JULIEN L'APOSTAT

TOME TROISIÈME — JULIEN ET LES CHRÉTIENS : LA PERSÉCUTION ET LA POLÉMIQUE - LA GUERRE DE PERSE.

LIVRE VIII. — JULIEN ET LES CHRÉTIENS : LA PERSÉCUTION ET LA POLÉMIQUE.

CHAPITRE II. — LA PERSÉCUTION.

 

 

I. — L'incendie du temple de Daphné.

A deux heures environ d'Antioche s'étendait le faubourg de Daphné, embelli successivement par les rois Séleucides et par les empereurs romains. Là se donnaient, selon les saisons, des courses de chevaux renommées dans toute la Syrie, et des jeux imités de ceux d'Olympie. Des temples superbes décoraient le faubourg ; celui de Némésis, qui s'élevait près de l'hippodrome comme une menace pour les coureurs frauduleux, celui de Jupiter, construit par Antiochus Épiphane, celui d'Apollon, fondé par Seleucus Nicator. Autour du temple d'Apollon croissait un bois sacré, célèbre par la beauté de ses cyprès séculaires, le mystère de ses sentiers ombreux, la grâce de ses gazons fleuris, où d'innombrables sources, consacrées aux Nymphes, entretenaient une éternelle fraîcheur. C'était à la fois un lieu de culte et un rendez-vous de plaisir. Apollon n'y inspirait point de pensées austères, puisque, là où l'œil découvrait, à travers les noires ramures des cyprès, la blancheur des colonnades marmoréennes de son temple, il avait, racontait sa légende, serré dans ses bras la nymphe fugitive, qui sous son étreinte s'était transformée en laurier. Aussi les ombrages du bois sacré servaient-ils d'abri aux promenades amoureuses : il eût été de mauvais goût, dit un historien antique, d'y pénétrer sans emmener une femme avec soi[1]. Daphné était le digne prolongement de la grande ville dissolue, que menait vers ses délices une route bordée de maisons de campagnes, de parterres de roses[2], de vignes courant en guirlandes le long des arbres, et sans cesse parcourue par des groupes joyeux. Le voluptueux et mystique faubourg avait fini par donner son nom à la cité : Antioche sur Daphné, disaient les anciens[3]. Si les dieux descendaient sur la terre, ajoutaient-ils, c'est Daphné qu'ils choisiraient pour séjour[4]. Il n'est pas, disait-on encore, de douleur si tenace et si violente que ne chasse la vue de Daphné[5].

Cependant, à l'époque de Julien, le bois sacré avait déjà subi un commencement de déchéance. Gallus, qui, malgré toutes les fautes que lui. reprochait Constance, avait bien servi au moins la politique religieuse de cet empereur, s'occupa, pendant son court règne, et durant son séjour à Antioche, de purifier des lieux souillés par une religion sensuelle. Il ne détruisit pas le temple, ce qui eût ameuté certainement la population païenne ; mais il négligea de le réparer, et, quand Julien monta sur le trône, plusieurs colonnes y manquaient[6]. De même Gallus ne défricha pas le bois, pour ne pas priver les habitants d'une promenade favorite. Mais, en face du sanctuaire d'Apollon, il construisit une église, dans laquelle il fit porter les reliques d'un ancien évêque d'Antioche, saint Babylas[7], martyrisé sous Dèce, et célèbre par la pénitence qu'il avait imposée à l'empereur Philippe[8].

On assure que, dès que le corps du saint eut été mis en cet endroit, toute pratique divinatoire devint impossible dans le temple voisin[9]. La présence des reliques eut un effet meilleur encore. Si Daphné continua d'être fréquenté par les païens et par les gens de plaisir, des visiteurs tout différents commencèrent à y venir. Les pèlerins, laissant de côté le temple et les retraites voluptueuses qui s'ouvraient de toutes parts, allaient s'agenouiller dans l'église et prier au tombeau du martyr. Les honnêtes gens apprirent le chemin de Daphné. On vit même des natures faibles, hésitant entre la pratique des vertus chrétiennes et l'attrait persistant des joies immorales, venir incertaines à Daphné : puis, abandonnant les mauvaises compagnies, aller demander au saint la force de surmonter des passions coupables. Alors une divine rosée, dit un orateur du quatrième siècle, semblait quelquefois descendre dans les âmes que l'ardeur de la jeunesse, l'ivresse du vin et du plaisir avaient jusque-là possédées : elle éteignait les feux impurs, brisait la tyrannie de la débauché, insinuait la piété[10]. Le même orateur compare saint Babylas, installé en face d'Apollon, à un pêcheur qui jette ses filets, et y prend tous les jours quelques-uns de ceux que les délices du lieu avaient attirés[11]. C'était, en un mot, non la conquête encore, mais au moins une première prise de possession, par le christianisme, d'une terre toute imprégnée des impuretés païennes.

Comme l'on pouvait s'y attendre, Julien s'efforça de combattre ces influences nouvelles et de restituer au sanctuaire de Daphné son ancien éclat. Avant même de quitter Constantinople, il avait écrit sur ce sujet à son oncle, alors comte d'Orient, pour lui donner l'ordre de réparer « avant toutes choses » le portique de Daphné, empruntant des colonnes au palais, et remplaçant ces dernières par d'autres prises aux édifices récemment occupés, c'est-à-dire peut-être à des basiliques chrétiennes[12]. Cependant, tout absorbé, durant le premier mois de son séjour à Antioche, par la restauration du culte païen dans cette ville, il ne parait pas avoir fait le pèlerinage du célèbre faubourg avant le mois d'août[13], époque où l'on y célébrait la fête du dieu. Le jour même de la fête, il éprouva une pénible désillusion.

Du temple de Jupiter Casius, dit-il, j'étais accouru à Daphné, m'attendant à rencontrer là plus encore qu'ailleurs le spectacle de votre richesse et de votre magnificence. Je me figurais déjà la pompe sacrée : je rêvais de saintes images, de libations, de chœurs en l'honneur du dieu, d'encens, d'éphèbes rangés devant le temple, l'âme remplie de sentiments religieux, le corps revêtu de robes blanches et magnifiques. J'entre dans le temple : je ne trouve ni encens, ni gâteaux, ni victimes. Tout étonné, je m'imagine que vous êtes hors du temple, attendant, par respect pour ma dignité de souverain pontife, que je donne le signal. Je demande quel sacrifice la ville va offrir au dieu pour fêter cette solennité annuelle. Le prêtre me répond : J'arrive apportant de chez moi une oie, que je vais immoler au dieu ; car la ville n'a rien préparé pour la solennité[14]. Composé en majeure partie de chrétiens, le sénat municipal, observant les lois de Constantin et de Constance, avait depuis longtemps cessé de faire les frais des sacrifices publics, et ne les avait pas de nouveau inscrits à son budget, en dépit des ordonnances de Julien.

Il semble, cependant, qu'une partie des décurions avait suivi Julien au temple, où sans doute quelques-uns jouissaient en secret de son désappointement. Debout aux pieds de la statue d'Apollon, et ayant devant lui l'autel du dieu, il adressa aux assistants, d'un ton irrité, un discours dont lui-même nous a conservé le texte :

C'est une chose affreuse, dit-il, de voir une aussi grande ville avoir moins d'égards pour les dieux que n'en aurait aucune bourgade de la plus extrême frontière du Pont. Elle possède d'immenses propriétés territoriales : nous vivons en un temps où les dieux ont dissipé les nuages de l'athéisme : et cependant, quand arrive la fête d'un dieu de ses pères, cette ville ne fait pas la dépense d'un oiseau, elle qui devrait offrir un bœuf par tribu, ou au moins un taureau au nom de tous les citoyens ! Il n'est pas un de vous qui ne dépense avec joie son argent en repas et en fêtes : j'en sais beaucoup qui gaspillent des trésors pour les repas de majuma[15] ; et pour vous-mêmes, pour le salut de la ville, aucun des citoyens ne sacrifie en particulier, et la ville ne fait pas de sacrifice commun ! Seul en offre le prêtre, qui, en bonne justice, aurait dû, ce me semble, emporter chez lui quelque part d'innombrables victimes immolées par vous au dieu. Car des prêtres les dieux n'exigent d'autres honneurs qu'une vie irréprochable, la pratique de la vertu et l'accomplissement des rites : mais je pense qu'il appartient à la ville d'offrir des sacrifices privés et publics. Maintenant, chacun de vous permet à sa femme d'apporter tout son avoir aux Galiléens ; et celles-ci, en nourrissant les pauvres avec votre bien, donnent un grand spectacle d'athéisme à ceux qui auraient besoin de ces ressources, c'est-à-dire, si je ne me trompe, au plus grand nombre des hommes. Mais vous, qui négligez de rendre honneur aux dieux, vous croyez ne rien faire d'inconvenant. Pas un indigent ne se présente aux temples : c'est, je pense, parce qu'on n'y trouve pas de quoi se nourrir. Vienne, cependant, votre jour de naissance, ce ne sont que repas de midi et du soir, tables somptueuses réunissant tous vos amis. Mais le jour de la fête annuelle d'un dieu, personne n'apporte de l'huile pour la lampe du temple, il n'y a ni libation, ni victime, ni encens. Je ne sais ce que pourrait penser de cette conduite un homme de bien qui en aurait chez vous le spectacle ; mais je crois qu'elle ne plaît pas aux dieux[16].

Pendant qu'il parlait ainsi aux représentants du sénat, Julien crut apercevoir un signe favorable. Le dieu, dit-il, approuva mes paroles[17]. Peut-être un rayon de soleil vint-il éclairer soudain la statue, et, se souvenant des prestiges de Maxime, Julien s'imagina-t-il la voir sourire. Peut-être même, comme certains hallucinés dont parle Libanius, crut-il entendre des sons s'échapper de la cithare placée dans la main d'Apollon[18]. Quoi qu'il en soit, il se sentit encouragé à multiplier ses visites au temple de Daphné, et à faire de grands efforts pour mettre fin à l'indifférence du public.

Lui-même raconte qu'il revint souvent à Daphné offrir des sacrifices[19]. Saint Jean Chrysostome dit qu'il y fit couler à torrents le sang des victimes[20]. L'une des fêtes auxquelles Julien prit part en l'honneur du dieu fut l'occasion d'un curieux épisode, qui peint l'état des esprits, à cette époque, au sein même de certaines familles sacerdotales. Théodoret, qui le rapporte, en connut le principal héros, et en recueillit le récit de sa bouche.

