L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

XII — NUMA POMPILIUS.

 

 

L’inimitié de Tatius et de Romulus, mal déguisée par les historiens, ou, ce qui est la même chose, l’hostilité de la ville sabine et de la ville romaine, ne paraît plus après que Tatius et Romulus en ont été successivement victimes. Vient alors un seul roi, Numa, qui gouverne paisiblement les deux cités ; ce roi est Sabin. On peut donc considérer l’avènement de Numa comme le triomphe de l’ascendant des Sabins. Ils le garderont jusqu’à ce qu’il leur soit enlevé par les Étrusques ; car il n’y aura plus de roi romain à Rome.

C’est la domination incontestée du chef sabin sur les deux peuples qu’exprime le caractère paisible attribué au règne de Numa.

Comment cette paix, qui était pour les Romains la consécration de leur dépendance, fut-elle présentée par la tradition sous un aspect aussi favorable ? C’est que la tradition du règne des rois sabins a été l’œuvre des Sabins.

Ce règne fut pacifique, je le crois bien ; il s’agissait d’asseoir la domination du Quirinal et du Capitole sur les farouches habitants du Palatin ; ce n’était pas le cas de guerroyer au dehors.

On entrevoit des velléités de résistance au sein de la minorité romaine. Après les tentatives de rébellion qui marquèrent la fin du règne précédent, et dont Romulus, qui en est le représentant, semble, par sa mort violente, constater l’avortement, il y a un interrègne. Les deux populations s’agitent en faveur de deux personnages dont l’un est Sabin et l’autre Latin, Volesus et Proculus[1] ; mais tout finit par l’élection d’un roi sabin, Numa, fils de Pompo.

Je pense que l’ambition des hommes du Palatin n’allait pas jusqu’à prétendre régner sur la nation sabine, mais qu’ils auraient voulu un chef indépendant. Cela même ne leur fut pas accordé : un Sabin leur fut donné polir maître, et, vu l’inégalité des deux races, ils durent l’accepter. Pour épargner à Rome une telle humiliation, l’histoire officielle supposa que l’on était convenu qu’un des deux peuples nommerait le roi, mais qu’il le prendrait chez l’autre. Il est peu d’inventions plus invraisemblables.

Les Sabins étaient trop forts pour accorder ce droit à un si faible ennemi ; ils avaient laissé à Romulus sa colline du Palatin, mais ils ne pouvaient permettre à une poignée d’étrangers de leur donner un souverain. L’honneur de le choisir hors de leurs concitoyens eût d’ailleurs médiocrement flatté les Romains.

De cette situation, un chef étranger régnant sans conteste, situation qu’ils n’aimaient pas à confesser, les historiens latins ont fait, adoptant Numa de meilleure grâce que ne le firent, je crois, leurs ancêtres, un idéal de gouvernement régulier. Quand on y a intérêt, on confond si volontiers avec l’ordre la servitude ! Numa est presque un nouveau Saturne ; il adoucit les mœurs des Romains par l’agriculture et la religion

moyens qu’il employa sans doute, en effet, pour dompter la férocité des sujets de son peuplé.

Puis les Sabins étaient religieux. On disait déjà de Tatius qu’il avait établi des cultes assez nombreux sur le Quirinal et sur le Capitole. Numa n’en fit pas tant ; mais il organisa plusieurs cultes d’origine pélasgique ; et, entre autres, celui de Vesta.

Le caractère sabin était austère : la chasteté des femmes sabines demeura proverbiale dans un temps où à home cette vertu était devenue rare, longtemps après avoir donné un magnanime exemple dans Lucrèce, que nous revendiquerons pour la nation sabine.

Le culte dé la déesse du feu prit sous l’influence des Sabins un caractère de sévère pureté qu’il n’avait pas sans doute quand il fut établi au pied du Palatin par les Pélasges, lesquels adoraient avant tout les puissances fécondantes de la nature. Le supplice barbare qui punissait la faute d’une vestale n’a pu être institué que par un roi sabin, et s’explique par la rudesse et la pureté des mœurs sabines[2].

Je remarque que le lieu où l’on enterrait vivantes les vestales coupables de fragilité était sur le mont Quirinal, le mont sacré des Sabins[3].

En effet, sur le Quirinal, ils élevèrent les temples de leur dieu national Quirinus, de leur dieu Sancus, de leur déesse Salus ; enfin le temple de Jupiter, Junon et Minerve : les deux dernières étaient des divinités sabines[4]. C’est ce qu’on appela l’ancien Capitole. Le champ scélérat, c’est-à-dire le champ de malheur où l’on enterrait vives les vestales, fut toujours à l’extrémité du Quirinal[5].

Un caractère dominant de la religion sabine était le culte des divinités souterraines et infernales. La nature de l’atroce genre de mort infligé aux vestales se rattachait à ce trait sombre de la religion des Sabins

Vesta, les anciens nous l’apprennent, était prise pour la terre aussi bien que pour le feu[6], ce qui ne saurait surprendre dans un pays volcanique et où toutes traces de l’action des anciens volcans n’avait pas disparu[7]. C’est parce que Vesta était la terre[8] que la terre devait engloutir et dévorer celle qui avait profané le culte de Vesta.

D’autre part, c’était dans le Comitium, placé originairement au-dessous du Vulcanal, où était le sanctuaire de Vulcain, que l’on faisait mourir sous les verges le complice de la vestale condamnée. Tout cela encore rattache aux austères Sabins les vengeances terribles de la chasteté violée ; car le Comitium était le lieu de leurs assemblées, Vulcain un. dieu du feu comme Vesta, et dont le culte, aussi bien que celui de Vesta, était venu aux Sabins des Pélasges[9].

On était si soigneux de la pureté du temple de Vesta, et on portait si loin la religion pour tout ce qui se rapportait aux Vestales, qu’à un certain jour de l’année on transférait en cérémonie, du temple à la porte Stercoraria, ce que désigne assez crûment le nom de cette porte[10].

Je suis obligé d’indiquer cette cérémonie étrange, car elle se rapporte à une localité qui a son importance.

La porte Stercoraria était située vers la partie moyenne de la montée du Capitole, près du temple de Saturne, et on a vu que, comme inventeur du fumier, Saturne portait le nom de Stercutius.

Le sanctuaire de Vesta demeura où les Pélasges l’avaient placé, au-dessous de l’angle du Palatin qui regarde le Forum, près du temple de Castor[11] et Pollux, dont il reste trois magnifiques colonnes ; dans la partie inférieure, de la rue Neuve[12], qui, après s’être séparée de la voie Sacrée, longeait le Palatin pour aller gagner le Vélabre.

Le bois sacré de Vesta[13] s’étendait derrière le temple et le séparait de la colline. Au temple était attaché une sorte de couvent où les Vestales, auxquelles on coupait les cheveux comme à nos religieuses, vivaient dans des cellules sous la direction d’une supérieure.

Ce couvent, appelé Atrium Vestæ, était plus à l’ouest que le temple, là où est l’église de Sainte-Marie-Libératrice.

Car on a trouvé en cet endroit les piédestaux des statues de douze Vestales et des inscriptions en leur honneur[14].

Ce couvent devait être semblable aux couvents modernes, car son nom, atrium, désigne une cour entourée d’un portique, un cloître.

Le cloître de Vesta était séparé du temple où le sénat s’assemblait, mais on n’avait point consacré auguralement le cloître lui-même, pour que le sénat ne pût pas tenir séance dans la demeure des vierges de Vesta.

