JULIEN L'APOSTAT

TOME TROISIÈME — JULIEN ET LES CHRÉTIENS : LA PERSÉCUTION ET LA POLÉMIQUE - LA GUERRE DE PERSE.

LIVRE VIII. — JULIEN ET LES CHRÉTIENS : LA PERSÉCUTION ET LA POLÉMIQUE.

CHAPITRE PREMIER. — JULIEN À ANTIOCHE.

 

 

I. — L'arrivée en Syrie.

Quand Julien quitta Ancyre, dans les derniers jours de juin 362, une grande foule de peuple assista à son départ. On l'entourait avec une sorte de tumulte. Les uns demandaient la restitution de biens qui, disaient-ils, leur avaient été violemment enlevés[1] : étaient-ce des païens se plaignant d'abus commis sous le règne de Constance, ou des chrétiens réclamant contre les derniers ordres de Julien, qui avait fait rentrer dans le patrimoine de la cité d'anciens immeubles des temples, devenus la propriété des Églises ou même de particuliers ? Les autres se plaignaient d'avoir été, contrairement au droit, inscrits parmi les curiales[2]. Quelques-uns essayaient de satisfaire des inimitiés privées, en accusant leurs ennemis du crime de lèse-majesté. Julien parut triste, en présence de ce débordement de passions ; cependant, il suspendit son départ, et s'arrêta pour rendre la justice.

Ammien Marcellin, qui a déjà loué ailleurs son équité, dit qu'il la montra, cette fois encore, par les réponses pleines de modération et de droiture qu'il fit aux diverses réclamations. Sur un seul point (peut-être parce que des membres du clergé chrétien y étaient intéressés) il parut partial : ni à Ancyre, ni ailleurs, quiconque avait été réclamé, même sans droit, par la curie ne put obtenir de lui d'en être rayé[3]. Mais, pour les dénonciations calomnieuses, il fut impitoyable. On cite, à ce sujet, un jugement original. Un citoyen avait été accusé comme coupable de lèse-majesté. Julien, à plusieurs reprises, refusa d'entendre l'accusateur. Vaincu enfin par l'insistance de celui-ci, le prince lui demanda quelle était la condition du prétendu conspirateur. C'est un riche habitant de la cité, répondit-il. Et quelles sont les preuves de son crime ?Il se fait faire, en ce moment, une robe de soie teinte en pourpre. Julien, agacé, se tourna vers son intendant : Fais donner, dit-il, à ce bavard une paire de souliers de pourpre, et qu'il les porte lui-même à celui qu'il vient d'accuser. Cela lui fera comprendre qu'il faut autre chose que la couleur d'une étoffe pour faire une conspiration[4].

D'Ancyre, Julien traversa en ligne droite la Cappadoce, par la longue voie romaine qui laisse à gauche le fleuve Halys, à droite le lac Tatta, et passe par Tyane avant d'arriver au Taurus. Il ne parait pas avoir été tenté de se détourner de sa route pour revoir, au pied du mont Argée, le château de Macellum, plein de ses souvenirs d'enfance, et pour visiter la métropole de la province, Césarée. Cette ville lui était désagréable. La majorité de ses habitants professait le christianisme. Sous Constance, son sénat municipal avait ordonné la démolition des temples de Jupiter et d'Apollon, devenus probablement inutiles[5]. Récemment, à l'époque même où Julien était à Ancyre, le peuple de Césarée, joint à quelques évêques de la province, avait élevé au siège épiscopal vacant un des plus riches curiales, nommé Eusèbe. Comme l'élection avait causé quelque tumulte, le gouverneur poursuivit la déposition du nouvel évêque. C'était entrer dans les intentions de l'empereur, qui voyait avec irritation un laïque influent quitter l'assemblée municipale pour devenir le chef du clergé. Peut-être les prélats consécrateurs auraient-ils faibli, si celui qui avait en une part prépondérante dans l'élection, le vieil évêque de Nazianze, père du condisciple de Julien, n'avait pris la parole en leur nom. Très illustre seigneur, écrivit-il au préfet, nous ne reconnaissons pour roi et pour juge de ce que nous faisons que Celui que l'on persécute aujourd'hui. C'est lui qui examinera l'élection que nous avons faite dans toutes les règles, et d'une manière qui lui est très agréable. Si vous voulez user de violence, il vous est facile de le faire en toute autre chose : mais personne ne nous ôtera le pouvoir de soutenir que nous avons agi dans la plénitude de notre droit. A moins que vous ne prétendiez aussi nous prescrire des lois en une matière qui ne regarde que nous et notre religion, et dont il ne vous est pas permis de vous mêler ![6]