La femme d'un prêtre païen était liée d'amitié avec une diaconesse chrétienne, chez laquelle elle conduisait souvent ses enfants. Après la mort de la mère, un de ses fils continua de visiter la diaconesse. Il causait souvent de religion avec elle, et se laissa convertir au christianisme. Elle promit de lui trouver un asile, s'il quittait la maison de son père. Le jeune homme fut cependant obligé d'accompagner un jour à Daphné celui-ci, qui y devait suivre Julien. Il lui fallut même, avec son frère, servir un sacrifice, et asperger d'eau lustrale les viandes qui furent ensuite apportées à la table de l'empereur. Mais, après le festin impérial, il parvint à s'enfuir, rentra en courant à Antioche, et se réfugia chez la diaconesse, qui le conduisit à l'évêque catholique, Mélèce. L'évêque donna au jeune homme un asile dans sa maison. Le père l'y découvrit, le ramena dans sa demeure, le battit, lui piqua même les pieds, les mains et le dos avec des pointes rougies au feu, et, obligé de retourner à Daphné, où son service le retenait pendant sept jours, enferma son fils dans une chambre. Le jeune homme parvint à on sortir, brisa toutes les idoles que renfermait la maison paternelle, s'échappa miraculeusement, et se réfugia de nouveau chez la diaconesse. Celle-ci lui donna des habits de femme, le mit dans sa litière, et le fit porter chez Mélèce. En ce moment Cyrille, évêque de Jérusalem, se trouvait à Antioche, prêt à repartir pour la Palestine. Mélèce lui confia le jeune converti. Caché en Palestine, le nouveau chrétien y demeura jusqu'à la mort de Julien. Il eut, plus tard, la joie de gagner son père au christianisme[21].

Julien, cependant, poursuivait un nouveau dessein, avec l'espoir de ramener les foules au temple de Daphné.

Dans sa pensée, il ne s'agissait de rien moins que de ranimer un des organes prophétiques du monde grec, devenu muet depuis un siècle. Bien qu'inférieur aux grands oracles d'Apollon, puisqu'il datait seulement des Séleucides et pouvait passer, dans une certaine mesure, pour une contrefaçon de celui de Delphes, l'oracle d'Apollon Daphnéen avait été longtemps pour Antioche une cause de gloire et de profit. Daphné possédait, comme Delphes, sa source fatidique de Castalie ; mais au lieu qu'à Delphes la Pythie y faisait des ablutions ou buvait de son eau avant d'entrer en extase, à Daphné c'était l'eau qui prophétisait elle-même. Si l'on en croit les Byzantins, elle bouillonnait, chantait, exhalait un souffle qui secouait le laurier planté sur ses bords, et jetait les assistants dans le délire. Il se peut qu'il y ait en là des fanatiques à l'enthousiasme facile : mais il est possible aussi qu'on se soit contenté de jeter des feuilles de laurier sur l'eau, et d'observer leur submersion. On comprend que Trajan, qui avait, dit-on, une grande dévotion pour Apollon Daphnéen, n'ait pas voulu se commettre avec les gardiens de la fontaine merveilleuse. Hadrien, encore simple particulier, tenta l'expérience, et n'eut pas lieu de s'en plaindre. En trempant une feuille de laurier dans la source, il l'en retira couverte d'écritures. C'était la réponse de l'oracle, réponse qui fut de tout point justifiée par l'événement. Devenu empereur, Hadrien jugea qu'il n'était pas prudent de laisser toute liberté à de si habiles gens. Il fit boucher la source pour empêcher d'autres ambitieux d'interroger l'avenir[22]. Plus naïf qu'Hadrien, et cherchant fiévreusement à connaître l'avenir, Julien commanda d'enlever les pierres qui empêchaient l'eau de jaillir.

Mais sa première consultation, probablement relative à la future guerre de Perse, demeura sans réponse. L'eau ne parlait pas, ou le prêtre ne trouvait pas de sens à son murmure. Comme Julien demandait avec anxiété la cause de cet insuccès : C'est parce que Daphné est rempli de cadavres, répondit l'interprète du dieu[23]. L'empereur, dit Ammien Marcellin, fit alors exhumer les corps enterrés aux environs de la source, d'après le rite dont s'étaient servis les Athéniens pour purifier l'île de Délos[24]. Il n'est pas probable qu'il y eût dans le bois sacré d'autres corps enterrés que celui de saint Babylas[25] : les historiens ecclésiastiques racontent tous que Julien donna l'ordre de l'enlever.

La piété chrétienne se joignit à l'esprit frondeur particulier au peuple d'Antioche pour faire de cette translation un défi au persécuteur. Ce n'est pas en vaincus, mais en enthousiastes et en militants que les fidèles rapportèrent le corps du martyr. Hommes et femmes, jeunes gens et jeunes filles, enfants et vieillards, étaient venus en foule à Daphné. On vit passer à travers le bois sacré non la procession païenne dont l'absence avait affligé Julien le jour de la fête d'Apollon, mais un cortège à la fois funèbre et triomphal, suivant le char sur lequel avait été placé le lourd sarcophage de pierre où reposait, le saint. Pendant quarante stades, depuis le temple d'Apollon jusqu'au cimetière d'Antioche, les chrétiens marchèrent, précédés du clergé ; les prêtres chantaient les psaumes de David, et de temps en temps la multitude reprenait en chœur, comme un refrain, ce verset : Ils ont été confondus, ceux qui adorent les idoles et se confient en des dieux faits de main d'homme ![26]

Ce n'était peut-être pas la première fois que Julien entendait retentir à ses oreilles de semblables allusions. Un jour qu'il passait devant un monastère de femmes, celles-ci chantèrent, de toutes leurs forces, ces paroles d'un psaume : Les dieux des nations ne sont que de l'or et de l'argent[27]. Julien, irrité, s'arrêta, et envoya aux religieuses l'ordre de se taire, quand il passerait devant leur maison. Quelque temps après, elles entendirent de nouveau le bruit de son cortège. Aussitôt, par les fenêtres ouvertes, s'échappa cet autre verset du psaume : Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dissipés ![28] Julien se fit amener la supérieure, une veuve, nommée Publia. Par son ordre, les gardes la frappèrent sur le visage, qui fut bientôt tout en sang[29]. Il n'exerça pas d'autres représailles. Mais entre les provocations d'un obscur groupe de religieuses et la protestation bruyante d'une grande foule, il y avait une différence. Ce n'était plus seulement le cri spontané de quelques consciences : c'était un défi public. Julien le releva. II se crut insulté, et sa colère fut au comble. Il voulait le supplice des chrétiens qui lui avaient manqué de respect. Le préfet du prétoire, Salluste, païen d'un esprit modéré, essaya de le dissuader ; puis, contraint d'obéir, il fit, deux jours après la procession, arrêter un grand nombre de chrétiens, dont quelques-uns furent gardés en prison.

L'un d'eux avait été dénoncé par les païens, probablement comme ayant paru plus animé que les autres lors de la translation des reliques de Babylas. C'était un jeune homme, appelé Théodore. On le mit à la torture, en présence du préfet. Lié au chevalet, et son corps tendu étant déchiré par les ongles de fer, il ne poussa pas un soupir, ne demanda point sa grâce : il semblait assister au supplice d'un autre : on l'entendait même chanter le verset de psaume qui l'avant-veille avait excité l'indignation des idolâtres. Le préfet admira son courage, et, rendant compte à l'empereur de ce commencement de procès, lui fit enfin comprendre que, s'il poussait les rigueurs plus loin, il risquerait de se rendre ridicule, en mettant plus encore en lumière la vaillance des chrétiens. Julien céda à regret : tous ceux qui avaient été arrêtés, y compris Théodore, furent remis en liberté. L'historien occidental Rufin, qui vécut en Syrie et en Palestine de 371 à 397, eut l'occasion de rencontrer Théodore, et lui demanda si, pendant la torture, il avait beaucoup souffert. Très légèrement, répondit le confesseur de la foi. Il raconta que, pendant qu'on le déchirait et qu'on le frappait, il lui semblait voir à ses côtés un adolescent, qui essuyait la sueur coulant de ses membres et lui rendait courage : durant tout le temps passé sur le chevalet, il avait éprouvé, dit-il, plus de contentement que de souffrance[30]

Apollon, selon l'expression de Libanius, avait été délivré d'un mort importun[31] ; mais il ne jouit pas longtemps de cette délivrance. Le 22 octobre, pendant une nuit sereine et sans nuages[32], le feu prit au temple de Daphné.

L'incendie s'alluma dans les combles : bientôt les poutres enflammées tombèrent sur la statue colossale du dieu, qui touchait presque le toit[33]. Cette statue, aussi haute que celle du Jupiter d'Olympie[34], était l'œuvre du sculpteur athénien Bryaxis : il l'avait faite de bois, avec les extrémités en marbre. Apollon, la tête ceinte du laurier d'or, portait une tunique dorée, serrée à la taille par une ceinture, et tombant jusqu'aux pieds. Il tenait à la main une cithare et semblait chanter[35]. Ses yeux, figurés par deux améthystes, couleur d'hyacinthe, brillaient dans l'ombre de la cella[36]. Julien admirait la magnificence à la fois grecque et orientale de cette statue : il ne s'en approchait jamais sans lui baiser respectueusement le pied[37]. Le toit, s'écroulant, brisa l'image d'Apollon en deux morceaux, qui furent bientôt consumés[38]. Le bruit de la chute, la lueur soudaine des flammes, éveillèrent une prêtresse[39]. Bientôt tous les ministres du culte furent sur pied. On entendait, à travers les grands arbres, leurs cris lugubres, qui parvinrent jusqu'à la cité[40]. Julien fut l'un des premiers avertis. Il venait de se coucher. Se levant aussitôt, il courut vers le lieu du sinistre, aussi rapide que s'il eût eu les talons ailés de Mercure, et aussi enflammé de colère que s'il avait eu l'incendie dans le cœur, écrit Libanius, qui ne perd jamais l'occasion de faire de la rhétorique. Une grande foule était déjà rassemblée. Mais aucun secours n'était possible. La charpente enflammée du toit tombait par lourds morceaux, semant les étincelles, incendiant ou écrasant tous les ornements du temple, les statues des Muses, celles des Séleucides, les mosaïques, les marbres précieux[41]. Le peuple demeurait impuissant devant cette ruine : les païens se lamentaient : tous assistaient à l'incendie, comme de la rive on assiste à un naufrage, sans pouvoir porter secours[42]. Bientôt du superbe sanctuaire il ne resta debout que les murailles et la colonnade qui l'entourait de toutes parts[43].