Une fois par an, on célébrait la fête de Vesta. Ovide y avait assisté ; en rentrant chez lui, car il demeurait de ce côté, il fut arrêté peut-être par un genre de curiosité qui eût plus flatté qu’édifié les Vestales, et assez semblable, j’imagine, à celui qui conduit les jeunes Romains dans les églises et à l’heure du beau monde. En sortant du temple, à l’endroit, on peut le reconnaître exactement, où la voie Neuve communiquait avec le Forum par un bout de rue qu’on venait d’ouvrir au temps d’Ovide et qu’on a retrouvé dans le nôtre, il aperçut une procession de matrones romaines qui, pieds nus, descendaient la voie Neuve. Ce spectacle frappa le léger poète, assez du moins pour qu’il en ait consigné le souvenir dans son poème des Fastes[15]. Beaucoup de voyageurs ont été frappés presque au même endroit de la rencontre d’une procession de femmes romaines allant faire les stations du Colisée. Numa, ce roi pieux, qui, selon Plutarque, était supérieur des Vestales, habitait à côté du monastère, car là était sa demeure royale[16].

Là habita toujours le grand pontife jusqu’à César, qu’on est un peu inquiet de voir logé si près des Vestales.

La tradition, qui mit en ce lieu la demeure de Numa, nous fait voir que la ville du Palatin, dépendante de la ville du Quirinal et du Capitole, en était distincte. C’est pour cela que cette tradition plaçait la demeure du roi sabin hors de la cité romaine. Elle donnait aussi à Numa une autre demeure sur le Quirinal ; on la montrait encore au temps de Plutarque. C’était la maison du chef sabin . ainsi Tatius avait habité le mont Tarpéien. Mais, quand il vient près du temple de Vesta, au pied du Palatin, Numa semble vouloir se rapprocher de sa ville latine comme pour atténuer, en s’interposant entre eux, l’antagonisme du Capitole et du Palatin, ne menaçant plus celui-ci d’en haut comme Tatius, mais le surveillant de prés.

Outre la rénovation de l’ancien culte de Vesta et la sévérité homicide introduite dans ce culte originairement pélasgique, par la farouche austérité des Sabins, leur roi donna aussi une nouvelle organisation à un corps de prêtres dont l’institution paraît également remonter aux Pélasges.

Les Dactyles de l’Ida et les Curètes de Crète, les Corybantes de la Samothrace, célèbres par leurs danses guerrières et sacrées, se rattachent, en Asie et en Grèce, à l’antique patrie et à l’antique religion des Pélasges.

Il est difficile de ne pas reconnaître en eux les aïeux[17] des prêtres saliens, que l’on disait avoir une origine pélasgique[18]. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ceux-ci furent à Rome, sinon d’institution, au moins d’instauration sabine[19]. Les Saliens sont des prêtres de Quirinus et de Mars. Leurs principales solennités ont lieu dans le mois consacré à ce dieu de la belliqueuse nation des Sabins[20] ; leurs danses guerrières ont pour théâtre le Forum et le Capitole[21].

Le séjour des Saliens est le mont sacré des Sabins, le Quirinal[22]. Sur le Quirinal fut l’autel de Mamurius, celui que célèbrent leurs chants, l’artiste inspiré qui a reproduit onze fois en airain le bouclier divin tombé du ciel ; et ces douze boucliers se conservaient dans la demeure du roi sabin, dans la Régia, consacrée à Mars, où sacrifiaient des Saliennes[23]. Avant de déclarer une guerre, on remuait les boucliers sacrés, un agitait une lance dans la main du dieu, et on lui criait : Mars, éveille-toi[24].

Des mots sabins sont cités dans les chants des Saliens[25] et l’on sait que Janus, le dieu sabin, y était célébré[26].

Si ce culte guerrier ne fût pas venu aux Romains par les Sabins, comment l’eût-on attribué à celui qu’on représentait comme le pacifique Numa ?

C’était aussi Numa qui avait fondé le culte de la déesse Fides (la bonne Foi)[27], dont le temple était au Capitole.

Caton[28] admirait la sagesse des anciens, qui avaient placé l’autel de la Foi près du temple de Jupiter. La tradition, qui veut que cet autel ait été élevé par Numa, montre que la Foi était une divinité sabine. Son culte a donc été fondé sur le mont Capitolin pendant l’époque des rois sabins, avant l’ère des rois étrusques, et, par conséquent, avant le temple de Jupiter. La Foi était plus ancienne que Jupiter au Capitole ; mais y a-t-elle régné toujours avec lui ? Hélas ! sa religion a été bien souvent profanée, et c’est de ce temple de la Foi, où le sénat était assemblé[29], que les patriciens sortirent un jour pour violer le droit en assassinant Tiberius Gracchus, qui le réclamait.

Aujourd’hui la bonne foi siége-t-elle au Capitole ?

Le roi sabin n’eut garde d’oublier le grand dieu de sa race ; il éleva à Janus le petit temple de bronze que Procope, au sixième siècle de notre ère, a vu encore debout, le temple du belliqueux Janus, comme dit Lucain[30].

On voit que le paisible Numa, dont on (levait faire plus tard l’idéal du roi pacifique, quand ce n’eût été que pour la beauté du contraste avec le caractère guerrier de son prédécesseur, ne démentait point, dans une tradition plus ancienne que cette rhétorique, son caractère de dur Sabin. C’était lui qui avait probablement établi la peine de mort, et quelle mort ! pour les Vestales coupables d’une faiblesse. Il avait institué les Saliens, prêtres de Mars, et leurs danses armées ; il avait élevé la temple de bronze du dieu de la guerre. Ce type sabin reparaît donc dans Numa si l’on remonte, des historiens qui n’ont plus le sentiment de la tradition antique à cette tradition elle-même, telle qu’elle a été conservée par les vieilles légendes et exprimée par les vieux monuments.

Après avoir tenté d’en retrouver le vrai caractère, nous allons faire comme la tradition elle-même et passer au roman.

En effet, bien des siècles avant que M. de Florian eût transformé Numa Pompilius en un soupirant d’Égérie et un élève de Zoroastre, les anciens voyaient en lui l’époux de cette nymphe et le disciple de Pythagore. Déjà, dans Plutarque, le personnage de Numa a quelque chose de romanesque. Vivant dans la retraite, occupé de l’étude des choses divines, ses vertus ont attiré l’attention du roi Tatius, qui lui donne pour épouse sa fille Tatia. Le sage Numa continue à vivre dans ses montagnes, occupé à soigner son vieux père. Tatia, de son côté, préfère à la royale demeure du sien la solitude avec son époux. Elle meurt après treize ans de ce bonheur conjugal et champ’ être. Numa, inconsolable, erre à travers la campagne, passant sa vie dans les bois sacrés et, les lieux déserts. Enfin il s’éprend d’une nymphe qui lui enseigne les choses divines et devient sa Béatrice. On voit que l’imagination de ceux qui étaient, relativement à Numa, des modernes, avaient singulièrement modifié la figure du Sabin, qui, par le droit de la supériorité de son peuple, régna sur Rome après Tatius[31], et, je crois, ne ressemblait pas au Numa de Plutarque beaucoup plus qu’au Numa de Florian.

