L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

XI — SUITE DE ROMULUS.

 

 

Après le meurtre vient le rapt, car l’histoire de Romulus ressemble assez à ce que serait la confession d’un brigand de la montagne ; après l’assassinat de Remus, vient l’enlèvement des Sabines.

Rien ne paraît plus vraisemblable en soi qu’un tel enlèvement. Des réfugiés qui manquaient de femmes en ont pris à leurs voisins, c’est très croyable.

Mais je pense aussi que bien des circonstances imaginaires ont été ajoutées depuis à ce fait véritable.

Voici le récit des historiens qu’a admis un peu légèrement la postérité et que l’art a souvent reproduit.

Les Sabins viennent de Cures, aujourd’hui Correse, qui est à douze lieues de Rome, pour voir des jeux équestres ; ils sont reçus avec une gracieuse hospitalité. Pendant les jeux, à un signal donné, on leur enlève leurs filles et leurs femmes. Les Sabins se retirent’ dans leurs pays sans qu’on voie qu’ils aient cherché à mettre obstacle au larcin. Assez longtemps après, le roi Tatius amène une armée de Sabins. A la suite de deux combats, les troupes ennemies sont séparées par les Sabines devenues les épouses des Romains. Romulus et Tatius font la paix, et conviennent de régner ensemble sur les deux nations, qui forment un seul peuple.

Il y a à tout cela d’assez nombreuses difficultés, dont plusieurs tiennent à l’état des lieux, aux distances, aux points occupés par les Sabins, avant et sous Tatius, à l’importance respective du peuple sabin et de la horde de Romulus.

Nous allons examiner ces difficultés et chercher à mettre de la vraisemblance dans cette histoire ; car, si elle est vraie, quoi qu’en dise Boileau, elle doit être vraisemblable, et quand, ce qui est possible, mais n’est pas probable, elle reposerait sur une tradition entièrement fausse, cette tradition elle-même n’a pu être acceptée dans l’origine que parce qu’elle était vraisemblable. Il faut restituer l’histoire on au moins la tradition.

Et d’abord j’ai quelque peine à croire que les pâtres du Palatin et les réfugiés de l’asile aient exécuté une course de chevaux pareille à celles qui ont eu lieu plus tard dans le grand cirque ou dans le Champ de Mars, et dont la tradition s’est conservée dans la course des barberi au Corso pendant le carnaval[1]. Je ne vois pas que l’on parle beaucoup de chevaux et de cavalerie pendant les guerres de Romulus.

A propos du Palatin, il n’est guère question que de bœufs.

De plus, ces jeux sont donnés en l’honneur de Neptune équestre. Neptune était sans doute l’équivalent latin de Poséidon, dieu grec, et, avant d’être grec, pélasge[2].

Mais on ne voit pas pourquoi il eût été honoré par des jeux solennels dans une tribu de pâtres et de fugitifs encore sans relation avec la mer. Le rapport de Neptune avec le cheval tient à une fable grecque sur la fondation d’Athènes[3], et, en supposant que cette fable tienne elle-même à un mythe plus ancien[4] qui remonterait aux Pélasges, quand ce culte aurait été apporté par eux sur le Palatin, les sujets de Romulus n’avaient aucune raison de le célébrer par une fête nationale. Enfin ces courses prétendues ont lieu dans la vallée située entre le Palatin et l’Aventin ; mais, dans son état primitif, elle est représentée comme une gorge étroite, peu favorablement disposée pour des courses de chevaux.

D’ailleurs, les eaux du Vélabre devaient inonder cette vallée, alors plus profonde ; car elle fut en partie comblée après le dessèchement opéré sous les Tarquins.

Ainsi le théâtre même manquait pour la représentation qu’on dit avoir été donnée par Romulus aux peuples voisins, et c’est une première invraisemblance dans le récit des historiens. Des courses de chevaux n’ont pu avoir lieu dans les fanges du Vélabre. On les a imaginées plus tard quand le grand cirque a été construit, et on les a placées là où depuis le grand cirque exista.

Les fêtes que célébra Romulus s’appelaient fêtes de Consus, Consualia, ce qui est sans rapport avec le Neptune grec ou pélasge, mais se rapporte au dieu indigène Consus, qui avait dans le grand cirque un autel trouvé sous la terre[5].

Je crois avoir découvert ce qu’étaient réellement ces jeux en l’honneur du dieu Consus. On va voir qu’ils n’avaient rien de commun avec les courses d’Olympie.

C’était un amusement rustique, lequel consistait à sauter sur des peaux de bœufs huilées[6].

Ce divertissement grossier, fait pour provoquer la gaieté par les chutes de ceux qui s’y livraient, et dont on rencontrerait plus d’un équivalent dans nos fêles de villages, me paraît beaucoup mieux en harmonie avec ce que devaient être les mœurs des pâtres du Palatin que des courses de chevaux pareilles aux jeux isthmiques célébrés par Pindare, et auxquels pensaient peut-être un peu trop les auteurs qui écrivaient l’histoire de Romulus sous Auguste.

Si cela est, croira-t-on que les Sabins soient venus de Cures avec leurs femmes et leurs filles, qu’ils aient fait douze lieues pour voir des bergers glisser sur des peaux de bœufs huilées ? Quant à moi, je, ne saurais l’admettre, et j’y vois une preuve de plus que les Sabins s’étaient déjà établis sur le Quirinal et le Capitole, où Denys d’Halicarnasse, très positif sur ce point[7], nous les montre pendant la guerre et après la paix. En ce cas, des femmes sabines ont pu, pour voir dus jeux célébrés en l’honneur d’un dieu sabin, d’après une coutume de leur pays, en voisines et sans être accompagnées, descendre, non dans la vallée où fut le cirque, vallée que les eaux du Vélabre inondaient, mais plus près encore de chez elles, dans l’emplacement du Forum futur, dont une partie, le récit du combat de Romulus et de Tatius le prouvera, n’était pas submergée.

Cela se conçoit mieux que la narration de Tite Live, car j’avoue ne pouvoir comprendre la longanimité des Sabins qui se laissent prendre leurs filles et leurs femmes sans chercher à les défendre et se retirent tranquillement chez eux. Est-ce possible, je le demande, de la part d’un peuple aussi belliqueux et aussi farouche que les Sabins ? Cette invraisemblance est rendue surtout visible dans les tableaux où l’on a voulu représenter l’enlèvement des Sabines.

Dans la plupart de ces tableaux, on voit les Romains, tous en costume de guerre, emportant dans leurs bras les Sabines, qui la plupart se défendent très bien. Mais, en général, elles se défendent seules ; il ne se trouve là, pas plus que dans les tableaux de Tite Live, ni un père ni un fiancé dont le désespoir résiste ou au moins menace. Les choses n’ont pu se passer ainsi à Rome, au temps de Romulus, pas plus qu’elles ne s’y passeraient ainsi aujourd’hui si nos soldats voulaient enlever de vive force les filles du Transtevere qui les regardent défiler.

La suite n’est pas moins étrange. D’après le récit consacré, les Sabins ne se pressent pas beaucoup de se venger. Ce sont les habitants de trois petites villes que Tite Live ne donne pas pour sabines, Antemne[8], Cænina[9] et Crustumerium[10], qui prennent fait et cause pour les Sabins, tandis que ceux-ci n’ont pas d’abord l’air de ressentir leur offense, et les Sabins ne paraissent qu’après que Romulus, attaqué par les trois villes, en a triomphé.

Ce triomphe lui-même mérite réflexion.

Romulus monte au Capitole sur un char attelé de quatre chevaux blancs, ce qu’aucun triomphateur ne se permit avant Camille, pour y offrir à Jupiter Feretrius les dépouilles du petit chef qu’il a vaincu et tué de sa main.

Je veux croire que Romulus ait pris la bourgade qu’on appelle la ville de Cænina et tué celui que Tite-Live appelle un roi ; mais je doute qu’il soit monté au Capitole sur un char dans l’intérêt de la majesté royale, comme dit Denys d’Halicarnasse (II, 34). Les abords du Capitole étaient difficiles ; la voie triomphale n’existait pas encore, et la gorge étroite par où l’on montait au Capitole n’était pas faite à l’usage des chars. Romulus triompha, s’il triompha, sur le Palatin. On triomphe chez soi et non pas chez les autres. Un seul trait vrai de la tradition a été conservé par Plutarque, lequel, plus naïf que Denys, déclare que toutes les statues de Romulus qu’il avait vues le représentaient à pied. Romulus, dit-il, prit un tronc d’arbre, le dégrossit, y attacha les armes de son ennemi, le plaça tout droit sur son épaule et alla le suspendre à un chêne[11].

Voilà qui est conforme au caractère du temps et de la légende.

C’est aussi sur le Capitole que Romulus avait, disait-on, élevé un temple à Jupiter Feretrius.

Ce petit temple a, en effet, existé sur le Capitole. Ses dimensions — il avait moins de quinze pieds de longueur[12] — conviendraient au peu d’étendue de la cité de Romulus ; cependant ce que l’on disait de l’agrandissement de ce temple, qu’on attribuait à un roi sabin, Ancus Martius[13], pourrait bien se rapporter à sa fondation ; car un roi sabin étai, nécessairement en possession du Capitole[14].

Puis vient la grande guerre des Sabins amenés de Cures, disent les historiens, par le roi Tatius. Celle-ci dut être sérieuse. Les Sabins étaient des montagnards belliqueux. Leur pays s’étendait depuis Amiternum, dans le royaume de Naples, jusqu’aux confins de l’Étrurie. Les Romains possédaient une petite colline, aux environs du Vélabre. La partie n’était point égale, et le résultat douteux de cette guerre ne put mettre les Romains sur un pied d’égalité avec leurs ennemis. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils n’aient pas péri.