Cette lettre, nous dit le second Grégoire, fut admirée du gouverneur, bien qu'il fit semblant d'être mécontent ; elle mit fin, pour le moment, à toutes représailles envers Césarée. Le passage de Julien à travers la Cappadoce parait, cependant, avoir été marqué par des violences. Saint Grégoire parle de troupes d'archers, conduits par un officier, qui entraient dans les églises pour se les faire livrer. Peut-être s'agissait-il d'églises bâties sur l'emplacement d'anciens temples. Une expédition de ce genre fut faite contre Nazianze. Le petit évêque de cette cité secondaire, selon l'expression de son panégyriste[7], montra une grande énergie. Quand l'officier et ses hommes entrèrent dans la ville et demandèrent, au nom de l'empereur, qu'on leur livrât le sanctuaire[8], ils rencontrèrent un refus absolu ; et si le chef n'eût cédé, soit à mon père, soit à sa propre prudence, soit à quelques sages avis, écrit Grégoire, il eût probablement été chassé de l'église à coups de pieds[9]. L'évêque de Nazianze convoquait souvent les fidèles de sa ville à des prières publiques. Tant que dura la persécution, il redoubla, chez lui, d'austérités : ses nuits se passaient dans la prière et dans les larmes : son fils, ou ses serviteurs, entrouvrant la porte de sa chambre, le trouvaient, malgré son grand âge, couché sur la terre nue[10].

Il est probable que les rigueurs de Julien furent adoucies, en Cappadoce, par la modération du gouverneur Candidien. Tous les païens ne partageaient pas les passions haineuses de leur prince. Beaucoup d'entre eux, même sous son règne, cherchaient à concilier les devoirs quelquefois pénibles des fonctions officielles avec d'anciennes relations ou d'anciennes amitiés. Candidien connaissait depuis longtemps le jeune Grégoire de Nazianze : ils étaient nés dans la même province : peut-être avaient-ils été condisciples à l'université d'Athènes. On les voit en correspondance amicale pendant la persécution de Julien. Grégoire loue l'équité du magistrat, sa clémence ; il le félicite d'être un excellent connaisseur des choses de l'esprit, et de pratiquer avec succès l'art de la parole. Il entremêle ses compliments de citations de Pindare et d'Homère, en homme qui fait peu de cas des efforts de Julien pour détacher les chrétiens de la culture hellénique. La fin de la lettre est très remarquable : elle montre comment pouvaient encore causer, dans l'intimité, un prêtre chrétien et un administrateur païen, à l'époque où Julien se flattait d'avoir creusé un abîme infranchissable entre les tenants de l'ancien culte et les membres de l'Église.