La seule donnée antique dans tout cela, c’est l’inspiration d’Égérie, une Camène. On appelait ainsi certaines divinités sabines auxquelles étaient consacrés un bois de chênes sur le Cælius et une source qui coulait dans ce lieu, riche en fontaines.

Tite-Live parle agréablement de ce bois sacré, arrosé par une source sortant d’un antre obscur et qui ne tarit jamais[32].

Moins d’un siècle après, au temps de Juvénal, ce beau lieu avait beaucoup perdu de son charme. On avait loué le bois des Camènes à des Juifs, qui y venaient étaler leurs chiffons, comme ils font aujourd’hui, le dimanche, dans les sales rues du Ghetto, et l’on avait entouré les eaux d’un bassin de marbre. Juvénal, avec un sentiment des beautés naturelles qui pourrait presque s’appeler romantique, déplore ces prosaïques changements, et regrette que la fontaine d’Égérie soit emprisonnée dans le marbre, au lieu de courir librement sur le sol et de ri avoir d’autre bordure qu’un vert gazon[33].

Vers le même temps, quand Plutarque vint à Rome, il remarqua seulement que la fontaine et les près d’alentour étaient dédiés aux muses, et que l’eau de la source servait aux usages sacrés[34]. Plutarque était, comme on sait, très dévot au paganisme, qu’il interprétait un peu librement. Il considérait là fontaine d’Égérie plus au point de vue religieux qu’au point de vue pittoresque. Il y a une classe respectable de voyageurs qui font à Rome comme faisait Plutarque.

Égérie visitée la nuit par Numa dans la solitude du bois des Camènes et lui donnant des enseignements sacrés au bruit de la source à laquelle elle a laissé son nom, cette vieille et poétique histoire a un grand charme : elle a inspiré à Byron des strophes ravissantes, mais d’où, il faut en convenir, le caractère religieux a tout à fait disparu, et a été remplacé par un sentiment passionné qui aurait peut-être un peu scandalisé le bon Plutarque.

Ici tu habitas dans cette retraite enchantée, Égérie ! ici ton sein céleste palpitait aux pas lointains de ton amant mortel ; le sombre minuit voilait les mystérieuses rencontres, de son dais le plus étoilé ; tu t’asseyais près de ton adorateur, et alors que se passait-il ?

Cette grotte fut certainement formée pour les rendez-vous d’une amoureuse déesse, et cette chapelle hantée par l’amour sacré, le plus ancien des oracles.

Et les battements de ton sein répondant à ceux du sien, ne fondis-tu pas un cœur céleste dans un cœur humain ? Ne partageas-tu pas les immortels transports de l’amour qui meurt comme il riait dans un soupir ? Ton art put-il, eu effet, les rendre immortels et communiquer la pureté du ciel aux joies terrestres ?[35]

Comment faire à cette poésie une chicane topographique ? La nature de cet ouvragé l’exige. Lord Byron a pris, sur la foi des guides de son temps, pour la source de la nymphe Égérie ce qu’à Rome l’on appelle encore ainsi. Ce nom est resté à une source qui, à deux milles de Rome, dans un lieu nommé la Caffarella, sort, non pas d’une grotte, mais d’une salle antique probablement consacrée au génie d’une petite rivière, l’Almo. Or ce lieu charmant que connaissent tous les voyageurs, et qui était digne d’inspirer à lord Byron les vers cités plus haut, ce gracieux vallon à la fois ouvert et retiré, dominé par un bouquet d’arbres qu’on dirait le reste d’un bois sacré, n’est certainement pas celui où les anciens plaçaient les entretiens mystérieux de la divine conseillère et du sage roi.

Juvénal s’exprime à ce sujet de manière à rendre le doute impossible.

Il nous apprend qu’il est allé avec un ami attendre à la porte Capène la voiture qui devait emmener celui-ci ; tandis qu’ils l’attendent en cet endroit, Juvénal contemple et décrit la source et le bois sacré[36].

Or, s’il est une des anciennes portes de Rome dont on puisse déterminer la place avec certitude, c’est la porte Capène.

Juvénal lui-même et Stace, en parlant de cette porte, font allusion à l’aqueduc qui la surmontait. On suit encore la ligne de l’aqueduc, et, comme la porte Capène était à l’entrée de la voie Appienne qui existe aujourd’hui, on voit précisément où se trouvait cette porte. C’était à l’angle occidental du Cælius, près de Saint-Grégoire. C’est donc là, au pied du Cælius, qu’étaient le bois des Camènes et la fontaine d’Égérie. Il ne faut pas la chercher dans la campagne romaine, c’est été un peu loin pour les Vestales, qui devaient aller y puiser l’eau nécessaire aux usages sacrés ; et aussi pour Numa, qui habitait, comme les Vestales, au bout du Forum ; il n’avait, pour faire ses nocturnes et poétiques visites, qu’à suivre la voie Sacrée, et, tournant à droite, il était bientôt arrivé. La tradition avait arrangé les choses plus commodément pour les Vestales et pour lui.

La tradition, comme il advient souvent, sans être vraie, était plus vraisemblable qu’une fausse science ; le but de la science doit être de retrouver la tradition et de la justifier en l’expliquant.

La promenade publique de Saint-Grégoire, qui remplace le bois des Camènes, a été plantée par les Français pendant la première occupation romaine ; pendant la seconde, qui dure encore, on a imaginé de placer là l’école de cuisses. Une douzaine de tambours frappés en même temps avec un rythme différent, et qui vous poursuivent de leur tapage discordant jusqu’au Colisée et au Forum, ôtent aux lieux les plus poétiques de home toute leur poésie.

Malgré mon respect sincère pour nos incomparables soldats, je ne puis m’empêcher de regretter les Juifs du temps de Juvénal ; du moins ils ne faisaient pas tant de bruit que les tambours.

Le roman de Numa continue ; il ne cesse point d’être gracieux, et il devient touchant.

Après la mort du vieux roi, qui est, universellement pleuré, Égérie s’enfuit et va cacher sa douleur dans le bois d’Aricie, près de Laricia, au bord du lac charmant et mélancolique de Nemi[37]. Les nymphes du bois et du lac cherchent en vain à la consoler en lui racontant des malheurs célèbres. Cette consolation, qui n’a jamais, pas plus que toutes les autres, consolé personne, ne peut rien sur le désespoir d’Égérie ; elle se touche au pied de la montagne qui domine le lac et se résout en larmes. Diane, la divinité de Nemi, a pitié d’elle et la change en fontaine c’est l’eau qui tombe dans le lac au-dessous du village de Nemi, et qui, hélas ! dans ce siècle prosaïque, sert à faire tourner des moulins.

Ovide dit que les gémissements de la pauvre Camène troublaient le culte de Diane, établi par Oreste. On sait que Diane avait ressuscité Hippolyte et l’avait caché sous le nom de Virbius dans le bois de Laricia. Oreste s’y était, disait-on, réfugié avec Iphigénie après le meurtre de Thoas, et y avait apporté la statue de Diane[38].

A la religion sanglante de la Diane de la Tauride se rattachait sans doute celte coutume bizarre et cruelle qui voulait que le prêtre de la Diane de Nemi eût pour successeur celui qui l’aurait égorgé[39]. La férocité du culte de la Tauride fait un singulier contraste avec le caractère paisible du lac sur les bords duquel ce culte homicide avait été transplanté. Celui que présente la gracieuse légende d’Égérie associé à ces horreurs n’est pas moindre.

