L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

PREMIÈRE PARTIE — LA ROME PRIMITIVE ET LA ROME DES ROIS

IV — PREMIERS OCCUPANTS DU SOL ROMAIN.

 

 

Le prologue du grand drame de l’histoire de Rome est récité par des voix lointaines, dont la distance ne laisse arriver à notre oreille qu’un retentissement affaibli à travers les siècles.

Quelques mythes, quelques noms de race, quelques faits qui se sont transmis, on ne sait par quelle voie, composent un ensemble confus où il faut tâcher de démêler un peu de vérité. Mais il y a un grand attrait pour la science et pour l’imagination à deviner ce qui est caché, à retrouver au moins en partie ce qui semble anéanti.

C’est le plaisir et la gloire des géologues qui, avec quelques débris, recomposent une création évanouie. L’histoire a aussi ses races perdues, son passé évanoui dont il ne reste que quelques fragments et qu’elle peut tenter de recomposer.

L’histoire, avant d’arriver aux époques certaines, en rencontre d’autres plus anciennes et plus douteuses qu’elle ne doit pas, négliger.

Si, pour écrire l’histoire de Rome, il fallait attendre l’âge de la pleine certitude. on devrait passer sous silence toute l’époque des rois ; cette époque, dont il nous reste des monuments, et entre autres un monument admirable, la Cloaca Maxima. Je ne consentirai jamais, pour ma part, à ne rien dire d’un temps dont je vois et touche les œuvres. Je ne supprimerai donc pas la période légendaire, dans laquelle quelques faits véritables, bien qu’altérés, se mêlent à des données trop souvent inexactes, mais qui contiennent sous la forme d’un récit parfois imaginaire d’incontestables réalités.

Avant cette histoire légendaire, qui commence avec Romulus, il y en a une autre où la réalité est encore plus difficile à découvrir, mais qui n’est pas pour cela dénuée de toute réalité. C’est ce qu’un homme qui avait un sentiment profond des temps primitifs, M. Ballanche, appelait si bien l’histoire crépusculaire ; il avouait ingénument que cette histoire seule l’intéressait. Je n’en dirai pas autant, mais elle m’intéresse aussi beaucoup. Plongeons donc nos regards curieux dans ce crépuscule de l’histoire romaine, accoutumons-les à voir, à travers ces obscurités, non pas le détail des faits, ce serait impossible, mais leurs masses et leurs grands contours se dessiner au sein d’une pâle lumière qui n’est pas encore le jour, et qui n’est déjà plus la nuit.

La comparaison de l’état actuel des lieux et de leur état ancien pourra jeter quelques lueurs sur ces demi ténèbres ; elle donnera du moins à une recherche attachante et difficile de la précision et de la consistance ; elle confirmera presque toujours et éclaircira souvent les renseignements peu nombreux que nous possédons sur les antécédents historiques de Rome, qui sont en général d’accord avec ses antécédents physiques ; et je crois que cette introduction à l’histoire romaine aura gagné à être écrite, comme l’histoire romaine elle-même, à Rome.

Enfonçons-nous d’abord dans cette forêt que nous avons retrouvée, qui, commençant à la mer, couvrait la plaine et les montagnes. Elle nous apparaîtra habitée, comme les forêts vierges de l’Amérique, par une race à l’état sauvage ; ce sont ces faunes, ces hommes des bois[1], qu’on disait nés de l’écorce des chênes, parce qu’on ne leur savait pas d’aïeux[2].

Quelque opinion que l’on embrasse touchant l’origine des sociétés, et je n’examinerai point ici ces opinions, il est certain que chez les peuples de l’Italie et de la Grèce, on trouve établie la croyance à un état primitif, dans lequel les hommes sans lois, sans propriété, sans établissement fixe, errent dans les bois, et, ne sachant pas encore cultiver le blé, se nourrissent de glands.

A Rome, la philosophie s’empara de cette croyance et la développa avec complaisance, comme devait le faire chez nous la philosophie du dix-huitième siècle. La poésie se complut aussi à ces peintures. L’une et, l’autre s’appuyaient sur un fait traditionnel à la vérité duquel, en ce qui concerne le pays que nous étudions, rien n’empêche de croire.

Ainsi, sur ce sol où la civilisation devait parcourir toutes ses phases, il y aurait eu une époque antérieure à la civilisation elle-même, époque durant laquelle les populations les plus anciennes du Latium et de la Sabine auraient vécu sans lois régulières, sans demeures permanentes, tribus nomades de chasseurs et de sauvages[3].

Cette première époque antérieure à toute civilisation se rapporte aux temps qui précédèrent le défrichement de la grande forêt. La chasse est pour un peuple sauvage le seul moyen d’exister, et la chasse a besoin de grandes forêts ; on le voit bien en Amérique, où les tribus indigènes périssent quand les forêts sont abattues et disparaissent avec elles.

Aucun édifice religieux dont aient pu subsister les ruines ou même la mémoire ne remonte à cet âge primordial des populations latines, car ce n’est pas encore l’âge des temples, ce n’est pas celui d’un culte régulier. Le fétichisme est la religion des peuples sauvages, les tribus américaines invoquaient comme des êtres surnaturels l’ours et le serpent ; dé même les habitants de la vieille forêt latine éprouvèrent un respect superstitieux pour le pic-vert, cet oiseau solitaire qui habite le plus épais des bois, d’où, invisible, il fait entendre les coups répétés dont son bec frappe .les arbres, bruit mystérieux et qui put sembler divin.

Aussi ces hommes primitifs firent-ils naître de Picus Faunus, père de, leur race, et crurent-ils que le pic-vert rendait des oracles, comme Faunus lui-même.

L’idée de divination est une des premières idées religieuses que conçoivent les sociétés imparfaites ; j’attribue donc à cet âge antique les oracles de Faunus placés près des sources sulfureuses que leurs vertus salutaires firent envisager comme sacrées, c’est ainsi qu’une eau minérale, aux portes de Rome, est appelée de nos jours l’eau sainte, acqua santa.

L’oracle de Faunus, que dans l’Énéide va consulter le roi Latinus, était près d’une eau blanchie par le soufre et qu’on a cru à .tort être la solfatare de Tivoli.

Un autre oracle de Faunus est indiqué sur l’Aventin[4], où l’histoire de Cacus vomissant des flammes prouve que certains phénomènes volcaniques ont continué à se produire après,l’âge des volcans. Les eaux sulfureuses ont la même origine et, plus près de cette origine, étaient plus abondantes que de nos jours. Tout, dans ces superstitions primitives, nous ramène donc à des temps où la période volcanique moins éloignée se manifestait encore par des effets qui devaient agir vivement sur l’imagination des hommes ; aussi ces oracles avaient-ils un caractère sombre, infernal. Quand le roi Latinus va consulter l’oracle de Faunus qui se manifestait dans le sommeil, il dort sur des peaux de brebis noires. Les brebis noires étaient l`offrande consacrée aux dieu x souterrains et infernaux. Ennius, parlant des vers antiques que chantaient les Faunes et les devins, dit :

Fauni Vatesque canebant.

