur la cime sud-ouest et tourné au midi, il n’eût pas regardé le Forum, mais l’Aventin et le cirque. Cicéron parle d’une statue placée devant le temple de Jupiter qui, tournée vers l’orient, regarde le Forum et la curie (In Cat., III, 8) ; de la cime sud-ouest elle l’eût regardé d’un peu loin. D’ailleurs, avant d’être tournée à l’est par le conseil des aruspices, la statue l’était sans doute au sud. Ce devait être sa position première, car c’était la direction des temples terrestres, comme du templum céleste, c’est-à-dire de la partie du ciel que l’on contemplait. (Var., De L. lat., VII, 7.) Plusieurs faits s’expliquent mieux en mettant le temple de Jupiter à Araceli. La citadelle est toujours présentée comme plus rapprochée du Tibre que le temple. Dans sa surprise nocturne, Herdonius (Denys d’Hal., X, 14), qui est venu par le fleuve, rencontre d’abord la citadelle. Il en est de même de la tentative des Gaulois (Tite-Live, V, 47) ; ils ont gravi la roche Carmentale, c’est-à-dire le sommet qui était du côté de la porte de ce nom, et trouvent d’abord la citadelle sur leur chemin, sans qu’il soit question du temple de Jupiter. Manlius, qui demeurait dans la citadelle, et non dans le temple, se réveille aux cris des oies de Junon, et repousse les Gaulois. Tout se passe sur la première cime qu’ils ont rencontrée, c’est-à-dire sur la cime sud-ouest. Les Fabii, en allant vers la porte Carmentale, passent devant le Capitole, puis devant la citadelle. (Tite-Live, II, 49.) Des deux sommets ce dernier est le plus considérable. Une citadelle eût été bien resserrée sur la plate-forme d’Araceli. (Nibby, R. Ant., t, 557.) Dans un de ses exercices de rhétorique, Sénèque le père suppose qu’une vestale, précipitée de la roche Tarpéienne et sauvée miraculeusement, se trouve tout prés du temple de Vesta ; la roche Tarpéienne était donc de ce côté ; elle dominait la rue Tordei Specchi, on a existé au moyen âge une église qui portait le nom de Santa-Catharina sub Tarpeio. Enfin on n’entend pas parler de l’église de Santa-Maria in Araceli avant le neuvième siècle, et l’on sait que le temple du Jupiter Capitolin était encore debout au septième. La durée de ce temple explique la tardive apparition d’une église sur le Capitole.

[29] Cicéron, De Div., I, 10.

[30] Pline, Hist. nat., XXXV, 45, 4.

[31] Festus, p. 229.

[32] Varron le dit expressément. (De Ling. lat., V, 55.)

[33] Ce qui le prouve, c’est que Volnius, qui devait savoir l’étrusque, puisqu’il avait composé des tragédies dans cette langue, disait que les noms des trois tribus étaient étrusques. (Var., De L. lat., v, 55.) Pour les deux premières, dont l’une était sabine et l’autre romaine, il ne peut s’agir que de la forme grammaticale de leurs noms, de ce pluriel en es qui n’était pas en latin celui de Titius ou de Rhamnus. La forme latine était Titienses et Rhamnenses.

[34] De Titius, prénom de Tatius. Les nodales tities avaient été institués pour veiller à la conservation des rites sabins.

[35] Rhamnès est une contraction dans le goût étrusque de Romani, avec cette terminaison du pluriel en es, qui se trouve dans les tables engubines remplacée par son équivalent er, et au commencement du mot un r aspiré, rh, sans exemple dans les mots latins qui ne viennent pas directement du grec.

[36] P. Diacre, p. 120. Même racine que Lucumo. On a trouvé dans une tombe étrusque Lukir. Le chef étrusque qui était venu d’Ardée au secours de Romulus s’appelait Lucerus. Les Sacra des Lucérès étaient sur le Cælius, colline à demi étrusque.

[37] Il faut admettre que dès lors il y eut au sein de la plebs du Palatin une certaine aristocratie ; T. Hostilius avait donné des terres à tout le monde, ce qui explique comment elle put se former.

[38] Denys d’Halicarnasse, III, 71 ; Cicéron, De Div., I, 17.

