L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

XIV — TULLUS HOSTILIUS.

 

 

Après ce qu’on a vu de la prépondérance numérique et politique des Sabins, il serait assez singulier que la royauté sabine, paisiblement reconnue sous Numa, se fût changée tout à coup en une royauté latine. Aussi le successeur de Numa fut-il un Sabin comme lui.

Tullus Hostilius descendait, selon là tradition, de la Sabine Hersilie ; son aïeul, appelé aussi Hostilius, le fils d’Hostus ou de l’étranger ; était venu de Medullia, où il était né, avait épousé une fille d’Hersilie[1], et avait embrassé la cause de Romulus. Il était mort, disait-on, en combattant, et il avait été enterré dans la partie la plus élevée du Forum[2], c’est-à-dire sur la pente de la colline appelée Velia, là où l’on plaçait la demeure de son petit-fils, celle d’Ancus Martius et la maison de Valerius Publicola, Sabin comme T. Hostilius et Ancus Martius ; son origine paternelle et maternelle, ainsi que le lieu de sa sépulture, rattachent donc la famille Hostilia au peuple sabin.

Il en était de même du berceau de cette famille. Medullia était alors une ville sabine[3]. Hostilius est un nom sabin[4]. Il n’est pas impossible que celui qui le portait au combattu contre ses compatriotes pour les réfugiés du Palatin, dont il aurait fait partie ; mais il est plus vraisemblable que le grand-père de Tullus Hostilius était tout simplement un chef sabin de l’armée de Tatius, et que, comme tel, il fut enterré dans un endroit dont les Sabins demeurèrent en possession après le combat, et où on les trouve encore établis deux siècles après, au temps de Valerius Publicola.

Le roi Tullius Hostilius lui-même était né, disait-on, dans une cabane et avait passé sa jeunesse à garder les troupeaux[5]. Ceci ne s’accorde pas très bien avec l’importance que la tradition donnait à son aïeule et à son grand-père, avec l’établissement de celui-ci à Rome sous Romulus, et paraît une allusion à la vie rude et agreste des Sabins.

Peut-être les Hostilius étaient-ils retournés dans la Sabine, et le peuple sabin voulut-il y aller chercher un roi qui fût un vrai fils de ses montagnes.

Du reste, tout dans la vie de Tullus Hostilius montre le roi sabin[6]. La tradition plaçait sa première demeure sur la Velia, au lieu où son aïeul, époux ou gendre d’Hersilie, avait été inhumé. La Velia, que maintenant on a de la peine à reconnaître, et dont le sommet est marqué par l’arc de Titus, fut dans l’origine une hauteur assez considérable pour que la maison de Valerius Publicola, qui y était située, parût menacer la liberté de la république naissante.

Hostilius s’y établit, non loin de la demeure du roi sabin Numa, et encore plus près de la porte du Palatin, pour en surveiller, comme lui, les habitants.

Tullus Hostilius continue l’œuvre de Numa. Il augmenta le nombre des Saliens[7], prêtres sabins ; il perfectionna le droit fétial[8], en vigueur chez les peuples sabelliques.

Tullus Hostilius fonda le culte singulier de la Peur. Ce culte ne doit pas surprendre chez un peuple qui, comme les Sabins, élevait des autels à la Fièvre[9] et adorait le Jupiter funeste. Le temple dédié par Tullus Hostilius à la Peur et à la Pâleur, filles de Jupiter[10], était dans l’esprit de la religion sabine, qui inclinait, par un de ses côtés, vers le culte des mauvaises puissances.

Cette divinité étrange, la Peur, était la personnification d’une idée abstraite, ce qui est tout à fait conforme au génie de la religion des Sabins, qui divinisaient la Jeunesse, la bonne Foi, l’Espérance.

Mais ce qui dessine surtout le caractère sabin de Tullus Hostilius, c’est la guerre acharnée qu’il fit à la ville d’Albe, et qu’il termina par la destruction de cette ville, à laquelle se rattachaient les origines de la Rome du Palatin. Albe était le chef-lieu de la confédération latine. La détruire, c’était frapper la confédération au cœur et préparer l’asservissement du Latium, que le successeur sabin de Tullus Hostilius, Ancus Martius, devait en grande partie accomplir. Aussi toute cette guerre est-elle conduite par Tullus Hostilius avec une violence où respire une haine de race, haine de la race sabellique contre la race latine, que la tradition a exprimée avec une poésie farouche et vraie.

Ce sont les Albain qui déclarent la guerre. Leur roi, Cluilius, s’avance à cinq milles de Rome, aux fosses Cluiliennes[11].

Là était en effet la frontière de l’antique Rome.

C’est à une distance à peine plus considérable que, du côté de la mer, on célébrait les Terminalia, à deux lieues environ.

Voilà le commencement de la puissance romaine.

Le roi Cluilius meurt d’une mort soudaine et un peu suspecte. Tite-Live donne aux Albains un dictateur ; ce titre existait dans les villes italiotes, et le nom s’en conserva chez elles, même quand elles eurent perdu leur autonomie, réduit alors aux humbles proportions d’une dignité municipale. Ce dictateur s’appelait Mettius[12] Fufetius ; il devint plus tard l’allié de Tullus Hostilius. Peut-être ne fut il pas étranger à cette mort subite du roi d’Albe qu’il remplaça.

La haine du roi sabin s’exalte ; il menace les Albains du courroux des dieux qui a frappé leur chef, et qui les dévorera tous. Puis il exécute un coup hardi : il franchit nuitamment la fosse Cluilienne, traverse le camp des Albains, et se trouve ainsi sur leurs derrières. Le nouveau chef, intimidé, propose alors ce fameux combat dans lequel un petit nombre de guerriers décidera du sort des deux peuples, et qui tient plus de la légende que de l’histoire. Cependant il est raconté avec des détails tellement circonstanciés et tellement vraisemblables ; les monuments, et, si je puis ainsi parler, les reliques qui s’y rapportent, ont été si ; soigneusement et si longtemps conservés à Rome, que je répugne à y vair une fable imaginée après coup : J’y vois plutôt le souvenir d’un chant contemporain de l’événement, où tout n’était pas faux, et dans lequel la poésie a, comme fait toujours la poésie naïve, transmis plusieurs traits de la réalité.

Le vieux poème est perdu, mais il en reste quelques lambeaux dans l’admirable narration de Tite-Live, et le mâle génie de Corneille en a quelquefois retrouvé l’esprit, quoique écrivant dans un milieu trop différent pour pouvoir nous rendre toujours l’inspiration de la poésie primitive.

Plaçons-nous donc près de la fosse Cluilienne, à cinq milles de Rome, sur le chemin d’Albano, et représentons-nous les combattants dans cette campagne d’un caractère si grand et si sévère en vue du Monte-Cavi, sur le flanc duquel nous apercevons la ville d’où les Albains étaient descendus. Les Romains étaient sortis par la porte Capène, un peu en arrière de la porte Saint-Sébastien, par où nous-mêmes nous sommes sortis.

Parmi les Romains, nous découvrons le vieil Horace, qui n’est pas resté entre les murs de sa maison, où l’a retenu seulement, dans la tragédie française, la nécessité de trouver pour le récit du combat un auditeur intéressé. Camille, qui s’appelle Horatia, n’est pas dans la foule, où nous serions tenté de la chercher. Une jeune Romaine ne venait point dans un camp. Elle ne sortira de la maison de son père qu’après le combat, pour aller, pleine d’angoisse, au-devant de Curiace et, aux portes de la ville, rencontrer son meurtrier triomphant.

Curiace lui-même ne répond tout à fait à l’idée que nous donne chez Corneille la désignation de ce personnage, un gentilhomme d’Albe. Cependant il y a une certaine vérité dans cette expression : il appartenait à une illustre famille, puisqu’elle était alliée à la famille Horatia. Seulement, comme nous allons le voir, ces deux familles n’étaient ni romaines ni albaines, mais sabines.

Ce qu’il y a de sûr, c’est que les champions ont été choisis parmi les guerriers les plus courageux et les plus robustes. Le combat commence. L’une et l’autre armée le contemple avec passion. Tous les cœurs battent en silence.