Quand je lis ces deux derniers mots, vates canebant, mon oreille m’avertit que là est l’origine du mot Vaticanus, Vatican[5], et je suis porté à placer en ce lieu avant les Étrusques, qui plus tard l’habitèrent, un oracle de Faunus, c’est-à-dire de l’époque de Faunus, de l’époque où vivaient les Faunes, les hommes de la forêt, les premiers habitants du pays.

Puis on aperçoit un progrès social. Ces peuples chasseurs deviennent agricoles. Ces hommes brutaux, qui pour se nourrir ramassaient le gland des chênes, cultivent la terre et en recueillent les produits ; l’avènement de ce nouvel état social est désigné dans la tradition par l’arrivée et par le règne de Saturne.

Saturne est un dieu paisible ; son règne est l’âge d’or, qui, pour la tradition et polir la philosophie romaines, n’était pas le commencement de l’humanité, mais son premier progrès. Saturne est un dieu agricole, dont le nom veut dire le semeur[6] ; il est l’inventeur de l’art de greffer et de toutes les méthodes d’agriculture[7] ; sa femme est Ops la richesse, parce que la richesse vient d’abord de la terre cultivée. Si Saturne s’appelle Stercutius ou Sterculus, c’est qu’il a fait connaître l’emploi du fumier[8]. Ce nom, qui a semblé ridicule aux auteurs chrétiens des premiers siècles et dont ils ont fait une raillerie contre le paganisme[9], était un nom justement sacré, car il glorifiait sous une forme grossière la culture du sol, qui est le premier pas des sociétés vers la civilisation[10].

La faux de Saturne, dont on a fait la faux du temps dans l’âge des allégories abstraites, quand on a voulu voir dans le plus ancien dieu du Latium une personnification du temps, la faux de Saturne n’était dans l’origine qu’un instrument rustique. Elle représentait l’introduction de l’art d’émonder la vigne[11], de faucher l’herbe[12] et de moissonner le blé[13].

Les vertus de famille naissent avec la vie stable de l’agriculteur remplaçant la vie nomade du chasseur ; aussi l’âge de Saturne était l’âge de la chasteté conjugale, et Juvénal a dit, non sans ironie satirique : Je crois que la pudicité a habité la terre... sous le règne de Saturne[14]. Comme il aurait dit quand Berthe filait.

Le règne de Saturne est donc le symbole de la vie agricole remplaçant la vie sauvage[15].

Comme c’est un âge de paix, c’est un âge d’égalité ; là où il n’y avait pas de guerre, il ne pouvait y avoir d’esclaves[16]. C’est donc le règne de l’égalité, qu’on faisait peut-être sagement de placer dans l’âge d’or.

Aussi les saturnales seront une fête commémorative de cette égalité primitive ; les esclaves seront libres pendant trois jours et même servis par leurs maîtres ; les saturnales seront un temps d’allégresse, car elles rappelleront un état d’idéale félicité. Pendant ces fêtes destinées à célébrer le souvenir d’une société paisible et innocente, on ne pourra déclarer la guerre à personne[17], les tribunaux s’abstiendront de juger, car sous l’empire de Saturne il n’y avait pas de lois, on ne connaissait pas la contrainte, la différence du mien et du tien n’existait pas.

En effet, le règne de Saturne, c’est déjà l’agriculture, ce n’est pas encore la propriété.

Alors nul ne possédait rien en propre, et il n’était pas permis de marquer la limite de son champ, les maisons n’avaient point de portes, tout était commun à tous[18].

C’est l’âge de ce communisme naïf par lequel les sociétés naissantes peuvent commencer, mais vers lequel ce serait une démence et une honte aux sociétés avancées de vouloir rétrograder, car elles lui échappent en se perfectionnant. La société latine aura fait un pas de plus vers la civilisation et un pas considérable, le jour où chacun marquera avec soin la limite de son champ, le jour où le gardien du droit de propriété, le dieu Terme, viendra s’installer au Capitole, d’où il ne se laissera pas déplacer, même pur Jupiter.

Le froment ne paraît point avoir été cultivé par lei premiers agriculteurs du Latium ; ils cultivaient surtout le far (l’épeautre) ; c’est pourquoi cette sorte de grain figurait dans la cérémonie du mariage romain et donnait son nom au rite le plus solennel par lequel on le célébrait, la confarreatio, vraisemblablement parce que le mariage était considéré comme ayant été introduit pendant le règne de Saturne et l’organisation de la famille comme ayant commencé avec l’agriculture.

Je m’arrête avec un certain charme à cet âge d’une paix idéale dont les sociétés en travail placent volontiers l’illusion près de leur berceau. Mais les sociétés ne commencent point par la paix. Cependant rien, n’est entièrement faux dans les traditions antiques ; celle-ci, d’ailleurs, en cela très vraisemblable, nous a montré la vie sauvage du chasseur avant la vie tranquille du cultivateur, et l’on peut admettre qu’il y a quelque vérité dans ce souvenir d’une existence douce sur une terre fertile, où le, miel ne coulait point du tronc des chênes, où les fruits ne naissaient pas d’eux-mêmes, mais où des tribus errantes devenues agricoles, oubliées dans ce coin alors ignoré du monde, ont pu jouir d’une félicité obscure à laquelle devaient succéder tant d’agitation et tant de gloire, tant de grandeur et tant de misère.

Les Latins, ce sont les habitants de l’antique forêt civilisés par Saturne, et c’est ce que veut dire Latinus, fils de Faunus[19].

L’influence de cette première civilisation, dont l’arrivée de Saturne figure l’avènement, ne fut pas bornée à la plaine du Latium, elle paraît s’être étendue à une grande partie de l’Italie. L’Italie tout entière a porté le nom de Saturne, Saturnia tellus ; elle n’était pas cependant destinée à être une terre de paix. Les sommets des montagnes y furent consacrés à ce dieu. Un sommet du mont Lucretile dans la Sabine s’appelle encore aujourd’hui, dit-on, la colline de Saturne.

Ceci nous amène à Rome, où peut-être on jugera que je tarde trop d’arriver ; mais, avant d’y trouver Saturne donnant au Capitole son premier nom et recevant le plus ancien hommage qu’ait reçu à Rome aucune divinité, sur un autel dont la place est encore marquée parles colonnes du. temple qui l’a remplacé, il fallait bien savoir ce qu’était ; Saturne et ce que signifiait dans l’histoire le règne mythologique de ce dieu.