Le récit antique de la mort d’Égérie, mêlé au souvenir de l’amitié fraternelle d’Oreste et d’Iphigénie, s’est singulièrement transformé en une légende du moyen âge. Égéria, prêtresse de Diane, est amoureuse d’un frère éloigné d’elle, et, comme la nymphe veuve de Numa, est changée en fontaine.

Je me suis complu dans les fictions pathétiques que des lieux charmants et si longtemps aimés me rappellent ; il faut revenir à de plus graves considérations historiques. Nous avons déjà rencontré les Étrusques au berceau de Rome, et son fondateur bâtissant par leurs mains, consacrant par leurs rites sa ville naissante du Palatin. La partie antique et sérieuse de la légende de Numa va nous montrer ce même peuple inaugurant la royauté sabine. En effet, les formules de l’art augural qu’avaient observées Romulus et Remus quand ils se disputaient la petite souveraineté du Palatin, ces formules empruntées an rituel étrusque, nous allons les voir appliquées à l’inauguration du roi sabin[40].

Ce rituel s’est conservé jusqu’à Tite-Live, comme celui d’après lequel avait été tracée l’enceinte sacrée de Rome s’est conservé jusqu’à Tacite. A Rome, tout ce qui tenait aux vieilles cérémonies se transmettait fidèlement de génération en génération et de pontife en pontife ; car Rome, en matière religieuse comme en matière politique, était le pays de la coutume. C’est encore sa force dans la religion ; mais l’État n’y, étant pas constitué comme au temps de la république romaine, c’est sa faiblesse dans la politique. Alors aux novateurs qui voulaient changer l’État, la sagesse traditionnelle opposait la coutume des ancêtres, mos majorum ; aujourd’hui, à toute tentative d’amélioration, l’on répond : Non s’é fatto mai. Cela ne s’est jamais l’ait.

Laissons parler Tite Live d’après les livres des pontifes, où le vieux rituel de l’inauguration des rois devait être consigné[41].

Conduit par l’augure en l’honneur duquel cette fonction fut changée en un sacerdoce public[42] et perpétuel sur la cime du Capitole, Numa s’assit sur une pierre en se tournant vers le midi. L’augure prit place à sa gauche, le chef voilé, tenant à la main un bâton recourbé et sans nœuds, qu’on appelait un lituus[43].

Alors, ayant arrêté sa contemplation sur le ville et la campagne et prié les dieux, l’augure délimita les régions célestes de l’orient au couchant ; il déclara droite la partie du ciel qui était au midi, et gauche la partie du ciel qui était au septentrion, et dans sa pensée il détermina le point extrême de l’espace où le regard pouvait atteindre. Ensuite, ayant fait passer le lituus dans sa main gauche et posé sa main droite sur la tête de Numa, il pria ainsi :

Ô Jupiter ! ô père ! si c’est le droit que ce Numa Pompilius règne à Rome, montre-moi des signes certains dans l’espace que j’ai défini. Puis il exposa quels auspices il demandait[44]. Les auspices s’étant manifestés, Numa descendit du templum[45].

Ce n’est pas, nous allons le voir, le seul rapport avec l’Étrurie que présente l’établissement religieux de Numa[46].

Mais il faut remarquer d’abord qu’avant Numa, Tatius avait établi le culte de diverses divinités parmi lesquelles plusieurs sont évidemment étrusques.

De ce nombre étaient les Lares[47], puissances infernales et terribles chez les Étrusques, devenus dans la famille romaine les protecteurs de la ville et du foyer. Ils étaient honorés dans chaque carrefour à peu près comme dans la Rome de nos jours, à chaque bout de rue, est une madone qui protège le quartier ; et, de même qu’on ne trouve presque pas une boutique qui n’ait son image de saint devant laquelle brûle une petite lampe, chacun avait dans sa demeure ses Lares domestiques. De cette dévotion familière il ne peut rester aucune trace ; mais le noyau d’un édicule en brique, qui se voit à la bifurcation de deux rues, vers l’angle occidental du Cælius, et ois l’on remarque des niches qui pouvaient recevoir les figurines des dieux Lares, m’a toujours semblé le reste d’un de ces innombrables petits édifices en pleine rue qui leur étaient dédiés[48].

Les Lares avaient en outre un sanctuaire public ; cette chapelle des Lares était sur la voie Sacrée, au sommet de la Velia, devant la porte du Palatin[49], et placée entre les deux villes, car la ville sabine s’étendait jusque-là. Les Lares étrusques, dont Tatius établit le culte au Quirinal, avaient fait comme Numa

ils en étaient descendus pour venir protéger le peuple qui les avait adoptés, et veiller à la porte de son ennemi.

Le Capitole avant été d’abord étrusque, puis sabin, il n’est pas étonnant d’y rencontrer des divinités étrusques devenues sabines. Ce qu’on pourrait appeler la topographie religieuse confirme ici la topographie historique.

Parmi les divinités domiciliées sur le Capitole avant Jupiter était le dieu Terme, dont le culte avait été fondé à Rome, selon les uns par Tatius[50], selon les autres par Numa[51], tous deux Sabins, mais qui était, je crois, d’origine étrusque ; car le terme est la borne sacrée qui divise les champs, la limite religieuse qui sépare les Mats, et qu’il n’est pas permis de franchie.

Or la division régulière et méthodique du sol était chez les Étrusques une science liée à l’étude du ciel, leurs prêtres partageaient le sol en régions correspondant aux régions célestes. D’après cela, n’est-ce pas d’Étrurie qu’a dû venir le dieu qui consacre la délimitation des champs, et par là devient le garant de la propriété ?

Le temple du dieu Terme était ouvert par en haut, précisément, je pense, à cause de cette idée tout étrusque du partage du sol en régions correspondant à des espaces déterminés du ciel.

On sait que le dieu Terme, gardien immobile de la frontière des champs et des États, ne voulut pas faire place à Jupiter sur le Capitole, et qu’on fut obligé de l’envelopper dans le temple de Jupiter. Aujourd’hui que le temps, qui déracine toutes les bornes, a emporté même celle qui était plantée sur le rocher immobile du Capitole, c’est dans l’église d’Ara-Celi, puisque c’est elle qui a succédé au temple de Jupiter Capitolin, qu’on doit aller chercher le lieu où le dieu Terme resta debout. Il y a à Rome une autre borne qui voudrait bien n’être jamais ébranlée, mais qui est menacée aujourd’hui dans son immobilité, c’est le dieu Terme du Vatican.

Du reste, ce culte d’un dieu qui présidait aux limites et devait le fixer à jamais était singulier chez les Romains, qui reculèrent toujours plus loin le confins de leur puissance. Il y avait aussi un Terme au sixième mille[52] ; il marquait de ce côté l’extrémité du territoire primitif de Rome. Les Romains n’oublièrent point ces humbles commencements ; car, sous Auguste, ils célébraient chaque année sur celte frontière, qui fut celle de leur empire naissant, des fêtes appelées Terminalia ; mais l’immobilité de ce terme-là ne fut point respectée : ils le déplacèrent beaucoup et l’emportèrent assez loin.

Sur le Capitole, je rencontre deux autres dieux sabins dont l’origine étrusque ne me semble pas douteuse, car c’étaient des dieux fulgurateurs.

En effet, si la science des présages tirés des entrailles des victimes et du vol des oiseaux se retrouve chez différents peuples, l’art fulgural appartient en propre aux Étrusques. Ils avaient fait une doctrine de cet art ; ils avaient classé les divers accidents de la foudre, observé qu’elle vient parfois de terre, alors que l’électricité se dégage du sol au lieu de se précipiter des nuées.