Quelle était la cause du désastre ? Les chrétiens l'attribuèrent soit à un cas fortuit, soit au feu du ciel[44] ; ils firent remarquer, à l'appui de cette hypothèse, que le temple n'était pas détruit, que toute sa colonnade restait debout, à l'exception d'un seul pilier, et qu'il n'offrait point l'aspect ruiné d'un édifice détruit par le feu, mais simplement celui d'un édifice dont le toit se serait effondré[45]. On racontait même, comme explication sinon très vraisemblable, au moins possible de l'accident[46], que le philosophe cynique Asclépiade, peu aimé de Julien[47], étant venu à Daphné dans l'espoir de l'y rencontrer, avait posé aux pieds de la statue d'Apollon un petit simulacre en argent de la Dea Cœlestis, qu'il portait toujours avec lui, et, après avoir allumé des cierges alentour, s'était retiré : au milieu de la nuit, quand aucun gardien n'était présent, des étincelles et des flammèches, poussées par un courant d'air, avaient atteint les bois de la charpente, qui, flambant facilement à cause de leur vétusté, se seraient aussitôt enflammés[48]. Les païens, naturellement, attribuaient plutôt l'incendie à la malveillance des chrétiens. Les uns y virent une vengeance, causée par l'enlèvement des reliques de Babylas ; d'autres les dirent simplement jaloux de l'immensité du temple, de sa magnifique colonnade, dont les dimensions humiliaient la petite église voisine[49]. Libanius n'hésite pas à dénoncer une entreprise impie, une âme scélérate, une main criminelle[50]. On ne recula devant aucun moyen pour découvrir un auteur à l'incendie. Julien, dans sa colère, avait déjà fait fouetter les gardiens du temple[51], pour les punir de leur négligence. Il fit plus : par son ordre, le prêtre d'Apollon[52] fut mis à la torture. On lui tordit les bras, on l'éleva sur le chevalet en lui frappant les côtes. Mais on ne put obtenir qu'il désignât personne[53]. Quant à Julien, ses soupçons se fixèrent sans hésiter sur les chrétiens. Il y en avait, à Antioche, de fort animés contre le culte des dieux. Plusieurs fois les autels neufs élevés en leur honneur avaient été renversés par des mains inconnues[54]. Julien attribua à un complot de chrétiens fanatiques le nouvel attentat.

Mais, avec une étrange maladresse, il prétendit que l'auteur du crime avait pour lui la majorité des habitants d'Antioche, et n'était parvenu à ses fins que parce qu'il avait rencontré des complices jusque dans le temple lui-même. C'est bien aux Antiochiens pris en masse qu'il parle en ces termes : Après la translation du mort de Daphné, quelques-uns de vous, impies envers les dieux, ont livré le temple daphnéen à ceux qui s'étaient fâchés à propos des reliques du mort ; et alors, soit négligence des uns, soit complicité des autres, ils ont mis le feu au temple[55]. Ailleurs il déclare que le temple de Daphné a été livré par la négligence des gardiens à l'audace des athées, qui l'ont réduit en cendres[56]. Julien va jusqu'à dire que le sénat d'Antioche était demeuré indifférent au crime, et n'avait point cherché à trouver les coupables[57].

Après avoir lancé de telles accusations, Néron n'eût point hésité : il eût ordonné le massacre des chrétiens. Mais Julien n'était pas un Néron, et ce qui était possible en 66. avait cessé de l'être en 362. On le voit préoccupé de deux choses : défendre la puissance d'Apollon contre les railleries du peuple, qui ne prenait pas au sérieux un dieu incendié ; venger la ruine du temple par des représailles sur les églises. Julien déclara publiquement qu'au moment de l'incendie, le dieu avait quitté son temple. J'en suis certain, dit-il ; dès mon entrée, son image[58] me le fit connaître, et j'invoque contre ceux qui ne me croiraient pas le témoignage du grand Soleil. Mais surtout il voulut que des sanctuaires chrétiens éprouvassent un sort pareil à celui du temple de Daphné. Précisément à Milet, à peu de distance du célèbre oracle d'Apollon Didyméen, où Julien avait rang de prophète, des chapelles avaient été construites pour abriter des tombeaux de martyrs. Julien écrivit au gouverneur de la Carie de faire cesser ce scandale. Il lui donna l'ordre d'abattre ces chapelles, si elles étaient encore en construction ; mais si elles étaient achevées, couvertes d'un toit, et munies de la table sainte, on devait, en souvenir de l'incendie de Daphné, leur infliger la peine du talion : l'ordre était envoyé d'y mettre officiellement le feu[59]. Ainsi serait expié, sous les yeux de l'Apollon de Milet, un outrage subi par l'Apollon d'Antioche.

La crainte de l'opinion publique empêcha Julien d'infliger un traitement semblable aux sanctuaires chrétiens d'Antioche. Mais il voulut que la principale église de la cité portât la marque de sa colère. Ammien Marcellin dit qu'il commanda de la fermer[60]. Les historiens ecclésiastiques ajoutent qu'il la fit dépouiller de ses ornements et de ses vases sacrés. Le principal auteur de cette spoliation fut le renégat Julien, oncle de l'empereur, qui, après avoir eu le commandement militaire de l'Égypte, avait été élevé à la dignité de comte d'Orient, et résidait en cette qualité à Antioche, où il montra, dit son neveu, en matière économique les qualités d'un excellent administrateur[61]. On dit qu'il eut pour aide, dans le pillage officiel de l'église, deux autres apostats, le trésorier Elpidius et le surintendant Félix. Tous deux accompagnèrent leurs recherches de railleries et de blasphèmes. A la vue des vases d'or et d'argent dont la munificence de Constantin et de Constance avait enrichi l'église : Voyez, s'écria Félix, dans quelle vaisselle on sert le fils de Marie ![62] Le comte Julien fut plus grossier encore. On hésiterait à croire ce que saint Jean Chrysostome, et après lui les historiens chrétiens, racontent des profanations de ce misérable, si, dans les plus mauvais jours de notre histoire nationale, il n'était possible de rencontrer des actes analogues, inspirés par cette rage sectaire dont semblent parfois possédés les renégats. Les témoins du sac de l'église principale d'Antioche virent avec horreur le comte Julien uriner contre la table sainte[63], puis, prenant une posture plus obscène encore, souiller d'ordures les vases sacrés[64].

La basilique où se passèrent ces scènes affreuses était alors en la possession des ariens. Leur évêque Euzoius, élu dans la dernière année du règne de Constance, est celui-là même qui conféra à cet empereur mourant le baptême in extremis. Il assista au pillage de son église : ayant tenté de s'y opposer, il reçut un soufflet du comte Julien[65]. Les catholiques, malheureusement divisés, puisque les uns reconnaissaient pour évêque Mélèce, et les autres Paulin, occupaient, les premiers l'église des Saints-Apôtres, dans la vieille ville, et les seconds une église neuve, en dehors de la cité, dont Euzoius leur avait concédé l'usage. Bien qu'Ammien Marcellin parle seulement de la fermeture de la principale basilique, il est probable que les églises où se rassemblaient les deux groupes d'orthodoxes furent aussi l'objet de mesures rigoureuses. Sozomène fait allusion à la clôture générale des lieux de prière[66], et à la fuite de tous les clercs[67], après les ordonnances rendues par le comte Julien. Il semble donc que les représailles se soient étendues à toutes les églises, et que le second Julien n'ait pas moins vexé, au lendemain de l'incendie du temple de Daphné, les catholiques que les ariens.

C'est peut-être pour avoir voulu défendre quelque dépôt précieux confié à sa garde, que le prêtre Théodoret[68] comparut devant ce haut fonctionnaire. Ses Actes[69], sans avoir été rédigés par des témoins oculaires, comme il est dit dans leur texte, et bien que contenant une ou deux circonstances peu vraisemblables, reflètent probablement des traditions anciennes : Sozomène parait les avoir connus. L'interrogatoire du prêtre par le magistrat porte bien le caractère de l'époque et des circonstances.

Tu es, demande le comte, ce Théodoret qui, au temps de Constance, empêchait d'adorer les dieux, détruisait les autels et les temples, bâtissait des églises et des sépulcres de morts ?J'ai, autant que je l'ai pu, construit des églises et des basiliques de martyrs, et j'ai détruit les idoles et les autels des démons, afin de délivrer les âmes de ceux qui étaient dans l'erreur. — Puisque tu as avoué, honore maintenant les dieux. — Sache que j'ai agi comme tu l'as dit au temps de l'empereur Constance, et que personne alors ne m'en a empêché. Je m'étonne aujourd'hui de te voir devenu renégat et vengeur des dieux. Julien commanda de le frapper sur la plante des pieds et sur le visage ; puis, comme Théodoret continuait à affirmer sa foi, et à condamner l'apostasie de son juge, il l'interrompit brusquement : Tu dissertes, sacrilège, comme si tu venais d'arriver d'Athènes. — Je n'ai étudié ni à Athènes, ni à l'école d'aucun rhéteur ; mais, abreuvé des divines Écritures, par la grâce de l'Esprit-Saint, je répondrai à tes questions en souhaitant de te voir revenir à des sentiments meilleurs.

Le comte fit mettre Théodoret sur le chevalet, où son corps fut tellement tiré, qu'il semblait, dit le narrateur, devenu long de huit pieds. Sens-tu la souffrance ? demanda Julien. Quitte donc la doctrine d'un mort, sacrifie, et vis. — Tu oublies, répondit le martyr, ce que je t'ai dit : N'appelle pas dieux les œuvres de tes mains, mais reconnais le Dieu qui a fait le ciel et la terre, et Jésus-Christ, son Fils, dont le sang précieux t'avait racheté. —Tu donnes à un crucifié, mort et enterré, le nom de créateur du monde ?Je prêche un crucifié, mort et enterré, qui est ressuscité d'entre les morts, par qui tout a été fait, qui est le Verbe et la Sagesse du Père, et que toi-même adorais quand tu étais sage, si vraiment tu as pu un jour être sage. — Crains maintenant les dieux et obéis aux ordres de l'empereur, car il est écrit : Le cœur du roi est dans la main de Dieu. — Il est écrit que le cœur du roi qui adore Dieu est dans la main de Dieu, mais non le cœur d'un tyran qui adore les idoles. — Insensé, traites-tu l'empereur de tyran ?S'il ordonne de telles choses, et s'il est tel que tu le dis, ce n'est pas seulement tyran qu'il faut l'appeler, mais encore le plus malheureux de tous les hommes.