Le nom que porte le Capitole est, en comparaison de son nom antique, d’une époque bien récente ; il ne date que des Tarquins. Jusque-là le Capitole s’appelait mont de Saturne[20] : Saturne devait être chassé par Jupiter du Capitole comme il l’avait été du ciel.

On disait que sur ce mont[21] et au pied de ce mont[22] avait jadis existé une ville nommée Saturnia ; une porte de cette ville s’appelait porta Pandana[23], parce qu’elle était toujours ouverte. Dans l’âge de Saturne, les portes ne se fermaient point.

On se figurait cette ville de Saturnia comme bien antique, car, dans Virgile, Évandre en montre à Énée les ruines.

Saturne était le grand dieu latin ; la ville de Saturnia fut donc un premier établissement latin sur le Capitole, une première Rome latine, quand ces noms Capitole et Rome n’existaient pas encore. Chose étrange 1 en remontant jusqu’à l’âge mythologique, la plus vieille tradition que l’on rencontre à Rome, dans cette Rome qui s’est tant agitée elle-même et a tant tourmenté le monde, dans cette Rome qui a grandi, vécu, régné, péri par la guerre, c’est la tradition d’un âge de paix représenté par le règne paisible de Saturne ; avant qu’il y eut une Roma, ville de la force, il y eut une Saturnia, ville de la paix.

Aujourd’hui le Capitole ne s’appelle plus le mont de Saturne ; l’ancienne ville de Saturnia et la porte Pandana[24] n’ont laissé aucun vestige ; mais le lieu où s’élevait dans la plus haute antiquité l’autel de Saturne est indiqué à celte heure par ce qui reste d’un temple refait et réparé bien des fois.

Les huit colonnes aujourd’hui debout entre le Forum et le Capitole, et qui ont été remaniées à une époque de décadence, sont pour ainsi dire la dernière édition, non pas corrigée, mais très altérée du sanctuaire de Saturne. Là, fut primitivement l’autel du dieu à l’entrée d’une gorge[25] qui conduisait sur le Capitole. Cette gorge sauvage devait devenir la voie triomphale que nous voyons encore.

Là, — précisément au lieu où ces huit colonnes d’une architecture barbare et d’un art corrompu s’élèvent mutilées et raccommodée, grossièrement, entre les ruines du Forum et ce qui reste du Tabularium romain flanqué de tours du moyen âge, qui fut au quinzième siècle transformé en un magasin de sel, et. que surmontent les bureaux de la municipalité romaine, — s’éleva jadis, au milieu des arbres, entre un marais et un rocher, l’autel de Saturne, dieu du Latium primitif. Tout, à Rome et en Italie, est plus moderne que ce souvenir-là[26].

Probablement la citadelle était sur le mont Saturnien. La ville, si l’on en croit Festus[27], était au pied, là précisément où s’élevait l’autel de Saturne : Festus appelle cette ville Castrum ; ce ne pouvait guère, en effet, être autre chose qu’un camp fortifié. Rome, même à l’époque où l’on plaçait le règne de la paix, a commencé par être un camp.

On plaça dans le temple consacré à Saturne le trésor (ærarium), parce que Saturne, auquel on rattachait toute idée de civilisation dans le Latium, passait pour avoir introduit l’usage de la monnaie, et aussi en mémoire de l’âge d’or, cet âge de communisme innocent, dans lequel le larcin était inconnu[28] ; un tel souvenir était un anachronisme et ne fut pas une protection, comme le prouva César en volant le trésor. Au moyen âge, le temple de Saturne, que le Pogge vit encore à peu près intact au quinzième siècle, s’appelait la Monnaie[29].

Il existe donc à Rome un monument qui, par son origine, remonte à l’époque reculée où la tradition plaçait l’âge d’or.

A la mythologie va succéder l’histoire, et devant l’histoire l’âge d’or va disparaître. Nous allons voir passer sur le sol romain divers peuples sous les noms de Sicules, Ligures, Aborigènes, Pélasges, se chassant les uns les autres d’une terre qui n’était pas faite pour eux et que de plus grandes destinées attendaient.

Aux Sicules , qu’on regardait comme les premiers occupants du sol romain[30], on attribuait la fondation de plusieurs villes voisines, parmi lesquelles Antemne, aux portes de Rome, et qui fut sa première conquête ; Tibur, aujourd’hui Tivoli, la ville des cascatelles.

Nulle trace n’existe d’un monument qui puisse avec certitude être attribué aux Sicules[31] ; leur monument, c’est leur nom qu’on a cru retrouver sur quelques points de l’Italie centrale[32] et qui encore aujourd’hui est le nom de la Sicile.

Chassés du centre de l’Italie, les Sicules se dirigèrent vers l’Italie méridionale. C’est ce que signifie l’histoire de Sikelos fuyant de Rome et reçu par le roi Morgès[33].

Puis, les Sicules passèrent le détroit et s’établirent dans une grande île, qui, après avoir été en tout ou en partie phénicienne, grecque, carthaginoise, byzantine, arabe, normande, s’appelle encore, du nom de ces antiques Sicules, la Sicile.

Dans celte migration du nord au sud, les Sicules s’arrêtèrent aux lieux où devait être Rome ; car il est dit qu’ils furent, ainsi qu’un autre peuple auquel ils paraissent avoir été associés, les Ligures, chassés du Septimontium[34]. Ce nom de Septimontium mérite de nous arrêter, car il désigne, je crois, je ne dirai pas la Rome, mais l’avant-Rome des Sicules et des Ligures.

Serait-il possible par hasard de se former aujourd’hui une idée de ce qu’était la ville siculo-ligure et de l’espace de terrain qu’elle couvrait ?

Cela est très hardi sans doute, mais n’est pas, je crois, insensé, car le lieu d’où les Sicules furent chassés s’appelait le Septimontium ; or nous savons ce qu’était le Septimontium. Ce mot, qu’on peut traduire par les sept monts, ne désigna jamais, dans l’usage, les sept collines de la rive gauche qu’enferma plus tard l’enceinte des rois ; par le Septimontium, on entendait un autre ensemble de collines auquel se rapportait une fête antique appelée elle-même Septimontium. Parmi les sept hauteurs sur lesquelles on offrait les sacrifices du Septimontium, ne figurent, point plusieurs de celles dont se compose l’ensemble classique des sept collines de Rome, et figurent au contraire des sommets qui n’ont jamais fait partie de cet ensemble ; c’est un groupe de collines, dont la division et l’extension diffèrent de la division et de l’extension qui furent plus tard celles de Rome ; le Septimontium est topographiquement une autre Rome que la Rome de l’histoire[35].

Les sept monts de celle-ci sont, comme chacun sait, le Palatin, l’Aventin, le Capitole, le Cœlius, le Quirinal, le Viminal et l’Esquilin. Dans la fête du Septimontium, les sommets sur lesquels on sacrifiait étaient le Palatin, la Velia, le Germale, le Fagutal, l’Oppius et le Cispius, auxquels on joignait la Subura[36].