Deux Horaces succombent. Le troisième, resté seul contre trois assaillants, prend la fuite. D’un côté, des cris de joie s’élèvent dans cette vaste campagne ; de l’autre, des cris de fureur. Le vieux père maudit son fils.

Mais cette fuite était une feinte, une ruse de sauvage, comme on en voit chez les Mohicans de Cooper. Horace égorge sans merci les deux ennemis, dont l’inégalité de forces a divisé la poursuite. Denys d’Halicarnasse, ou plutôt le poème populaire qu’il ne connaissait pas, mais d’où émanait la tradition par lui recueillie, a soin d’indiquer, selon le procédé homérique, le genre de chaque blessure. Le second Curiace porte au second Horace un coup terrible entre les deux épaules. Il fuyait donc. Ni Denys d’Halicarnasse, ni Tite-Live, ni les annalistes romains, n’auraient imaginé cela. L’épée qui est entrée dans le dos va déchirer les entrailles ; mais le mourant, par un dernier effort, glissant la sienne sous le bouclier de son ennemi, lui coupe le jarret. On croit lire un chant de l’Edda ou une page de l’Iliade.

C’est prés du lieu où nous sommes que les crois Curiaces et les deux Horaces tombèrent. Il ne faut pas aller chercher la sépulture des premiers à Albano, qui n’est point sur l’emplacement d’Albe, bien qu’on y montre aux voyageurs un prétendu tombeau des Curiaces.

Ce tombeau a tout l’air d’être un tombeau étrusque. Il est surmonté de pointes tronquées très analogues à celles que Pline[13], qu’il parle d’un monument réel ou d’un monument imaginaire, dit avoir existé sur la tombe de Porsenna. On pense que le monument d’Albano a été le tombeau d’Aruns, fils de Tarquin le Superbe, tué près d’Aricie (Lariccia).

Comme le disent Tite-Live[14] et le bon sens, les tombes des Curiaces, si on les éleva, comme il est probable, au lieu qui vit leur mort, devaient être plus près de Rome que celles des deux Horaces ; car le frère de ceux-ci avait fui du côté de la ville pour attirer ses ennemis, inégalement blessés, sur ses pas et les vaincre l’un après l’autre.

Quant aux tombeaux des deux Horaces tués au commencement de l’action, ils devaient être près de la fosse Cluilienne, qui séparait les deux camps, à environ cinq milles de Rome.

A cette distance de la porte Capène[15] se voient encore aujourd’hui deux grands tombeaux de forme pyramidale comme les tombes étrusques de Cære (Cervetri) et de Tarquinii (Corneto). Tout ce qui se construisait alors se construisait à l’étrusque. La base, qui est formée de grosses pierres, représente bien ce que Tite-Live, en parlant de la sépulture d’Horatia, appelle saxum quadratum[16].

Ces tombeaux sont très voisins l’un de l’autre, et les deux frères furent tués presque en même temps sur le terrain primitif du combat.

Ce qui achève de rendre probable que ces monuments énormes et d’une forme ancienne soient ou du moins aient passé dans l’antiquité pour être les tombeaux des Horaces, c’est que les anciens font aussi mention du champ sacré des Horaces[17], et que, non loin des tombeaux qu’on peut croire les leurs, est une enceinte dont les murs trahissent par leur appareil une époque très reculée. Cette enceinte semble bien avoir été construite pour enclore le champ sacré des Horaces.

Si le combat des trois Horaces et des trois Curiaces n’est pas entièrement imaginaire ; si, comme je serais porté à le croire, il fut, soit une sorte de jugement de Dieu, auquel les deux peuples promirent de se soumettre, soit un fait d’armes singulier accompli en présence des deux armées qui suspendirent leur combat pour le contempler, comme plus tard le duel de Torquatus et du Gaulois au pont de l’Anio, il est permis de faire quelques observations historiques sur le nom des combattants, — leur nom est ce qui a dû le mieux se conserver dans la tradition, — et sur leur patrie, que ce nom peut indiquer.

Le nom des Curiaces[18] est sabin ; il est formé du nom des Sabins eux-mêmes (Curites), qui est celui en particulier des habitants de Cures. Il en est de même du nom des Horaces, où l’on retrouve le nom de la déesse guerrière Hora, épouse de Quirinus[19]. D’ailleurs, la tradition donnait pour mère aux trois Horaces la sœur de la mère des trois Curiaces[20].

Les deux familles étaient donc apparentées. L’on doutait même si ce n’était pas les Curiaces qui avaient combattu pour les Romains[21].

On peut voir dans les Horaces et les Curiaces les rejetons de deux branches d’une famille sabine établie dans la ville d’Albe parmi les Latins.

Des Sabins étaient les champions naturels de Rome, alors surtout sabine ; les Albains voulurent opposer à des hommes de cette race belliqueuse d’autres hommes de la même race. D’ailleurs, on a des preuves que les Sabins avaient pénétré sur plusieurs points dans le pays latin et s’étaient mêlés aux populations latines[22].

Tite-Live a omis la parenté des Horaces et des Curiaces ; ainsi se trouvent supprimés plusieurs traits pathétiques de l’ancien chant qui sont venus de là bien certainement à Denys d’Halicarnasse, car sa rhétorique ne les aurait pas trouvés.

Les Horaces, avant de tirer le glaive contre leurs parents, demandent à consulter leur père. Ils lui expriment leur désir de combattre. Le vieil Horace du poète inconnu, avec un sentiment digne du vieil Horace de Corneille, lève les mains au ciel et remercie les dieux de lui avoir donné de tels fils ; puis les embrasse et les envoie au combat.

Le général albain conduit les Curiaces sur le champ de bataille, et le roi de Rome y conduit les Horaces. Ils étaient tous bien armés et ornés comme des victimes dévouées à la mort.

Avant de croiser le fer contre des hommes de leur sang, les vaillants guerriers sont émus. Ils remettent leur glaive à des écuyers, et courent s’embrasser encore une fois en pleurant. Puis les champions reprennent

leurs armes et commencent le combat terrible. Ce brusque mouvement de tendresse héroïque, saisissant des parents qui s’aiment et qui vont s’égorger, est dans l’esprit des épopées primitives. On ne serait pas surpris de le rencontrer dans les Nibelungen ou même chez Homère.

Horace revient tout sanglant dans Rome, faisant porter devant lui les dépouilles des ennemis qu’il a immolés. Arrivé à la porte Capène, il rencontre sa sœur. Celle-ci reconnaît sur l’épaule de son frère le manteau de son fiancé, manteau qu’elle avait tissu de ses propres mains, et dont le vainqueur s’était barbarement paré.

Elle détache ses cheveux et pleure. L’imprécation éloquemment furibonde de Camille contre son frère est plus dans le caractère d’une Romaine du temps d’Horace que dans celui d’une Romaine de nos jours. Aujourd’hui le frère répondrait certainement par un coup de couteau. Horace plonge son glaive dans le sein de sa sœur[23].

La différence des mœurs se fait sentir en un seul point. Aujourd’hui le Romain qui aurait donné le coup de couteau s’échapperait, protégé par l’intérêt de la foule. Sous Tullus Hostilius, la justice était plus sévère.

Horace est condamné à mort. Tout le récit de Tite-Live est admirable. Les formules antiques du droit sabin, qui devint le droit romain, ont une solennité sombre : Horrendum carmen. Le père s’élance ; il parle. Son discours, qui surpasse peut-être encore ce-lui que Corneille lui a fait tenir, est plein de vivacité et de force. La mémoire et l’imagination vont du poète inconnu, premier auteur du récit de Tite-Live, à Corneille, le poète immortel, et notre vieux Romain semble parfois contemporain de la tragédie qu’il retrace.

Si les effusions langoureuses de Curiace choquent un peu en présence des terribles souvenirs de la Rome primitive, le qu’il mourût, ce mot héroïque et presque barbare, est de la date de l’événement ; il a la grandeur, la simplicité, la rudesse des vieux tombeaux étrusques. Il aurait pu être prononcé dans cette campagne sauvage, en présence de cet horizon sévère et sublime comme le génie de Corneille.