Ce que j'admire le plus dans ta vertu, écrit Grégoire à Candidien, c'est de te voir supérieur aux difficultés et aux iniquités de ce temps. Tu professes la religion hellénique, et tu rends à celui qui règne aujourd'hui ce qui appartient à l'empereur : cependant, tu ne sers pas à la manière des adulateurs du moment présent : tu te conduis en ami du bien et en grand cœur ; détestant la servilité, tu gardes ta bienveillance à ta patrie. Tu mérites cette louange, qu'au sein d'une aussi grande puissance, tu conserves les égards dus à l'amitié... Pour tant de mérites, je ne t'offrirai qu'un souhait : non que quelque chose s'ajoute à, ta gloire, car, si tu peux recevoir encore un accroissement de dignité, tu ne saurais grandir en vertus ; mais que tu obtiennes le bien qui dépasse tous les autres, c'est-à-dire que tu viennes un jour avec nous dans les rangs des adorateurs de Dieu, et que du parti de ceux qui persécutent tu passes au parti des persécutés ; car l'un dépend du temps, l'autre est assuré du salut éternel[11].

Une lettre écrite par Julien, lors de son passage à travers la Cappadoce, laisse voir qu'il était peu satisfait des habitants de cette province. Il ne les trouvait pas assez Grecs. La plupart refusaient de se rendre aux autels des dieux : d'autres montraient dans leur empressement une gaucherie, qui révélait une ferveur de trop fraiche date pour être sincère. C'est ce qu'il écrit à un philosophe inconnu, nommé Aristoxène, en l'invitant dans les termes les plus pressants à se joindre à sa cour. Il craint que celui-ci n'ait attendu une invitation, comme si, entre amis, on devait tenir compte de l'étiquette. Si tu dois venir sans invitation, accours : si tu en attends une, la voici. Viens donc nous retrouver à Tyane, au nom de Jupiter, dieu des amis ! Montre-nous parmi les Cappadociens un vrai Grec. Car jusqu'ici je vois, ou des gens qui ne veulent pas sacrifier, ou bien un petit nombre qui voudrait, mais ne sait comment s'y prendre[12].

Tyane retint probablement pendant quelque temps Julien ; il voulut y vénérer le souvenir d'Apollonius, que ses prestiges, son charlatanisme mystique, et aussi sa dévotion pour le dieu Soleil, devaient lui rendre particulièrement cher. Mais on ne nous donne aucun détail sur son séjour dans cette ville. Quand il l'eut quittée, et fut arrivé à Pylas, dans la chaîne du Taurus, à, la jonction de la Cappadoce et de la Cilicie, il eut une agréable surprise. Le gouverneur de cette dernière province, Celse, l'un de ses plus chers compagnons d'études aux écoles d'Athènes, et aussi élève, ami et admirateur de Libanius[13], vint le saluer au passage. Près d'un autel, sur lequel fumait l'encens d'un sacrifice, Celse harangua l'empereur[14]. Par une faveur rare, Julien le fit monter dans sa voiture, et voyagea avec lui jusqu'à Tarse[15].

On n'a, sur son passage à Tarse, qu'une anecdote racontée par Zonaras[16]. Un prêtre d'Esculape vint le trouver, pour lui demander de contraindre l'évêque de Tarse à rendre des colonnes provenant d'un temple de ce dieu, et employées dans la construction d'une basilique chrétienne. Julien décida que l'enlèvement de ces colonnes serait fait aux dépens de l'évêque, et qu'elles seraient transportées jusqu'à Égée, pour servir à la reconstruction d'un célèbre sanctuaire d'Esculape démoli en 330, par l'ordre de Constantin. Les païens de Tarse se chargèrent d'exécuter eux-mêmes la sentence de Julien : ils abattirent une des colonnes, qui soutenait la nef de la basilique, et la traînèrent avec beaucoup de peine jusqu'à, la porte de celle-ci. Mais ils ne purent, dit-on, la tirer plus loin, et durent la lai sur place. On ajoute qu'après la mort de Julien, l'évêque la releva sans peine, et la remit à son rang dans la colonnade de son église.