Ils étaient mêmes, j’en suis convaincu, arrivés à savoir, ce qui demande plus d’audace que de science[53], attirer la foudre. Elicere fulmen ne peut guère avoir un autre sens que tirer l’étincelle électrique des nuages[54].

Les prêtres étrusques prétendaient avoir le pouvoir de diriger la foudre et de la faire tomber où il leur plaisait.

Numa éleva un temple sur l’Aventin à Jupiter Élicius. On peut croire que les prêtres étrusques faisaient solennellement cette expérience, qui devait donner au peuple une grande idée de leur puissance. Numa, instruit par eux, les imita, ce qui ne dut pas nuire à la sienne.

L’autel consacré par le roi sabin Tatius sur le Quirinal au dieu Summanus[55], qui cul aussi un sanctuaire sur le Capitole, et dont les Tarquins placèrent la statue au sommet du temple de Jupiter Capitolin, nous offre un exemple de plus de l’introduction à Rome d’un culte étrusque par les Sabins ; car le dieu Summanus, qui était le dieu des foudres nocturnes[56], et auquel Tatius éleva un autel, se rattachait manifestement à cette classification des diverses sortes de foudres qui était particulière aux Étrusques[57].

On a déjà pu remarquer chez les Sabins une prédilection pour les cultes sombres : le culte des feux souterrains, des divinités infernales dont on découvre les autels sous terre, et auxquelles on immole des taureaux noirs et des brebis noires.

Ne doit-on pas expliquer ce côté sombre de la religion sabine, qui est une religion solaire, puisque son principal dieu est Janus ou le Soleil, par les influences de l’Étrurie, dont le génie lugubre se montre dans l’antique usage des sacrifices humains, dans la décoration parfois sanguinaire des tombeaux[58], dans les divertissements homicides des gladiateurs qu’elle inventa, dans les figures hideuses et menaçantes que produit l’art étrusque lorsqu’il est livré à lui-même ? Enfin c’est de l’Étrurie que devait sortir un jour le peintre formidable de l’enfer.

Vejovis[59], le Jupiter funeste, me semble être une de ces sombres divinités que les Sabins avaient empruntées aux Étrusques, car Vejovis était un dieu fulgurateur[60] ; il n’eut point à céder sa place à Jupiter, et son sanctuaire n’était pas placé sur l’un des deux sommets du Capitole, mais dans l’espace intermédiaire entre les deux bois sacrés qui subsistèrent longtemps en mémoire de la forêt primitive, là à peu près où est la statue équestre de Marc Aurèle : l’image du plus humain des princes a remplacé l’autel du dieu redoutable.

Vejovis était représenté ayant une chèvre auprès de lui, trait local et permanent, car l’une des cimes du mont Capitolin s’appelle encore aujourd’hui mont des Chèvres (monte Gaprino).

Le formidable dieu tenait dans sa main un faisceau de flèches, et il en détachait une pour la lancer contre l’ennemi.

J’imagine que la statue du dieu était tournée vers le Palatin et le menaçait de ses flèches terribles.

Tatius avait élevé aussi un autel sur le Quirinal à un personnage d’un caractère plus doux, à Vertumne ; dieu des fruits, comme Pomone en fut la déesse ; mais, avant d’être Sabin, ce dieu avait été indubitablement Étrusque[61]. Quand les Étrusques eurent un quartier à Rome, qui s’appela le Vicus Tuscus, la statue de Vertumne en décora la principale rue. Vertumne était le patron national du quartier étrusque. Comme au temps où les différentes nations habitaient chacune un coin séparé de la Rome moderne, les Florentins placèrent au milieu d’eux l’église de Saint-Jean des Florentins, en l’honneur du patron de Florence.

A l’influence du génie étrusque sur les Sabins, il faut rapporter la modification que le type du grand dieu sabin Janus avait subie à Falère, dans ce pays intermédiaire entre l’Étrurie et la Sabine, et qui tenait de l’une et de l’autre. A Falère, Janus, au lieu d’avoir deux têtes, en avait quatre comme un dieu indien. Ces quatre têtes étaient sans doute une allusion bien dans le génie des Étrusques, aux quatre régions que le bâton de leurs prêtres dessinait dans le ciel.

Ce Janus à quatre têtes, à quatre fronts, fut apporté à Rome[62] et placé dans le Forum de Domitien. Aujourd’hui il n’existe plus, mais un Janus d’une autre sorte, un de ces arcs qui s’appelaient ainsi, porte le nom de Janus Quadrifons (à quatre fronts), probablement en mémoire du nom de la célèbre statue étrusque du dieu sabin, et cet arc a aussi quatre fronts, c’est-à-dire quatre portes[63] tournées assez exactement vers les quatre points cardinaux. Ainsi un monument peu intéressant par lui-même atteste et rappelle une transformation opérée au sein de la religion sabine par la religion étrusque. On voit donc qu’à part les communications directes de l’Étrurie et de Rome, aussi anciennes que le jour où a été consacrée son enceinte et bâtie sa première muraille, les Sabins ont établi entre le grand peuple étrusque et la très petite ville latine d’autres communications dont en général on a négligé de tenir compte.

C’est que ceux qui ont écrit l’histoire romaine n’avaient pas assez contemplé l’horizon romain, et, suivant de l’œil dans le lointain les montagnes, de la Sabine, remarqué que les dos bleuâtres de ces montagnes allaient s’allongeant vers le nord et se rapprochant du mont Ciminus, boulevard de l’Étrurie. Ce magnifique spectacle eût appelé leur attention sur le voisinage des deux peuples et sur le rôle qu’a dû jouer ce pays placé entre le Soracte et le mont Ciminus, entre le pays des Sabins et le pays des Étrusques.

C’était, comme l’œil l’indique, un pays intermédiaire, et, par suite, un pays mixte, historiquement un point de contact, comme géographiquement un point de jonction entre les deux peuples.

Toute cette région de Falère et de Véies était moitié étrusque et moitié sabine[64].

C’est peut-être parce que Véies n’était pas purement étrusque que les autres villes d’Étrurie l’abandonnèrent pendant sa guerre contre les Romains.

De plus, les deux peuples se rencontraient au pied du Soracte, dans le bois sacré de Feronia, où était un temple célèbre de cette déesse[65], enrichi d’offrandes, et qui tenta la cupidité d’Annibal, de même que le sanctuaire de Lorette a tenté celle de Bonaparte. Là se trouvait, comme souvent près des temples, un grand marché fréquenté par les Sabins, et qui devait attirer les Étrusques du voisinage. Là, sans doute, il y eut titre les deux peuples des échanges de plus d’une sorte, où les Sabins, étant les moins civilisés, eurent le plus à gagner.

Outre l’influence religieuse qu’ils durent subir de la part des Étrusques[66], outre les dieux et les rites sacrés qu’ils leur empruntèrent, ils reçurent aussi de ce peuple plus avancé dans la civilisation et les arts, que le commerce maritime avait enrichi, le goût des ornements en or, qui forme un singulier contraste avec leur austérité native, et a évidemment une origine étrangère.