Nous ne trouvons dans cette énumération des hauteurs, comprises dans le Septimontium, ni l’Aventin, ni le Capitole, ni le Cælius[37], ni le Quirinal, ni le Viminal ; par contre, on y trouve le Fagutal, l’Oppius et le Cispius, cimes secondaires de l’Esquilin, et deux collines attenant au Palatin, dont l’une, le Germale, a entièrement disparu, et l’autre, la Velia, est à peine reconnaissable aujourd’hui.

Ceci nous reporte évidemment à une époque très reculée, à un temps où la Velia, le Germale, le Fagutal, le Cispius, l’Oppius, abaissés depuis, et confondus avec le Palatin et l’Esquilin dont ils faisaient partie, étaient encore assez abrupts pour s’en détacher et compter parmi les sept collines d’alors, qu’on appelait le Septimontium.

Or, nous l’avons vu, c’est du Septimontium que les Sicules et les Ligures ont été chassés[38], le Septimontium était donc la ville des Sicules et des Ligures, bornée au Palatin et à l’Esquilin avec leurs dépendances.

S’il en est ainsi, on peut tracer aujourd’hui l’enceinte de la ville siculo-ligure : car la persistance d’un culte, né d’un état ancien et attaché, comme il arrive, aux localités où il avait pris naissance, nous a conservé la mémoire de cette ville antérieure aux Romains, et nous permet, chose assez curieuse, d’en retrouver la place et d’en déterminer l’étendue.

Festus, parmi les hauteurs dont se compose le Septimontium, nomme la Subura. Ceci semble indiquer que la tradition rapportait aussi la population primitive de la Subura aux Sicules ou il leurs alliés les Ligures, qu’elle présente tous deux comme habitant le Septimontium.

Des quatre tribus urbaines de Servius Tullius, la tribu Subura fut la première ; elle comprenait le mont Cælius tout entier, par conséquent aussi tout l’espace intermédiaire[39].

Comment la Subura, si elle était dans un enfoncement, pouvait-elle faire partie des sept monts de la ville des Sicules et des Ligures ?

Le fond de la Subura confinait, il est vrai, au bois Argiletum et à l’extrémité des marécages qui dépendaient du Vélabre ; mais la Subura gravissait aussi les pentes des trois collines entre lesquelles elle se trouvait circonscrite[40], et elle était fortifiée du côté de l’Esquilin[41].

Quand Servius enveloppa les sept collines et les populations d’origines diverses qui les habitaient dans une commune enceinte, la Subura y fut englobée comme le reste. Ce nom devint plus tard celui d’un quartier bruyant et mal famé ; mais un usage singulier me semble avoir perpétué le souvenir de l’origine particulière et de l’existence à part des habitants de l’ancienne Subura.

A home, tous les ans au mois d’octobre, on immolait un cheval à Mars, dans le champ consacré à ce dieu ; c’était une très vieille et très auguste solennité[42]. Le sacrifice accompli, il s’établissait une lutte acharnée, une sorte de combat entre les habitants de la Subura et les habitants du quartier de la voie Sacrée, qui se disputaient la tète du cheval ; si c’étaient ceux de la voie Sacrée qui l’emportaient, ils allaient déposer leur singulier trophée à la Regia, au pied du Palatin ; si c’étaient les habitants de la Subura qui triomphaient, ils le clouaient à une tour de leur bourgade appelée la tour Mamilia. L’origine de cette espèce de petite guerre annuelle était sans doute dans quelque inimitié locale des deux quartiers, tenant peut-être elle-même à une diversité et à une hostilité de races. Si les hommes de la Subura avaient été Sicules ou Ligures, et si les hommes de la voie Sacrée avaient été Pélasges, — ce qui se pourrait, car les Pélasges occupèrent le Palatin au pied duquel passait la voie Sacrée ; — et si les Pélasges avaient chassé, comme nous serons conduits à l’admettre, les Sicules et les Ligures, on conçoit que la haine entre les localités ait continué la haine entre les races. La même chose est arrivée ailleurs. A Pise, tous les ans, sur le pont de l’Arno, avait lieu une lutte quelquefois assez sérieuse ; à voir l’acharnement avec lequel on combattait des deux côtés, il semblait qu’il y eût là aussi quelque ancienne haine nationale, la haine par exemple des Étrusques pour les Ligures qui leur disputèrent autrefois le territoire actuel de la Toscane.

Ce nom de Ligures me rappelle que la tradition associait aux Sicules un autre peuple, les Ligures.

Les Ligures s’étaient établis comme les Sicules sur le Septimontium, car ils en furent chassés avec eux, ou les en chassèrent.

Il ne s’agit plus d’une race obscure dont on ne sait d’une manière certaine ni l’extraction ni la parenté. Les Ligures ont été une grande nation et appartiennent à une grande race.

Les Ligures n’ont pas, comme les Sicules, disparu de l’Italie devant les. Pélasges ; ils y ont occupé un vaste pays depuis les confins de la France actuelle jusqu’à ceux de la Toscane, du Var à la Macra. Ils se sont maintenus longtemps en possession de la côte à laquelle ils ont laissé le nom de Ligurie et du pays montagneux qui l’avoisine ; retranché dans cette âpre contrée, le peuple Ligure a tenu très tard contre les Romains, et le dernier des peuples italiotes a lutté pour son indépendance. Strabon remarque qu’il fallut quatre-vingts ans de guerre pour conquérir sur la côte un Terrain qui n’avait que la largeur d’une demi lieue[43].

Les Ligures faisaient partie de la grande race ibérienne qui posséda jadis une portion considérable de l’Espagne et de la Gaule méridionale où elle a précédé la race celtique ; refoulée au sein des Pyrénées, elle s’y est cantonnée dans quelques hautes vallées, les unes françaises, les autres espagnoles, où elle a maintenu avec une incroyable ténacité sa nationalité et sa langue, laquelle ne ressemble à aucune langue connue. Ce débris, qu’on dirais !. indestructible, des Ibères, ce sont les Basques.

Les Ibères d’Italie ou Ligures étaient donc les frères aînés des Basques, ils parlaient un dialecte de la langue que ceux-ci parlent encore ; différents noms de lieu dans la Ligurie ont une racine qui se retrouve dans le basque[44], le nom même de la nation est basque[45].

Certains traits caractéristiques des Ibères se remarquent chez leurs descendants, surtout l’agilité. Celle des Basques est proverbiale, celle des montagnards de la Ligurie a frappé les voyageurs. Celui qui traverse les montagnes de la Ligurie, dit Micali, y voit le paysan, leste et agile, porter sur sa tête de très pesants fardeaux pour un très mince salaire.