Tite-Live a tout fait décider par une bataille. A en croire Denys d’Halicarnasse, cette bataille décisive fut précédée par plusieurs combats. Son récit de la guerre est plus détaillé, et a, je crois, conservé plus de traits de la vieille légende, qui reposait elle-même, on n’en saurait douter, d’après la physionomie héroïque de la narration, sur un vieux chant[15].

Selon l’historien grec, Romulus a pour allié un Lucumon ou chef étrusque.

Quel était ce chef que l’on fait venir de différents endroits au secours de Romulus, et dont Properce, qui était Ombrien, c’est-à-dire à demi Étrusque, nous a conservé le nom latinisé de Lycomedius[16], tandis que d’autres donnent pour auxiliaire à Romulus ce condottiere étrusque, Cœles Vibenna, dont le nom devint celui du mont Cælius, et dont on place aussi la venue à Rome sous le premier Tarquin.

Ce qui me semble probable, c’est qu’il y avait déjà un établissement étrusque sur le mont des Chênes, et que l’aventurier qui se trouvait là aida Romulus à repousser les Sabins du territoire commun.

L’hésitation du souvenir traditionnel qui place l’occupation du Cœlius tantôt sous Romulus, tantôt sous Tarquin, me fait penser que cette colline a été occupée à deux reprises par les Étrusques[17].

L’alliance du Palatin et du Cælius, qui sont très voisins, est naturelle et d’autant plus vraisemblable, qu’après la paix avec Tatius, Romulus est dit avoir eu en partage ces deux collines. Il occupait le Palatin avant la guerre, et, pour le Cœlius, on peut croire que ce ne fut pas lui qui s’y maintint, mais son allié, car il n’en est pas plus fait mention dans l’histoire de Romulus après qu’avant ; toute cette histoire se passe sur le Palatin.

Mais revenons à la résistance que le chef latin et le chef étrusque opposent aux Sabins. Il est évident que ni l’un ni l’autre ne sont en possession du Capitole, car ils le défendraient ; tuais il n’en est rien : ils semblent, au contraire, le menacer[18], et ce sont les Sabins qui sont postés pour le défendre. Romulus est sur l’Esquilin, Tatius entre le Quirinal et le Capitole[19], sur ce plateau qui les unissait et qui a disparu[20] sous Trajan.

Plus tard, les Romains sont en bas, dans le Forum : ils défendent le Palatin, comme les Sabins défendent le Capitole. C’est dans l’espace intermédiaire entre le Capitole sabin et le Palatin romain, espace occupé depuis en partie par le Forum, qu’aura lieu la grande lutte, dans laquelle les Sabins, descendant du Capitole, repousseront les Romains, puis seront repoussés à leur tour, et chacun finira par rester maître chez soi. Voilà ce qui résulte de l’ensemble du récit et de la situation des lieux.

Le seul incident qui étonne, c’est la forteresse des Romains placée sur le roc Tarpéien, un des sommets du Capitole, et livrée aux Sabins par Tarpeia.

On peut admettre que ce sommet isolé du Capitole, opposé à celui qui tenait au Quirinal sabin, appartenait dans l’origine aux Romains et formait la citadelle du Palatin, détachée, selon l’usage des cités grecques et italiotes, de la ville qu’elle devait protéger. On conserve ainsi l’histoire de Tarpeia, histoire qui n’a pas l’air d’avoir été inventée à plaisir, qui semble antique et qui, à cause. de cette antiquité même, a subi plusieurs transformations. On reconnaît une version sabine et une version romaine de la légende dans l’aventure de cette Tarpeia, qui est représentée tantôt comme trahissant les Romains, tantôt comme une victime de son dévouement pour eux[21], dont[22] le tombeau était honoré par des sacrifices[23] et par une statue placée dans un temple, dont Properce[24] fait une héroïne de roman que perd sa passion exaltée pour le beau Tatius[25] et dont l’existence repose peut-être tout entière sur le mot Tarpéien, auquel nous avons cru trouver une origine parfaitement étrangère à la belle Tarpeia.

Même en supposant que cette pauvre Tarpeia, que je me reproche d’écraser sous le poids de mes arguments, comme elle le fut, selon la légende, sous les boucliers des Sabins, n’ait pas existé dans l’histoire, elle vit encore dans l’imagination populaire des habitants actuels du rocher Tarpéien. Niebuhr y a entendu raconter par une petite fille que, dans un souterrain de la montagne, — où y il a en effet des souterrains, — est la belle Tarpeia, couverte d’or et de bijoux, et retenue par des enchantements. Aucun de ceux qui ont voulu pénétrer jusqu’à elle n’a pu retrouver son chemin[26].

La situation des Sabins sur le Capitole et sur la hauteur par laquelle il était soudé au Quirinal une fois bien déterminée, le combat avec tous ses incidents épiques se comprend facilement ; les faits merveilleux eux-mêmes prennent une sorte de vraisemblance pour l’imagination, quand on voit comment ils ont été rattachés à la nature et à la situation des lieux.

Tel est le récit de la source d’eau bouillante que Janus fit sortir de terre sous les pas des Sabins pour les empêcher de passer par une porte que les Romains s’efforçaient de fermer. Ce récit est en rapport avec l’existence d’eaux sulfureuses, reste des anciennes actions volcaniques.

Cette porte, qui était près du temple de Janus[27], avec lequel on l’a confondue[28], et par conséquent dans les environs de Sainte-Martine, s’appelait, pour cette raison, la Porte de Janus, et a été prise pour une des trois portes du Palatin, bien qu’elle fût évidemment au pied du Capitole[29]. Oubliant que les Romains défendaient le Palatin, où était leur ville, contre les Sabins, maîtres du Capitole, on a interprété l’intervention du dieu comme empêchant les Sabins de gravir le mont Capitolin, tandis que le Capitole était sabin aussi bien que le Quirinal, dont alors il n’était pas séparé.

Les anciens eux-mêmes ont donné l’exemple de cette confusion, et Ovide[30], qui avait cependant chaque jour sous les yeux ce théâtre de la légende, car il demeurait tout près[31], ne l’a pas comprise[32].

Ovide, en effet, paraît croire que les romains sont sur le Capitole et s’efforcent de fermer la porte en question pour empêcher les Sabins d’y monter. C’est le contraire qui est vrai : la porte de Janus était au pied du Capitole et en défendait l’approche. Les Romains, qui étaient au bas, voulaient empêcher les Sabins de l’ouvrir et de fondre sur eux. La relation topographique des deux armées a été renversée par Ovide ; mais, malgré les témoignages de l’histoire et l’évidence des lieux, comment, au temps d’Auguste, ne pas se figurer les Romains au Capitole[33] ?

Une seule chose embarrasse dans cette partie de la légende, c’est de voir Janus, qui est par excellence le dieu des Sabins, protéger contre eux les Romains. Ce trait a dû être ajouté plus tard, quand les Sabins et les Romains s’étant fondus à la fin en un seul peuple, ceux-ci eurent adopté Janus, fait de la clôture de son temple le symbole d’un état de choses qui frappait d’autant plus les esprits qu’il était plus rare, la paix, et, fidèles à l’esprit tout pratique et souvent mesquin de leur mythologie propre, transformé le grand dieu solaire et guerrier des Sabins en un dieu qui présidait à l’ouverture et à la fermeture des portes ; alors on lui attribua l’honneur d’avoir empêché, par un miracle dont on croyait voir l’effet, les Sabins de fermer la porte Janualis, autrefois porte de la cité sabine, et qui, pour cette raison, avait reçu le nom du dieu sabin, dont le temple d’ailleurs était de ce côté. Il n’en fallait pas tant aux Romains pour proclamer l’assistance du .lieu dans un combat où ils l’usurpaient.

Quant aux faits qui n’ont rien de mythologique, je crois que les détails et les vicissitudes du combat peuvent contenir quelque vérité, car je suis convaincu que la source primitive du récit qui nous a été conservé par Tite Live et par Denys d’Halicarnasse est un vieux tuant que certainement ils n’avaient ni l’un ni l’autre sous les yeux, mais d’où la tradition leur était venue[34].

Or certains détails véritables d’un combat fameux peuvent être fixés par la poésie naïve des contemporains de ces faits. Seulement, je crois que ce citant était sabin[35] et non romain ; car, malgré la prédilection de l’historien latin pour ses compatriotes et la prédilection non moins grande de l’historien grec pour les Romains, ils n’ont pu effacer du récit, qui fut poétique avant d’être traditionnel, une inspiration hostile aux hommes du Palatin et favorable aux hommes du Quirinal et du Capitole.

Je rencontre. d’abord Curtius. Ce que l’on raconte de lui est un de ces faits qui n’ont pas d’importance pour l’histoire, mais que la poésie du moment célèbre, parce qu’ils ont frappé les témoins, excité l’intérêt et la crainte durant l’action, et qu’ils se détachent, par quelques circonstances extraordinaires, des autres faits guerriers. S’il y avait des bardes parmi les zouaves, ce ne serait pas l’ensemble d’un combat qu’ils célébreraient, mais tel exploit singulier, telle de ces aventures de la journée que le soldat aime à raconter le soir au bivouac. De plus, l’aventure de Curtius était liée à une localité bien caractérisée, le marais du Forum, où il avait pensé périr. Enfin Curtius[36] est un héros sabin, et les chantres sabins ont dû se plaire à célébrer un incident pour nous assez indifférent, mais qui avait dû, au milieu de la mêlée, remuer un moment le cœur des compagnons du guerrier.