Déjà les Sabins apparaissent avec des bracelets d’or dans la légende de Tarpeia, et Denys d’Halicarnasse parle de l’or qu’ils aimaient à porter[67] comme les Étrusques. Ce goût semble avoir été légué par les anciennes Sabines aux femmes de la montagne, près de Rome. Elles ne peuvent se marier que lorsqu’elles ont un collier : c’est souvent leur seule dot, et la passion des colliers est chez elles aussi vive que celle des bracelets chez Tarpeia.

C’est ce luxe importé de l’Étrurie dans l’âpre Sabine qui a pu faire appeler la patrie de Numa la très opulente Cures[68], et faire dire, ce qui étonne, que les Romains ne commencèrent à avoir l’idée de la richesse que lorsqu’ils eurent soumis les Sabins[69]. Cette richesse n’a pu venir aux Sabins que du dehors, que de l’Étrurie. Quelque chose d’analogue eut lieu chez les Samnites, peuple de la même race et du même tempérament que les Sabins, quand le voisinage des villes étrusques et des villes grecques de la Campanie répandit chez les agrestes montagnards du Samnium l’usage des armes brillantes.

On ne voit pas que l’art étrusque ait beaucoup pénétré chez les Sabins ; cependant il y a pénétré[70], et c’est par Véies[71], point de contact des Étrusques et des Sabins, que cet art est entré à Rome. Parmi les corporations d’artisans dont la fondation est attribuée au roi sabin Numa, étaient celle des orfèvres et celle des ouvriers en argile[72].

Quant aux premiers, il fallait des ouvriers sachant travailler ces bracelets et ces colliers dont se paraient les femmes sabines et les guerriers sabins ; quant aux seconds, il ne s’agit pas de simples potiers, mais d’hommes en état de fabriquer des vases et des statues en terre, industrie célèbre des Étrusques. Numa établit aussi la corporation des joueurs de flûte, et la flûte, qui figure constamment dans l’ancienne musique civile et religieuse des Romains, était l’instrument par excellence des Étrusques. C’est donc encore une importation des arts étrusques à Rome due aux Sabins.

Ainsi par eux l’art de la bijouterie, si ce mot n’est pas trop moderne, et l’art de la plastique, originairement étrusque, ont été transmis aux Romains. Le second est tout à fait oublié à Rome ; mais le premier, ce fait mérite d’être signalé, vient d’y renaître, et, chose curieuse ! c’est surtout en s’inspirant des parures retrouvées dans les tombes de l’Étrurie, de ces bracelets et de ces colliers dont se paraient les femmes étrusques et sabines, que M. Castellani, guidé par le goût savant et ingénieux d’un homme qui porte dignement l’ancien nom de Caetani, a introduit dans la bijouterie un style à la fois classique et nouveau. Parmi les artistes les plus originaux de Rome sont certainement l’orfèvre Castellani et D. Miguele Caetani, duc de Sermoneta.

Voilà bien des détails pour établir cette influence de l’Étrurie sur Rome par les Sabins ; mais ce n’est qu’en rapprochant des faits dont l’importance ne frappe pas d’abord qu’on peut espérer d’arriver à découvrir les phases ignorées de l’histoire, à surprendre les rapports inconnus des anciens peuples, et qu’on assiste pour ainsi dire à la formation des civilisations célèbres. Sur une carte exacte, on n’oublie aucun des ruisseaux qui concourent à former les grands fleuves. Un fleuve qui a débordé sur le monde et l’a inondé mérite bien qu’on connaisse ses plus humbles affluents. D’ailleurs, tout ce qui précède m’a été inspiré par le spectacle de l’horizon romain, et n’est que le développement des résultats que la proximité du pays sabin et du pays étrusque, en frappant mes regards, a suggérés à mon esprit.

Je reviens à la légende de Numa, et je termine par ce qu’on racontait de sa fin. Après un règne très tranquille et très long qui figure l’établissement paisible et durable de la domination sabine sur les Romains, le vieux roi mourut, et ce qui, ainsi que je l’ai remarqué, confirme l’existence d’un ancien établissement sabin sur le Janicule, la tradition plaça son tombeau sur cette colline, la colline de Janus[73].

Au sixième siècle de la république, on prétendit avoir découvert ce tombeau et y avoir trouvé les livres de Numa, les uns en latin sur le droit pontifical, les autres en grec sur la philosophie[74].

Nous avons vu Numa fonder la royauté sabine par la religion et par la paix. Nous allons voir cette royauté militante et violente, dans la personne de Tullus Hostilius, qui est pour moi, je dirai mes raisons, un compatriote de Numa, un roi sabin ; mais auparavant il nous faut, maintenant que les Sabins sont définitivement établis à Rome, chercher quelle est la place qu’ils y tiennent, l’espace qu’ils y occupent, pour en déduire le rôle qu’ils ont dû y jouer. En voyant que cet espace fut considérable, on comprendra que ce rôle fut grand.

 

 

 



[1] Plutarque, Numa, 5. Volesus comme Valesus ou Valerius, nom sabin. Proculus, nom latin c’était celui d’un Julius ; les Jules, famille d’Albe, étaient Latins.

[2] Plutarque parle de ce supplice infligé aux vestales, dans la Vie de Numa. Denys d’Halicarnasse l’attribue au premier Tarquin (III, 67), ce qui est peu vraisemblable, l’organisation de ce culte ancien étant attribuée à Numa. Numa avait condamné la vestale coupable à être lapidée, selon Cedrenus. Comp. hist., p. 148.

[3] On peut déterminer avec assez de précision l’emplacement où se faisaient ces exécutions : c’était dans l’intérieur de la ville, tout près de la porte Colline, à droite. (Plutarque, Numa, 10 ;  Tite-Live, VIII, 15.) La porte Colline était un peu en avant de la porta Pia, dans l’alignement du rempart de Servius, l’agger dont on voit des restes, qui en indiquent la direction. Il faut donc chercher le champ Scélérat à droite de la rue Pia, cette promenade, chère aux cardinaux, dont les prédécesseurs ne faisaient pas enterrer vivantes les religieuses qui avaient violé leurs vœux de chasteté, mais quelquefois briller vifs les Philosophes, et qui aujourd’hui ne font brûler personne.

[4] Voyez les chap. IX, XIII et XVI.

[5] Du même côté, hors de la tille, logeait le bourreau. La fosse on l’on enfouit les cadavres des impénitents est au pied des murs de la ville actuelle, au-dessous du Pincio, un peu plus loin, mais toujours dans cette région néfaste, dont l’autre extrémité était formée par le champ Esquilin (près de Sainte-Marie-Majeure), où jusqu’à Mécène, on jetait les indigents dans des trous infectes (puticuli), quand on ne laissait pas leurs restes sans sépulture pour être la pâture des chiens ou servir aux sortilèges des compagnes de la sorcière Canidie. Rome est, de ce côté, bordée comme d’une lisière de révoltants souvenirs.

[6] Ovide, Fastes, VI, 268.

Significat sedem terra focusque suam.

[7] Ovide, ibid., VI, 267.

Vesta eadem quæ terra, subest vigil ignis utrique.

[8] Ovide dit que les temples de Vesta étaient ronds, parce que la terre est ronde, que, semblable à une balle, elle est soutenue dans l’air, sans appui, par la rapidité de son mouvement.

Ipsa volubilitas libratum sustinet orbem.

(Ovide, Fastes, VI, 291.)

Il me semble que ce vers exprime assez bien l’effet de la force centrifuge. C’était pour achever de reproduire la forme sphérique de la terre qu’on plaçait une coupole (tholus) sur les temples de Vesta et sur ceux de Cybèle, qui était aussi la terre.