De Tarse, Julien se rendit à Antioche par la route accoutumée, dit Ammien, c'est-à-dire en suivant la chaussée qui, après avoir traversé le Saros, puis le Pyrame, longe à partir de Kastabala le littoral, et pénètre dans la capitale syrienne par un pont sur l'Oronte. Tout le peuple était allé hors de la ville à, sa rencontre : on le reçut avec des acclamations, comme un astre nouveau qui se levait sur l'Orient, dit encore Ammien, dans un poétique langage qui ne lui était pas habituel. Cependant, malgré la chaleur de cet accueil, les Romains, toujours attentifs aux présages, ne purent s'empêcher d'en remarquer de sinistres. On était dans les brûlantes journées d'été, consacrées aux fêtes d'Adonis. Précisément, l'entrée de Julien dans Antioche coïncidait avec la partie triste de ces fêtes, avec le jour où de toutes parts sont exposées les images du jeune chasseur couché sur son lit de mort, et où, alentour de ces reposoirs, les dévots pleurent bruyamment la fin tragique de l'amant de Vénus. Au moment où Julien mit le pied dans le palais impérial, on entendait retentir, en signe de deuil, les cris aigus des femmes païennes, mêlés au sifflement lugubre et bruyant des flûtes. Les gens superstitieux purent croire qu'un autre Adonis verrait bientôt ses jours tranchés aussi dans leur fleur[17].

 

II. — La vie de Julien à Antioche.

Au premier rang de la foule qui se pressait sur le passage de Julien, quand il fit son entrée dans Antioche, était Libanius. On se rappelle les circonstances qui avaient, d'abord, empêché les rapports personnels du prince avec le célèbre rhéteur. Quand Julien, en 353, étudia les lettres à Nicomédie, un ordre de Constance lui interdit de suivre les cours que Libanius professait alors dans cette ville. Il dut se contenter de lire avec passion ses écrits, au point, rapporte Libanius, de s'en approprier tout à fait le style, et de devenir par là le disciple de celui qu'on ne lui permettait pas de connaître. De Nicomédie, le professeur fut rappelé à Constantinople, puis, après y avoir enseigné quelques mois[18], vint se fixer pour le reste de ses jours à Antioche, sa ville natale[19]. Pendant ce temps, une fortune inespérée entraînait Julien en Occident, puis le ramenait en Orient, où il entreprenait l'œuvre de restauration religieuse qui réjouissait le cœur et excitait les applaudissements de Libanius. Mais celui-ci, se jugeant sans doute trop important pour faire l'empressé, ne s'était point hâté de se rendre auprès du nouvel Auguste. Depuis longtemps il entretenait avec Julien, même quand il y avait eu péril à le faire[20], un commerce de lettres[21]. Ce commerce devint plus chaleureux encore, après que Julien eut conquis le pouvoir suprême. L'empereur est en coquetterie avec le sophiste. Il lui demande ses discours, le prie de lui communiquer des copies de sa correspondance, semble se mettre encore à son école[22], l'appelle frère très souhaité et très aimé[23]. De telles démonstrations étaient bien faites pour exalter l'orgueil de Libanius. Aussi, dans ses Mémoires, celui-ci dit-il avec une naïveté qui désarme la critique : Du voyage qui le conduisit à Antioche, Julien attendait, entre autres, cet avantage : me voir, et m'entendre parler[24].