Curtius, blessé, perdant son sang, veut faire retraite et regagner le Capitole ; mais il rencontre sur son chemin le marais qui en défendait l’approche. Alors il prend un parti désespéré : il se précipite à cheval, à travers l’eau et la fange, en vue des deux armées, qui se demandent s’il s’en tirera et forment des vœux contraires touchant l’issue de son entreprise. Son cheval se débat ; il le presse, il lutte pour sa vie en présence du danger ; enfin il parvient à se sauver. Cette évasion hardie, et quelque temps douteuse, avait excité la crainte des Sabins, l’espoir des Romains, l’admiration des deux peuples, et le marais garda le nom de Curtius[37].

Un bas-relief d’un travail ancien[38], dont le style ressemble à celui des figures peintes sur les vases dits archaïques, représente Curtius engagé dans son marais ; le cheval baisse la tête et flaire le marécage, qui est indiqué par des roseaux. Le guerrier, penché en avant, presse sa monture. On a vivement, en présence de cette curieuse sculpture, le sentiment d’un incident héroïque probablement réel, et en même temps de l’aspect primitif du lieu qui en fut témoin.

Après cet épisode tout homérique vient le moment décisif et dramatique du combat. Les Sabins descendent du Capitole et repoussent l’ennemi jusqu’à la porte principale de Rome, c’est-à-dire du Palatin. Romulus est atteint d’un rocher comme en lancent les géants dans leur bataille contre Jupiter et les héros dans l’Iliade. Tite-Live a oublié cette blessure de Romulus. Près d’être forcé dans sa bourgade, le chef latin voue un temple à Jupiter qui arrête (Jupiter Stator). Arrêter l’ennemi, à cela se borne sa prière et son espoir ; il est exaucé. Alors il commence à reprendre l’offensive. Les Sabins plient à leur tour. Il les poursuit jusqu’au pied du Capitole, c’est-à-dire seulement jusqu’au marais. Romulus n’avait regagné que quelques centaines de pas depuis la porte Mugonia. La victoire était donc loin de se décider en sa faveur, quand, selon Tite Live, le coup de théâtre de l’arrivée des Sabines enlevées, se jetant entre leurs pères et leurs époux, mit lin au combat et amena la paix.

Tout cela est très clair. Le temple de Jupiter Stator, qui, refait sans doute, existait encore au temps d’Ovide, était, comme il devait l’être d’après le récit antique, à côté de l’ancienne porte Mugonia, devenue la porte du palais impérial. Ici est le temple de Jupiter Stator, là Rome a été autrefois fondée, dit le poète exilé dans son livre des Tristes[39], quand il lui trace, comme à un suppliant, le chemin à suivre pour arriver jusqu’à l’empereur, qu’il ne devait pas attendrir.

Ce temple était dans la partie la plus élevée de la voie Sacrée, au bas du Palatin[40], là où est l’arc de Titus ; car c’est dans cet endroit que tous les témoignages plaçaient l’entrée dû palais impérial, aussi bien que de la Rome de Romulus, bornée au Palatin[41].

Romulus a été blessé, et son allié, le Lucumon étrusque, percé de part en part. En présence du danger de leur chef et de leurs concitoyens, ceux qui étaient restés à la garde des murailles ont fait une sortie. Romulus, à leur tête, a repoussé les Sabins vers le marais. Ceux-ci ont regagné par la gorge du Capitole leur camp fortifié. Personne n’a été vaincu. Le succès a été alternatif des deux côtés. On ne sait ce qu’on doit faire. C’est alors, selon Denys d’Halicarnasse (II, 43-6), que les Sabines interviennent, non pas pendant la mêlée, ruais pendant la trêve qui suit le combat ; non pas en se jetant entre les glaives tirés, mais en allant, ce qui est beaucoup plus conforme à la vraisemblance, demander aux Sabins la grâce du peuple romain.

Je passe sur la délibération en règle de ces femmes et sur l’autorisation donnée à leur démarche par le sénat. C’est un anachronisme politique qui transporte dans l’âge héroïque de Rome les habitudes. délibératives, et ce qu’on pourrait appeler les formes parlementaires des âges suivants. Niais je retrouve le poème sabin ou la légende sabine dans ce qui suit, et qu’une tradition purement romaine se serait gardée de présenter ainsi.

Les femmes sabines montent au Capitole, où était le camp des Sabins, vêtues de deuil et conduisant leurs enfants par la main, comme on faisait plus tard à Rome pour attendrir ses juges.

Conduites en présence du roi Tatius dans l’assemblée des chefs, elles demandent à genoux qu’on accorde pour l’amour d’elles la paix à leurs époux.

Ayant dit ces choses, toutes tombent aux pieds du roi avec leurs enfants et y demeurent prosternées jusqu’à ce qu’on les relève de terre[42].

Voilà un abaissement qui s’explique par la situation véritable des deux peuples.

Suivant la tradition, qui est notre seule histoire, les Romains avaient fui et ne s’étaient arrêtés qu’à la porte de leur ville ; ils avaient à leur tour repoussé l’ennemi. Mais les Sabins occupaient le Capitole, la citadelle, le Quirinal, plusieurs autres points encore. Une ligne de villes sabines les rattachaient à leur capitale de Cures. C’était une armée qui avait derrière elle un peuple. Les Romains possédaient une bourgade isolée sur une colline dé peu d’étendue ; il n’est dit nulle part qu’une seule ville de la confédération latine eût pris parti pour eux.

lin aventurier étrusque, établi sûr la colline prochaine, avait seul et sans succès embrassé leur défense.

Vraie ou non, la version de l’événement, conservée par Denys d’Halicarnasse, s’accorde très bien avec l’état de choses qui suivit, et due tout nous prouvera avoir été un état d’infériorité pour les Romains.

Tite-Live glisse sur les conditions du traité. Selon Denys d’Halicarnasse, on convint que Tatius et Romulus, avec un pouvoir égal et des honneurs égaux, régneraient ensemble à Rome. En admettant, ce qui n’est pas, qu’ils régnèrent conjointement sur ce qui ne forma une seule ville qu’après eux, je le demande, si, à la suite d’une guerre où les succès auraient été partagés, la reine d’Angleterre venait exercer une moitié de souveraineté à Paris, ne serait-ce pas une condition bien humiliante pour les Français et l’accepteraient-ils ?

On vient de proposer au pape de partager ainsi avec un autre souverain la domination, non de sa capitale, mais d’une portion de ses États, et le pape, tout faible qu’est son pouvoir, a refusé. Son premier prédécesseur dans le pouvoir temporel à Rome n’a pu être supposé consentir à un arrangement pareil que parce que les Sabins étaient beaucoup plus forts que lui. On a déjà vu les Sabins anciennement établis sur plusieurs des collines ‘de Rome. Je montrerai bientôt qu’après la paix ils occupèrent toutes celles de la rive gauche, à l’exception du Palatin et du Cælius ; mais, dès à présent, il est clair qu’il ne pouvait y avoir aucune parité entre une nation assez considérable et une ville très petite.

En présence de cette inégalité entre la nation sabine et l’établissement du palatin, entre l’espace occupé par les Sabins dans Rome et la colline isolée de Romulus, on lit avec quelque surprise dans Servius[43] que le roi des Sabins fut admis au partage de la ville, que les Sabins obtinrent le droit de cité[44], mais sans droit de suffrage. C’est ainsi que les choses sont présentées par les historiens anciens et modernes de Rome. La vérité est que les Sabins laissèrent aux Romains leur taupinière du Palatin, où ils ne mirent pas le pied.

Les Sabins conservèrent le Capitole, qu’ils occupaient depuis le commencement[45], où Tatius habita la citadelle Tarpéienne[46].

Romulus demeura retranché sur le Palatin ; à mi-chemin entre les deux villes,, le traité fut juré par les deux chefs. Là ils immolèrent une truie[47]. Le sacrifice fut offert sur la voie Sacrée. La tradition avait conservé le souvenir de ce lieu que nous pouvons reconnaître encore[48], et où, au temps de Servius, s’élevaient deux statues, celle de Romulus du côté du Palatin, et du côté du Capitole celle de Tatius[49].

Les Sabins se hâtèrent de couper la forêt qui, couvrant la pente orientale du mont Capitolin[50], descendait jusqu’à la plaine. Cette forêt était celle de l’Asile ; ils ne se souciaient pas que l’Asile restât ouvert à tous les gens sans aveu qui viendraient grossir la population suspecte du Palatin.

Demeurés en possession du champ de bataille, les Sabins, après avoir en partie desséché et comblé le marais qui s’étendait au pied du Capitole, établirent là un marché ; car il ne faut pas oublier que, dans l’origine, Forum ne voulait pas dire autre chose[51]. Le Forum devint plus tard le lieu des délibérations plébéiennes ; mais les boutiques y restèrent longtemps : on le voit par l’histoire de Virginie. Le Forum fut donc dans l’origine le marché des Sabins. Les Romains y venaient du Palatin pour acheter. C’était, je crois, la seule communication des deux peuples. Au pied du Capitole était le lieu où les Sabins s’assemblaient, et qui, pour cette raison, reçut le nom de Comitium[52]. Le Comitium fut, en effet, le lieu où s’assemblèrent par curies les patriciens.

Jusqu’au temps des Gracques, ce fut au Comitium que s’adressèrent toujours les orateurs parlant de la tribune qui en était voisine.

Le Comitium fut le théâtre de presque toutes les délibérations qu’on place d’ordinaire au Forum. Le Forum n’était que le marché dans lequel les plébéiens venaient assister aux débats, comme chez nous le peuple, assiste aux jugements des tribunaux.