[9] En général, Numa est parmi les Sabins l’instaurateur des vieux cultes pélasgiques ; on lui a attribué ce qu’il n’avait fait que renouveler, les Vestales, les Saliens. De même on a dit qu’il avait établi les argéens, ces sanctuaires dont le nom indique l’origine argienne, c’est-à-dire pélasgique. (Varron, De ling. lat., VII, 41-5 ; Tite-Live, I, 21.)

[10] Festus, p. 344.

[11] Martial, Épigrammes, 1, 71, 3.

Vicinum castora canæ

Transibis Vestæ.

[12] Aulu-Gelle (Noct. Att., XVI, 17) met, infima vid Nova, l’autel d’Aius Locutius, que Tite-Live place in nova via (V, 50, 2) et supra ædem Vestæ (ibid., 2).

[13] A Inco Vesta : qui a palatii radice ad Novam viam devexus est. (Cicéron, de Div., I, 45.)

[14] Ce fait et l’indication donnée par Servius et mentionnée plus haut, que la Regia, qu’on sait avoir été très près de l’Atrium de Vesta, se trouvait à l’extrémité du Forum et au pied du Palatin, ne peuvent laisser aucun doute sur la position du temple de Vesta. Cependant on s’obstine à donner ce nom à un joli temple rond, que chacun a vu reproduit sous la forme d’un encrier. Mais ce temple, qui est assez loin du Forum, n’est point au pied du Palatin, il est an bord du Tibre. On appelle aussi temple de Vesta, Saint-Théodore, qui n’a jamais été qu’une église, mais parait avoir succédé à un temple antique. Saint-Théodore est bien au-dessous du Palatin, mais il n’est point à l’extrémité du Forum. Pour Nibby, qui avait transporté le Forum dans la vallée située entre le Palatin et le Capitole, Saint-Théodore, se trouvant situé à l’extrémité de ce Forum imaginaire, pouvait être considéré comme indiquant l’emplacement du temple de Vesta ; cela n’était pas conforme à la vérité, mais ne blessait point la logique. Je ne saurais en dire autant de l’opinion dé ceux qui, remettant, comme le fait aujourd’hui tout le monde, le Forum à sa place, laissent le temple de Vesta à Saint-Théodore, où Nibby l’avait mis en vertu d’arguments dont ils ne peinent faire usage.

[15] Fastes, VI, 397.

Forte revertebar sacris vestalibus illuc

Qua Nova romano nunc via juneta Foro est.

Je rentrais chez moi pendant les fêtes de Vesta, là où la voie Neuve est maintenant réunie au Forum.

[16] Propter ædem Vestæ in regia. (Solin., I, 21.)

[17] On attribuait cette origine à un homme de la Samothrace (Plutarque, Numa, 13 ; Serv., Æn., II, 325) ; à un Arcadien (Serv., Æn., VIII, 285) ; à Dardanos (Serv., ibid.)

[18] Les Saliens de Tusculum passaient pour être plus anciens que les Saliens de Rome. (Serv., Æn., VIII, 285.) C’est sans doute que les Sabins et les Pélasges avaient occupé Tusculum avant Rome. Il y avait aussi des Saliens à Tibur, ville d’origine pélasgique ; ils étaient consacrés à Hercule. (Macrobe, Saturnales, III, 12.)

[19] Denys d’Halicarnasse, II, 70.

[20] Ibidem. Voyez Marquardt, Handb. der R. Alt., IV, 373.

[21] Denys d’Halicarnasse, ibid.

[22] Ce mont avait été pélasge sous le nom d’Agon. Les Saliens Collini (Collis désignait le Quirinal sabin) s’appelaient Agonales (Denys d’Hal., II, 70), et Agonenses. (Varron, De ling. lat., VI, 14.) Il y eut aussi des Saliens sur le Palatin. Ce fut sans doute un emprunt des Romains au culte de Mars, que tout prouve avoir été originairement sabin. (V. chap. XIII.) Peut-être aussi y eut-il des Saliens sur le Palatin, parce qu’il était resté sar cette colline des Sabins aborigènes, même après qu’elle fut devenue un pâturage des rois d’Albe, puis une ville latine au temps de Romulus.

[23] Festus, p. 329.

[24] Serv., Æn., VIII, 3.

[25] Manus (bonus). P. Diacre, p. 122.

[26] Lyd. de Mens., IV, 2 ; Macrobe, Saturnales, I, 9 ; Varron, De ling. lat., VII, 26.

[27] Tite-Live, I, 21.

[28] Cité par Cicéron, de Officiis, III, 29.

[29] Appien, bell. Civ., I, 16.

[30] L’emplacement de ce temple n’est pas douteux. Il était entre deux Forum : le grand Forum et le Forum de César.

Hic ubi juneta Foris templa duobus habes.

(Ovide, Fastes, I, 258.)

Près de la Curie (Dion Cas., LXXIII, 15), à l’extrémité inférieure du bois Argiletum (Tite-Live, I, 19) ; tout cela met le temple de Janus vers l’église de Sainte-Martine. Il y avait un autre temple Ce Janus près de la porte Carmentale, dans les environs du théâtre de Marcellus (Tacite, Ann., II, 49) ; mais le temple, élevé par Numa, était le plus célèbre ; lui seul renfermait une statue de Janus. (Ovide, Fastes, I, 257.)

[31] Le roman n’est pas le légende, mais parfois la légende passe au roman ; c’est sa dernière déviation du vrai.

[32] Tite-Live, I, 21.

[33] Juvénal, Satires, III, 10-20.

[34] Plutarque, Numa, 13.

[35] Byron, Childe Harold, IV, CXVIII, IX.

[36] Lord Byron, qui croyait, à la Caffarella, avoir sous les yeux la grotte d’Égérie décrite par Juvénal, s’applaudit que l’enceinte artificielle de la source, dont se plaignait Juvénal, n’existe plus ; tous deux ont eu la même impression : l’un, regrettant que le marbre ait remplacé le gazon ; l’autre, se réjouissant que le gazon ait de nouveau reparu et remplacé le marbre.

Whose green art’s works wild margins now no move erase.

Childe Harold, IV, CXVI.

[37] Ovide, Métamorphoses, XV, 467.

[38] Servius, Æn., II, 116.

[39] Ovide, Fastes, III, 271 ; Suétone, Caligula, 33.

[40] Je sais qu’on doit distinguer les augures des aruspices, que les augures étaient des magistrats romains, et les aruspices des devins, en général Étrusques. Je sais que l’observation du vol des oiseaux se retrouve chez différents peuples italiotes ; entre autres chez les Marses ; je n’en suis pas moins convaincu que l’art augural était étrusque, et que la consultation des auspices se faisait d’après le rite étrusque, car cette consultation était liée à la délimitation des régions du ciel, et cette délimitation tenait à un ensemble d’idées Cosmiques particulières aux Étrusques.

[41] Voyez Varron, De ling. lat., VII, 8.

[42] Il me semble que ces expressions de Tite-Live font comprendre comment s’effectua la transition de l’humble condition du devin mandé par Numa pour faire par son ordre ce que j’appellerai une opération prophétique à l’état honoré, à la fonction publique et perpétuelle qui devint un sacerdoce et fut le partage des augures romains.