La scène du jugement se passait dans le Comitium, au pied du Capitole, à côté de la prison Mamertine, là où l’ut depuis le siège du préteur. Le roi, entouré des patriciens sabins, faisait prononcer par les duumvirs l’arrêt terrible qui condamnait Horace à être pendu. Le père en appelait au peuple (populus), c’est-à-dire aux patriciens[24], et son fils était absous par ses compatriotes, dont, grâce à lui, la nationalité avait triomphé des prétentions latines.

Tout près, à l’angle du portique qui plus tard entoura le Forum romain[25], s’élevait une colonne à laquelle on disait qu’avaient été suspendues en trophée les armes des Curiaces[26]. C’est ce qui explique comment, dans le fameux procès où Horace fut sauvé par sa gloire et par son père, celui-ci pouvait, ainsi que le représente Tite-Live, montrer au peuple ce trophée en embrassant son fils.

Une relique, conservée avec soin jusqu’à la fin de l’empire, va nous faire retrouver, toujours suivant la tradition, la demeure des Horaces.

Cette relique était la poutre de la sœur (tigillum sororium), sous laquelle Horace dut passer pour être purifié de son fratricide ; humiliation analogue à celle qu’on imposait aux vaincus en les faisant passer sous le joug, d’après une coutume des peuples italiotes, et en particulier des peuples sabelliques, auxquels appartenaient les Samnites, qui firent passer les Romains sous le joug dans la vallée de Caudium.

La poutre de la sœur, souvent refaite, existait encore au quatrième siècle[27] ; car elle est mentionnée par les régionnaires. Nous savons précisément où elle se trouvait : elle était placée, en travers, d’un mur à l’autre, au-dessus de la tête des passants, dans une rue étroite par où l’on descendait de la partie élevée des Carines, et d’où l’on gagnait la Bonne Rue (Cyprius Vicus)[28], aujourd’hui Via Urbana. C’est donc sur la pente septentrionale de la hauteur sur laquelle est S. Pietro in Viucoli que devait se conserver la poutre de la sœur, dans une rue à laquelle correspond à peu prés la rue de Saint-François de Pola, et c’est là, je crois, que la tradition plaçait la demeure d’Horatius.

En effet, cet endroit où rien n’indique l’existence d’un monument religieux, ne pouvait guère avoir été choisi pour y faire l’expiation dont la poutre gardait le souvenir que parce que la demeure de la famille Horatia était là.

Là aussi on éleva deux autels, l’un à Junon, déesse sabine, l’autre à Janus Curiatius, dont, dit Denys d’Halicarnasse, les Curiaces portaient le nom, ce qui achève de prouver qu’ils étaient Sabins ; ces autels consacrés, en mémoire de l’expiation d’Horatius, à deux divinités sabines montrent que lui aussi était Sabin.

S’il n’y avait eu que des Romains et des Albains en présence, peut-être la guerre en fût restée là. La Rome du Palatin avait des liens de parenté avec Albe, ville latine comme elle ; parmi ses premiers habitants avaient été des pâtres albains ; mais les Sabins n’avaient, eux, avec Albe aucune communauté d’origine. Ils n’appartenaient pas au même rameau de la race italique. La métropole de la confédération latine était une rivale qu’ils ne pouvaient souffrir. Hostilius, qui personnifie en lui cette haine nationale de la race sabellique pour la race latine, avait résolu la destruction d’Albe et l’accomplit.

Tite-Live dit que la paix ne fût pas de longue durée. Elle ne pouvait l’être. Des deux parts on ne devait chercher qu’une occasion de la rompre.

Les Albains sont accusés d’avoir formé contre Tullus Hostilius des ligues secrètes. Cela n’est point invraisemblable. La conduite équivoque de leur chef, malgré lui sous les ordres de Tullus Hostilius, me paraît très bien exprimer la situation d’un chef sabin conduisant des Latins, et d’un peuple devenu l’auxiliaire de son ennemi.

Tullus Hostilius ajourna ses projets contre Albe, mais il ne les abandonna pas. Il fit la guerre aux Véiens. Ceux-ci avaient pour alliés, comme ils les eurent constamment, les habitants de Fidène, ville située à quelques milles de Rome, sur la rive gauche du Tibre, en face de la vallée de la Cremera, sur la rive droite, vallée qui conduit à Véies.

Tullus Hostilius avait forcé les Albains à le suivre, ce qu’ils devaient faire très à contrecœur. Rien n’est donc plus vraisemblable que la trahison qu’il leur reprocha. Tout est vraisemblable aussi dans les détails de cette bataille telle qu’elle est racontée par Tite-Live.

Mais la cause véritable de la trahison fut la haine, la haine d’un corps d’armée latin, contre un roi sabin, et l’hésitation du général sabin de ce corps d’armée entre sa race et son devoir.

Et cela, Tite-Live ne l’a point dit.

Le récit de la bataille est très clair et se comprend parfaitement quand on est sur les lieux. Tullus Hostilius est campé au delà du confluent du Tibre et de l’Anio, avant le Tibre à sa gauche et des collines à sa droite. Le fleuve fait en cet endroit un coude qui embrasse une plaine très propre à camper et à combattre. Près du fleuve sont les Véiens, qui l’ont franchi pour venir au secours des Fidenates, ceux-ci prés des collines sur lesquelles est leur ville. Aux Fidenates, Tullus oppose ses douteux alliés, les Albains, qui forment son aile droite, et, avec son aile gauche appuyée au Tibre, il attaque les Véiens.

Mettus Fufetius, le général des Albains, au lieu de s’élancer sur les Fidenates, qui sont en face de lui, fait un mouvement vers la droite et gagne les collines où il prend une position qui lui permet d’accabler les Romains, s’ils sont repoussés, et de les jeter dans le Tibre. Son dessein n’échappe pas à Tullus Hostilius ; mais, en homme habile, il feint d’avoir ordonné ce mouvement et le crie à haute voix. Les Fidenates, qui l’ont entendu, craignant que les Albains ne descendent des collines et ne les écrasent, se retirent vers leur ville. Alors le chef albain, voyant que l’armée de Tullus a l’avantage, fond sur les Fidenates pour cacher la perfidie qu’il a conçue, mais qu’il n’ose plus exécuter.

Tullus Hostilius, délivré de l’un de ses deux ennemis, se porte sur les Véiens, et ce sont eux qui sont poussés dans le fleuve, en cet endroit, rapide et tourbillonnant, comme le remarque Denys d’Halicarnasse (III, 25). Le roi avait eu un moment terrible quand il avait reconnu la trahison des Albains. Il avait voué la fondation, je dirais presque d’un couvent de douze Saliens sur le Quirinal, et d’un temple à la Pâleur et à l’Effroi. Il ne pardonnait pas au général albain la peur qu’il avait un moment ressentie. Dissimulant pour ce jour-là, il reçoit les félicitations de Fufetius.

Le lendemain, il assemble les deux armées ; mais il a soin de faire entourer celle des Albains par la sienne. Alors il déclare que l’arrêt contre Albe est porté, qu’on la détruit en ce moment, que ses habitants seront transplantés dans la ville dont il est roi ; et, après avoir reproché à Mettus Fufetius son crime ; avec une dureté toute sabine, il condamne le violateur de la Foi, cette déesse à laquelle les Sabins avaient élevé un temple sur le Capitole, à être écartelé.

Si Fufetius était Sabin, c’était pour le roi sabin un motif de plus d’être sévère. En outre, le parti que Tullus voulait tirer de ce manque de foi dut contribuer à l’atrocité du châtiment.

Les détails du combat et de l’affreux supplice qui le suivit ont une précision que peut seule expliquer encore cette fois l’existence d’un ancien chant, source de la tradition où ont puisé Tite-Live et Denys d’Halicarnasse, et qui permet de les croire. J’en dirai autant de l’émouvante peinture que fait Tite-Live du désespoir des, Albains en voyant détruire leur ville. Il les montre s’arrêtant sur le seuil de leurs maisons ou les parcourant pour les revoir une dernière fois[29].

Je crois entendre quelque élégie nationale, quelque nænia patriotique, dont l’écho lugubre semble gémir encore dans le pathétique récit de Tite-Live.

Arrêtons-nous un moment, et des hauteurs de Fidène regardons cette montagne d’Albano si belle à l’horizon, et sur le penchant. de laquelle, dominant le lac, se dessinait la ville d’Albe.