C’est bien là ce Ligure, ennemi léger à la course, prompt, soudain, dont parle Tacite[46], le Ligure endurci à la fatigue et aux privations, tel que le peint Virgile[47].

A ces qualités. du Ligure, les Romains en ajoutaient une autre, celle de menteur et de rusé[48] ; je ne sais si on accuse les Génois de ce défaut, en ce qui concerne les Basques, l’accusation intentée à leurs frères les Ligures est repoussée par leur franchise et leur loyauté bien connues. Si l’on voulait trouver quelque fondement à cette fâcheuse renommée des Ligures, peut-être faudrait-il en chercher une confirmation adoucie dans un défaut souvent reproché aux Gascons ; chez lesquels on trouve dans le nom du pays qu’ils habitent (Vasconia), dans d’autres noms de lieu et dans beaucoup de noms propres, des traces plus sérieuses et plus réelles de la présence des Ibères[49].

Si les Ligures étaient des Ibères et si les Basques sont de race ibérienne, il en résulte qu’on a parlé basque ou à peu près, à Rome. Le fait est vraiment curieux, mais home est la ville où l’on rencontre tout et où il ne faut s’étonner ce rien.

Guillaume de Humboldt est arrivé à déterminer, à l’aide des noms de lieu retrouvés dans le basque, quelles furent les parties de l’Espagne occupées par les Ibères, et, grâce à ce procédé très ingénieux, il a pu dresser pour ainsi dire une carte rétrospective de l’Ibérie espagnole ; il a indiqué accessoirement ce qu’on pourrait faire pour déterminer aussi par les noms de lieu l’extension des Ibères en Italie.

Dès aujourd’hui, les Ligures peuvent être suivis dans presque toute l’Italie, au moyen des noms de lieu à physionomie ibérienne.

D’après cela, il n’est pas trop surprenant qu’ils soient venus jusqu’à Rome.

Sans parler de la Liguria à laquelle ils ont donné leur nom qu’elle conserve encore, on peut les suivre en Étrurie[50], en Ombrie[51], dans le Picentin[52], dans la Sabine[53], en Sardaigne[54] et dans l’île d’Elbe[55], enfin dans l’Italie méridionale[56].

Le Septimontium se trouvait sur la route des Ligures qui, ainsi que leurs associés les Sicules, allaient du nord au sud ; il est donc naturel qu’ils s’y soient arrêtés et y aient formé avec eux cet établissement qui a précédé Rome, à Rome.

Aussi, c’est dans le voisinage de cette ville et à Rome même qu’on trouve dans les noms de lieux les signes les plus frappants de la présence du peuple ligure.

Elle est manifeste dans le nom d’Astura, petite île à l’embouchure d’une rivière qui s’appelle aussi Astura. Ce nom est ibérien et veut dire, en basque, le rocher du fleuve, ce qui convient à l’îlot, ou le fleuve du rocher, ce qui convient à la rivière.

Albe semble avoir reçu son nom des Ligures qui auraient été ses premiers habitants : car s’il y avait non loin de Rome deux villes d’Albe[57], il y avait aussi plusieurs villes du même nom ou d’un nom très semblable chez les Ibériens de l’Espagne, de la Gaule et de la Ligurie[58]. On ne peut guère douter, d’après cela, que ce nom Alba ne soit un nom ligure et que les Ligures n’aient précédé les Latins dans l’ancienne métropole latine[59].

Mais c’est à Rome même que cette attribution parle basque, idiome ibérien, de certains noms de lieux aux Ibériens Ligures, a surtout de l’importance ; elle confirme ma conjecture sur le Septimontium ; dans lequel j’ai vu une Rome ou plutôt une anté-Rome, habitée par les Sicules et les Ligures.

Si les Ligures ont occupé une portion du Septimontium, on doit retrouver dans quelques parties du Septimontium des noms ibériens, vestiges persévérants de l’occupation Ligure ; c’est ce qui a lieu en effet pour la Subura et pour l’Esquilin.

En Espagne, parmi les noms de souche ibérienne, je remarque celui d’un lieu appelé Subur[60]. Le nom de la Subura remonte donc aux Ligures. Quand Martial traversait, pour aller chez Pline le Jeune, l’emplacement de cette antique bourgade, devenu un quartier de Rome sale et bruyant, il ne soupçonnait pas d’où venait le nom de ce quartier.

Ni lui, ni aucun Romain ne se serait douté non plus de ce que la philologie nous révèle, savoir que le mot Esquiliæ (l’Esquilin) voulait dire demeure des Ligures. Dans la langue basque, ilia a le sens de ville ; esk est, selon M. de Humboldt[61], le nom national des Ibères de nos jours, des Basques. Sans doute, ce nom était déjà celui des Ibères d’alors, des Ligures.

Au bas de l’Esquilin et aux confins de la Subura, s’élevait le bois nommé Argiletum. Ce bois paraît avoir, comme l’Esquilin et la Subura, reçu son nom des Ligures[62] ; le quartier des Carines (Carinæ), dépendant de la Subura, pouvait lui-même avoir un nom ligure[63].

Ceci non seulement confirme la tradition, mais encore la complète, et nous permet d’aller au-delà de ce qu’elle nous apprend elle nous apprend seulement que les Sicules et les Ligures habitèrent le Septimontium ; elle ne nous dit pas quelle partie du Septimontium chacun des deux peuples habitait ; mais ce que la tradition ne nous dit pas, nous pourrons le découvrir ; oui, nous pourrons, je crois, aller jusque là dans cette reconstruction de la topographie historique de Rome avant Rome.

La ville siculo-ligure du Septimontium se composait, comme nous l’avons vu, du Palatin, de l’Esquilin avec leurs sommets secondaires, et de la Subura.

L’Esquilin, la Subura, qui y touchait, le bois Argiletum, qui confinait à l’un et à l’autre, probablement les Carines, qui tenaient à la Subura, portaient des noms ibères. C’était donc la partie du Septimontium habitée par la portion ibérienne de la population ; c’était le quartier des Ligures ; les Sicules devaient demeurer sur l’autre partie du Septimontium, sur le Palatin, où en effet, jusque sous l’empire, était un lieu appelé Sicilia[64].

Outre les noms de lieu, le seul vestige que les Ligures aient pu laisser à Rome après eux, il faudrait le chercher dans la langue que l’on parle en cet endroit où ils sont venus. Il doit rester dans l’italien des mots dérivés du latin et que le latin avait reçus des Ligures ; car un peuple ne passe jamais par un pays sans déposer quelques mots dans la langue de ce pays, comme un voyageur laisse, en partant, un souvenir à ceux qui l’ont reçu. Y a-t-il des mots latins d’origine ligure, c’est-à-dire ibérienne, et dont par conséquent on puisse trouver les analogues dans le basque ? Guillaume de Humboldt en cite plusieurs[65], et il serait possible qu’il y en eût davantage. Certains noms propres latins me paraissent indiquer une origine ibérienne, c’est-à-dire ligure. Le plus remarquable, à cet égard, est le nom de Virgile[66].