Je doute que les Romains aient été admis dans le Comitium. Romulus a pu rassembler à son de trompe, dans un pré du Palatin, les anciens du lieu, ces sénateurs couverts de peau de mouton dont parle Properce[53], et dont le costume est encore celui des pâtres romains de nos jours. Mais j’ai peine à croire que les chefs des clans sabins, qui, comme nous le savons des Claudius, avaient plusieurs milliers de clients, aient admis à leurs conseils les gens de toute sorte qui s’étaient emparés du Palatin, dont la plupart ne savaient pas le nom de leur père, et dont plusieurs avaient fait ce métier que Juvénal n’osait pas nommer’.

Aut pastor fuit, aut illud quod dicere nolo.

(Juvénal, Satire VIII.)

Je ne crois pas à un gouvernement commun des deux peuples unis sous les deux rois, gouvernement dont on ne voit nulle trace dans l’histoire, que ne comportaient point l’inégalité des deux villes ni l’état relatif des deux populations ; car tout l’ensemble des faits et la vraisemblance démontrent qu’elles maintinrent au moins quelque temps leurs territoires séparés, et que les Romains n’étaient point vis-à-vis des Sabins sur un pied d’égalité[54].

Si les deux chefs voisins avaient à s’entendre sur quelque intérêt commun, sur quelque incident qui touchait également les sujets de l’un et les sujets de l’autre, ils se réunissaient sur une plate-forme située au pied du Capitole, au-dessus du Comitium, et qu’on appelait le Vulcanal, à cause d’un autel de Vulcain[55]. Il est à remarquer que, dans ce lieu intermédiaire où l’on croyait que les chefs des deux peuples ennemis avaient parfois délibéré en commun, on construisit plus tard le temple de la Concorde, dont l’emplacement est encore visible ; on peut y observer le Caducée, signe de paix ; on y plaça la Græcostasis[56], dans laquelle le sénat recevait les ambassadeurs étrangers, comme le roi sabin y avait reçu, disait-on, le chef latin, qui était pour lui un étranger.

Pline[57] attribue à Romulus la fondation du Vulcanal ; probablement plus ancien que lui ; et qui était sur le territoire sabin.

On sait, hélas ! très peu ce qu’a fait Romulus ; mais on pourrait écrire un assez long chapitre de ce qu’on lui a prêté, et qu’il n’a point fait, parce qu’il n’a pu le faire. Il n’a point organisé une cité modèle avec une hiérarchie savante, classant ses sujets en patriciens et en plébéiens. — On ne fait point des patriciens. — Romulus ne créa point les trois tribus dont l’une, les Titien, était sabine ; car il ne régna point sur les Sabins. La pompe des licteurs, dont l’origine est étrusque, n’a pu être introduite dans un temps où l’on portait, en guise d’étendard, une botte de foin.

Montesquieu a dit : Il ne faut pas prendre de la ville de Rome, dans ses commencements, l’idée que nous donnent les villes que nous voyons aujourd’hui, à moins que ce ne soit celles de la Crimée, faites pour renfermer le butin, les bestiaux et les fruits de la campagne[58].

Dans cette phrase, qui me revenait toujours en mémoire quand je voyais entrer à Rome ces gigantesques charrettes de foin que précède souvent un paysan à cheval armé d’une lance, assez semblable à un Tartare de Crimée, dans cette phrase de Montesquieu il y a plus de sentiment historique de l’ancienne Rome que dans tout Rollin.

En général, ceux qui ont parlé de Romulus semblent n’avoir pas vu le Palatin, petite colline isolée, dont le possesseur ne pouvait faire la loi à la nation qui était maîtresse des autres collines, c’est-à-dire d’un espace vingt fois plus considérable, et avoir oublié qu’au temps de Romulus, sur ce Palatin, était une sorte de repaire plutôt qu’une ville véritable.

Pour moi, qui ai beaucoup considéré le Palatin et me suis toujours plus pénétré du sentiment de son exiguïté et de son isolement ; pour moi, qui pense que les deux villes, celle du Palatin sous Romulus et la cité sabine sous Tatius, sont restées distinctes et même ennemies, je m’étonne moins que cette association, qu’on présente comme un modèle de bonne harmonie, ait fini par la mort violente de Tatius, à laquelle il est difficile de croire que Romulus soit demeuré étranger.

Voici ce que racontait la tradition, cette fois très  vraisemblable[59] :

Des amis de Tatius, c’est-à-dire quelques chers sabins, allèrent brigander chez les Laurentins, dans les environs de Lavinium, en pays latin. Romulus, qui était Latin, poussé par un sentiment où, j’imagine, l’équité n’entrait pas seule, s’empressa de prendre le parti des Laurentins. Tatius. en fut irrité, et des Sabins, sans doute par son ordre, suivirent les députés qui étaient venus se plaindre à Romulus et les tuèrent pendant leur sommeil. Romulus, s’irritant à son tour, livra les coupables aux Laurentins. Tatius fit enlever les Sabins qu’on emmenait prisonniers. On voit que, malgré la bonne harmonie dont parlent les historiens, à la première occasion les deux rois se trouvaient d’un parti contraire. Légende ou histoire, ces faits peignent bien l’antipathie des deux peuples que Romulus et Tatius représentent.

Enfin Tatius seul, selon les uns, et, selon les autres, avec Romulus, se rend à Lavinium pour offrir un sacrifice. Il y est assassiné avec des couteaux de cuisine et des broches. Ce dernier trait pourrait être une invention romaine et populaire pour jeter du ridicule sur la mort du chef ennemi.

Je ne suis pas bien sûr que le roi sabin soit allé offrir un sacrifice à Lavinium, qui fut, avant Albe, le centre religieux et politique de la confédération latine ; mais, précisément à cause de cela, je ne m’étonne pas que la légende ait fait figurer le nom de Lavinium dans le récit de. la mort de Tatius. Ces différends des deux rois, cette mort à laquelle Romulus est mêlé, cette mort ridicule du roi sabin au cœur du pays latin, me semblent conserver la trace de l’inimitié sourde, mais ardente, de la Rome latine contre la Rome sabine ; qui la dominait et l’opprimait.

La fin mystérieuse de Romulus pourrait bien avoir été originairement dans la tradition une revanche prise par les Sabins de la mort de Tatius.

Il y a deux versions de la mort de Romulus, l’une naturelle et l’autre merveilleuse.

D’après la première, il aurait été assassiné.

D’après l’autre, il aurait disparu dans une miraculeuse tempête qui aurait répandu en plein jour de subites ténèbres.

La mort violente est placée dans deux endroits.

Selon les uns, il aurait été tué près de l’autel de Vulcain, à l’extrémité nord-est du Forum, au pied du Capitole, sur cette plate-forme sacrée qu’on appelait le Vulcanal.

Selon d’autres, et c’est le récit qui a été le plus répété, il aurait péri, pendant une revue, au bord du marais de la Chèvre.

Dans le premier cas, des patriciens ont tué Romulus ; ils l’ont tué dans le Vulcanal, au-dessus du Comitium, lieu d’assemblée des Sabins.

Si, comme tout porte à le supposer, les hommes du Palatin ne furent point admis dans le Comitium sabin, ce sont des patriciens sabins qui ont tué Romulus ; si même on croyait au sénat mi-parti de Sabins et de Romains institués par Romulus, il faudrait se souvenir qu’il y avait dans ce sénat cent Sabins.

D’après une autre version de la légende, Romulus avait été mis à mort près du marais de la Chèvre. Le marais de la Chèvre, en quelque lieu qu’il fût, était, comme le Vulcanal, sur le territoire sabin. Plutarque dit positivement que Romulus était sorti de la ville pour s’y rendre.

Je suis porté, par ces indications topographiques, à déclarer que, suivant la légende primitive, soit sur le Vulcanal, soit au bord du marais de la Chèvre, Romulus a été mis à mort par les Sabins, qui ont vengé Tatius. On peut le conclure du vieux récit qui présentait ainsi cette mort, véritable ou non.

Ce récit avait du moins le mérite d’être fort vraisemblable.

Tatius avait péri à la suite de démêlés qui semblent trahir l’irritation réciproque et bien naturelle des deux populations, dans des circonstances qui devaient inspirer certains soupçons contre Romulus.

Romulus aurait-il voulu profiter du moment où les Sabins n’avaient pas de chef pour changer la relation des deux peuples, pour donner au sien l’ascendant ou au moins l’égalité, soit par une négociation, soit par les armes ?

Romulus serait-il venu sur le Vulcanal demander des conditions meilleures pour son peuple ?

Ce devait être un diplomate un peu rude que le pâtre du Palatin devenu roi, et les anciens de la nation sabine n’étaient peut-être pas très patients. En présence de celui qu’ils accusaient d’avoir été la cause de la mort de leur roi, irrités de ses propositions et de son langage, ils se seraient jetés sur lui et l’auraient égorgé.

On comprendrait ainsi ce trait de la tradition rapportée par Denys d’Halicarnasse[60], qu’ils s’étaient précipités sur Romulus, l’avaient mis en morceaux, et que chacun avait emporté un de ces morceaux. Il y a dans ce détail horrible une férocité qui n’appartient qu’à une haine de race.

Ou bien Romulus étant sorti de la ville et étant venu ranger son monde au pied du Quirinal, car c’est là que l’on peut avec quelque probabilité placer le marais de la Chèvre[61], par un jour sombre et orageux comme on en voit quelquefois à Rome cacher tout à coup presque entièrement la lumière, ce qui était propice à une surprise, les Sabins seraient-ils descendus de leur colline pour prévenir cette surprise, et y aurait-il eu un engagement après lequel Romulus ne se serait plus retrouvé ?