Ce fut, en effet, le mot que Julien, trop rhéteur lui-même pour ne pas savoir l'art de flatter un rhéteur, lui adressa devant tout le peuple, dès qu'il l'aperçut. Quand t'entendrons-nous ? lui demanda-t-il[25], employant habilement un mot déjà dit par Hérode Atticus à Philémon, et par Marc-Aurèle à Aristide[26]. Il semble que l'amour-propre de Libanius eût dû être comblé par un compliment aussi délicat. Mais ce type achevé de l'homme de lettres avait à la fois des vanités de pédant et des coquetteries de femme. Il prit plaisir à irriter pendant quelque temps l'impatience de Julien. Il chercha, par des retraites savantes, à se faire désirer. Aussi naïf dans le récit que roué dans la conduite, Libanius nous a mis lui-même au courant de ses ruses. Il voulait amener l'empereur à souffrir de son éloignement, et à multiplier les avances. Il eut satisfaction, un jour que Julien, sacrifiant en public dans le temple de Jupiter Philius, s'étonnait de ne pas l'apercevoir, mêlé à la foule des courtisans qui se pressaient autour de lui, moins encore pour voir que pour être vus. Julien prit ses tablettes, y écrivit un mot aimable, et les envoya à Libanius. Celui-ci répondit sur la même page, gracieusement et spirituellement, mais ne se pressa pas de venir. Un ami commun, le philosophe Priscus, fit comprendre à Julien le motif de cette abstention. Libanius ne se trouvait pas suffisamment invité. Julien lui adressa alors une invitation formelle, et le convia au repas de midi. Libanius fit réponse qu'il ne mangeait que le soir. Invité à souper, il s'excusa, sous prétexte de migraine. Avec une étonnante patience, Julien renouvela ses invitations, et eut enfin la joie de les voir acceptées. A partir de ce moment, Libanius s'assit souvent à la table de l'empereur, à ces fêtes de la raison, comme il appelait les festins offerts par le philosophe couronné[27].

Du reste, d'un désintéressement égal à sa fatuité, Libanius, s'il faut l'en croire, n'accepta de Julien d'autre faveur que celle de son amitié, et refusa toute offre d'argent et d'honneurs. Aussi Julien disait-il : Les autres aiment ma fortune ; Libanius aime ma personne[28]. Le seul bienfait que le sophiste ait sollicité pour lui-même de l'empereur fut la légitimation d'un enfant naturel[29]. Il se servit, cependant, de sa faveur pour aider les autres : témoin son discours pour Aristophane[30]. Celui-ci était un Grec de Corinthe, fils d'un sénateur qui avait fait preuve de zèle pour le culte des dieux, et neveu par sa mère de deux philosophes renommés. Après la mort de son père, Aristophane s'était vu, parait-il, dépouillé de son héritage par un certain Eugenius, qui était l'un des serviteurs favoris de Constance. Désespéré, il avait quitté sa patrie, abandonnant femme et enfants. Dès lors, sa vie ne fut plus qu'une suite de tribulations. Il se réfugia d'abord en Syrie, où il accepta un emploi de police, qui l'entraîna à de nombreux voyages sur tous les points de l'Empire romain. Attaché plus tard au cabinet de Parnassius, préfet d'Égypte, il fut compromis, en même temps que ce dernier, dans les poursuites intentées en 359 contre ceux qui avaient consulté l'oracle d'Abydos[31]. On l'accusa d'avoir favorisé les desseins ambitieux de Parnassius, en lui amenant un astrologue ; et comme il irrita par des mots vifs le célèbre Paul la Chaîne, qui dirigeait les poursuites, celui-ci le fit presque assommer à coups de fouets, garnis de balles de plomb[32]. Sauvé de la mort par l'intervention du comte d'Orient, Modestus, Aristophane fut aussitôt l'objet d'une autre inculpation : on lui reprocha d'avoir trafiqué de son influence auprès du gouverneur. Après avoir été, de ce chef, l'objet d'une longue enquête, qui n'amena point contre lui de preuve positive, il fut condamné à la relégation. Il était encore en exil au moment où Julien entra à Antioche[33]. Libanius fit en faveur de ce malheureux le premier essai de son influence. Il plaida, dans une longue oraison, la cause d'Aristophane, s'efforçant de démontrer son innocence, d'apitoyer Julien sur ses malheurs, d'exalter sa fidélité envers les dieux, et de le défendre (en termes d'une étrange indulgence) contre une insinuation défavorable à ses mœurs. Libanius conclut en demandant pour Aristophane sa grâce d'abord, puis l'exemption des charges municipales, et enfin un nouvel emploi, réparation due à des souffrances imméritées. Julien accueillit bien la requête, dans laquelle la plume du sophiste avait déployé toutes ses grâces ; mais, tout en se déclarant convaincu de l'innocence d'Aristophane, il n'octroya à celui-ci qu'une fonction assez modeste[34]. Néanmoins Libanius s'applaudit d'un résultat dû, dit-il, non à son influence personnelle, mais à son éloquence[35].