En voyant du lieu où nous sommes les tourbillons de poussière qui s’élevaient de ‘leurs maisons abattues, les soldats albains durent éprouver une désolation profonde. Les hommes du Palatin, ancienne pus session des rois d’Albe, et qui suivaient leur chef sabin peut-être avec autant de répugnance que les Albains eux-mêmes, ne durent pas grandement se réjouir ; mais les Sabins et leur prince durent être transportés de joie.

La fiction poétique par laquelle Albe avait été rattachée à l’arrivée prétendue d’Énée au moyen de la truie blanche (Alba), et des trente petits cochons dont elle était mère, a fait croire que son nom Alba voulait dire la Blanche ; mais, je l’ai dit, cette étymologie est insoutenable. Albe s’appelait Alba longa, Albe la Longue ; or le premier de ces deux mots doit être nécessairement un substantif[30].

De plus, on ne voit pas d’où serait venu l’idée de blancheur : il est très rare que la neige blanchisse le mont Albano ; cela n’arrive chaque année que pendant peu de jours, tandis que la neige reste pendant plusieurs mois sur les sommets de la Sabine.

La couleur de la montagne d’Albe, composée de roches volcaniques, est plus sombre que celle des montagnes calcaires et blanchâtres qui l’avoisinent. Pour justifier cette origine du nom d’Albe, on a été jusqu’à supposer que ses édifices étaient blanchis. La truie, même quand on y croirait, serait une mauvaise explication, car Lycophron dit qu’elle était noire[31].

Albe était à mi-côte, tournée d’un côté vers la montagne et de l’autre vers le lac[32], s’étendant en longueur[33], ce qui l’avait fait nommer la Longue. M. Mommsen décrit très bien les avantages de cette situation : Au sud, les pentes escarpées du Monte-Cavi la rendaient inaccessible ; il en était de même du côté du nord ; à l’est et à l’ouest, on pouvait y arriver. Chacun conçoit que les Latins eussent choisi une telle situation pour leur métropole et l’eussent préférée à Lavinium.

Albe, détruite par Tullus Hostilius, ne fut jamais rebâtie. On avait épargné les temples, mais des temples dans une ville déserte ne sont pas réparés, et il ne reste d’Albe aucune ruine de l’époque des rois.

On a trouvé à quelque distance des objets curieux, et qui peuvent remonter au temps de l’existence et de la domination d’Albe[34]. Ce sont des vases d’une forme particulière, une petite idole très grossière, la pointe d’une pique et des couteaux en bronze. On était arrivé à cette découverte en perçant une couche volcanique, et on n’hésita pas à y voir des restes d’une civilisation antérieure à l’âge des volcans albains, antérieurs eux-mêmes aux âges historiques. On n’avait pas remarqué que l’entrée des tombeaux où avaient été trouvées ces antiquités, qu’on croyait antédiluviennes, était plus bas, et s’ouvrait sur une ancienne voie[35].

Ces vases n’en sont pas moins fort anciens et fort curieux, surtout parce qu’ils imitent et nous font connaître la forme qu’avaient à une époque très reculée les cabanes du Latium, et qui dut être à peu près celle de la cabane de Romulus[36].

Tullus Hostilius établit la population d’Albe sur le mont Cælius ; peut-être les Étrusques, alliés de Romulus contre les Sabins, furent-ils alors forcés de la quitter et d’aller habiter le Vicus Tuseus (quartier étrusque), s’ils n’allèrent l’habiter plus tard.

Le souvenir de cette alliance n’était pas pour un roi sabin un motif de les ménager. Mais le Cælius devait revoir les Étrusques.

La tradition rapporte que Tullus établit sa demeure sur le Cœlius. C’est toujours la même pensée qui avait fait placer sa première habitation, comme celle de Numa, aux abords du Palatin : on voulait indiquer que les rois sabins se logeaient prés de leurs sujets latins pour les surveiller.

La tradition rapportait aussi qu’un chef bernique, nommé Oppius, était venu d’Agnani défendre Rome, tandis que Tullus Hostilius faisait la guerre aux Véiens, et qu’un chef de Tusculum, appelé Cispius, était venu dans la même intention ; que l’un et l’autre avaient donné leur nom à deux cimes de l’Esquilin[37]. Cela est bien chevaleresque et peu probable. S’il y a quelque chose de vrai dans cette tradition, que je mentionne parce qui elle se rattache à l’histoire locale de Rome, c’est plutôt, je crois, que les deux chefs profitèrent de l’absence de Tullus Hostilius pour s’établir sur l’Esquilin.

La destruction d’Albe était un grand événement. C’était un coup terrible porté par le roi sabin à la confédération latine, dont Albe était le centre ; c’était l’hégémonie qu’elle exerçait sur les villes latines transportée à la ville où il régnait.

Aussi les villes latines se soulevèrent, mais, à ce qu’il semble, assez mollement.

La confédération latine avait été frappée au cœur, ou plutôt à la tête. Le roi sabin, qui lui avait porté ce coup décisif, triompha sans peine du Latium décapité.

Cet événement, qui abaissait la confédération latine, fut favorable aux Latins de Rome.

La population que Tullius transporta sur le mont Cœlius était considérable. Celle de Rome, dit Tite-Live (I, 30), en fut doublée.

Le roi sabin s’était peut-être applaudi d’anéantir le berceau de la royauté romaine ; mais il ne savait pas ce qu’il faisait en donnant ainsi, dans le Cœlius latinisé, un allié au Palatin. Il préparait l’ascendant futur de la ville latine.

Plusieurs grandes familles d’Albe[38] se trouvaient parmi les nouveaux habitants du Cælius. Une d’elles était celle des Jules[39], de laquelle César devait un jour sortir.

Tullus Hostilius ne se doutait pas qu’il introduisait dans Rome les aïeux de celui qui était destiné à renverser le gouvernement héritier futur du pouvoir des rois, et à venger de la république la royauté en détruisant la république et en préparant, en fondant réellement l’empire.

Le Cælius fut toujours considéré depuis comme le mont des Étrangers ; on y honorait les dieux venus du dehors[40], et on y plaça le camp des Étrangers[41]. Il ne faut jamais l’oublier, dans Rome, qui alors fut surtout sabine, les étrangers, c’étaient les Latins.

Cependant, sans parler du Palatin, on découvre à Rome des traces de la présence des Latins, antérieurement à Tullus Hostilius.

Le culte d’un dieu indigène du Latium, Faunus, parait avoir existé de très bonne heure sur l’Aventin[42] et dans l’île Tibérine[43].

L’on disait qu’un Julius Proculus, venu à Rome avec Romulus, avait fondé la famille des Jules ; mais ce fut, je pense, une flatterie imaginée par un généalogiste qui trouvait que ce n’était pas assez pour la famille à laquelle appartenait César de n’être à Rome que depuis Tullus Hostilius.

L’histoire attribue à Tullus Hostilius un petit nombre de monuments. Cela se conçoit : guerrier avant tout, il eut peu le temps de s’occuper à bâtir ; il détruisait plutôt. Il détruisit Albe, chef-lieu de la confédération latine. Son plus grand monument fut une ruine.

 On rapportait à ce roi la consécration du temple de Saturne ; peut-être, en effet, ce temple ne date-t-il que de lui. L’autel de Saturne était beaucoup plus ancien et remontait aux premières populations latines qui occupèrent le Capitole ; mais il est possible que Tullus Hostilius ait voulu plaire ainsi aux Latins établis par lui sur le mont Cœlius et remplacer pour eux leur temple de Jupiter Latiaris sur le mont Albain, afin de les attacher à leur nouvelle patrie par le culte de leur dieu national[44].

Tullus Hostilius a attaché son nom à un édifice d’une grande importance, la Curia Hostilia, principal lieu des assemblées du sénat jusqu’à Sylla[45].

Les curies furent dans le principe des associations entre patriciens, dont le but était l’exercice d’un culte commun et le règlement de certaines affaires.

Le lieu où les membres de la curie s’assemblaient s’appelait lui-même Curia, comme dans un autre ordre de faits on a appelé commune l’endroit où se réunissaient les magistrats de la commune.

Les anciennes curies étaient au pied du Palatin, du côté qui regarde le Cælius[46].