[43] L’emploi du lituus (le mot et la chose sont étrusques) achève de déterminer le caractère étrusque de l’inauguration.

[44] Auspicium (avi-spicium), l’inspection des oiseaux ; auspices, leur apparition aux regards de l’augure (av-gur) dans le nom duquel se trouve aussi le mot avis, oiseau. Les auspices sont les signes découverts par l’inspection du vol des oiseaux.

[45] Tite-Live, I, 18. J’ai soin de dire templum, lieu auguré, et non pas temple. Tous les édifices religieux n’étaient pas augurés, et certains édifices civils, qui avaient reçu l’auguration, comme la Curie, les Rostra, étaient des temples.

[46] Je pense qu’on peut attribuer particulièrement, aux Étrusques les idées et les instructions dont les anciens ont voulu faire honneur à Numa, a dit Winckelmann.

[47] Varron, De ling. lat., V, 74. Leur nom voulait dire les seigneurs, les puissants. Iar-th devant les noms propres étrusques dans les inscriptions funèbres. Certains génies ailés des deux sexes, qui ressemblent assez à des furies, portent sur les vases étrusques le nom de las, d’où lar.

[48] Composita sunt loca in quadriviis, quasi turres.

[49] Solin, I, 23.

[50] Tite-Live, I, 55.

[51] Plutarque, Numa, 16 ; Quæst. Rom., 15.

[52] Strabon, V, 3, 2.

[53] Il suffisait d’avoir vu des étincelles électriques se montrer autour d’une pointe métallique et d’oser présenter cette pointe à la foudre.

[54] Nous verrons que cet art d’attirer le tonnerre, auquel semble se rapporter le temple élevé par Numa sur l’Aventin, y fut pratiqué par un autre roi sabin, Tullus Hostilius, que son inexpérience rendit victime de son audace.

[55] Merkel (De Obscuris Ovidii Fastorum, p. CXLII) établit l’existence d’un temple de Summanus auprès du temple de la Jeunesse ; il y avait près du grand Cirque, comme sur le Capitole, un temple de la Jeunesse, et dans divers calendriers Summanus est dit : ad circ. max. Comme la Jeunesse avait deux temples, Summanus en avait deux également, et celui du grand Cirque pouvait être le plus fréquenté, bien que l’autre fut plus ancien.

[56] Festus, p. 229 ; P. Diacre, p. 75.

[57] A en croire saint Augustin, ce dieu, presque oublié de son temps, avait été anciennement plus révéré que Jupiter. (De Civ. D., IV, 23.) Au siècle d’Ovide, on ne savait déjà plus ce qu’était Summanus. Quisquis is est ; dit l’auteur des Fastes (VI, 733). On rétablit son culte (reddita templa) pendant la guerre de Pyrrhus. Évidemment le culte de Summanus était très ancien.

[58] Les belles peintures découvertes à Vulci, grâce aux fouilles entreprises par M. Noël Desvergers, représentent un véritable égorgement.

[59] Ou Vediovis, par ce changement du j en di, dont on trouve plusieurs exemples, qui fit dire Jana pour Diana, et auquel il faut attribuer la forme Diespiter pour Jupiter.

Vejovis s’appelait aussi Vedius ; il est assimilé à Pluton par Martianus Capelia, II, § 166.

[60] Ses foudres causaient, disait-on, la surdité, même avant d’avoir frappé (Ammien Marcellin, XXII, 10, 2), idée bien contraire à la réalité ; ceux qui sont frappés par le tonnerre ne l’ont pas entendu.

[61] On ne peut séparer le dieu Vectummus ou Vortummus de Voltumna, grande déesse de l’Étrurie. Près du temple de Voltumna, qu’Orioli place à Viterbe (Viterbo, p. 80 et suiv.), se rassemblaient les délégués des douze villes de la Confédération étrusque. La déesse, dont le temple fut considéré comme le centre religieux et politique de l’Étrurie moyenne, devait être autre chose qu’une Pomone. Elle était sans doute une expression plus haute et plus générale de la fécondité de la nature. L’idée fondamentale de la religion des Pélasges devait se retrouver dans l’Étrurie, visitée aussi par les Pélasges.

[62] Macrobe, Saturnales, I, 9.

[63] Les portes étaient consacrées à Janus, d’où leur nom Janna.

[64] Strabon (V, 2, 9) doute que Falère soit étrusque ; selon quelques-uns, dit-il, les Falisques sont un peuple à part, parlant une langue qui lui est propre : cette langue devait être le sabin. Le nom de voies, l’une des douze villes de la Confédération étrusque, ressemble au mot osque, Veia. (Festus, p. 368.) On faisait venir de Véies les Saliens, ces prêtres guerriers des Sabins. (Serv., Æn., VIII, 285 ) Voyez O. Müller, die Etr. Einl., 2, 14.

[65] Feronia me paraît être une déesse sabellique, dont le culte était particulièrement cher aux Ombriens et aux Sabins. Outre ses sanctuaires, dont on connaît plusieurs, on la suit à la trace des noms de lieux depuis Ferentinum, sur la route de Rome à Naples (Ferentino), jusqu’à Ferentia (Ferento), près de Viterbe, et ailleurs.

[66] His (Etruscis) cum multo major necessitudo cum Sabinis quantum ad deorum cultum affinet, quam cum latinis... (Merkel et Ovide, Fastes, p. CCXIII.)

[67] Denys d’Halicarnasse, II, 58.

[68] Urbs opulentissima sabinorum. (Festus, p. 49 ;  Denys d’Hal., III, 42.) Virgile appelle le pays de Cures, une terre pauvre. (Æn., VI, 812.) Mais Virgile parle ainsi par comparaison avec Rome ; il écrirait dans un temps où les Sabins étaient depuis longtemps assujettis aux Romains, et je parle d’un temps où les Romains existaient à peine.

[69] Strabon, V, 3, 1.

[70] Parmi les objets d’art en petit nombre trouvés dans la région du Soracte, est une tête en terre cuite, de travail étrusque. On a trouvé aussi sur la rive gauche du Tibre, à Sommavilla, près du Soracte, des tombes assez semblables aux tombes étrusques. (Bullet. Arch., 1836, p. 171.) Voyez Dennys, Sep. of Etr., I, 188.

[71] Un artiste fut appelé de Véies par le premier Tarquin pour exécuter le Jupiter en terre cuite que ce roi fit placer sur le faite du temple de Jupiter. (Pline, Hist. nat., XXV, 45, éd. Littré, v. la note 155.)

[72] Plutarque, Numa, 17.

[73] Pline, Hist. nat., XIII, 27 ;  Tite-Live, XI, 29.

[74] Le sénat fit brûler ces livres, dans lesquels, dit Tite-Live, toute religion était détruite, et qui pouvaient bien contenter quelque explication historique et physique de la mythologie romaine, sorte d’explication qui commençait à être à la mode, mise sous le couvert du pieux Numa. Il y a eu au dix-huitième siècle, en France, des attaques de ce genre contre le christianisme. Il faut voir dans cette supposition de prétendus ouvrages philosophiques de Numa une allusion à la fable qui lui donnait Pythagore pour maître, et dans leur condamnation un témoignage de l’antipathie qu’inspiraient alors aux zélateurs des antiques enseignements de la religion romaine les nouveautés de la philosophie grecque. Numa n’a probablement jamais écrit, et, s’il avait écrit, ce n’aurait point été en grec sur la philosophie, mais en langue sabine sur la science étrusque.