J’ai rassemblé et tâché de coordonner tout ce qu’un peut entrevoir de l’établissement des populations anciennes sur le sol qui devait s’appeler le sol romain, et, malgré l’insuffisance des matériaux, nous avons pli apporter quelque précision même topographique dans l’histoire de ces établissements ; nous avons pu rattacher un monument qui subsiste encore à l’époque la plus antique de la tradition latine, à l’époque personnifiée dans le dieu Saturne, et dessiner assez nettement le contour de la ville anté-romaine des Sicules et des Ligures.

La curiosité, qui s’attache surtout à ce que l’homme ne peut qu’imparfaitement découvrir, se prend avec passion aux plus faibles lueurs qui traversent la nuit des temps primitifs. Sous toutes les couches de souvenirs qu’ont ici lentement déposées, et superposées les siècles, les entassant : l’une sur l’autre, comme les débris graduellement amoncelés sur le sol de Rome ; sous toutes ces couches de souvenirs, on trouve, en les fouillant, quelques débris de vérité, quelques parcelles d’histoire, quelques empreintes à demi effacées des peuples disparus, pareilles à celles que nous révèlent les êtres antédiluviens. Penché sur le puits sombre que l’érudition a percé à travers les couches historiques, j’enfonce mon regard avide dans leurs obscures profondeurs ; plaçant mon oreille à l’étroite ouverture de ce puits dont je n’aperçois pas le fond, j’écoute de loin l’écho presque insaisissable du bruit que firent autrefois là-bas des peuples muets depuis tant de siècles.

J’aime, vers le soir, à écouter ce bruit, là où il a autrefois retenti, à travers les rumeurs modernes qui le remplacent, à travers les chants de la procession qui passe, et le roulement des voitures qui viennent du Corso ; j’aime à me représenter ici ces peuples dont on ne connaît guère que les noms, passant sans le savoir ou s’arrêtant au hasard sur ces collines devenues depuis si célèbres, comme si c’était un sol indifférent, comme si cette colline couverte de chênes et de broussailles, sur laquelle ils construisaient leurs cabanes de laboureurs, ne devait pas être, un jour le Capitole, comme si cette vallée marécageuse, où paissaient leurs troupeaux, ne devait pas être un jour le Forum romain. Puis je remonte subitement par la pensée d’eux à moi, et sans quitter cette place, où la destinée m’a amené comme eux pour y passer à mon tour, je contemple, du sein d’un présent triste, ces temps si loin encore d’un avenir qui lui-même est aujourd’hui si loin dans le passé.

 

 

 



[1] Hæc nemora indigenæ fauni nymphæque tenebant. Virgile, Æn., VIII, 314.

[2] Quippe aliter tune orbe nova cœloque recenti

Vivebant homines, qui, rupto robore nati

Compositive luto, nullos habuere parentes.

(Juvénal, Satires, VI, 11.)

On a confondu dans l’antiquité (Salluste, Catilina, VI) ces habitants primitifs des forêts avec les Aborigènes qui, comme nous le verrons, étaient ou au moins étaient devenus tout autre chose.

[3] Quis neque mos neque cultus erat, nec jungere tauros

Nec componere opes nora nt, aut parcere parto ;

Sed rami atque asper victu venatus alebat.

(Virgile, Æn., VIII, 316.)

Ils n’avaient point a de coutume fixe, ils ignoraient toute culture ils ne savaient pas labourer ni recueillir les biens de la terre. (Je prends Opes dans son sens primitif, les dons de la déesse Ops). Étrangers à l’épargne, les rameaux des arbres et la chasse leur fournissaient de grossiers aliments.

[4] Ovide, Fastes, III, 291, Voyez Plutarque, Numa, 15.

[5] C’est ce que confirme la mention d’un dieu Vaticanus qui inspirait des Vaticania (prophéties). (Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVI, 17.)

[6] A satu, Macrobe, Saturnales, I, 7. On écrivait aussi Sæturnua.

[7] Varron, De ling. lat., V, 64.

[8] Macrobe, Saturnales, I, 7. Pline, Hist. nat., XVII, 6, 1. Pline attribue l’introduction de l’art de fumer les terres à Faunus, petit-fils de Saturne.

[9] Prudent., Peristeph., num. 11, 449.

[10] La même tradition, sous une autre forme, attribuait l’art de fumer les champs à Pithumnus, fils de Saturne. Pilumnus, frère de Pithumnus, avait enseigné à piler le grain, procédé plus ancien que l’usage de la meule. Serv., Æn., 4.

[11] Quem (Janum) cum docuisset Saturnus usum vinearum et falcis.., (Servius, Æn., VIII, 319.)

[12] Da falcem. . . .

Jurabis nostra gramina recta manu.

(Properce, Élégies, v, 2, 25.)

C’est Vertumne qui parle ; dieu agricole, il pouvait avoir aussi une.

[13] La faux a précédé la faucille.

Falcem insigne messis.

Macrobe, Saturnales, 1, 7.

[14] Credo pudicium Saturno rege moratam

ln terris.

Juvénal, Satires, VI, 1.

[15] Saturnus vitæ melioris auctor. Arn., 1, 7, 32.

[16] Quorum rex Saturnus tantæ justitiæ fuisse treditur ut nuque serveriret sub illo quisquam neque quiequam rei privatæ habuerit. Justin., XLIII, 1.

[17] Macrobe, Saturnales, I, 16.

[18] Nec signare quidem aut partiri limite campum

Fas erat, in medium quœrebant... (Virgile, Géorgiques, 1, 126)

Non domus ulla fores habuit, non fixus in agric

Qui regeret certis finibus arva lapis. (Tib., El., I, 3, 43)

[19] Virgile, Æn., VII, 47.

[20] Varron, De ling. lat., V, 42.

[21] Ibid.

[22] Festus, p. 522, éd. Müller.

[23] Varron, De ling. lat., V, 42.

[24] Elle s’appela aussi Saturnia. (Varron, De ling. lat., V, 42.)

[25] Saturni fanum in faucibus. (Varron, De ling. lat., V, 42.) Templum Saturni quod est ante clivum Capitolini. (Servi., Æn., II, 116.) Sub cliva Capitolino, ubi nunc ejus vedes videtur, (Servi., Æn., VIII, 319).