Mais le coup fait, il ne fallait pas pousser à bout ces hommes peu nombreux, il est vrai, mais très résolus, du Palatin, et le récit de l’apothéose de Romulus vint fort à propos pour calmer leur irritation en flattant leur vanité. L’instrument et, si j’osais le dire, le compère de l’apothéose, fut un homme d’Albe, nommé Julius Proculus[62], qui affirma avoir vu Romulus lui apparaître sur le Quirinal[63] et l’avoir entendu déclarer qu’il était au rang des dieux.

Le choix du Quirinal pour y placer l’apparition de Romulus est favorable à la supposition d’après laquelle c’est une partie du Vélabre, composé, comme le récit du combat l’a prouvé, de flaques d’eau séparées, qui portait le nom de Marais de la Chèvre, car le Vélabre s’étendait jusqu’au pied du Quirinal.

Cette dénomination de marais de la Chèvre conviendrait a une flaque d’eau placée au pied d’une colline, car cela rendrait naturelle la présence en ce lieu de la chèvre qui, pour une raison quelconque, avait donné son nom au marais. Les chèvres se plaisent sur les hauteurs[64], et le nom populaire de la roche Tarpéienne est encore aujourd’hui le mont des Chèvres, Monte-Caprino[65].

Les Sabins s’empressèrent d’admettre cette glorification de Romulus, dont ils, étaient débarrassés et qu’ils voulaient bien dans le ciel, pourvu qu’il ne fût plus sur la terre. Leur roi Tatius éleva un autel au nouveau dieu Quirinus[66].

Pour achever de désarmer la colère des Romains, les Sabins identifièrent le héros latin avec leur dieu éponyme et national, Quirinus. La version de la légende, inspirée par cette transaction, supprima soigneusement toute trace d’un meurtre qui avait servi, mais dont la mémoire eût pu être dangereuse. Il n’en est resté aucune : tout a été idéalisé, tout a été présenté comme un hommage rendu à Romulus[67].

Mais c’était un hommage qui l’effaçait en tant que chef hostile d’une population disposée à se révolter. De même que les Romains après la guerre ont reçu le nom de Quirites (Sabins), Romulus après sa mort s’est appelé Quirinus, le dieu sabin, et on lui a élevé un temple sur le mont Sabin, le Quirinal. Les Sabins n’ont-ils pas de cette sorte absorbé et comme confisqué la mémoire de Romulus ?

En effet, il y a eu à Rome un temple de Quirinus ; il n’y a jamais eu de temple de Romulus[68].

Mais le vrai dénouement, ou du moins le plus vraisemblable, Romulus tué dans une surprise et ceux qui l’accompagnaient fuyant en désordre après l’événement, voilà ce qui s’était transmis dans le rite bizarre d’une fête populaire que l’on célébrait aux nones caprotines le jour anniversaire de celui où l’on croyait que Romulus avait péri.

Cette fête s’appelait la Fuite du Peuple. On se rendait près du marais de la Chèvre pour y sacrifier, et en s’y rendant on s’appelait par les prénoms les plus usités chez les Romains, criant Marcus ! Caïus ! comme nous dirions Jean ! Pierre ! imitant, dit Plutarque[69], la fuite qui eut lieu alors et les cris de gens qui s’appellent les uns les autres avec crainte et en désordre. C’est ce que nous nommons une panique, et ce qu’à Rome on nomme une cagnara, genre de tumulte qui, dans les fêtes publiques, n’y est pas rare.

Je le demande, ce souvenir populaire d’une fuite soudaine, d’une confusion pleine d’épouvante, n’était-ce pas le souvenir de la déroute de ceux qui accompagnaient Romulus lorsqu’il disparut dans un jour sombre auprès du marais de la Chèvre ? Ceci n’était point officiel, point sabin : c’était la mémoire vivante dans le peuple d’un désastre tout romain. Peu importent les origines plus on moins absurdes qu’on donna à la Fuite du Peuple quand vint une époque où on n’en comprenait plus le sens[70]. Le nom de cette fête, le jour et le lieu où on la célébrait, qui étaient l’un et l’autre celui de la mort de Romulus, ne permettent pas d’y voir autre chose qu’une allusion à cette mort et au tumulte qui la suivit.

Romulus ayant disparu miraculeusement ou naturellement, il ne faut pas chercher son tombeau à Rome, bien qu’on l’y montrât cependant déjà du temps d’Auguste dans le milieu du Comitium[71], et qu’au moyen âge on ait donné ce nom au hasard, comme on les donnait tous alors, à un grand tombeau romain près du château Saint-Ange, dans le Transtevere, qui était pays étrusque au temps de Romulus, et où, par conséquent, dans aucun cas, son tombeau n’a jamais pu se trouver.

Comme l’antiquité avait ses légendes, elle avait ses reliques.

On conservait le bâton augural avec lequel Romulus avait dessiné sur le ciel, suivant le rite étrusque, l’espace où s’était manifesté le grand auspice des douze vautours dans lesquels Rome crut voir la promesse des douze siècles qu’en effet le destin devait lui accorder. Tous les augures se servirent par la suite de ce bâton sacré, qui fut trouvé intact après l’incendie du monument dans lequel il était conservé[72], miracle païen dont l’équivalent pourrait se rencontrer dans plus d’une légende de la Rome chrétienne. On montrait le cornouiller né du bois de la lance que Romulus, avec la vigueur surhumaine d’un demi-dieu, avait jetée de l’Aventin sur le Palatin, où elle s’était enfoncée dans la terre et avait produit un grand arbre.

On montrait sur le Palatin le berceau et la cabane de Romulus. Plutarque[73] a vu ce berceau, le Santo-Presepio des anciens Romains, qui était attaché avec des liens d’airain, et sur lequel on avait tracé des caractères mystérieux. La cabane était sur le Palatin, à l’angle nord-ouest de la Rome carrée[74].

C’était une cabane à un seul étage, en planches et couverte de roseaux[75], que l’on reconstruisait pieusement chaque fois qu’un incendie la détruisait ; car elle brûla à diverses reprises, ce que la nature des matériaux dont elle était formée fait croire facilement.

J’ai vu dans les environs de Rome un cabaret rustique dont la toiture était exactement pareille à celle de la cabane de Romulus.

Des urnes funéraires très anciennes[76], trouvées prés du mont Albain, et qu’on voit au musée étrusque du Vatican, mettent sous nos yeux ce qu’étaient ces habitations primitives du Latium, dont la cabane de Romulus conserva le type. Leur aspect fait sentir vivement à quel point la Rome de Romulus était modeste et combien l’historien, pour être vrai, doit écarter de semblables commencements beaucoup d’idées qu’on y a souvent mêlées.

La maison de Romulus, entièrement semblable à une cabané de berger dans la campagne romaine, avertit. que la Rome du Palatin était une ville de pâtres et rien de plus.

Tout cela est bien différent de Romulus, sage législateur et savant organisateur d’une cité, tel que l’ont présenté les anciens eux-mêmes et, dans les temps modernes, des historiens qui n’avaient pas le sentiment des temps primitifs ; tels qu’on peut les retrouver dans la vieille légende romaine, étudiée en présence du Palatin.

De nos jours seulement, on a bien compris ce qu’était la légende ; on a vu qu’il y avait là un fond de vérité transmise et altérée que l’historien ne devait ni accepter entièrement ni rejeter tout à l’ait. La légende est comme un manuscrit très corrompu, une sorte de palimpseste : on a récrit sur ce texte primitif. Il ne faut pas mépriser le manuscrit, mais tâcher de déchiffrer, sous les lignes récrites, le texte à demi raturé.

Cela ne peut se faire que par une sorte de divination toujours incertaine, mais qui ne trompe pas toujours, et, comme l’a dit un écrivain spirituel, M. de Bonstetten :

Il y a dans les aperçus nombreux de l’histoire de ces temps-là une harmonie de faits qui nous permet de juger par le tact là où les preuves rigoureuses nous manquent. L’histoire très ancienne, il faut la voir à distance, comme les dessins en mosaïque, qui, vus de près, disparaissent entièrement.

C’est ce que j’ai cherché à faire. J’ai tâché de démêler dans l’histoire de Romulus ce qui appartenait à l’ancienne légende, et qui, par conséquent, devait être d’accord avec les mœurs d’une époque pastorale et avec l’état antique des lieux. Au fond de cette légende est la poésie primitive, cette poésie qui a toujours sa vérité.

J’ai tâché d’en dégager l’histoire ; j’ai tâché surtout de là dégager elle-même des fables postérieures, où il n’y a point d’histoire.

Avant d’aller plus loin, il me prend envie d’essayer de restituer un lambeau de cette antique poésie populaire qu’on sent palpiter sous les récits de Tite-Live et de Denys d’Halicarnasse, et qui les anime à leur insu. M’inspirant au spectacle des lieux, non tels qu’ils sont aujourd’hui, mais tels qu’ils étaient au temps du combat de Romulus et de Tatius, et que divers témoignages nous les ont rendus, j’ai osé refaire le vieux chant sabin où ce combat était raconté et dont plusieurs traits me semblent avoir évidemment passé à travers les récits traditionnels de ce chant, dans la narration que les historiens du siècle d’Auguste ont empruntée a leurs devanciers.

 

CHANT DU VÉLABRE

L’eau du Vélabre dort sous les joncs et baigne le pied des saules.

L’eau du Vélabre ici noire, là blanche, blanche où la source de Janus, la source sacrée, la blanchit.

La vieille forêt descend des cimes escarpées jusque vers les eaux, ici noires, là blanches, du Vélabre.

Deux collines sont en présence ; elles se querellent et se menacent.