Tout, dans ce dialogue, est en situation. Le comte Julien parle le langage de son impérial neveu : comme lui, il donne aux basiliques des martyrs le nom méprisant de sépulcres ; comme lui, il se plaît à citer à un chrétien l'Écriture sainte. La controverse se continue sur ce ton entre le magistrat et le prêtre[70]. Misérable, dit Julien, comment peux-tu proclamer créateur et rémunérateur celui que nous savons être né d'une femme, il y a environ trois cents ans ?[71]Quoique tu sois indigne, répond Théodoret, d'entendre la parole de Dieu, cependant, à cause des serviteurs de Dieu qui sont ici présents, et de peur qu'ils ne me croient vaincu, apprends ce que tu as perdu. Dieu, qui a fait toutes choses par son Verbe, a eu pitié des hommes, qu'il voyait asservis aux idoles, après avoir abandonné sa foi : envoyant son Verbe, il prit dans le sein d'une vierge une chair humaine, afin de rendre visible la divinité : et, ayant ensuite volontairement souffert, il a daigné nous donner le salut que tu as perdu. — Je vois que tu persistes dans tes arguments. Obéis, et sacrifie, de peur que je ne te fasse frapper du glaive, puisque tu méprises la torture. — J'ai renoncé à ton père le diable. Je demande à achever ma course en présence de Dieu, et à ne pas trouver grâce devant le tyran. — Dis tout ce que tu voudras ; je ne te ferai pas tuer.

Cette parole est conforme aux instructions de l'empereur, qui, dans sa lutte contre les chrétiens, répugnait à l'effusion du sang. Mais, si l'on en croit le récit des Actes, une parole du martyr changea la résolution du juge. Toi, Julien, dit-il, tu mourras dans ton lit, en proie à de grandes souffrances. Mais ton tyran, qui se flatte de faire gagner la victoire aux païens, ne pourra pas vaincre. Il périra de telle sorte, que nul ne saura par qui, il aura été tué. Il ne reviendra pas dans le pays des Romains. Épouvanté de ces paroles, et craignant que Théodoret n'en dit de plus terribles encore, le comte le condamna à être décapité. Je rends grâces à Dieu, qui a daigné mettre une fin à mes souffrances, dit le martyr[72].

Les Actes racontent qu'après que Julien eut fait, le lendemain, son rapport sur la confiscation du mobilier des églises et sur l'exécution de Théodoret, l'empereur se montra fort mécontent. Tu as agi contrairement à ma politique, dit-il. Je me suis efforcé de détruire par tous les moyens la loi des Galiléens ; mais je n'ai commandé de violenter ou de tuer aucun d'eux. Tu as mal agi, en donnant aux Galiléens l'occasion d'écrire contre moi, comme ils ont fait contre mes prédécesseurs, et d'attribuer le titre de martyrs aux malfaiteurs qui ont été mis à mort. Vois à ne faire périr aucun d'eux, et donne à tes subordonnés des instructions semblables[73]. On ne saurait affirmer que ces paroles aient été prononcées ; mais elles sont tout à fait dans les sentiments de Julien, qui, dit saint Grégoire de Nazianze, faisait tous ses efforts pour enlever aux athlètes du Christ les honneurs dus aux martyrs[74].

Les chrétiens remarquèrent qu'à la suite des profanations par lesquelles Julien essaya de venger l'incendie du temple de Daphné, des maux de toute sorte fondirent sur les persécuteurs et sur l'Empire. Qui pourrait, dit saint Grégoire de Nazianze, raconter tous les malheurs dont Dieu a puni visiblement la destruction des églises, les injures faites à la sainte table, la profanation des vases sacrés qui servaient aux divins mystères, les cruautés commises contre les serviteurs de Jésus-Christ ?[75] Le fait qui attira le plus l'attention fut la maladie répugnante et douloureuse dont le comte Julien fut atteint presque aussitôt après le pillage de l'église d'Antioche[76]. On vit dans le même moment des morts épouvantables et soudaines, dans lesquelles les chrétiens reconnurent des coups de la justice divine. Un évêque de la Thébaïde, Héron, qui avait renoncé au christianisme, fut pris à Antioche d'un mal horrible, et, le corps couvert de pourriture, exhalant une odeur fétide, mourut abandonné dans la rue, sans être secouru par personne[77]. Un prêtre renégat d'Antioche, Théotecne, fut également atteint de pourriture, perdit les yeux, et, pendant son agonie, dévorait sa langue[78]. Saint Grégoire de Nazianze parle de renégats qui, ne pouvant résister aux remords, avaient d'affreux cauchemars la nuit, et le jour d'étranges hallucinations, pendant lesquels ils confessaient tout haut leur faute[79]. Des fléaux de diverse nature achevaient de frapper les imaginations. Les sources si abondantes qui alimentaient d'eau la ville d'Antioche, baissèrent au point qu'on craignit de les voir tarir : les chrétiens virent dans ce fait sans précédent une expiation des sacrifices que Julien avait offerts aux Nymphes[80]. De toutes parts arrivaient des nouvelles de disettes, de tremblements de terre : beaucoup de villes furent à demi renversées en Palestine, en Libye, en Grèce, en Sicile[81] : Nicomédie, déjà en ruines par le tremblement de terre de 358, achève d'être abattue par celui de 362, qui n'épargna pas Nicée[82], et se fit sentir aussi à Constantinople[83]. Aux membres persécutés de l'Église, ces événements étaient une marque de la colère divine, allumée par l'apostasie de l'empereur : les païens ne pouvaient s'empêcher d'y voir un présage funeste pour l'expédition lointaine qui se préparait[84].

C'est au milieu de tels événements qu'il convient de se placer, si l'on veut admirer un sophiste. Il semble que pour cette classe d'hommes ait été écrit l'Impavidum ferient ruinæ. Ils assisteraient impassibles à l'écroulement d'un monde, s'ils y pouvaient trouver une belle matière à mettre en vers latins ou en prose grecque. Devant Rome en feu, Néron chantait l'embrasement de Troie : moins tragiquement, Libanius avait composé en 358 une première déclamation sur la ruine de Nicomédie[85] ; en 362, l'incorrigible homme de lettres vit dans l'incendie de Daphné l'occasion de donner un pendant à cette pièce élégante, en écrivant une seconde déclamation, qui reçut, comme la première, le titre de monodie[86].

Cette élégie en prose est une des compositions littéraires les plus factices et les plus froides qui se puissent lire. Pour y trouver quelque animation, il faut en suivre le texte, non isolé dans les œuvres de Libanius, mais intercalé et comme enchâssé dans le discours de saint Jean Chrysostome sur le martyr Babylas. L'orateur chrétien n'a pas craint de citer, dans son homélie, une grande partie de l'œuvre du rhéteur païen, la commentant avec verve, la réfutant d'une main légère, et comme avec le sourire sur les lèvres. Il se trouve donner ainsi de la vie, de la passion, de l'intérêt, à un écrit qui par lui-même en était tout à fait dénué. Les seuls traits historiques que celui-ci contienne sont la description de la statue d'Apollon et le tableau de l'affolement de Julien et de la foule païenne à la vue de l'incendie. On y trouve encore cependant un aveu qui mérite d'être noté. C'est la reconnaissance du discrédit où était tombé, à Daphné, le culte d'Apollon, avant que Julien vint le ranimer :

Tu étais demeuré, ô Apollon, le sûr et vigilant gardien de Daphné, au temps où tes autels avaient soif de sang. Alors les adorateurs te négligeaient : quelquefois même on t'adressait de honteux outrages : tes ornements extérieurs avaient été détachés ou brisés : tu avais tout supporté avec patience. De nos jours, au contraire, beaucoup d'agneaux, des bœufs en grand nombre t'ont été immolés : la bouche auguste du roi baisait ton pied : tu voyais celui que tu avais prédit, tu étais vu de celui que tu avais annoncé : tu venais d'être délivré du voisinage d'un mort importun : et voilà que tu fuis soudain notre hommage et notre culte ![87]

Julien admira beaucoup la monodie de Libanius. Tu as composé sur Daphné, lui écrit-il, un discours tel qu'aucun des mortels qui vivent aujourd'hui n'aurait été capable d'en faire un semblable, même au prix des plus grands efforts, et je crois que se seraient trouvés, parmi les anciens, bien peu d'écrivains en état de rivaliser en ceci avec toi[88]. Mais on a remarqué avec surprise que Julien, qui bâtissait si volontiers des édifices nouveaux en l'honneur des dieux, ne fit aucun effort pour réparer le temple de Daphné. Il demeura quatre mois encore à Antioche, et survécut sept mois à l'incendie. Mais il ne donna point l'ordre de recouvrir l'édifice. Vingt ans après, les murailles étaient encore debout, toutes les colonnes en place, sauf une, qui s'était détachée de sa base et appuyée contre la paroi de la cella : seul manquait le toit, que l'on n'avait pas essayé de refaire[89]. On ne sait de qui avait eu peur Julien : des chrétiens, du feu du ciel, du martyr Babylas, ou de la colère d'Apollon.

 

II. — L'anarchie.

Je ne vois aucun mot convenant, autant que celui d'anarchie, à l'état où la politique religieuse suivie par Julien durant son séjour à Antioche mit l'Orient romain.

C'est une lutte des villes entre elles, d'une partie de la population d'une même ville contre une autre partie, de l'empereur contre ses sujets ou contre ses magistrats. La guerre religieuse, que Julien a allumée, met en fermentation et en conflit tous les éléments de la société : ceux-là mêmes qui devraient assurer l'ordre, prévenir ou réprimer, excitent le désordre, se jettent dans la mêlée, substituent leurs préférences personnelles au souci de l'intérêt commun. Les habitants d'Antioche ne se trompent pas autant que le croit Julien, en l'accusant de bouleverser le monde[90]. Et saint Grégoire de Nazianze eut probablement une vue juste, quand il fit un crime au souverain sectaire d'avoir, par le sacrifice de tout autre intérêt à celui de la réaction païenne, ébranlé l'Empire romain, mis la société en péril, et fait souffrir à une partie de ses sujets plus de maux que n'en aurait produits une invasion d'ennemis[91].

Célébrant la tolérance de Julien, Libanius a dit : Il se réjouissait de visiter les cités qui avaient conservé leurs temples, et les jugeait dignes de ses bienfaits ; celles qui, en tout ou en partie, s'étaient détachées du culte des dieux, il les regardait comme impures, mais leur donnait, comme à ses autres sujets, tout ce dont elles avaient besoin, bien qu'il le fit à contrecœur[92]. C'est le contraire qui est vrai. Nous voyons Julien se montrer hostile ou favorable aux cités, selon la religion professée par la majorité de leurs habitants, et quelquefois l'hostilité contre celles où le christianisme est dominant va jusqu'à la plus criante injustice.