Tullus Hostilius, le premier, fonda une Curia générale où les chefs des curies particulières, en prenant ce mot dans le sens d’association, se réunirent. La curia de Tullus Hostilius devint le temple du sénat ; car elle était un lieu auguré, et c’est là ce que l’on entendait par un temple.

La curia d’Hostilius, voisine du Comitium[47], placé lui-même au pied du Capitole, au-dessous de la plate-forme du Vulcanal, aux environs de l’arc de Septime Sévère et du temple de la Concorde, la curia était au nord-est du Comitium, un peu en avant de l’église de Sainte-Martine[48].

Ce lieu, voisin du temple de Janus, n’avait jamais été possédé par les Romains. Devant la curie était la statue de l’augure sabin Attus Nœvius[49].

Cicéron dit que Tullus Hostilius entoura d’un mur le Comitium et la Curia ; tous les autres témoignages le font l’auteur de la dernière.

Le Comitium était le lieu où se tenaient les Comices par curie, c’est-à-dire où votaient les patriciens.

La curia Hostilia fut le lieu où délibérèrent les chefs des patriciens, les pères qui formaient le sénat.

On disait que Tullus Hostilius avait entouré le Comitium d’un mur et avait bâti la Curia, qui portait son nom, parce que c’était Tullus qui avait organisé le patriciat.

C’est avec lui qu’on voit poindre l’organisation politique de Rome. Numa s’était occupé surtout de l’organisation religieuse.

J’ai dit que Romulus, le fondateur de la petite Rome palatine, n’avait rien pu faire en politique de ce qu’on lui a prêté.

Il n’avait pu diviser la population de Rome, dont une très faible partie lui obéissait en trois tribus. Ces tribus étaient celle des Tities ou des Sabins, de beaucoup la plus considérable et occupant cinq des huit collines ; celle des Luceres ou des Étrusques, sur le Cælius ; celle des Rhamnes ou des Romains, sur le Palatin, la seule que gouvernât Romulus, et la plus petite des trois[50].

De même Romulus ne fut pour rien dans l’organisation des curies. Les anciennes n’étaient pas sur le Palatin, mais au pied du Palatin et en dehors de son enceinte, comme l’autel de Consus, dans la vallée de l’Aventin (grand cirque), et au sommet de la Velia, le sanctuaire des Lares, avec lesquels elles sont nommées par Tacite.

La curie supposait l’existence du patriciat, et, comme je l’ai dit, le Palatin ne pouvait contenir les éléments du patriciat.

La curie était une institution sabine[51] ; le mot l’indique. Ce nom curis, lance, comme Curites (Quirites), était le nom même de la nationalité sabine que les curies représentaient ; elles étaient mises sous la protection de Junon Curis, c’est-à-dire de Junon Sabine[52]. Dans chacune des curies, une table[53] qui servait d’autel lui était dédiée, et on rapportait cet usage à Tatius[54]. Le sacrifice dans les curies était fait par un flamen, prêtre sabin. Les cultes sabins de Quirinus[55] et de Vesta les consacraient[56]. L’on disait que les trente curies avaient porté dans l’origine le nom des Sabines enlevées[57], et plusieurs de ceux qui sont parvenus jusqu’à nous désignent une localité occupée par les Sabins[58].

J’en dirai autant des chevaliers qu’on a voulu faire remonter aux Celeres de Romulus[59] ; mais les Celeres et les chevaliers sont dans un lien étroit avec le culte sabin. Les premiers assistaient aux danses des Saliens ; les seconds présidaient aux Lupercales[60]. L’anneau, leur marque distinctive, fait penser au goût des Sabins pour les ornements en or : les bracelets, les colliers, ces objets de luxe, venaient aux Sabins des Étrusques, mais n’avaient point pénétré parmi la horde rustique du Palatin. Sur le Palatin, il est plus question de bœufs que de chevaux.

Ainsi le sénat, le patriciat, l’ordre équestre, en un mot les éléments essentiels de l’organisation romaine, viennent des Sabins. Ce n’est pas sans raison que Janus, le grand dieu des Sabins, était appelé le patron des hommes bien nés[61]. Les Romains proprement dits sont dans l’origine étrangers à toutes ces institutions aristocratiques ; ils concourront, il est vrai, à la formation de l’ordre plébéien, qui doit, avec le temps, absorber les deux autres ; mais ce sera dans une faible proportion, parce qu’ils sont peu nombreux, et ce ne sera que lorsque la population latine, du sein de laquelle la plebs doit sortir, et à laquelle ils appartiennent, se sera augmentée des vaincus transplantés à Rome par Ancus Martius, quand le Cælius et l’Aventin, ces deux collines considérables seront venus en aide à leur humble sœur du Palatin.

Tâte Live dit que Tullus Hostilius admit les chefs albains Jans son sénat et prit parmi eux des chevaliers ; cela ne m’étonne point. Les Sabins pouvaient traiter sur un pied d’égalité avec des familles puissantes venues .d’Albe, ville ancienne, métropole .de la confédération latine, et partager les honneurs avec elles ; mais il ne pouvait être question des hommes sans aïeux du Palatin. Peut-être, à cause du service qu’ils avaient rendu dans la guerre de Véies, fit-on quelque chose pour eux. Il est dit[62] que Tullus Hostilius partagea le champ publie entre les citoyens.

Cette expression, empruntée aux lois agraires, peut se rapporter à un fait véritable : une distribution de terre, dont les soldats romains eurent leur part ; mais les Romains n’arrivèrent à jouer un rôle dans la cité que sous les rois étrusques, par des causes que nous dirons.

Albe détruite, Tullus Hostilius fait encore la guerre ; cette fois contre les Sabins, qui l’avaient provoquée.

Cela ne doit pas surprendre. Les rois étrusques feront la guerre aux Étrusques.

Ancus Martius, que tout le monde reconnaît avoir été un roi sabin, fera la guerre aux Sabins.

Les marchands venus de Rome au marché de Feronia pouvaient très bien, comme s’en plaignait Tullus Hostilius, y avoir subi quelques avanies, et Tullus Hostilius s’en irriter.

La guerre pouvait donc naître entre ces Sabins-là, d’ailleurs à moitié Étrusques, comme ceux de Fidène, et le roi sabin de Rome.

La Sabine indépendante pouvait prendre ombrage d’un pouvoir qui se fondait à sa frontière, bien qu’il fût sorti de son sein.

D’ailleurs, si les différences de race causent les guerres, l’unité de race ne les empêche pas toujours. On peut le croire pour l’Italie ancienne, l’Italie moderne, l’a trop prouvé.

Après cette guerre où je remarque, dans le récit de Tite-Live, ces mots : la cavalerie augmentée naguère, — je suis porté à lire : la cavalerie créée par Tullus Hostilius, — après cette guerre et le combat terrible près de la forêt Mauvaise qui la termina, le roi sabin entre, suivant la tradition, dans une phase nouvelle de son caractère ; d’impie, il devient dévot.

Tullus Hostilius avait négligé les cérémonies de Numa ; il avait offert des entrailles de victimes qui n’étalent qu’à demi brûlées, et des pierres étaient tombées sur le mont Albain.

Le Jupiter qu’on adorait au sommet de cette montagne montrait son courroux à celui qui avait détruit la métropole latine. On entendit une voix sortir du bois qui couvrait alors la cime du mont. Bientôt une contagion et une famine se déclarèrent[63]. Alors Tullus est saisi, au milieu de son orgueil, d’une superstitieuse frayeur. C’est ici que Denys d’Halicarnasse place le vœu d’augmenter le nombre des Saliens ; mais ce vœu est rejeté par les dieux.

Alors, sans doute, Tullus Hostilius, dans son trouble, se tourna vers la religion des Latins, ses ennemis ; il voulut fléchir leur dieu Saturne en élevant ou en relevant son temple, en solennisant avec pompe les Saturnales.

Une longue maladie brisa cette âme hautaine et violente. Celui, dit Tite-Live, qui jusque-là n’eût estimé rien de moins royal que de s’occuper des choses sacrées, tout à coup devint la proie de toutes les superstitions, et remplit le peuple de pratiques religieuses.

On croit lire l’histoire d’un tyran italien du moyen âge.

Le peuple lui-même, malade comme son roi, redemandait le règne pieux de Numa, seul moyen d’apaiser les dieux.