[26] Pour pouvoir l’évoquer en conscience, il faut être certain que ce temple est bien le temple de Saturne ; or c’est ce dont il est, ce me semble, impossible de douter. Cette ruine a porté longtemps le nom de Temple de la Fortune. Cette dénomination est inadmissible. Elle reposait sur une erreur. On croyait que le temple de la Fortune était prés de celui de Jupiter tonnant, d’après ce vers d’une inscription trouvée à Palestrine :

Tu quæ Tarpeio colcris vicina tonanti,

et l’on avait cru reconnaître les restes du temple de Jupiter tonnant dans les trois colonnes voisines de la ruine qui nous occupe ; mais celui-ci n’était pas au pied du Capitole, il était sur le Capitole prés du grand temple de Jupiter, dont Auguste disait modestement que le Jupiter tonnant, auquel lui-même avait élevé un temple, serait le portier. Or on ne met pas son portier au pied de la colline au sommet de laquelle on habite. Le prétendu temple de Jupiter tonnant est le temple de Vespasien. Le temple de Saturne et celui de Vespasien étaient certainement voisins, et ce dernier, voisin du temple de la Concorde dont l’emplacement n’est pas douteux. Stace l’atteste très clairement, quand, s’adressant à la statue équestre de Domitien érigée dans le Forum, il lui dit : Derrière toi sont ton père et la Concorde. (Sylves, I, 1, 31.) La seule incertitude possible serait entre le temple aux huit colonnes et le temple aux trois colonnes, que quelques-uns pensent être celui de Saturne ; car la proximité des deux édifices fait que divers passages des auteurs anciens s appliquent également bien à l’un et à l’autre ; mais il est plusieurs de ces passages qui ne peuvent convenir qu’aux huit colonnes ; il est dit du temple de Saturne qu’il touchait au Forum (In foro, Tite-Live, XLI, 21 ; ad forum, Macrobe, Saturnales, I, 8), qu’il était devant le Clivus Capitolinus (Serv., Æn., II, 116), qu’il était en dessous de ce Clivus (Serv., Æn., VIII, 519), que la basilique Julia se trouvait cuire le temple de Castor et le temple de Saturne (Mon. Ancyre, col. IV, l. 12-3). Aucune de ces désignations ne convient aux trois colonnes ; toutes au contraire s’appliquent très bien aux huit colonnes. De plus, on affichait sur le mur postérieur du temple de Saturne, ce qui n’eût pu se faire commodément si ce temple eût été adossé au Capitole.

[27] Saturnii quoque dicebantur qui castrum in imo Clivo Capitolino incolebant ubi ara dicata cei deo... (Festus, 322).

[28] Macrobe, Saturnales, I, 8.

[29] La Cecha pour Zecca ; une église du voisinage s’appelait San Salvator in ærario. Canina, Rom. ant., 277-8.

[30] Denys d’Halicarnasse, I, 9.

[31] Un petit nombre de mots latins peuvent être considérés comme Sicules, lepus, nummus, mutuum. (Varron, De ling. lat., V, 101, 973, 179.)

[32] Il y avait à Tibur, qu’on disait avoir été fondé par les Sicules, un quartier appelé Sikeliôn (Denys d’Hal., I, 10) ; aujourd’hui, à quelque distance de Tivoli, une localité porte le nom de Siciliano (Nibby, Dintorni, III, 97) ; mais ce nom, se trouvant aussi écrit Ceciliano, je crois plus probable qu’il vient de Cæcilianum, ce qui indique une propriété des Cæcili, comme Fiano vient de Flavianum, propriété des Flavii.

[33] Denys d’Halicarnasse, I, 73, d’après Antiochus de Syracuse. Le roi Morgès est la personnification des Morgètes, peuple de l’Italie méridionale, comme Sikelos est la personnification des Sicules.

[34] Sacrani appellati sunt Reate orti qui ex Septimontio Ligures Sicalosque exegerunt. (Festus, 121, éd. Müller.)

[35] Varron (De ling. lat., V, 41) dit que le Septimontium se composait des collines qui ont formé depuis la ville de Rome ; c’est évidemment une confusion entre ce qui avait été et ce qui était de son temps la liste des sommets du véritable Septimontium, telle que Festus nous l’a donnée d’après Antistius Labeo, en est la preuve. Cette liste est aussi une réfutation de l’opinion de Plutarque sur la fête du Septimontium, qu’il suppose instituée en mémoire de l’addition d’un septième mont aux six autres collines de Rome. (Plut., Quæst. rom., 60.)

[36] Festus, 340 et 348, éd. Müller.

[37] Le Cælius se trouve dans un des passages seulement de Festus, qui se rapportent au Septimontium (p. 348) ; mais je pense que c’est une interpolation produite par la confusion que j’ai déjà remarquée chez Varron entre le Septimontium et les sept collines. D’ailleurs, dans ce passage mutilé de Festus, le Cælius est nommé entre l’Oppius et le Cispius, cimes secondaires de l’Esquilin, ce qui n’est pas sa place naturelle ; enfin, en réunissant les deux passages (p. 340 et 348), on aurait huit parties du Septimontium au lieu de sept.

[38] Selon une tradition conservée par Servius (Æn., XI, 317), les Ligures auraient chassé les Sicules ; les deux peuples n’en auraient pas moins habité le Septimontium, et il n’en serait pas moins permis d’y chercher les traces de leur séjour ; seulement il eût été successif au lieu d’être simultané.

[39] Varron, De ling. lat., v, 45. Peut-être le mont Cœlius faisait-il déjà partie de l’antique Subura.

[40] C’est ce que prouve l’expression de Martial (Épigrammes, X, 19, 5)

Altum tramitem Suburæ,

Le chemin élevé de la Subura ;

et ailleurs (Épigrammes, V, 9-3, 5) :

Alta Suburani vincenda est semila clivi,

Il faut gravir le haut sentier de la montée de la Subura.

Cette montée que suivait Martial pour se rendre chez Pline le Jeune, sur l’Esquilin, est la rue de Santa-Lucia in Selce ; d’autre part, l’église Sant-Agata in Subura est sur une pente du Quirinal et montre jusqu’où la Subura s’étendait de ce côté. La place qui s’appelle encore aujourd’hui piazza Subura est dans le fond.

[41] Le mur de terre des Garines qui dominait la Subura faisait partie du système de défense de celle-ci ; ça devait mètre un rempart de terre, avec un fossé, ce qu’on appelait un agger, comme furent depuis le fossé des Quirites d’Ancus Martius et l’agger de Servius Tullius.

[42] Festus, p. 118, éd. Müller.

[43] Strabon, IV, p. 203, édit. Casaub.

[44] Albium ingaunum (Albenga), Albium intimelium (Vintimiglia), Alba, mot basque. Humboldt, Prüxung der untersuchungen über die urbewohner hispaniens, vermittelst der Vachischen Sprache, 36.

[45] Bigor, lieu élevé dans un pays de montagnes. (Humboldt, p. 5-6), nom qui convient parfaitement aux habitants de la montagneuse Ligurie.