[39] C’est ce qui résulte des paroles de Tite-Live (I, 36) qui désigne avec une grande exactitude le lieu où la chose avait eu lieu, et où était de son temps la statue de Nævius : Quo in loto res acta est, in Comitio, in gradibus ipsis ad lævam curiæ.

[40] La légende, tout en restant romaine, pourrait être moderne. Le prêtre dirait : Frappe avec foi...

[41] Scipion l’Africain fut, dit-on, le premier Romain qui se fit faire la barbe tous les jours. Vers son temps, des barbiers grecs s’établirent à Rome ; mais la légende, certainement ancienne, d’Attus Nœvius, montre que les Romains n’avaient pas attendu jusque-là pour se raser.

[42] Pactio haud dubia regis, cujus beneficio in curiam venerant. (Tite-Live, I, 35.)

[43] Denys d’Halicarnasse, III, 67.

[44] Festus, p. 344.

[45] Tite-Live, X, 6.

[46] Tite-Live, I, 56.

[47] Tite-Live, I, 38 ; Denys d’Halicarnasse, III, 67.

[48] Tite-Live, I, 35 ; Denys d’Hal., III, 68. Selon Denys d’Halicarnasse, Tarquin acheva le cirque et le rendit plus commode pour les spectateurs ; il n’en est pas moins très probable que le cirque ne saurait être antérieur aux Étrusques.

[49] Denys d’Halicarnasse avoue qu’il fallut combler le bas de la vallée. (III, 45.)

[50] O. Müller, Man. d’Arch., § 172, 1 ; Mommsen, Röm. Gesch., 2e éd., p. 101.

[51] Tite-Live, I, 35. Les courses de chevaux et le pugilat pouvaient avoir passé de la Grèce dans l’Étrurie, avec laquelle les Grecs furent plus anciennement en rapport que les Romains. L’art de boxer est vieux dans le monde ; mais, chez les Étrusques, on se donnait des coups de poing au son de la flûte (Athénée, IV, 13), comme on combattait à Sparte. Cette manière de boxer a une certaine grâce qui trahit son origine hellénique.

[52] Tite-Live, XXXIX, 22.

[53] Tite-Live, VIII, 2. Il n’est pas impossible qu’il y ait eu des courses de char avant qu’il y ait eu des carceres. Mais, en supposant que ces courses datent à Rome de si loin, elles ont eu une origine étrusque et non une origine au moins directement grecque. On les a trouvées représentées sur les parois des tombes étrusques. (O. Müller, Handb. der Arch., § 179.) On sait l’histoire du char venant de Véies, se renverser au pied du Capitole (à l’extrémité du Corso), et donnant son nom à la porte Ratumena (Pline, Hist. nat., VIII, 45, 2), située en cet endroit.

[54] Denys d’Halicarnasse, III, 68.

[55] Tite-Live, I, 35.

[56] Tellement loin, que j’ai peine à croire que la tradition, qui oublie beaucoup et concentre beaucoup, n’ait pas omis, devenant romaine, quelque roi sabin ou étrusque. L’objection tirée de la moyenne des règnes, trop considérable pour être vraie, est pour moi sans force, parce que je ne crois point à la chronologie dans la tradition. Cependant le fait de cette disproportion entre le petit nombre des rois et la durée de la royauté me portent à supposer qu’un souvenir s’était conservé, au moins que cette royauté avait été durable ; sans cela, on eût mieux fait concorder les deux termes. Du reste, une telle supposition ne changerait rien à l’ensemble de la tradition, à une royauté étrusque après une royauté sabine, à la supériorité des Sabins, à la dépendance des Latins, à leur progrès favorisé politiquement par les rois sabins eux-mêmes et surtout par les rois étrusques, toutes choses que je persiste à croire véritables.

[57] Tite-Live, après avoir dit (I, 38) que Tarquinius Priscus a jeté les fondements du temple de Jupiter, dit (I, 55) qu’à ces fondements ne surfirent pas les dépouilles de Pometia, ville conquise par l’autre Tarquin. Pline (Hist. nat., III, 9, 15) attribue l’agger de Servius Tullius à Tarquin le Superbe.

[58] Denys d’Hal., III, 67. Tite-Live dit que la guerre contre les Sabins vint le distraire de cette entreprise. (Tite-Live, I, 38.)

[59] O. Müller, Handb. d. Arch., p. 828, 2.

[60] O. Müller, Etr., I, p. 365.

[61] Vitruve, V, 4.