Dans cette disposition de l’âme de Tullus Hostilius, ce qui devait l’attirer surtout, c’était le culte étrusque, dépositaire de ces pratiques religieuses dont le roi et le peuple éprouvaient le besoin.

Aussi, dès ce moment, le roi sabin tourne au lucumon étrusque. Selon quelques récits, il aurait introduit, à la suite d’une guerre heureuse contre l’Étrurie, les insignes de la royauté étrusque[64].

C’est alors peut-être qu’il prit le nom de Tullus, qui appartient aux peuples sabelliques[65], mais qui fut adopté par l’Étrurie[66].

Quoi qu’il en soit, dans son zèle de nouveau converti, et avec cette inquiétude d’un esprit battu par la superstition qui va d’un culte à l’autre, le roi abandonna plusieurs rites nationaux pour introduire des rites étrangers[67].

Ils ne pouvaient être qu’étrusques. Du temps de Tacite, les prêtres ordonnaient encore certaines expiations, d’après la loi de Tullus Hostilius, dans le temple de Diane, sur le mont Aventin[68] ; car c’était l’Aventin qu’il semble avoir choisi pour ses religions empruntées. Nous y avons constatés la présence ancienne des Sabins, et cette prédilection du roi sabin pour la colline funeste dans la tradition romaine achève de le démontrer. Numa y avait érigé le temple de Jupiter Elicius, dans lequel se pratiquait l’art d’attirer la foudre. Cet art, que Numa avait reçu des Étrusques, savants dans la science fulgurale, dut attirer l’imagination agitée du roi sabin, enclin aux choies étrusques, et il s’y livra avec un emportement aveugle qui lui coûta la vie.

Cette science des Étrusques, au moyen de laquelle[69] Numa, disait-on, avait évoqué Picus et Faunus sur l’Aventin pour apprendre d’eux l’art fulgural ; cette science attribuée à Porsena, et à l’aide de laquelle les Volsiniens avaient foudroyé un monstre[70] ; cette science mêlée de superstitions, et qui vivait encore, au cinquième siècle de notre ère quand des prêtres offrirent aux Romains, en plein christianisme, de faire descendre le tonnerre sur Alaric[71], tandis qu’il s’avançait contre Rome ; cette science à laquelle se rattachait l’usage de consacrer un lieu que la foudre avait frappé, d’y cacher, d’y enterrer la foudre, reposait sur quelques notions physiques où la théorie n’entrait pour rien, mais auxquelles l’observation n’était sans doute point étrangère. Ainsi on avait remarqué que des flammes paraissaient la pointe des lances, et on en tirait des oracles[72].

Tout le monde sait que les pointu métalliques attirent l’électricité et qu’elle peut y produire un jet de lumière.

On avait constaté l’existence des foudres descendantes et ascendantes, et les changements de couleur que la foudre peut produire.

Numa avait connu cet art de faire descendre à volonté la foudre ; il avait, en cela seulement, précédé Franklin, et la chose est si vraie, que le vers de Turgot sur Franklin

Eruipit cele fulmen sceptrumque tyrannis

Ravit la foudre au ciel, et le sceptre au tyrans,

est presque un vers de Manlius (I, V, 101) appliqué à Numa :

Eripuitque Jovi fulmen viresque tonandi,

sauf la fin du vers, qui fait allusion une gloire de Franklin plus grande que celle d’avoir maîtrisé la foudre, la gloire d’avoir délivré son pays.

Mais cet art était plein de périls : le physicien allemand, qui a été tué en voulant répéter les expériences de Franklin, l’a trop prouvé. Ovide en parle avec terreur. Savoir par quel art ils font descendre Jupiter des régions supérieures, cela n’est pas permis à l’homme[73]. Il fallait du moins, pour le tenter, une conscience très pure ; il fallait surtout obéir docilement aux enseignements des prêtres.

L’orgueil de Tullus Hostilius crut pouvoir se passer d’eux. Il se mit à feuilleter les livres de Numa, et y trouva quelques sacrifices mystérieux prescrits pour le succès de l’opération. Il s’enferma seul dans le temple de Jupiter Elicius, d’autres disent dans sa maison, et voulut accomplir par lui-même ce que les livres enseignaient ; mais il n’avait pas la science nécessaire : les dieux, mal invoqués par le roi qui les avait longtemps dédaignés, par le roi converti, mais toujours superbe, punirent sa témérité, et il fut frappé de la foudre qu’il voulait attirer.

La fin de Tullus Hostilius résume d’une manière frappante ce double caractère que nous révèlent ses deux noms, dont l’un, Hostilius, est sabin ; dont l’autre, Tullus, est étrusque ; ses deux demeures, l’une sur la Velia sabine, l’autre sur le Cælius étrusque.

Il y a en lui du Sabin et de l’Étrusque, ou plutôt c’est un Sabin qui a péri pour vouloir faire l’Étrusque.

On pourrait croire que cette fin tragique attribuée au roi sabin est une vengeance de la légende albaine et que la légende sabine voulut en renvoyer aux Latins l’injure ; car, selon une tradition, un roi d’Albe, que quelques-uns appelaient Romulus, pour avoir voulu attirer le tonnerre, fut foudroyé et précipité dans le lac[74].

Une autre version de la fin de Tullus Hostilius est moins extraordinaire et pourrait bien être plus historique : Ancus Martius l’aurait tué pendant un sacrifice[75]. Ancus Martius est donné pour le petit-fils de Numa. Ce serait un pur Sabin qui aurait frappé ce Sabin dépravé par les superstitions étrangères, et qui pour elles abandonnait les rites nationaux. Ce meurtre de Tullus Hostilius eût été exécuté au milieu d’une tempête, qui aurait fait fuir ceux qui le gardaient.

Ceci rappelle la mort de Romulus. Il n’y a rien de plus ordinaire dans la légende que ces redites. On la voit souvent répéter à propos d’un personnage ce qu’elle a déjà narré à propos d’un autre. Les peuples enfants sont comme les enfants : ils aiment qu’on leur raconte plusieurs fois la même histoire.

 

 

 



[1] Ou Hersilie elle-même. (Plutarque, Romulus, 18.)

[2] Denys d’Halicarnasse, III, 1.

[3] Quel que soit l’emplacement précis de Medullia, sur lequel on n’est pas parfaitement d’accord, il faut le chercher certainement au delà de l’Anio, et par conséquent dans un pays qui était sabin, car la sabine s’étendait jusque là. (Nibby, Dint., II, p. 327.) Tite-Live (I, 38) la nomme avec Corniculum, Cameria, Crustumerium, Ameriola, Nomentum, toutes sur la rive droite de l’Anio, toutes par conséquent en pays originairement sabin ; il importe assez peu après cela que Tite-Live les dise latines, et encore, ajoute-t-il, qu’au moins en partie elles étaient habitées par les Prisci Latini, les mêmes que les Casci dans lesquels nous avons reconnu des Sabins. Peu importe aussi que Denys d’Halicarnasse fasse de Medullia une colonie d’Albe ; je suis de ceux qui ne croient pas beaucoup plus aux trente colonies d’Albe qu’aux trente marcassins de la fameuse truie blanche, dont le nombre impossible, d’après l’Histoire naturelle, a déterminé le leur. J’en ai donné les raisons.

[4] Hostilius, Hosti-filius ; son père s’appelait Hostus. Je trouve en 325 un Hostus Lucretius Tricipitinus, consul. Or, le père de Lucrèce d’appelait Lucretius Tricipitinus ; son nom, qui se retrouve dans celui du mont Lucretile, est sabin. On donnait à Numa une femme appelée Lucretia. (Plut., Numa, 21.) Lucrèce était Sabine, je le montrerai. Ce nom Hostus, associé à deux noms sabins Lucretius et Tricipitinus, devait être un nom sabin.

[5] Valère Maxime, III, 4, 1.

[6] Je ne puis voir avec M. Preller (Röm. Myth., 692) dans T. Hostilius, le destructeur d’Albe, un représentant des Albains, mais je suis tout à fait de l’avis de ce savant quand il voit en lui le descendant d’un étranger.

[7] Tite-Live, I, 27 ; Denys d’Halicarnasse, II, 70.