L’une est le mont antique de Saturne, du paisible Saturne ; elle est habitée par le peuple belliqueux de la lance,

L’autre porte la ville nouvelle du Palatin, la ville des pâtres et des brigands,

La ville des loups rapaces, où règne le chef, fils de la louve, le chef qui a tué son frère.

J’ai vu l’antre où la louve les a nourris tous deux, non pas de lait, mais de sang.

Ces loups rapaces, ces fils de la louve qu’elle a nourris de sang, ils nous ont enlevé nos brebis blanches.

Ils ont emporté dans leur tanière nos filles et nos femmes ; mais nous sommes venus pour les reprendre avec la lance,

En voyant la lance brillante, la lance sainte, le loup a grincé des dents.

Le loup est sorti de son repaire ; il a voulu mordre la lance sacrée.

Les hommes du Palatin ont voulu reprendre la forteresse que nous avait livrée la belle Tarpeia.

La belle et la rusée, elle voulait tromper les Sabins, les simples et rudes enfants de la montagne.

Que nous demandes-tu, belle fille, belle Tarpeia, pour nous livrer la citadelle que ton père défend ?

Elle a souri, elle a regardé de côté, elle a vu l’or de nos bracelets que nous portons au bras gauche.

Car nous avons de l’or, nous sommes riches ; nous ne sommes pas comme ces misérables fugitifs de Roma.

Nous avons de l’or ; nos voisins, les hommes de la mer, les Tyrrhéniens, en ont beaucoup, et nous le leur prenons.

Elle a vu aussi, la belle Tarpeia, nos boucliers que nous portons de même au bras gauche.

Et elle a dit : Donnez-moi ce que vous portez au bras gauche, et je vous ouvrirai la citadelle que mon père défend.

Voulait-elle nos bracelets d’or ?

Voulait-elle nos boucliers d’airain ?

Nos bracelets d’or pour s’en parer, nos boucliers d’airain pour désarmer nos bras et nous livrer à son peuple ?      -

Le chef nous a dit : Défilez devant elle, et jetez-lui en passant ce qu’elle vous a demandé.

Et le premier, il a jeté sur elle de toute sa force son bouclier d’airain, et il lui a brisé une épaule.

Nous avons compris, nous avons ri, et tous, l’un après l’autre, nous avons jeté à fa fille de la trahison nos boucliers d’airain.

Et nous avons fracassé son beau corps, et nous avons fait crier ses os.

Et nous l’avons écrasée avec nos boucliers, comme à coup de pierre on écrase un serpent.

Les hommes de Roma l’ont maudite, et ils l’ont pleurée ; car ils ne savent pas qui elle a voulu trahir.

Mais qu’importe ? Les Sabins sont un peuple ami de l’équité, et que la trahison soit contre ou pour eux, ils la punissent.

Puis nous avons défendu la citadelle, non par une ruse de femme, mais avec nos bonnes lances.

Car nous sommes les Quirites, le peuple terrible de la lance.

Les Romains voulaient gravir le mont de Saturne et reprendre la citadelle.

Ils venaient à travers le marécage de la plaine, à travers les gorges de la colline, à travers la forêt de l’Asile, se glissant d’arbre en arbre comme des loups.

Non, non, enfants de la louve, vous ne reprendrez pas la citadelle que les Sabins vous ont prise.

Et voilà qu’ils sont culbutés, précipités ; ils roulent dans le Vélabre, ils y enfoncent ; nous les étouffons dans la boue.

L’eau du Vélabre est ici blanche, là rouge : blanche où la source de Janus, la source sacrée, la blanchit ; rouge là où les Romains ont voulu passer.

Oh ! voyez-les rouler, ces hommes de la Rome carrée, ces pâtres grossiers du Palatin, ces brigands de l’Asile.

Voyez-les rouler dans la fange du Vélabre, comme s’y roulent les porcs de leur troupeau.

C’est de la fange du Vélabre qu’est sorti votre roi, et dans la fange nous allons le replonger.

Mais vous fuyez, et il fuit avec vous : une grosse pierre, lancée par le bras vigoureux d’un fils de la lance, l’a frappé au front ; il s’enfuit, il arrive à la porte de sa ville, il s’arrête et respire enfin.

Il voudrait, avec ses fuyards, rentrer dans sa ville ; mais ceux qu’il a laissés à la garde des murailles.

Mais les vieillards et les enfants, mais les femmes, les femmes sabines qu’ils nous ont prises.

Elles-mêmes du haut des murs crient aux fuyards : Honte ! honte ! honte ! trois fois honte !

Retournez, retournez à la mêlée, au combat : retournez à l’ennemi.

Et les vieillards, les enfants, les femmes, lancent contre eux des pierres d’en haut, et la mêlée recommence.

C’est alors qu’est arrivée la fameuse aventure du vaillant Curtius et de son bon cheval.

Ecoutez.

Le vaillant Curtius, le Sabin, a été blessé ; son sang coule, il s’affaiblit ; il ne veut pas tomber dans les mains de l’ennemi ; blessé et sanglant, il veut regagner notre camp sur le mont de Saturne.

II se retourne souvent pour regarder l’ennemi. Chaque fois que Curtius regarde les ennemis, les ennemis ont peur de Curtius.

Mais, quand il ne les regarde plus, ils se rassurent et le poursuivent.

Ils s’excitent les uns les autres en disant : Il est blessé, il perd son sang ; nous le tuerons ou nous le prendrons.

Curtius les entend, mais il n’en a nul souci.

Loups sans dents, dit-il, vous ne me tuerez pas, vous ne me prendrez pas.

Son cheval boite ; mais il est plein d’ardeur, et il hennit de rage confire les Romains.

Arrivé au bord du marais, il s’arrête et ne hennit plus ; il regarde l’eau, il la flaire, il avance un pied dans la vase, il le retire.

L’eau est profonde et le bord est fangeux. Curtius veut pousser son cheval dans le marais ; mais le cheval reste immobile.

Curtius se penche sur son cheval, il le flatte ; le cheval flaire l’eau du marais, avance un pied, puis le retire et reste immobile.

Curtius, furieux, enfonce ses deux éperons dans les

flancs du cheval ; le cheval se cabre, il va rouler avec lui dans le marais.

Les Romains s’arrêtent et disent : Nous ne craindrons plus le vaillant Curtius : voilà que lui et son cheval sont allés rouler dans le marais.

Du haut du mont de Saturne on se dit : Curtius va-t-il périr dans le marais ou échappera-t-il encore une fois, lui qui échappe à tous les dangers ?

Les deux armées regardent Curtius. Chacun se demande : Périra-t-il ou sera-t-il sauvé ?

Il songe à faire le tour du marais, à gagner le sentier par où l’on monte à la porte de Saturne, le sentier escarpé des Chèvres.

Mais l’eau lui barre le passage. L’ennemi croit le tenir. Tu es pris ! lui crie-t-on de tous côtés, tu es pris !

Mais le brave Curtius s’obstine à pousser son cheval dans le marais.

Le cheval recule en baissant la tête ; Curtius le blesse de sa lance et fait couler son sang.

Le cheval, furieux, se précipite dans la fange ; il s’y débat en poussant de terribles hennissements.

Curtius le blesse de sa lance toujours plus profondément. Le cheval fait d’incroyables efforts en piétinant au milieu de la vase parmi les roseaux.

Enfin il enfonce dans la vase et tombe sur le côté ; mais Curtius a dégagé sa jambe pendant qu’il tombait ; il est debout sur le flanc du cheval, et de là il s’élance à terre, et le marais est franchi.

Le bon cheval a péri, mais le fort Sabin est sauvé ; il est au milieu de ses amis, et cette eau s’appellera le lac de Curtius.

L’eau du Vélabre dort sous les joncs et baigne le pied des saules.

L’eau du Vélabre là blanche, ici rouge : blanche où la source de Janus, la source sacrée, la blanchit ; rouge là où les Romains ont voulu passer.

 

 

 



[1] En effet, ces courses paraissent remonter directement à celles que les Romains exécutaient sur les gazons du Champs de Mars, au bord du Tibre, et qui s’appelaient Equiria. L’on dit même que l’église de Santa Maria in Aquiro leur doit son nom ; j’en doute, car cette église est assez éloignée du Tibre, et l’on sait que les courses, appelées Equiria, en étaient très voisines, puisqu’en cas de débordement du fleuve elles avaient lieu sur le Cælius. Ce qui est plus certain, c’est qu’encore au seizième siècle on faisait courir des chevaux au bord du Tibre ; quand Jules Il eut bâti la rue Julia il fallut transporter les courses, et on les transporta dans la rite du Corao, qui datait de Paul II.

[2] Poséidon était honoré dans l’Arcadie, en plusieurs lieux, sous le nom de Poséidon équestre. (Pausanias, VIII, 10, 14, 30, 37.) Les Arcadiens prétendaient avoir invoqué les premiers le dieu de la mer sous ce nom (Pausanias, VIII, 25), et passaient pour en avoir fondé le culte. (Denys d’Hal., I, 33.)

[3] On sait que, dans le débat qui eut lieu à cette occasion, Neptune fit sortir de terre un cheval, et Pallas Athènè un olivier.