Cependant l'heure d'entendre Libanius était arrivée. Dans le courant de juillet, le sophiste prononça en public l'éloge de Julien. C'est le discours publié dans ses Œuvres sous le titre de Prosphoneticus[36]. Nul doute que ce morceau oratoire, d'une prolixité qui nous parait aujourd'hui peu supportable, mais dont les longues périodes, les harmonieuses cadences, durent toucher délicieusement les oreilles de Grecs plus sensibles que nous ne saurions l'être à la musique des mots, n'ait eu près de Julien et de son entourage de lettrés un vif succès. Mais l'historien moderne, qui cherche surtout dans le discours de Libanius des faits précis, en trouvera moins que dans le panégyrique prononcé l'année précédente par le rhéteur gaulois Mamertin. Libanius n'a été le témoin d'aucun des événements qu'il raconte. Cependant ce qu'il dit des dispositions jadis montrées à l'égard de Julien adolescent par les païens d'Antioche, et des espérances que dès lors les fauteurs de l'ancien culte fondaient sur celui dont ils avaient deviné de loin les secrets sentiments, apporte une contribution précieuse à l'histoire de la jeunesse du prince comme à celle du parti païen.

C'est ainsi que Libanius devint l'un des rares intimes avec lesquels vivra familièrement Julien, durant les huit mois de son séjour à Antioche. Nous sommes ici sept étrangers, auxquels il faut joindre l'un de vos concitoyens, cher à Mercure et à moi-même, habile artisan de paroles, disait Julien aux habitants de cette ville[37]. Les sept étaient, outre Julien, le néoplatonicien Maxime, le philosophe athénien Priscus, le sophiste Himère, le médecin Oribase, le préfet du prétoire d'Orient Salluste et le maitre des offices Anatole. L'antiochien habile artisan de paroles était Libanius. Il y avait là moins une cour qu'une réunion d'amis. Cette réunion était strictement fermée. Nous sommes ici sept intrus[38], disait encore Julien. Et il ajoutait : Nous vivons séparés de tout commerce[39].

A première vue ces paroles, les sentiments qu'elles supposent, le ton même dont elles sont dites, paraissent bien étranges. On s'explique difficilement cet isolement systématique d'un souverain, vivant volontairement à part de ses sujets, et se faisant comme un désert au milieu d'une des villes les plus grandes et les plus peuplées de son Empire. On est tenté d'y voir une affecta-fion blâmable, jointe à un manque surprenant d'esprit politique. Cesser de se mêler aux hommes, ne point chercher les occasions de les connaître ou d'être connu d'eux, éviter de les regarder et se dérober soi-même à leurs regards, est pour un prince la pire comme la plus inexplicable des attitudes. Julien, qui aimait la popularité, au dire de ceux qui l'ont le mieux connu[40], s'en excluait forcément par un tel genre de vie. Il la recherchait souvent par ses actes, mais il semblait l'écarter de parti pris au moyen de cette attitude revêche et boudeuse : il s'exposait, d'ailleurs, à se tromper dans beaucoup de circonstances, et à prendre, avec les meilleures intentions, de maladroites mesures, faute de garder le contact indispensable avec l'esprit public. Un souverain n'a point toutes les immunités d'un philosophe, et ne saurait sans péril faire de son palais une cellule, où n'arrivent qu'assourdis et transformés les bruits du dehors.