On se souvient que, sollicité par la ville de Pessinonte qui réclamait de son gouvernement un bienfait ou un secours, il fit savoir qu'il n'accueillerait la requête que si les citoyens faisaient en commun un acte de dévotion à Cybèle[93]. — En Palestine, deux villes voisines, Gaza et Majuma, étaient rivales : la première poussait jusqu'au fanatisme le culte des dieux ; la seconde ne contenait guère que des chrétiens. Julien dépouilla celle-ci du titre et des privilèges de cité, que Constantin lui avait accordés, lui enleva ses décurions, ses magistrats, ses décemvirs, l'assujettit à Gaza, et la réduisit à n'être plus que le faubourg maritime de son ancienne rivale[94]. — L'une des villes de l'Empire les plus exposées aux incursions des Perses était Nisibe. C'est contre ce boulevard de la puissance romaine en Orient[95] que battaient toujours les premiers flots de l'invasion. On ne comptait plus le nombre des sièges que Nisibe avait soutenus. Trois fois sous Constance, en 338, 346 et 349, Sapor avait échoué devant ses murs. Dans le courant de 362, le bruit se répandit que les Perses, menacés par les préparatifs de Julien, allaient prendre l'offensive. C'était dire que ce poste avancé serait investi de nouveau. Alarmés, les habitants de Nisibe envoyèrent une députation à l'empereur pour demander l'envoi de renforts. Julien fit une incroyable réponse. Il ne recevra pas les députés, dit-il, il n'accordera aucun secours à la ville frontière, lui-même, dans sa future expédition, se détournera d'elle comme d'une cité scélérate, à moins que ses citoyens, qui professaient tous le christianisme, ne rouvrent les temples des dieux, n'offrent des sacrifices, et ne reviennent en masse à l'ancienne religion[96].

Une telle partialité, qui touchait presque à la trahison envers l'Empire, autorisait tous les excès. Abattre les monuments chrétiens, ou y introduire le culte païen, fut permis, partout où on en aurait la force.

L'autorité publique donna l'exemple. Par l'ordre de Julien, une très ancienne statue de Jésus-Christ[97], que l'on vénérait sur la place publique de Césarée Panéas, aux confins de la Palestine et de la Phénicie, fut renversée, et remplacée par une statue de l'empereur : les païens s'emparèrent de l'image du Christ, la traînèrent à travers la ville, et la mirent en pièces : les fidèles ne purent que recueillir pieusement ses débris et les déposer dans l'église[98]. Dans le même temps le comte Magnus mit le feu à l'église de Beyrouth[99].

Excitées par ces exemples officiels, les populations païennes multipliaient les sacrilèges. Une procession bachique envahit l'église d'Épiphanie, en Syrie : au son des fibres et des tambourins, elle y porta la statue de Bacchus, qui fut déposée sur l'autel ; l'évêque Eustathe[100] en mourut de douleur[101]. Une autre ville riveraine de l'Oronte, Émèse, la patrie de la pierre noire adorée par Élagabale, l'une des cités vouées au culte du Soleil et aux orgies rituelles de l'Orient, eut un semblable spectacle : sa principale église, récemment construite, fut transformée en temple de Bacchus[102] : en même temps, une populace fanatique incendia, dans la ville ou aux environs, les sépulcres des Galiléens[103], c'est-à-dire les sanctuaires des martyrs.

Par de tels actes, ces villes saintes, comme les appelle Julien, ne commettaient aucune irrégularité : lui-même y voit une preuve de leur amour pour sa personne, et déclare qu'en détruisant les tombeaux des athées elles exécutaient un de ses ordres[104]. Aussi, certains de l'impunité, d'autres que les païens se livrèrent-ils aux mêmes attentats. Toutes les haines religieuses à la fois avaient été réveillées par Julien. Les Juifs se crurent le droit d'attaquer aussi les chrétiens. Ils s'unirent contre eux aux gentils, dit saint Jean Chrysostome[105]. A Damas, où ils avaient été jadis très puissants, au point qu'au premier siècle de notre ère presque toutes les femmes s'y étaient converties au judaïsme[106], ils formaient encore, au quatrième siècle, une communauté prospère, qu'animait un zèle ardent et farouche. Devenus libres de tout oser, ils mirent le feu aux deux basiliques chrétiennes de la ville[107]. Saint Ambroise dit qu'ils en avaient reçu la permission, et ajoute que, seuls ou de concert avec les païens, ils brûlèrent aussi des basiliques à Gaza, à Ascalon, à Beyrouth, à Alexandrie, et en une multitude de lieux[108].

Pendant que les ennemis du christianisme recevaient ainsi complète licence, les excès commis par les chrétiens en représailles étaient impitoyablement punis. A vrai dire, ces représailles furent fort rares. Ceux qui s'y laissèrent entraîner avaient ordinairement l'excuse de la jeunesse. C'était le cas du soldat Émilien, brillé vif à Dorostore, en Mésie, par ordre de Capitolinus, vicaire de Thrace, comme coupable d'avoir renversé des autels, brisé des statues, et jeté à terre l'appareil des sacrifices[109]. — A Mère, en Phrygie, un acte semblable amena l'exécution de trois chrétiens. Le préfet de la province, Amachius, avait fait ouvrir l'un des temples de la ville ; on venait de nettoyer la poussière et les ordures que plusieurs années d'abandon y avaient entassées. Emportés par un excès de zèle, des chrétiens y pénétrèrent la nuit, et brisèrent toutes les statues. Le préfet fit arrêter de nombreux fidèles, innocents de cette action, et allait les envoyer au supplice, quand trois habitants de la ville, Macedonius, Théodule et Tatien, se dénoncèrent. Amachius leur offrit leur grâce à condition de sacrifier aux dieux qu'ils avaient offensés. Ils refusèrent. Le préfet les condamna à mourir brûlés. Ils furent étendus sur un gril, au-dessous duquel étaient allumés des charbons. On leur attribue le propos prêté aussi à saint Laurent. Si tu aimes les chairs cuites, dirent-ils à Amachius, fais-nous retourner de l'autre côté, afin que, quand tu nous mangeras, nous ne te paraissions pas à moitié cuits[110]. — La destruction d'un temple, à Césarée de Cappadoce, amena aussi plusieurs exécutions capitales. Ici, la situation était particulièrement délicate, et, même en se plaçant au point de vue de Julien, pouvait être discutée. On se souvient que, sous le règne de Constance, des temples de Jupiter et d'Apollon avaient été démolis à Césarée par ordre de l'administration municipale. Les villes étaient propriétaires des temples : au point de vue de la stricte légalité, cet acte demeurait irréprochable. Mais, sous le règne de Julien, et, sans nul doute, par opposition à sa politique religieuse, les habitants de Césarée décidèrent la destruction d'un autre temple, celui de la Fortune, le seul qui fût encore debout dans leur ville. Julien n'examina pas s'ils avaient agi dans la limite de leur droit : il les punit comme coupables du plus grand des crimes. La ville perdit son titre de métropole, reprit le nom de Mazaca, qu'elle avait porté avant de recevoir de Claude celui de Césarée, et fut même rayée de l'album des cités. C'était réduire ses citoyens à la condition des paysans : aussi furent-ils soumis à la capitation dont les habitants des villes étaient exempts, et qui pesait sur les seuls habitants des campagnes[111]. En plus de cette dégradation, des peines diverses furent prononcées : d'abord, une amende de trois cents livres d'or, pesant indistinctement sur tons, puis, en ce qui concernait les membres du clergé, objet de la haine particulière de Julien, la confiscation de tous les biens des églises, et l'inscription de tous les clercs parmi les soldats de la police du gouverneur ; ce qui est le genre de milice le plus pénible et le plus méprisé[112]. Julien commanda à tous les habitants de reconstruire à leurs frais les temples détruits, en jurant qu'ils en répondraient sur leurs têtes. Mais ils ne se borna pas à ces mesures générales : il fit rechercher ceux qui paraissaient avoir pris une part personnelle à la démolition du temple de la Fortune. Les auteurs présumés de cette démolition furent, les uns exilés, les autres mis à mort. On tonnait parmi ces derniers Eupsyque et Damas. Du second, nous ne savons que le nom ; du premier, un jeune noble de Cappadoce, on nous dit qu'il venait de se marier, qu'il était presque fiancé encore[113], quand il fut exécuté[114].

Le sang appelle le sang : voyant des chrétiens tomber sous les coups des bourreaux, en vertu de sentences prononcées par des magistrats, les populations fanatiques s'arrogèrent le droit de prévenir ces sentences, d'exécuter elles-mêmes ceux sur qui elles croyaient avoir à venger des injures faites à leurs dieux. Toutes les rancunes, toutes les haines publiques et privées se donnèrent libre carrière. A Alexandrie, ensanglantée déjà par le meurtre de Georges, de Dracontius et de Diodore, la populace païenne, dirigée par un philosophe de cour, Pythiodore[115], envahit une des églises, et la remplit d'un double sang, celui des victimes et celui des hommes, c'est-à-dire tout à la fois y offrit des sacrifices et y massacra des chrétiens[116]. Le fanatisme s'alluma, comme une traînée de poudre, sur tout le littoral d'Alexandrie, presque jusqu'à Antioche. Le long de la mer syro-phénicienne, — soit au sud, dans ces citadelles du paganisme oriental qui s'appelaient Gaza et Ascalon, soit au nord, dans les villes que couvraient de leur ombre les deux chaînes du Liban, aux sommets chargés de temples, aux flancs creusés de cavernes qui abritaient des prostitutions sacrées[117], — la lutte contre l'idolâtrie avait été, sous les deux règnes précédents, plus âpre que partout ailleurs. On se souvient que Constantin dut abattre les sanctuaires d'Héliopolis et d'Aphaque, où, sous l'invocation de la Vénus pleurante du Liban[118], se passaient des scènes d'une immoralité révoltante[119]. Beaucoup de chrétiens, évêques, prêtres ou laïques, avaient, dans ces contrées, exprimé avec vivacité leur mépris du paganisme, ou même porté une main violente sur ses autels ou ses statues. Les foules naguère blessées dans leurs croyances, gênées dans leurs habitudes, ou troublées dans leurs débauches, s'exaltaient maintenant à la pensée des revanches possibles. Celles-ci se déchaînèrent, violentes, contagieuses, avec ce raffinement dans la cruauté, qui est pour les gens de plaisir une volupté nouvelle.