[8] Cicéron, De Rep., II, 17.

[9] Le nom et le culte de la Fièvre (Febris) étaient liés à un ensemble de purifications étrusco-sabines ; l’un des deux mois ajoutés par Numa s’appelait februarius.

[10] Servius, Æn., VIII, 285.

[11] Selon Tite-Live (1, 23) la fossa Cluilia devait son nom au roi Cluilius ; Denys d’Halicarnasse dit qu’elle fut l’ouvrage de ce roi (III, 4). Elle devait être soit la route d’Albe, entre la voie Latine et la voie Appienne, entre les Sette Rassi et Roma Vecchia, à la limite du territoire albain et du territoire romain. Niebuhr affirme comme indubitable que la fossa Cluilia était un conduit souterrain d’un demi mille de longueur, qui, de Grotta-Ferrata, conduit dans la campagne les eaux de la Maranna, et qui, selon lui, fut l’œuvre de Cluilius. M. Lewis (On the credibility, I, 454) réfute très bien cette supposition gratuite de Niebuhr, d’après laquelle un ouvrage, que Tite-Live dit ne plus exister de son temps, existerait encore. D’ailleurs la fossa Cluilia était plus près de Rome, car elle n’en était qu’à cinq milles. Les expressions dont se servent. Tite-Live et Denys d’Halicarnasse ne peuvent s’appliquer qu’à un fossé de défense.

[12] Ce nom de Metius ou Mettius est le prénom du héros sabin Curtius. Metius Fufetius pourrait avoir été un Sabin résidant à Albe, et nommé par une intrigue de Tullus Hostilius, qui lui-même peut bien avoir eu quelque part à la mort du roi Albain.

[13] Hist. nat., XXXV, 19, 7 ; de Luynes, Ist. Arch., 1829, p. 306.

[14] I, 25. Supulcra exstant, quo quisque loto cecidit.

[15] On voit des tombeaux fort semblables en divers lieux dans l’Étrurie, près de Corneto, de Chiusi, de Cære.

[16] Tite-Live, I, 26. Saxum quadratum, comme on l’a remarqué, ne veut point dire pierre carrée, mais pierre équarrie, pierre taillée, et, dans l’usage, pierre de travertin ; c’est en travertin qu’est le soubassement de ces deux tombeaux ; en général, l’emploi du travertin ne remonte pas si haut, mais comme celui d’Horatia ils avaient pu être refaits.

[17] Horatiorum qua viret sacer campus,

dit Martial (Ép., III, 47, 3) en décrivant la voie Appienne, et avant de parler du temple d’Hercule dont on a cru, un peu plus loin, reconnaître les ruines. Quelques-uns des morceaux de péperin dont ce mur se compose ont jusqu’à sept pieds ; et, chose remarquable, les joints verticaux, au lieu d’aboutir au milieu du côté horizontal des pierres, se continuent par un autre joint vertical ; ce qui est pour les architectes un signe de haute antiquité.

[18] Properce les appelle Curii. (Él., III, 2, 7.) Janus et Junon, deux divinités sabines. — Le nom de la seconde n’était qu’une autre forme du nom de Jana pour laquelle on la prenait parfois, — Janus et Junon avaient pour épithète, le premier Curiatius, la seconde Curis. Plutarque (Quæst. r., 4) parle d’un Sabin qui s’appelait Antro Curiatius.

[19] Hora Quirini (Aulu-Gelle, N. Att., XIII, 23), la même que la déesse guerrière Horta. (Preller, Röm. Myth., p. 328.) Le vainqueur des Curiaces. s’appelait Marcus Horatius. Marcus était un prénom sabin, dans l’origine formé de Mars, comme Mamercus de Mamers, autre forme du nom de ce dieu sabin.

[20] Denys d’Halicarnasse, III, 13.

[21] Tite-Live, I, 24. La puissante famille Horatia a dû faire prévaloir la version qui lui attribuait la victoire dans ce mémorable combat, livré par ses ancêtres.

[22] J’en ai cité des exemples qui paraissent anciens. J’ai parlé aussi des Saliens de Tusculum. Il y eut beaucoup de Mani à Aricie (Festus, p. 145), et Manus est un nom sabin. Tout à l’heure encore nous avons vu un dictateur d’Albe porter un nom sabin, Mettus. Enfin le culte ancien de Vesta dans la ville d’Albe et (Juvénal, Satires, IV, 60) ne peut être attribué qu’aux Sabins, à moins qu’on ne le fasse remonter aux Pélasges.

[23] Selon Denys d’Halicarnasse, qui semble encore ici suivre de plus prés que Tite-Live la vieille tradition poétique et en mieux reproduire le farouche caractère, Horatia fut ensevelie sous les pierres que jetaient à son cadavre les passants indignés. Son père n’avait pas voulu que ce cadavre fût apporté dans sa maison et déposé dans la sépulture de sa famille. (Denys d’Hal., III, 21.)

[24] Ce sens du mot populus, primitivement opposé à plebs, quoique les anciens eux-mêmes aient employé l’un pour l’autre, n’est plus douteux depuis Niebuhr.

[25] Denys d’Hal., III, 21. Denys parle du second portique. Ce doit être celui qui était au nord-est du côté des boutiques neuves et aussi du Comitium.

[26] Ce monument s’appelait Pila Horatia, les armes d’Horace ; c’est par confusion qu’on a pris pila pour un singulier ayant le sens de pilier, et qu’on a cru qu’il désignait la colonne commémorative elle-même. (Beck., Handb., p. 298.)

[27] Curiosum urbis et notitia. (Reg., IV.)

[28] Denys d’Hal., III, 21. La Bonne Rue était entre l’Esquilin et le Viminal, et se dirigeait vers le sommet du Cispius, indiqué par l’église de Sainte-Marie-Majeure. Les Carines étaient sur l’Oppius, dont la cime porte l’église de San-Pietro-in-Vincoli, et s’étendaient sur ses pentes.

[29] Tite-Live, I, 29.

[30] Nous avons vu que ce substantif était probablement un mot ibérien. Quoi qu’il en soit, Alba était aussi le nom du sommet de la montagne,

Et residens summa latiaris Jupiter Alba.

(Lucain, Pharsale, I, 198.)

Quaque iter est latiis ad summam fascibus Albam.

(Ibid., I, 87.)

[31] Cassandra, v. 1255.

[32] Denys d’Halicarnasse, I, 46.

[33] Tite-Live, I, 2. Nibby (Dint., I, p. 61-2) a été conduit à étendre l’emplacement qu’Albe devait occuper, de Palazzola jusqu’à Marino, par la nécessité de la faire assez grande pour qu’elle ait pu donner naissance aux trente colonies latines. Mais l’existence de ces colonies est douteuse, et ce nombre de trente plus douteux encore.

[34] Lettera d’Al. Visconti a Gius. Carnevali, sopra alcuni vasi, etc.

[35] Je dois encore ce renseignement topographique à M. Rosa.

[36] Ces vases, qui sont des urnes funèbres, peuvent se voir dans le musée étrusque du Vatican.

[37] Festus, p. 348-151. L’un de ces sommets, l’Oppius, était voisin des Carines ; ce ne peut être que celui on est l’église de San-Pietro-in-Vincoli ; l’autre, le Cispius, est désigné par Festus comme étant dans le voisinage du Vicus-Patricius, dans lequel on sait que se trouvait l’église de Sainte-Pudentienne. (Anast., Vit. Pont. Pius I.) Le Cispius était donc la cime de l’Esquilin indiquée aujourd’hui par l’église de Sainte-Marie-Majeure.

[38] De ces familles, données pour albaines, il en est une qui est évidemment sabine, les Curiatii.

[39] C’est parce que les Jules étaient originaires d’Albe qu’ils avaient leur sanctuaire de famille à Boville. Boville dépendait d’Albe ; ses habitants s’appellent dans une inscription Bovillani Lungalbenses. Nibby dit y avoir retrouvé le Sacrarium des Jules. (Dint., I, p. 311-12.)

[40] Aram adventiciorum deorum. (Tertullien, ad Nat., II, 9.) Tertullien dit que cet autel était sur le Palatin, mais c’est évidemment un mot mis pour un autre, car il le place prés du temple de la déesse Carna, et l’on sait que ce temple était sur le Cœlius. (Macrobe, Saturnales, I, 12.)