Était-il, cependant, au pouvoir de Julien de ne pas se sentir plus ou moins isolé à Antioche ? Une sorte d'isolement moral est la condition comme le châtiment des entreprises semblables à la sienne. Plus il s'absorbait dans la tentative de restauration du paganisme, plus il s'apercevait du petit nombre de ceux qui le suivaient. Les païens d'Occident portaient de loin à ses desseins une vague sympathie, mais, encore puissants par leurs propres forces, ils semblaient peu disposés à compromettre leur situation traditionnelle pour une œuvre dont le succès était incertain, dont l'échec ne pouvait qu'ébranler les restes de leur pouvoir, et où d'ailleurs ils reconnaissaient si peu les modes de penser et les manières d'agir de l'esprit latin. Moins nombreux, plus entamés, les païens d'Asie hésitaient eux-mêmes à se solidariser avec Julien : ils avaient applaudi avec enthousiasme à la réouverture des temples, à la remise en vigueur des pratiques divinatoires, au rétablissement des sacrifices et des fêtes, mais ils n'entendaient point secouer, comme il l'eût voulu, leur longue indifférence, et surtout ils ne se sentaient guère disposés à marcher du même pas que lui dans la voie de réforme morale, de réveil religieux, d'hospitalité, de bienfaisance, d'imitation des vertus chrétiennes, où il cherchait à engager tous les adorateurs des dieux. Même chez les philosophes, il ne trouvait pas toujours le point d'appui dont il aurait eu besoin. Parmi beaucoup d'entre eux régnait, à l'égard du paganisme, un esprit de dénigrement et de libre pensée, qui causait à Julien une réelle souffrance. Qu'on lise ses discours contre les chiens ignorants, contre le cynique Héraclius, on verra la pénible impression produite sur lui par l'exégèse dissolvante de certains adeptes du cynisme, c'est-à-dire de la forme la plus populaire et la plus influente de la philosophie. Des philosophes de toute dénomination, des sophistes, des rhéteurs, accourus en foule autour de Julien, quand, il y a quelques mois, il se déclara le champion du paganisme, il avait pu faire des pontifes ou des magistrats : mais ce n'est guère que dans le cercle restreint, et chaque jour plus étroit, des vrais néoplatoniciens qu'il rencontrait des esprits vibrant tout à fait à l'unisson du sien. On pouvait dire de ceux-ci ce que l'on disait chez nous, il y a soixante ou quatre-vingts ans, des doctrinaires : ils eussent tenu tous facilement sur un canapé. Et, de fait, les sept avec lesquels s'isolait Julien représentaient à peu près les seuls vrais confidents de sa pensée, les seuls appuis sérieux de son œuvre.

Pendant les six mois passés à Constantinople, Julien s'était moins aperçu de sa solitude morale qu'il ne fit après son installation à Antioche. Il avait eu, pour lui faire illusion, les premiers soucis et les tracas inévitables d'un changement de règne, la réforme de l'administration et de la cour, l'ardeur des représailles, le servile empressement d'une multitude d'hommes attirés par le double soleil levant d'une révolution à la fois politique et religieuse, et aussi le bon accueil que, malgré son apostasie, lui avaient ménagé les habitants de Constantinople, éblouis par ses succès et fiers de lui comme d'un enfant de leur ville. Mais, quand il arriva à Antioche, la première ivresse du pouvoir était dissipée ; les difficultés de la tâche entreprise grandissaient chaque jour : et, malgré les applaudissements qui avaient salué son entrée, l'atmosphère que Julien rencontrait autour de lui était plutôt froide et hostile. La très grande majorité des habitants de la métropole syrienne professait l'athéisme, comme dit Julien[41], c'est-à-dire était chrétienne. Divisée en plusieurs partis, puisqu'elle comptait des ariens, des semi-ariens, des orthodoxes, et que ces derniers se subdivisaient en adhérents de Mélèce et en adhérents de Pantin, cette majorité retrouvait sa force et son unanimité quand elle sentait sa foi menacée ; comme Julien le constate, d'un mot que laisse échapper son dépit, elle aimait le Christ[42]. Presque tous les magistrats municipaux, les membres du conseil de la ville, les personnages influents, les propriétaires, les riches commerçants, étaient de ce côté. La minorité païenne, à la fois corrompue et découragée, professait une religion aussi éloignée que possible du puritanisme païen dans lequel (sans toujours y parvenir) essayait de se confiner Julien. A l'exception de Libanius, dont il avait fait l'entière conquête, il ne rencontrait, dans la brillante capitale de la Syrie, ni un ami sûr, ni un partisan complètement dévoué. D'aucun côté un chaud courant de sympathie ne venait à lui. Il ne se trompait donc pas tout à fait en se considérant comme étranger et comme intrus dans ce monde si différent du sien.