Gaza, où la faveur si marquée de Julien avait donné toute assurance aux païens, vit d'horribles scènes. Les habitants de cette ville idolâtre avaient obtenu de l'empereur la démolition du monastère bâti, sur une montagne voisine, par l'ermite Hilarion, sa condamnation à mort et celle de son disciple Hesychius : on avait envoyé sans succès des émissaires les chercher jusqu'à Alexandrie, pendant que le proscrit, quittant l'Égypte, où il avait d'abord trouvé un refuge, passait en Sicile[120]. Mais la populace, déçue dans sa férocité, trouva promptement une diversion. Trois chrétiens, frères, Eusèbe, Nestabius et Zénon, étaient particulièrement haïs par elle. Se sentant menacés, ils parvinrent à se cacher pendant quelque temps : mais bientôt leur asile fut découvert. On s'empara d'eux, et, après les avoir fouettés, on les mit en prison. Le peuple, cependant, voulait davantage. Un jour, au théâtre, tous les spectateurs se mirent à pousser des cris de mort, réclamant les trois frères, les accusant d'avoir, autrefois, profané les temples, insulté les dieux. S'excitant mutuellement, les manifestants quittèrent le théâtre, forcèrent les portes de la prison, et en tirèrent les captifs. Ce fut alors, dans la foule, une émulation de cruauté. Des femmes, occupées à tisser dans leurs maisons, abandonnèrent le métier devant lequel elles étaient assises, pour venir piquer les malheureux avec leurs navettes. Les cuisiniers ambulants, qui avaient leurs échoppes en plein air sur l'agora, apportaient des marmites d'eau bouillante et les versaient sur les patients, ou perçaient ceux-ci de leurs broches. Deux autres chrétiens, qui avaient été pris en même temps qu'eux, furent moins cruellement maltraités. L'un, nommé aussi Zénon, put s'enfuir, et se réfugier à Anthédon. L'autre était un jeune homme, appelé Nestor. Ceux qui s'étaient emparés de lui le battirent d'abord, puis s'attendrirent à la vue de sa beauté. Cette impression n'est pas sans exemple chez les anciens, si sensibles à la grâce et à l'éclat de la forme[121]. Cessant de le frapper, ses bourreaux le jetèrent en dehors d'une des portes de la ville, avec la pensée de l'y laisser mourir. Quelques chrétiens parvinrent à le recueillir, et le transportèrent secrètement à Anthédon, où il fut soigné par Zénon : mais il ne tarda pas à rendre chez celui-ci le dernier soupir. Quant aux trois martyrs, il ne restait d'eux que des corps déchirés, des têtes écrasées d'où la cervelle avait jailli sous les coups. On porta ces restes sanglants hors de la ville, dans un lieu où étaient jetés les cadavres d'animaux. Après les avoir brûlés, les païens mêlèrent les ossements échappés aux flammes avec les carcasses d'ânes et de chameaux qui couvraient le sol. Une femme chrétienne les reconnut, cependant, et les mit dans une urne. Elle porta celle-ci à Zénon, qui, battu et chassé par les païens d'Anthédon, presque aussi fanatiques que ceux de Gaza, avait enfin trouvé un refuge à Majuma[122].

Dans la ville sensuelle d'Héliopolis, l'émeute fut plus épouvantable encore. Le diacre Cyrille, qui avait pris part, sous Constantin, à la démolition du temple de Vénus, fut massacré : des fanatiques lui arrachèrent le foie pour le dévorer[123]. Mais il semble que le voisinage du temple détruit, le souvenir des hiérodules, ait inspiré aux gens d'Héliopolis une haine particulière pour de saintes filles qui, en vouant à Dieu leur virginité, purifiaient par l'austérité de leurs vertus des lieux souillés naguère par un mélange honteux de religion et de débauche. On força le monastère, on en tira les vierges chrétiennes : dépouillées de leurs vêtements, elles furent exposées nues devant le peuple. Après les avoir outragées de mille manières, on leur rasa les cheveux, puis on les mit en pièces : des misérables, dit-on, goûtèrent de leur foie, et, arrachant leurs entrailles palpitantes, les jetèrent, saupoudrées d'orge, à des porcs[124].

Si l'on en croit l'historien Théodoret, les mêmes horreurs se passèrent à Ascalon, éclairées par l'incendie de l'église chrétienne[125]. Il semble qu'en plein quatrième siècle le Baal ou l'Astarté des temps antiques se soient réveillés, pour demander encore une fois le sang des sacrifices humains. A l'autre extrémité de la Phénicie, dans la petite ville d'Aréthuse, c'est sur un vieillard que la foule s'acharna. Marc, l'évêque arien ou semi-arien d'Aréthuse, le même, dit-on, qui sauva Julien enfant, lors du massacre des membres de sa famille[126], était accusé d'avoir, pendant les règnes de Constantin et de Constance, abusé de son influence pour contraindre les païens : on lui reprochait surtout d'avoir détruit le principal temple de la ville. Dénoncé à Julien, il reçut de celui-ci l'ordre, ou de rebâtir à ses frais le temple, ou d'en payer la valeur. Il refusa de faire l'un ou l'autre, jugeant qu'un chrétien, et surtout un prêtre, ne pouvait en conscience contribuer à la construction d'un édifice destiné au culte des idoles. Pour échapper aux conséquences de ce refus, peut-être pour épargner un crime aux persécuteurs[127], il s'enfuit ou se cacha. Mais bientôt il apprit qu'à son défaut de nombreux chrétiens étaient arrêtés, traduits en justice, mis à la torture. Il revint alors s'offrir aux fureurs de la multitude. Au lieu d'être touchée par cette démarche courageuse, la foule des païens se rua sur lui : on le traînait dans les rues et sur les places : on le battait, on lui arrachait les cheveux et la barbe. Hommes, femmes, dignitaires de la cité, magistrats, se le disputaient avec fureur : il n'était pas de tourments qu'on ne lui infligeât, jusqu'à lui serrer les jambes avec des cordes, ou lui scier les oreilles au moyen de fils. Les enfants des écoles l'avaient pris pour jouet : ils le jetaient en l'air, le faisaient tourner sur lui-même, se le poussaient de l'un à l'autre, et le recevaient sur leurs stylets à écrire. Quand il fut couvert de blessures, on enduisit son corps de miel et de saumure, et on le suspendit dans une corbeille, exposé, sous un soleil brûlant, aux piqûres des abeilles et des guêpes. Lui, cependant, ne perdait rien de son courage ; quand il eut été élevé dans la corbeille, il dit à ses bourreaux d'une voix dédaigneuse : Je vous regarde d'en haut, et je vous vois bas et petits. Tant de fierté émut quelques  assistants : on essaya de marchander avec Marc. La somme à laquelle avait été estimée la valeur du temple détruit fut baissée à plusieurs reprises : on en arriva à la réduire presque à rien, et encore plusieurs personnes offraient-elles de la lui fournir ; mais l'évêque, voyant là comme nous dirions aujourd'hui, une question de principe, refusait de payer même une obole. Les fanatiques d'Aréthuse finirent par se reconnaître vaincus : ils rendirent à Marc sa liberté. Beaucoup, dans la suite, se feront chrétiens[128].

Ces excès sans contrôle, ces cruautés sans répression, ces émeutes qui ne s'apaisaient que par la lassitude ou le repentir spontané des émeutiers, blessaient l'opinion des hommes modérés, même parmi les païens. Les magistrats vraiment soucieux de la paix publique s'en montraient émus. Mais la permission d'intervenir leur était refusée. Ils n'avaient pas le droit de réprimer les délits ou les crimes, quand les victimes étaient des chrétiens. Le gouverneur de la Palestine, sous l'administration de qui était Gaza, en fit l'expérience à ses dépens. C'était un fonctionnaire opportuniste, qui avait donné tous les gages possibles à la réaction païenne. Il avait louvoyé entre les circonstances et les lois, dit un contemporain, s'asservissant aux nécessités du temps et se souciant médiocrement de la légalité[129]. Sous divers prétextes, il avait déjà jugé et condamné des chrétiens[130]. Mais il gardait quelques scrupules, et pensait que même aux désordres suscités par les païens, il devait y avoir des limites. Aussi, le lendemain du massacre d'Eusèbe, de Nestabius et de Zénon, fit-il arrêter quelques-uns des plus compromis parmi les émeutiers, ceux qui étaient soupçonnés d'avoir porté aux victimes le coup mortel. Leur procès allait s'instruire, quand lui-même, pour ce fait, fut dénoncé à l'empereur. Julien le fit comparaître en accusé. Le gouverneur défendit sa conduite en invoquant les lois, qui lui attribuaient le droit et lui imposaient le devoir de juger les crimes commis dans sa province. Est-ce donc un crime, lui répondit Julien, si un Grec tue dix Galiléens ?[131] Peu s'en fallut que lui-même fût condamné à mort : l'empereur crut faire acte de démence en l'exilant[132].

Un tel exemple était pour décourager les fonctionnaires prudents. Cependant un d'entre eux, que l'éclat de ses services et l'importance de sa situation mettaient hors de pair, essaya encore de rappeler Julien au sentiment de ses devoirs de souverain. C'était le préfet du prétoire d'Orient, Salluste. Il prit prétexte des événements d'Aréthuse, de ce duel de toute une populace avec un vieillard, de la défaite morale des séditieux, pour l'avertir. Empereur, dit-il, n'avons-nous pas de honte de nous montrer à ce point inférieurs aux chrétiens, que nous soyons incapables de vaincre même tin vieillard, après lui avoir fait souffrir toute espèce de tourments ? Il n'y aurait pas eu beaucoup de gloire à triompher de lui : mais être vaincus par lui, n'est-ce pas une véritable calamité ?[133] Julien ne parait pas s'être ému de ces remontrances. Sa passion religieuse le dominait maintenant tout entier. Il ne gouvernait plus, si ce n'est contre les chrétiens. Il mettait sa gloire dans ce qui faisait rougir ses préfets[134]. Et, raillant, il disait : Ces Galiléens devraient se réjouir : la loi de l'Évangile ne leur ordonne-t-elle pas de souffrir les maux que Dieu leur envoie ?[135]

Dans son entourage le plus intime, cependant, s'élevaient aussi des protestations discrètes. J'ai assez montré les ridicules de Libanius, pour ne pas être heureux de faire voir les qualités réelles qui les rachetaient. Le vaniteux sophiste était un brave homme. Le zélé païen[136] prenait au sérieux les maximes de tolérance affichées par Julien. S'il ne se hasardait pas à les rappeler à celui-ci, quand il l'y voyait infidèle, au moins ne craignait-il pas d'user de son influence auprès des prêtres ou des magistrats, pour obtenir en faveur des chrétiens un traite-. ment équitable ou une protection efficace. A l'un, qu'il voyait trop âpre à exiger d'un chrétien la somme à laquelle celui-ci avait été condamné pour dommages autrefois causés à un temple, il écrit : Montrez, mon cher Barrhius, votre zèle pour les choses sacrées en multipliant les sacrifices, en accomplissant avec exactitude les cérémonies, en rétablissant les temples détruits. Car il faut bien honorer les dieux, plaire à l'empereur et embellir sa patrie. Montrez-vous très exact à servir les Grâces, car elles sont déesses, et il faut les honorer. Mais on peut prendre soin de toutes ces choses et conserver pourtant quelque douceur. Mettez-en donc, je vous prie, dans ce que vous exigez de Basiliscus : laissez-le payer son indemnité en deux parties, l'une comptant, et l'autre qu'il se procurera d'ici à peu. Rappelez-vous la conduite d'Émilien (son père), que personne n'a jamais accusé et que j'ai toujours fort loué. Il n'a point été de ceux qui nous ont fait tort, et il l'eût pu s'il l'avait voulu[137].