[41] Reg., II.

[42] Ovide, Fastes, III, 296.

[43] Ovide, Fastes, II, 193. Pour le prétendu temple de Faunus, qu’on a cru retrouver sur le Cœlius dans une église des bas-temps, San-Stephano-Rotundo, cette supposition ne repose sur aucun fondement.

[44] Macrobe, Saturnales, I, 8. Macrobe dit qu’alors furent instituées les saturnales. Mais, comme le culte de Saturne dont elles faisaient partie, elles devaient être plus anciennes. Peut-être Tullus Hostilius, toujours pour plaire à ses sujets latins, donna-t-il à ces fêtes essentiellement latines plus d’éclat. Cedrenus parle d’un pont et d’une porte ajoutés par Tullus. (74.) Je ne sais quelle pouvait être cette porte ; le pont est probablement celui par lequel Ancus Martius réunit la rive gauche au Janicule, qu’il fortifia. Ce fut la citadelle créée par Ancus, sur le Janicule, qui dut amener la construction du pont, et c’est vraisemblablement par confusion que ce pont a été attribué au prédécesseur d’Ancus. Une autre confusion, causée par la ressemblance des noms, a pu faire dire que Tullus Hostilius avait fondé à Rome le culte de la Fortune, déesse favorite de Servius Tullius, ce soldat de fortune. Cependant, comme il y avait trois temples de la Fortune sur le Quirinal, le culte de cette déesse a bien pu être originairement un culte sabin.

[45] Tite-Live, I, 30.

[46] Tacite (Ann., XII, 24), en décrivant la marche de la charrue de Romulus, dessinant le Pomœrium, désigne trois points : l’autel de Consus, au sud-ouest du Palatin ; la chapelle des Lares, au nord-est ; enfin les anciennes Curiæ, que Tacite nomme après l’autel de Consus et avant le chapelle des Lares, et qui par conséquent devaient se trouver au sud-est du Palatin. Des anciennes Curies, dont quelques-uns ne se laissèrent pas déplacer et existaient encore au temps de Festus. Nibby a cru reconnaître quelques restes de ce côté du Palatin. (Rom. ant., II, p. 480.)

[47] Vitruve (V, 2) dit que le Trésor, la Prison, la Curia, doivent être attenantes au Forum. C’est ainsi qu’à Rome étaient disposés ces trois monuments.

[48] L’emplacement de la Curia Hostilia, sur lequel on a beaucoup discuté, mérite d’être déterminé avec soin. D’abord elle était. sur le côté nord-est du Forum. Car, comme Niebuhr l’a remarqué le premier, on fixait l’heure de midi en regardant le soleil de la Curia. (Pl., VII, 60.) Or, si elle eût été du côté opposé, à midi, on n’eût pas vu de là le soleil. C’est une preuve en quelque sorte oculaire qui a elle-même l’évidence du soleil en plein midi. De plus, on regardait le soleil entre les Rostra qu’on sait avoir été en avant de la Curia (Varron, De ling. lat., V, 155), et la Græcostasis qui était près du temple de la Concorde (Varron, ibid. et 156), dont la position est certaine et dont la place est encore reconnaissable. On sait aussi que la Græcostasis touchait au Comitium. (Pl., Hist. nat., XXXIII, 6.) Or, la position du Comitium confirme celle de la Curie, dont il était rapproché. (Tite-Live, I, 36.) C’est ce qu’a démontré le premier avec une évidence qui, selon moi, ne laisse rien à désirer, M. Dyer, dans le Dictionnaire d’Histoire et de Mythologie publié en anglais par Smith, t. III, p. 775, art Roma. Dans un passage très mutilé de Festus se trouvait ibus ; O. Müller a suppléé ce qui manquait avant ces quatre lettres par Curiam sub veteri (veteribus), ce qui placerait la Curie au sud-ouest du Forum. (v. Cicéron, Academ. Prior., II, 22.) D’après ce qui précède, cette interpolation de l’illustre éditeur de Festus doit être rejetée.

[49] Ce prénom Attus qui était aussi celui d’Atta Clausus, chef de la gens sabine des Claudius, le prouve.

[50] Les trois tribus pouvaient exister dès lors, puisqu’il y avait des Romains sur le Palatin (Rhamnes), des Étrusques sur le Cælius (Luceres, de Lucumo), des Sabins (Tities, nom sabin) sur presque toutes les autres collines. On n’a pas besoin d’attendre les Tarquins pour trouver à Rome les trois éléments de la population romaine.

[51] Les Sabins pouvaient avoir reçu la curie des Pélasges, car elle correspondait à la fratrie des Grecs ; les banquets des Curiales (Denys d’Hal., II, 23) étaient analogues à ceux des prytanes de la Grèce ; mais dans tous les cas les Sabins s’étaient approprié cette institution, car le mot curia était sabin.

[52] Junon Curis (Or., Inscr., 1303), ou Curitis (P. Diacre, p. 40), ou quiritis (Festus, p. 254), ou Curilia (Denys d’Hal., II, 50), ou Curulis (Serv., Æn., I, 17).

[53] Curiales mensæ. (P. Diacre, p. 64.)

[54] Denys d’Hal., II, 50. A Numa, selon Ennius (Ann., II, p. 36, éd. Hessel ; Varron, De ling. lat., VII, 43.) C’était toujours le rapporter aux Sabins.

[55] L’image de Janus était placée dans toutes les curies ; au mois de février, les trente curies rassemblées célébraient la fête de leur dieu national (les Quirinalia), et chaque curie les célébrait dans sa chapelle particulière consacrée à Junon Curitis. La veille était le jour des Fornacalia : ce jour-là les curies offraient un gâteau. Cette fête, disait-on, avait été institué par Numa en l’honneur de Romulus. Je crois plutôt qu’elle s’adressait dans l’origine au dieu sabin Quirinus, avec lequel Romulus fut identifié.

[56] Numa avait fait du temple de Vesta le sanctuaire et comme le foyer commun des curies.

[57] Denys, II, 41. Cela montre seulement qu’on rattachait l’origine des Curies aux Sabins, et tout au plus qu’elles portaient des noms sabins. Le nom d’une d’elles, Rapta semble faire allusion à l’enlèvement des Sabines ; celui d’une autre Titia, est certainement sabin.

[58] Forensis (Festus, p. 174), du Forum ; Veliensis, Velitia, de la Velia.

[59] P. Diacre, p. 55.

[60] Voyez Marquardt, Handb. der röm. Alt., IV, p. 405-6.

[61] Lyd , de Mens. Jan., p. 41.

[62] Denys d’Halicarnasse, III, 1.

[63] Ce qui me fait croire à cette famine, c’est qu’au temps de Tacite (Ann., XII, 8) on célébrait encore dans les moments de disette certaines cérémonies expiatoires qu’on croyait avoir été prescrites par Tullus Hostilius.

[64] Pline, Hist. nat., IX, 63. Macrobe (Saturnales, I, 6) attribue, avec plus de vraisemblance, cette innovation au premier Tarquin.

[65] Tullus Attius, général des Volsques.

[66] C’est le nom que prit Mastarna quand il devint Servius Tullius ; sa fille s’appelait Tullia. Tulus ou Tolus était un chef des Étrusques de Volsinii, qu’Orioli rattache à l’histoire de la tête du Capitole, caput Auli ou Toli. (Annal. dell’ Inst. arch., 1832, p. 54.) Cicéron se moquait de ceux qui voulaient le faire descendre des Tullii, rois étrusques. Ce nom, d’origine ombrienne, fut tellement adopté par les Étrusques qu’ils le donnèrent à un héros, aïeul fabuleux de Tyrrhenos, le père de la nation tyrrhénienne. (Denys d’Hal., I, 27.)

[67] Denys d’Halicarnasse, III, 3.

[68] Annales, XII, 8.

[69] Ovide, Fastes, III, 41.

[70] Pline, Hist. nat., II, 54.

[71] Zosime, V, 41.

[72] Cicéron, De Div., II, 36.

[73] Ovide, Fastes, III, 323.

[74] Nibby, Dint., I, 68.

[75] Denys d’Halicarnasse, III, 35.