[46] Pernix genus, Tacite, Hist., II, 13. Pernix Ligus, Silius Italicus, Punic., VIII, 607. Strabon, III, 3, 5, portrait des Lusitaniens qui étaient ibères.

[47] Assuetumque malo Ligurem. Virgile, Géorgiques, II, 168.

[48] Nigidius Figulus dit des Ligures qu’ils sont fallaces, insidiosi, mendaces. Selon Caton, ils oubliaient de dire la vérité, vera minus meminere. Serv., Virg., Æn., XI, 715.

[49] Humbolt, p. 92 et suiv.

[50] Cære, les Cæretani, les Cerretani en Espagne. Les Salpinates en Étrurie, Salpesa dans la Bétique. Cortona, une ville de Cortona en Espagne.

[51] Le Metaurus, le Metarus fleuve d’Espagne. Sarsina, ville d’Ombrie, Sars, fleuve de la Tarragonaise. Tudor (Todi), une ville de Tude et un fleuve de Tudor dans la Tarragonaise.

[52] Numana, en Espagne Numantia. Cluana, Cluentia dans la Tarragonaise.

[53] La ville de Cures, les Curenses, Littus Curense dans la Bétique.

[54] Sénèque (Consolat. ad Helv., 7) nomme les Ligures parmi les peuples qui se sont établis en Sardaigne, et Pausanias les Ibères (X, 17, 5). On y trouve les Ilienses, d’Ilia en Basque, lieu, pays, ville ; on ne manqua pas d’en faire des troyens venus d’Ilion.

[55] Ilvates est le nom d’un peuple ligure.

[56] Murgantia, Murgis en Espagne. Les éléments ibériens de tous ces rapprochements sont puisés dans l’ouvrage de Humboldt.

[57] L’une, Alba la longue, détruite par Tullus Hostilius ; l’autre, Alba Marsorum, prés du lac Fucin.

[58] Il y avait deux Albium dans la Ligurie ; dans la Gaule méridionale, Alba Helviorum (Viviers) et Albiga (Alby) ; deux Alba en Espagne, l’une dans la Tarragonaise et l’autre dans la Bétique.

[59] Ces étymologies ibériennes peuvent éclairer sur l’origine des villes. Ainsi, la ville de Tribola dans la Sabine est mise par Denys d’Halicarnasse au nombre de celles que fondèrent les Aborigènes dont je parlerai bientôt, mais une ville de Lusitanie, pays ibérien, portait le même nom. On peut donc attribuer la fondation de la Tribola Sabine aux Ibères, c’est-à-dire aux Ligures. J’en dirai autant de Norba ; comme ce nom aussi est purement ibérien, en dépit des murs pélasgiques de Norba, je crois que les Ligures y ont précédé les Pélasges. Il en est de même de Corbio prés de Rome dont le nom est celui d’une ville des Suessates en Espagne, (Humboldt, 76). J’ai indiqué jadis dans mon Histoire littéraire de la France avant le douzième siècle (I, 5) le port de Corbilo comme attestant en Franc l’extension des Ibères jusqu’aux bords de la Loire. Je les retrouve aujourd’hui sur les bords du Tibre.

[60] Humboldt, p. 53. Subur, chez les Taletani, prés d’un fleuve ; la Subura était près d’un marais qui se reliait au Tibre. On trouve aussi en Espagne une Sabora (on écrivait parfois Sabura pour Subura). Sa, dans les monts Ibères, indique l’idée d’un lieu bas : la Sabura était située en partie dans uu enfoncement, de là peut-être la forme Sabura.

[61] Humboldt, p. 25.

[62] Une ville d’Espagne s’appelait Argilla (Humboldt, p. 64). Le nom propre espagnol Argueles et le nom de la charmante vallée d’Argelès dans les Pyrénées ont très probablement la même origine.

[63] Car, dit Humboldt, est une syllabe qui se rencontre fréquemment au commencement des noms de lieu ibères et se lie à l’idée de hauteur (p. 68). Larramendi voit dans le basque Cerra l’origine de l’espagnol Cerro, colline (Humboldt, p. 52). Les Carines, comme la Subura, étaient en partie dans un fond, en partie sur une hauteur ; l’Agger, appelé le mur de terre des Carines, n’aurait pas eu de sens s’il n’eût été, comme l’agger de Servius Tullius, sur la crête de l’Esquilin ; un pareil moyen de défense ne peut être placé au bas d’une colline qui le rendrait inutile. La même racine car ou cer se trouve dans le nom du Ceroliensis qui touchait aux Carines, c’est aujourd’hui la Via del Colosmo. (Varron, De ling. lat., v, 117).

[64] Jul. Capitolin, vie de Pertinax, Hist. auguste Script., Ed. Salm., p. 58.

[65] Je citerai d’après lui : Murus de Murua, amas, monceau (Humboldt, p. 49) ; cependant l’ancienne forme de Murus, Mœrus, qui s’est conservée dans Pomœrium (Post murem), rend pour moi cette provenance bien douteuse ; Curvus de gur, celle-ci me semble plus vraisemblable ; mon, terminaison ibérienne des noms de montagnes (Humboldt, p. 49), d’où mon-s, montagne. Il est à remarquer que c’est précisément ce mot mons qui figure dans le nom de la ville siculo-ligure le Septi-montium. Les Sabins se servaient du mot collis, vraisemblablement emprunté à leur langue, d’où il aura passé dans le latin, pour désigner le Quirinal qu’ils habitaient ; d’où Porta Collina, la porte du Quirinal, Salii Collini, les Saliens du Quirinal. Le nom de Monti est resté au quartier de Rome qui est situé principalement sur le mont Ligure, l’Esquilin.

[66] Vergilius, Vergilia, ville d’Espagne (Humboldt, p. 67) ; Andes, nom de la patrie de Virgile, peut être ligure (Andia. Humboldt, p. 38), s’il n’est gaulois (Andes, les Andecavi) ; dans ce dernier cas nous aurions le droit de réclamer le grand poète pour notre compatriote, Virgile serait de sang angevin. Les Gaulois ont occupé le pays de Virgile et les Ligures ont pu s’étendre jusque-là. — Le prénom de Tibulle, Albius, ne semble pas venir d’Albus, mais avoir la même racine que le nom de lieu ibère Albium. Le nom des Vettii, famille romaine, rappelle les Veltones, peuple de Lusitanie ; celai des Vibbii et le prénom Vibulanus, qui appartenait à une des plus anciennes branches de la gens Fabia elle-même très antique, fait songer aux Vibelli, peuple Ligure ; le grand nom plébéien des Decius aux Deciates, nation ligure. Le nom de famille Helvius, le surnom Helva, ont aussi une ressemblance frappante avec Ilva, nom ligure de l’île d’Elbe. L’empereur Helvius Pertinax était né à Alba Pompeia, en Ligurie.