[4] Je crois que les chevaux de Neptune furent dans l’origine, une de ces allusions pittoresques de la Mythologie grecque dont j’ai parlé ailleurs. (V. la poésie grecque en Grèce.) Je crois qu’on a voulu exprimer par le mythe des coursiers de Neptune l’impétuosité du flot qui semble courir, et le blanchissement de l’écume sur le dos des vagues, métaphore si naturelle qu’elle s’est présentée à l’un des hommes qui ont le mieux senti et rendu la poésie de la mer, lord Byron (Child-Harold, IV, 181), lorsqu’il a dit à l’Océan : Et j’ai posé ma main sur ta crinière. De plus, Poséidon, en rapport avec la fondation de Troie dont il bâtit les murs, créateur du cheval, selon les uns en Attique, selon les autres eu Thessalie, et en Crète du taureau de Pasiphaé, dieu enfin de la mer, c’est-à-dire de l’élément humide et fécondant, peut, par toutes ces raisons, être considéré comme un dieu primitivement pélasgique. Le nom même de la mer, Pelogos, est peut-être devenu le nom des Pélasges. Le culte du dieu de la mer convenait à ce peuple navigateur. Mais, malgré cette origine, Neptune tint peu de place dans la religion romaine. On ne cite qu’un temple de Neptune dans le cirque flaminien et non dans le grand cirque.

[5] Voyez plus haut, chap. IX.

[6] C’est ce que nous apprend un vieux vers saturnien conservé par le grammairien Nonius Marcellus (p. 13, Ger. Cernuus)

Sibi pastores ludos faciunt coriis consualia.

Ce qu’expliquait ainsi Varron : Etiam pelles bubulas oleo perfusas percurrebant. (V. Preller, Rom. Mythol., p. 421.) Ennius parlait de jeux semblables institués par Romulus à l’occasion de la dédicace du temple de Jupiter Feretrius. (Ennius, apud Serv., Georg., II, 384.)

[7] Tatius était sans doute un chef sabin de Cures ; les Sabins de Rome attendirent son arrivée pour prendre une vengeance dont le besoin, d’un auxiliaire explique le retard.

[8] Antemne était sur la colline d’Acqua-Acetosa, près de Rome, au confluent du Tibre et de l’Anio. (Varron, De ling. lat., V, 28.)

[9] La position de Cænina n’est pas déterminée d’une manière certaine. La physionomie de son nom est étrusque, celle du nom de son roi Acrôn, que tua Romulus, est grecque. Properce lui donne l’épithète d’herculéen ; ce qui semble indiquer une origine pélasgique.

Acron Herculeus Cænina ductor ab arca. (Properce, Élégies, IV, 10, 19.)

[10] On ne sait rien de précis sur la position de Crustumerium ou Crustiminium, sinon qu’elle était près du mont Sacré, puisque Varron (De ling. lat., V, 81) appelle la fameuse sécession qui eut lieu sur cette colline Secessio Crustumerina ; selon Tite-Live l’Allia prenait sa source dans les monts Crustuminiens. (Tite-Live V, 37.) Nibby place Crustumerium à Tor-San-Giovanni. (Dint., I, 527.)

[11] Plutarque, Romulus, XVI. Virgile semble faire allusion à la tradition rapportée par Plutarque dans ce vers :

Hæc arma exuviasque viri tua quercus habebit.

[12] Denys d’Halicarnasse, II, 34.

[13] Tite-Live, I, 33.

[14] Ce nom de Feretrius semble dériver de Feretrum, désigner un dieu funéraire, peut-être Vejovis, et n’a rien à faire avec les armes que portait le vainqueur. Feretrius ne vient pas plus de ferre, porter, que de ferre, frapper, comme le veut Plutarque.

[15] Cette narration pouvait encore avoir une autre source, les Annales des Pontifes. Denys d’Halicarnasse (II, 52) parle d’une guerre entre Romulus et Tatius qui avait duré trois ans. Ce qui ne s’accorde point du tout avec son propre récit. Le récit reproduisait la tradition telle que l’avait faite l’ancien chant. La tradition et la poésie populaire résument volontiers en quelques faits généraux les faits particuliers, car l’imagination s’attache à ce qui la frappe, et la mémoire oublie volontiers quand l’imagination n’a pas été frappée. Le combat du Forum, c’est un souvenir de la poésie, qui groupe les faits ; les trois ans de guerre, c’est un renseignement recueilli dans les Annales des Pontifes qui marquaient les années.

[16] Properce, Élégies, IV, 2, 51.

Tempore quo sociis venit Lycomedius armis

Atque Sabina feri contudit arma Tati.

[17] Properce suppose que ce fut après la guerre contre Tatius que l’on fit descendre les Étrusques du Cælius pour les établir entre le Palatin et le Capitole, dans le lieu qui s’appela depuis le Quartier étrusque (Virus tuscus). Tite Live (II, 14) et Tacite (Ann., IV, 65) rapportent ce déplacement à l’époque des Tarquins, ce qui parait plus vraisemblable, car alors seulement l’espace occupé jusque-là par le Vélabre fut en partie desséché.

[18] Denys d’Halicarnasse, II, 37.

[19] Ibid., 38.

[20] Par là peut s’expliquer l’erreur de Denys d’Halicarnasse (II, 51), qui fait aussi occuper le mont Sabin, le Quirinal, par le Lucumon, allié de Romulus. La langue de terre qui unissait le Quirinal au Capitole a pu être considérée comme appartenant au premier.

[21] Denys d’Halicarnasse (II, 38) et Tite-Live (I, XI), indiquent les deux versions.

[22] Denys d’Halicarnasse, II, 40.

[23] Festus, p. 363.

[24] Élégies, V (IV), 4, 3 et suiv.

[25] Tarpeia va puiser de l’eau à une source sortant d’une grotte dont Properce fait une description charmante. Un bois sacré s’enfonçait sous un antre tapissé de lierre ; l’eau qui naissait en ce lieu murmurait parmi les arbres, demeure ombreuse de Sylvain, où la douce flûte des bergers menait boire les brebis lassées des ardeurs de l’été. C’est à cette source que Tarpeia allait puiser l’eau sacrée, une urne d’argile était posée sur sa tête.

Urgebat medium fictilis urna caput,

dit le poète qui avait vu les jeunes filles de Rome soutenir en équilibre l’urne qu’elles portaient, comme elles font encore aujourd’hui. Elle vit Tatius s’exercer aux jeux guerriers dans la plaine poudreuse ; elle admira le visage du roi, ses armes brillantes... et l’urne, que ses mains oubliaient de soutenir, tomba.

[26] Niebuhr s’engagea dans un de ces souterrains du Capitole, niais ne put aller bien loin. On y trouverait peut-être, sinon les bijoux de la belle Tarpeia, souvenir évident des anneaux d’or promis par les Sabins, d’autres trésors précieux pour les antiquaires, surtout si l’on arrivait aux favissæ du temple de Jupiter, dans lesquelles on enfouissait les objets sacrés qui ne pouvaient plus servir. Pour moi, moins heureux que Niebuhr, sur la roche Tarpéienne où je suis allé bien souvent profiter des lumières de M. Henzen, directeur de l’Institut archéologique, et des ressources d’une bibliothèque toujours mise avec empressement à la disposition des étrangers, je n’ai rencontré dans les petites filles du lieu que d’effrontées et opiniâtres mendiantes, qui, j’en suis sûr, ne savaient rien de la belle Tarpeia.

[27] Ad Janum geminum aquæ caldæ fuerunt. Var., De Ling. lat., V, 156.)

[28] Niebuhr supposait que le temple de Janus était une porte qu’on ouvrait en temps de guerre pour établir entre la ville romaine et la ville sabine une communication que les circonstances rendaient nécessaire, et qu’on fermait en temps de paix. Il expliquait ainsi la clôture du temple de Janus. L’idée est ingénieuse, mais la description de Procope qui vit encore le temple de Janus, et une médaille qui représente, montrent que c’était bien un temple et pas une porte.

[29] Macrobe (Saturnales, I, 9) place cette porte de Janus au pied du Viminal. Ceci est contraire à tous les témoignages et même au nom de la porte ; car ce nom indique la proximité du temple de Janus. Macrobe aura été induit à cette erreur de topographie pour avoir confondu avec le Viminal, qui est comme une ramification du Quirinal, l’ancien prolongement de celui-ci qui venait autrefois rejoindre le Capitole, et qui, au temps de Macrobe, n’existait plus.

[30] Fastes, I, 261.

[31] Ovide, Tristes, El., I, 3, 29-30.

Capitolia cernens,

Quæ nostro frustra juncta fuere lari.

[32] Ovide suppose que Janus arrête les Sabins au moment ois ils ont gravi le chemin qui conduisait à la citadelle, mais la tradition ne parle d’aucune attaque tentée par eux contre la citadelle et repoussée par les Romains, elle ne tonnait que la trahison de Tarpeia par qui elle leur lut livrée sans coup férir.

[33] Servius (Æn., VIII, 361) a mieux compris la situation respective des combattants. Pour lui, l’éruption des eaux bouillantes a déliré les Romains qui fuyaient et arrêté les poursuites des Sabins. Des hommes qui fuient devant des ennemis qui les poursuivent ne sont pas des assiégés qui résistent.

[34] Je ne pense pas que les chants nationaux, que l’on récitait encore au temps de Pline, fussent de véritables épopées, mais quelque chose d’analogue aux romances héroïques de l’Espagne, aux ballades épiques des peuples du nord.

[35] Silius Italicus (Guerres Puniques, VIII, 422) parle des chants sabins qui célébraient le dieu national Sancus.

[36] Le radical curis, lance, se retrouve dans ce nom comme dans celle de la ville sabine de Cures, et sous son autre forme quiris dans Quirites et Quirinal.

[37] Le marais avait été comblé, si l’on en croit Ovide. (Fastes, VI, 406.) Cependant il ne devait pas l’être complètement, car, d’après Suétone (Octave, 57), on y jetait des pièces de monnaie an temps d’Auguste.