Libanius intercédait volontiers pour les chrétiens molestés par la loi qui ordonnait la reprise de toutes les propriétés des temples, même de celles qui avaient été reçues en don ou achetées après la confiscation ou la désaffectation de quelque édifice sacré[138]. Mais surtout il ressentait péniblement la honte qui rejaillissait sur les païens des violences commises contre des hommes inoffensifs. En particulier, les représailles exercées, sous les prétextes les plus divers, contre des fonctionnaires du règne de Constance ou des hommes qui avaient été en puissance ou en faveur à cette époque, blessaient son humanité et sa justice. Il intervient chaleureusement auprès d'un sophiste entré comme tant d'autres dans l'administration, et devenu gouverneur de l'Arabie, en faveur d'un ancien magistrat de Bostra, que l'on persécutait comme chrétien. Orion, écrit-il, a de tout temps été mon ami : ma mère avait mis du soin à nous lier ensemble, et je l'ai toujours trouvé homme excellent, très éloigné d'imiter ceux qui abusent de leur puissance. Tous ses concitoyens de Bostra témoignent qu'il n'a pas détruit les choses sacrées ou persécuté les prêtres, et qu'il en a sauvé plusieurs de la misère par la douceur de son gouvernement. Voilà l'homme qui m'est venu voir tout triste et tout abattu. Répandant un flot de larmes, il m'a dit : C'est à peine si je peux m'échapper des mains de ceux que j'ai comblés de mes bontés. Quoique je n'aie fait aucun mal à personne, quand j'en pouvais faire, peu s'en faut que je n'aie été mis en pièces. Et il a continué en me racontant la fuite de son père, la dispersion de toute sa famille, ses champs ravagés, tous ses meubles brisés. Je ne puis croire que toutes ces choses aient eu lieu par ordre de l'empereur. L'empereur a bien dit que ceux qui avaient en leur possession des choses sacrées devaient les rendre : mais ceux qui ne les possèdent pas ne doivent être ni maltraités ni outragés... Il est clair que les gens qui font toutes ces violences, sous prétexte de prendre en main la cause des dieux, n'ont que le désir de s'approprier les biens d'autrui[139].

Probablement le gouverneur auquel Libanius s'adressait, en des termes si honorables pour lui-même, jugeait à distance les sentiments de Julien avec plus d'exactitude que le naïf sophiste d'Antioche, qui vivait cependant près du prince. Aussi ne s'empressa-t-il pas de faire droit à la demande. Il laissa Orion et sa famille à la merci de leurs ennemis. Libanius intervint une seconde, puis une troisième fois. Le souvenir des mauvais traitements subis par Marc d'Aréthuse hantait son esprit. Si Orion pense autrement que nous au sujet des dieux, écrit-il de nouveau au gouverneur d'Arabie, c'est une erreur qui ne nuit qu'à lui-même, mais ce n'est point pour ses amis une raison de lui faire la guerre... Ceux qui le persécutent, lui et ses proches, et le livrent en proie aux insultes du premier venu, s'imaginent qu'en faisant cela ils plairont aux dieux, mais ils s'éloignent entièrement du véritable culte que les dieux désirent... Mais vous, qui êtes passé de la chaire du professeur à la dignité du juge, c'est à vous qu'il convient ou de leur persuader les meilleures choses, ou de les contenir par la force[140].

Jusqu'ici, Libanius a tenu le langage d'un vrai libéral, ou an moins a laissé parler son cœur. Dans les lignes qui suivent il semble faire quelque concession aux préjugés et aux passions des païens. Mais on peut croire qu'il parle ainsi pour mieux persuader un juge qu'il sent incapable de se rendre à des raisons plus élevées. Si Orion, dit-il, détient quelque somme venant d'une origine sacrée, et peut la restituer, qu'on le frappe, j'y consens, qu'on le transperce, qu'on lui fasse subir le sort de Marsyas. Il est digne de toutes les peines si, pouvant se faire délivrer en rendant ce qu'il doit, il se laisse vaincre par l'amour des richesses et supporte tous ces maux pour garder son or. Mais, s'il est pauvre comme Iras, s'il va se coucher souvent sans souper, je ne vois pas quel profit nous trouverons à lui infliger des tourments qui ne feront de lui valoir une bonne renommée parmi nos ennemis. S'il venait à mourir dans les cers, songez, je vous prie, à ce qui en résulterait, et prenez garde que vous ne soyez en train de nous forger plus d'un Marc d'Aréthuse. Vous savez ce qui est arrivé à ce Marc. il a été suspendu en l'air, frappé de verges, tiré par la barbe : et comme il a tout supporté avec courage, on l'honore maintenant à l'égal d'un dieu, on l'assiège partout où il parait... Prenez cet exemple pour votre règle ; qu'Orion sorte de vos mains vivant comme Marc, mais non pas admiré comme lui. Il dit qu'il n'a rien dérobé. Supposez qu'il mente. S'il a tout perdu, pensez-vous trouver une mine d'or dans sa peau ? Je vous en conjure, vous qui êtes son ami en même temps que son juge, ne faites rien qui ne soit généreux, et, s'il faut qu'il soit châtié, au moins qu'il n'ait point de blessure à montrer pour se faire porter en triomphe[141].

Ces lignes étaient précieuses à recueillir : elles montrent à quelles persécutions les chrétiens demeuraient exposés, par le fait ou avec la connivence des gouverneurs ; elles confirment le récit donné par les historiens chrétiens des souffrances et du triomphe de Marc d'Aréthuse ; elles laissent voir la profonde impression produite sur tous les esprits par l'épisode dont celui-ci avait été le héros ; et enfin elles traduisent éloquemment l'humiliation éprouvée par les païens intelligents et honnêtes devant la faillite de la tolérance et le progrès de l'anarchie.

 

 

 



[1] Sozomène, V, 19.

[2] Libanius, Antiochicus.

[3] Antiochia Epidaphnes cognominata. Pline, Nat. Hist., V, 21.

[4] Libanius, Antiochicus.

[5] Libanius, Antiochicus.

[6] Voir Julien, Ép. 1°, dans Revista di filologia, 1889, p. 292 ; cf. ibid., p. 312.

[7] Sozomène, V, 19.

[8] Voir Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., p. 238.

[9] Sozomène, V, 19.

[10] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 13.

[11] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 13.

[12] Julien, Ép. 1°, dans Rev. di filologia, 1889, p. 292. — Julien ajoute que, si l'on ne trouve pas assez de colonnes pour remplacer celles qui auront été retirées du palais, on en fera, s'il le faut, en briques revêtues de plâtre, car la justice est préférable à la magnificence.

[13] Le dixième mois du calendrier syrien, appelé Loüs. Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 467.

[14] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 467.

[15] Sur les fêtes indécentes de la majuma, voir saint Jean Chrysostome, In Math. hom. VII, 5, 6.

[16] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 467-469.

[17] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 489.

[18] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[19] Misopogon ; Hertlein, p. 446.

[20] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 15.

[21] Théodoret, Hist. ecclés., III, 10.

[22] Bouché-Leclercq, Histoire de la divination dans l'antiquité, t. III, p. 267.

[23] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 15.

[24] Ammien Marcellin, XXII, 12.

[25] A moins, cependant, que les chrétiens, toujours empressés à sa faire enterrer dans le voisinage des tombeaux des martyrs, n'aient établi un cimetière autour de son église.

[26] Théodoret, III, 10 ; Sozomène, V, 20 ; Philostorge, VII, 12. — M. Duruy (Histoire des Romains, t. VII, p. 371) attribue à la crainte du renouvellement de pareilles scènes, et au désir d'éviter les occasions de conflit entre païens et chrétiens, le décret de Julien (Ép. 77 ; Code Théodosien, II, XVII, 5) interdisant de faire désormais les funérailles en plein jour. Mais rien n'établit une corrélation entre les deux faits, et le texte du décret indique de tout autres motifs. Le décret, d'ailleurs, est du 12 février 363, postérieur de plusieurs mois à l'incident de la translation des reliques de saint Babylas.

[27] Psaume CXIII, 24.

[28] Psaume LXVII, 1.

[29] Théodoret, III, 14.

[30] Rufin, I, 36 ; Socrate, III, 18, 19 ; Sozomène, V, 20.

[31] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 333.

[32] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[33] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[34] Simulacrum in eo Olympiaci Jovis imitamento æquiparans magnitudinem. Ammien Marcellin, XXII, 13. — Strabon raconte que la statue de Jupiter était si grande, que, si elle se fût levée, sa tête eût heurté le plafond. Beulé, Histoire de l'art grec avant Périclès, p. 263.

[35] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334. — Voir une ligure d'Apollon Citharède, ressemblant à cette description, sur un bas-relief choragique reproduit dans le Dictionnaire des antiquités, t. I, p. 319, fig. 377 ; et aussi la fig. 379, p. 320.

[36] Philostorge, VII, 8.

[37] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[38] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[39] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[40] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[41] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[42] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 334.

[43] Sozomène, V, 19. Cf. Ammien Marcellin, XXII, 13. Sozomène semble dire qu'il n'y avait de colonnes que devant et derrière le temple, aux propylées et à l'opisthodome ; mais Ammien, contemporain et témoin, nous apprend que c'était un temple périptère, c'est-à-dire entouré sur les quatre côtés d'une colonnade, puisqu'il dit qu'on accusait les chrétiens d'y avoir mis le feu stimulatos invidia, quod idem templum inviti videbant ambitioso circumdari peristylio.

[44] Sozomène, V, 19.

[45] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 17.

[46] Ammien Marcellin, XXII, 18.

[47] Cf. Julien, Oratio VII ; Hertlein, p. 291.

[48] Ammien Marcellin, XXII, 13.

[49] Ammien Marcellin, XXII, 13.

[50] Libanius, Monodia super Daphnæi templis ; Reiske, t. III, p. 335.

[51] Théodoret, III, 7.

[52] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 17 ; Sozomène, II, 19.

[53] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 17 ; Sozomène, II, 19.

[54] Misopogon ; Hertlein, p. 467.

[55] Misopogon ; Hertlein, p. 467.

[56] Misopogon ; Hertlein, p. 446.

[57] Misopogon ; Hertlein, p. 467.