[38] Ce bas-relief se voit dans l’escalier du palais des Conservateurs ; il a été trouvé prés de l’église Sainte-Marie Libératrice, qui fut antérieurement S. Sylvester de Lacu.

[39] Élégie III, 1, 31-2.

[40] Ovide, Fastes, VI, 795-6.

... Ædis quam Romulus olim,

Ante Palatini condidit ora jugi.

[41] On n’en a pas moins pris pour un reste du temple de Jupiter Stator les trois colonnes qui sont vues l’extrémité du Forum, assez loin de l’entrée du palais impérial. Cette opinion est aujourd’hui abandonnée aux ciceroni. Les passages d’Ovide cités plus haut auraient dû prévenir une telle erreur. Sur Un bas-relief du musée de Saint-Jean de Latran, où plusieurs monuments de ce quartier sont figurés, suivant l’opinion très ingénieuse de M. de Rossi, dans l’intention d’indiquer le chemin que devait suivre une pompe funèbre, à côté d’un arc, sur lequel on lit : Summa Velia, et qui ne peut être que l’arc de Titus, on voit la représentation d’un temple, qui est très probablement le temple de Jupiter Stator.

[42] La peinture a plusieurs fois représenté les Sabines se jetant entre les deux armées et les arrêtant. en étendant les bras, comme l’Hersilie de David. Ne viendra-t-il pas un jour à l’esprit d’un artiste de montrer l’événement d’après la version sabine ? Une telle peinture aurait au moins le mérite de la vraisemblance et de la nouveauté.

[43] Servius, Æn., VIII, 633.

[44] Ibid., VII, 709.

[45] Denys d’Hal., II, 50. C’est ce que veut dire Tacite (Ann., XII, 24) par cette assertion d’ailleurs inexacte que Tatius ajouta le Capitole à la ville. Tatius n’ajouta pas le Capitole, il le conserva.

[46] Plutarque (Romulus, 20) dit que ce fut au Comitium.

[47] Virgile, Æn., VIII, 641. Le porc et la truie figurent à Rome dans de plus anciens récits et dans les plus anciens sacrifices. Le porc est l’animal domestique des temps primitifs, il peut vivre dans les forêts avant l’époque du défrichement qui amène les pâturages, durant t’âge plus reculé où l’homme lui-même se nourrit de glands.

[48] En nous plaçant sur la voie sacrée à une égale distance entre l’arc de Titus qui marque l’entrée de la ville du Palatin et l’arc de Septime Sévère qui indique à peu près le lieu où se terminait la voie Sacrée du côté du Capitole.

[49] On disait que de là venait le nom de la voie Sacrée. (Festus, p. 290.)

[50] Denys d’Halicarnasse, II, 50.

[51] Les villages ou les villes qui s’appelèrent Forum Appii, Forum Julii, etc., reçurent cette dénomination parce qu’il y existait des marchés.

[52] Ce mot, qui vient de cum et ire, n’indique nullement, comme le veut Niebuhr, un lieu de réunion pour les Romains et les Sabins, mais simplement un lieu d’assemblée. L’emplacement du Comitium, sur lequel on a beaucoup disputé, a été pour la première fois déterminé d’une manière, selon moi, incontestable par M. Dyer, dans son excellent article Rome du Dictionary of greek and roman Geography, edited by W. Smith, t. II, p. 775, 777.

[53] Élégies, V (IV), 1, 12-14.

[54] Voyez plus loin, chap. XIII.

[55] Cet autel, consacré à une divinité du feu, comme Vesta, était probablement un ancien autel pélasge. Ce qui le confirme, c’est qu’oc y offrait des poissons à Vulcain au lieu d’âmes humaines (Festus, p. 258), souvenir de l’abolition des sacrifices humaines, qui était un souvenir de l’époque pélasgique.

[56] Pline, Hist. nat., XXXIII, 6, 3. Quæ tunc supra comitium erat.

[57] Id., ibid., XVI, 86.

[58] Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, chap. I.

[59] Denys d’Halicarnasse, II, 51-2.

[60] Dans Plutarque, le lieu du meurtre est appelé Vulcanal. (Romulus, 27.) Par Valère Maxime (V, 3, 1), la Curie. Ce mot ne peut vouloir dire ici que le lieu où le Sénat délibérait : la Curie ne fut bâtie très près, il est vrai, du Vulcanal que sous Tullus Hostilius.

[61] Ce lieu est redevenu marécageux au moyen âge et l’est demeuré plus tard, jusqu’à ce qu’on ait remplacé par des égouts modernes les égouts des Tarquins. Une inscription fixée au mur de l’église de Saint-Quirico et indiquant la présence des eaux, le nom d’Arc des Bourbiers (Arco dei Pautani), que porte encore feutrée du Forum d’Auguste, montrent combien facilement les eaux s’accumulent dans cette région.

[62] Les Sabins passaient pour n’avoir été établis à Rome qu’après la destruction de cette ville par T. Hostilius ; mais un Albain pouvait être venu s’y établir dès le temps de Romulus, lui-même originaire d’Albe.

[63] Cicéron, De Rep., II, 10.

[64] Plutarque dit (Romulus, 47) le marais de la Chèvre ou de la Chevrette. La femelle d’un chevreuil avait pu être tuée là, en sortant du bois Argiletum pour venir boire dans le petit Vélabre.

[65] On place en général le marais de la Chèvre dans le Champ de Mars, mais c’est faire aller Romulus bien loin du Palatin à travers le territoire sabin ; et on ne voit pas par quel motif. Il est naturel d’ailleurs de chercher l’emplacement d’un marais dans la région du Vélabre.

[66] Varron, De ling. lat., V, 74.

[67] Cependant la rancune sabine semble percer dans la tradition d’un Romulus, roi impie d’Albe, roi latin, qui avait été foudroyé.

[68] L’Ædes Romuli sur le Palatin n’était pas un temple, mais la cabane de Romulus. Quant au temple de Romulus et de Remus, dont on croit reconnaître un reste dans la partie inférieure de l’église de Saint-Cosme et Saint-Damien près du Forum (Nibby, Rom. ant., II, 710-711), il n’a jamais existé. Les passages des écrivains des bas temps et que cite Nibby, on, l’on trouve templum Romuli ou templum Romi ; ne se rapportent ni à un temple de Romulus ni à un temple de Remus. Romi a été écrit par erreur pour Romæ (Preller, Die Regionen der Stadt rom., p. 7), et Romuli par une confusion née de la première. Il ne s’agit d’autre chose que du temple de vénus et de Rome nommé souvent temple de Rome et construit au-dessus de la voie Sacrée, là où est indiqué le prétendu temple (Becker, Handb., I, 238) appelé tour à tour de Romulus et de Remus, et que l’on a sans raison supposé avoir été dédié aux deux frères. Ce fut sans doute par suite de cette attribution erronée que l’on consacra à deux martyrs frères aussi l’église élevée au lieu où fou croyait que le temple avait existé. Cette erreur a pu être confirmée par les médailles qui représentent un temple de Romulus, temple rond comme l’était celui sur lequel on a bâti l’église de Saint-Cosme et de Saint-Damien ; mais le temple figuré sur ces médailles est celui de Romulus, fils de Maxence.

[69] Romulus, 20.

[70] On peut les aller chercher dans Plutarque à la fin de la vie de Romulus. Dans l’une d’elles figure un figuier sauvage (Caprificus) amené là par le nom des nones caprofines. Les traditions dont l’origine est postérieure à l’événement auquel elles se rapportent, et par conséquent entièrement fausse, naissent souvent d’un calembour.

[71] On disait aussi que c’était le tombeau du berger Faustulus, celui qui recueillit les enfants exposés. Là était un lion en pierre. (Denys d’Hal., I, 87.) Le lion ne peut appartenir à la tradition latine et doit se rapporter à quelque tradition pélasge. Le lion en Grèce se plaçait sur les tombeaux des guerriers. (Pausanias, IX, 411, 5.) Peut-être avait existé en cet endroit le tombeau de quelque héros pélasge, celui de Romulus était indiqué par une pierre noire également dans le Comitium. (Festus, p. 177.)

[72] Cicéron, De div., I, 17.

[73] Romulus, 7.

[74] De là un chemin creux, tournant à gauche, conduisait au grand Cirque passant au-dessous du bel escarpement (Kalè actè) qui allait rejoindre l’angle occidental du Palatin d’où un escalier descendait directement au Cirque. On se représente très clairement cette disposition des lieux en combinant un passage de Denys d’Halicarnasse (I, 79), et un passage de Plutarque (Romulus, 20). La position précise de la cabane de Romulus, qui était près du Germale (Varron, De ling. lat., V, 54), détermine celle de cette éminence qui n’existe plus, mais qui existait encore à la fin de la république ; elle faisait saillie sur la face nord-ouest du Palatin ; nous la retrouverons un jour dans l’histoire de Cicéron.

[75] Ovide, Fastes, III, 184 ; Virgile, VIII, 654. Elle durait encore au temps de Vitruve, qui dit l’avoir vue. (II, 1.) Ovide et Virgile ont donc pu la décrire d’après nature.

[76] Pas tout à fait aussi anciennes cependant que l’ont pensé ceux qui supposaient ces antiquités antérieures aux volcans, qui ont précédé l’apparition de l’homme sur la terre. On les avait trouvées au-dessous d’une couche de lave, et l’on ne s’était point aperçu que la tombe qui les renfermait avait été creusée plus bas, sur le bord d’une route que l’on n’avait pas découverte ; il avait été facile d’ouvrir le flanc de la montagne au-dessous de la lave sans avoir à la percer par en haut. Je dois ce renseignement topographique, ainsi que plusieurs autres plus importants, à M. Rosa.