[58] Τό άγαλμα. Misopogon ; Hertlein, p. 467. Άγαλμα ne veut pas dire ici statue, puisque celle d'Apollon était détruite ; on doit traduire par spectre, fantôme, image, apparition.

[59] Sozomène, V, 20.

[60] Ammien Marcellin, XXII, 13.

[61] Misopogon ; Henlein, p. 472. Le passage du Misopogon où il est question de l'administration de ce Julien à Antioche a été mal traduit par Talbot.

[62] Théodoret, III, 8.

[63] Théodoret, III, 8. Philostorge, VII, 10, attribue cet acte ignoble à un compagnon, qu'il ne nomme pas, de Julien, d'Elpidius et de Félix.

[64] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 17 ; Théodoret, III, 8 ; Sozomène, V, 8.

[65] Théodoret, III, 8.

[66] Sozomène, V, 8.

[67] Sozomène, V, 8.

[68] Sozomène, V, 8, l'appelle φύλακα τών κειμηλίων, ce qui équivaudrait à prêtre sacristain. Les Actes de saint Théodoret ne lui donnent pas cette qualité. Rien ne dit Clairement s'il fut attaché à la basilique principale ou à l'une des églises qui servaient aux réunions des orthodoxes méléciens et pauliniens. Voir, à ce sujet, les réflexions de Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 393 et 738, et de Ruinart, Acta sincera, p. 858.

[69] Passio sancti Theodoriti, dans Ruinart, p. 658-662. Voir sur cette Passion le jugement de Tillemont, t. VII, p. 735-736.

[70] Ici se place un épisode. Les bourreaux, chargés d'approcher des flancs du martyr des lampes ou des torches ardentes, tombent la face contre terre, et refusent de continuer, parce qu'ils ont vu quatre anges, vêtus de robes blanches, qui conversaient avec lui. Julien, alors, commande de jeter les bourreaux dans la mer, jussit eos in pelagum mitti. Malgré l'autorité arbitraire dont était investi un aussi haut fonctionnaire que le comes Orientis, on a peine à croire qu'il ait, emporté par la colère, sans en référer à l'empereur, et dans la ville même où résidait celui-ci, commandé une telle exécution. Cependant, la conversion subite d'officiers de justice on de bourreaux, pendant le procès de martyrs, n'est pas sans exemple.

[71] Même argument dans le livre de Julien Contre les Chrétiens, dont il est question au chapitre suivant.

[72] Sozomène (VIII, 5) résume ainsi la Passion de Théodoret : Il (le comte Julien) commanda de le décapiter avec le glaive, après qu'il eut répondu courageusement parmi toute espèce de torture, et glorieusement confessé le dogme chrétien. — La date du martyre de Théodoret est difficile à déterminer. La Passion la place au X des calendes d'avril (23 mars). Au même jour, on lit dans le martyrologe hiéronymien : Antiochia Theodori presbi(teri). Ce ne peut être le 23 mars 363, car à cette date le comte Julien était mort. Le 23 mars 362, l'empereur Julien n'était pas encore à Antioche. Si l'on admet, avec la Passion, sa présence dans cette ville an moment de la mort de Théodoret, et si l'on rattache celle-ci à la recherche des vases sacrés qui suivit l'incendie du temple de Daphné, il faut effacer la date du 23 mars, ou, avec Tillemont, y voir celle d'une translation des reliques du saint, non de son martyre. Les martyrologes d'Adon et d'Usnard mettent saint Théodoret au 23 octobre.

[73] Passio sancti Theodoriti, 4 ; Ruinart, p. 661.

[74] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 58 ; cf. Oratio XVIII, 33.

[75] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 2.

[76] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 18 ; Sozomène, V, 8 ; Philostorge, VII, 10 ; Théodoret, III, 9 ; Passio sancti Theodoriti, 4. — Nous parlerons avec plus de détails, dans un autre chapitre, de la fin du comte Julien.

[77] Chronique d'Alexandrie, ad ann. 362.

[78] Chronique d'Alexandrie, ad ann. 362 ; et Philostorge, VII, 18.

[79] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 2.

[80] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 25 ; Ammien Marcellin, XXII, 13.

[81] Libanius, Epitaphios Juliani.

[82] Ammien Marcellin, XXII, 13.

[83] Ammien Marcellin, XXIII, 1.

[84] Ammien Marcellin, XXIII, 1.

[85] Monodia super Nicomediam ; Reiske, t. III, p. 337.

[86] Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 332.

[87] Libanius, Monodia super Daphnæi templum ; Reiske, t. III, p. 333.

[88] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 517.

[89] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et Gentiles, 21.

[90] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 465.

[91] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 74.

[92] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 565.

[93] Julien, Ép. 49 ; Henlein, p. 555.

[94] Sozomène, V, 3.

[95] Orientis firmissimum claustrum. Ammien Marcellin, XXV, 8.

[96] Sozomène, V, 3.

[97] Une tradition, rapportée par Eusèbe (Hist. ecclés., VII, 1), attribuait à l'hemorroïsse guérie par Jésus-Christ et, disait-on, originaire de Panéas, l'érection de cette statue.

[98] Rufin, VII, 14 ; Philostorge, VII, 3 ; Sozomène, V, 21. — Sozomène, qui habita la Phénicie, dit que la statue de Julien fut quelque temps après frappée de la foudre : il l'a vue sans tête, le torse en partie brisé.

[99] Théodoret, Hist. ecclés., IV, 20. — Sur ce Magnus, voir Sievers, Das Leben des Libanius, p. 281.

[100] Sur le rôle d'Eustathe dans les affaires de l'arianisme, voir saint Épiphane, Hæres., LXXIII.

[101] Chronique d'Alexandrie (Migne, P. G., t. XCII, p. 296).

[102] Chronique d'Alexandrie (Migne, P. G., t. XCII, p. 295).

[103] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 461. Cf. saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 29. — Les profanateurs ne s'attaquaient pas seulement aux tombeaux des martyrs : ne faisant aucune différence entre hérétiques et orthodoxes, on les vit, à Scythopolis, violer la sépulture de l'évêque arien Patrophile, disperser ses ossements, et suspendre son crène, qu'ils allumèrent comme une lanterne. Chron. d'Alexandrie.

[104] Julien, Misopogon, 22 ; Hertlein, p. 466.

[105] Saint Jean Chrysostome, in Matth. hom. XLIII, 3.

[106] Josèphe, De Bello Judaico, II, 20.

[107] Saint Ambroise, Ép. 40, 15.

[108] Saint Ambroise, Ép. 40, 15. — Peut-être, à Beyrouth, aidèrent-ils le comte Magnus.

[109] Théodoret, Hist. ecclés., III, 3 ; saint Jérôme, Chron., ad. ann. 363 ; saint Ambroise, Ép. 40 ; Chron. d'Alexandrie (Migne, P. G., t. XCII, p. 395). — Dorostore avait eu d'autres soldats martyrs ; voir la Persécution de Dioclétien, 2e édit., t. I, p. 118, 299.

[110] Socrate, III, 15 ; Sozomène, V, 11. — Voir, sur la tradition rapportée par ces deux historiens, les Analecta Bollandiana, t. XIX, 1900, p. 453.

[111] Sozomène, V, 4.

[112] Sozomène, V, 4.

[113] Sozomène, V, 11.

[114] Probablement le 7 septembre. C'est le jour où saint Basile, devenu évêque de Césarée, célébra tous les ans, avec un grand concours d'évêques, l'anniversaire d'Eupsyque et de Damas. Voir Saint Basile, p. 53.

[115] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 86. Voir aussi Hist. acephala, 11. Cf. Sievers, Des Leben des Libanius, p. 89 et 112, note 47.

[116] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 86.

[117] Renan, Mission de Phénicie, p. 204, 517-519, 647, 653, 691, et pl. LXV.

[118] La Vénus du Liban est toujours représentée pleurant ; Macrobe, Saturn., I, 21 ; François Lenormant, dans Gazette archéologique, 1875, p. 97 ; Renan, Mission de Phénicie, pl. XXXVIII ; Duruy, Histoire des Romains, t. VII, p. 74.

[119] Eusèbe, Præp. evang., IV, 16 ; De vita Const., III, 57 ; Socrate, I, 18 ; Sozomène, I, 8 ; V, 10.

[120] Saint Jérôme, Vita Hilarionis ; Sozomène, V, 10.

[121] Voir Edmond Le Blant, Notes sur quelques Actes des martyrs (extrait des Mélanges de l'École française de Rome, 1885).

[122] Sozomène, V, 9. — Zénon devint, sous Théodose, évêque de Majuma. Il fit construire en dehors de la ville une basilique, et déposa sous l'autel les reliques des trois martyrs, jointes à celles de Nestor.

[123] Théodoret, III, 3.

[124] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 87 ; Sozomène, V, 10. — En d'autres villes, des religieuses furent contraintes par la violence ou amenées par la séduction à épouser des païens ; Sozomène, VI, 3.

[125] Sozomène, VI, 3.

[126] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 19.

[127] C'est ce que laisse entendre saint Grégoire de Nazianze, dans un sentiment très délicat : Il (Marc d'Aréthuse) résolut d'abord de fuir, non pas tant par peur que pour obéir au précepte qui nous ordonne de fuir de ville en ville et de nous retirer devant les persécuteurs. Car il ne convient pas que les chrétiens, si forts et si endurants qu'ils puissent être, pensent seulement à eux-mêmes, mais il leur faut épargner aussi les persécuteurs, afin que, autant qu'il dépend d'eux, ils n'ajoutent pas au péril encouru par leurs ennemis. Oratio IV, 88.

[128] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 88-90 ; Théodoret, III, 3 ; Sozomène, V, 10.

[129] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 93.

[130] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 93.

[131] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 93. Sozomène, V, 9, rapporte un peu différemment ce propos.

[132] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 93. Sozomène, V, 9.

[133] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 92 : Rufin, X, 38 ; Sozomène, V, 9.

[134] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 92.

[135] Rufin, Hist. ecclés., X, 36.

[136] Le libéralisme ne provenait pas, chez Libanius, de l'indifférence : loin de là il y avait en lui, comme le remarque Sievers (p. 118), quelque chose de l'inquisiteur. C'est ainsi qu'on le voit s'inquiéter de la religion d'un certain Bassianus, puis se dire rassuré, parce que ce suspect a déclaré que l'empereur tenait son sceptre de Jupiter (Ép. 592). Mais si Libanius s'enquérait volontiers des sentiments religieux de chacun, il n'entendait pas que ceux-ci devinssent pour personne une cause de persécution.

[137] Libanius, Ép. 669.

[138] Libanius, Ép. 636, 740, 1426.

[139] Libanius, Ép. 673.

[140] Libanius, Ép. 730.

[141] Libanius, Ép. 730.