Mais il en prit trop facilement son parti. Il ne fit aucun effort pour attirer ou ramener à lui les esprits qui s'en éloignaient. Il sembla même se complaire à choquer inutilement les habitants d'Antioche. Il y avait peu de villes où le goût des jeux et des spectacles fût poussé aussi loin. C'était, à Antioche, une fête de tous les jours[43]. Païens et chrétiens recherchaient avec une égale ardeur les courses de char et les représentations théâtrales. Julien professait pour ces amusements grossiers et trop souvent immoraux autant d'éloignement que de mépris. Mais il mit tout de suite de l'affectation à le laisser voir. Non seulement il n'y eut plus, excepté le premier jour de l'an, de représentation sur le théâtre de la cour, comme au temps de Constance et de Gallus[44] : mais encore quand Julien, un jour de fête des dieux, se croyait obligé d'assister à des courses de chevaux, il laissait voir sur son visage sa répugnance et son dégoût[45] : ses regards distraits se détournaient de l'hippodrome[46] : dès la sixième course, il se levait pour sortir[47]. Ce n'était rien, en apparence : en fait, c'était assez pour irriter le sentiment public. Le même peuple d'Antioche, qui, quelques années plus tard, prêtera une oreille avide aux véhémentes harangues de saint Jean Chrysostome contre l'hippodrome ou le théâtre, ne pardonnait pas à Julien de quitter d'un air ennuyé la tribune impériale avant la fin des courses. Ici, comme en bien des circonstances, Julien oubliait que ce qui est le droit ou le devoir du moraliste, du philosophe, du prédicateur, peut être maladresse ou faute chez le souverain.

Même par son aspect extérieur, Julien affectait de se distinguer des habitants d'Antioche. Ceux-ci étaient très sensibles aux questions de costume et de tenue. Chez eux tout le monde, même les vieillards, était rasé, et l'on considérait comme inconvenant d'avoir le menton couvert de poils[48]. Peut-être à cause de l'abondance et de la bonne distribution des eaux, qui rendait facile à tous l'usage des bains, dans une ville où il y avait, selon Libanius, autant de fontaines que de maisons[49], on se montrait aussi fort délicat à Antioche pour les soins du corps et la propreté[50]. Le passage à travers les rues d'un prince qui portait avec ostentation une barbe hirsute, se vantait de ne se faire presque jamais couper les cheveux ou rogner les ongles, et faisait voir à tout propos des doigts tachés d'encre[51], causait parmi eux autant de surprise que de dégoût. Il semble qu'en une matière aussi futile, Julien eût pu, sans blesser aucun principe, faire quelques concessions à ses sujets. Sans mettre, comme Constance, son barbier au rang des hauts fonctionnaires de la cour, il lui eût été facile d'avoir une chevelure décemment peignée, et même de donner aux citoyens d'Antioche la satisfaction de le voir sans barbe. La philosophie, à coup sûr, ne lui défendait pas de se laver les mains. Mais Julien se faisait gloire d'être obstiné[52]. Il tenait à sa barbe autant que la détestaient les gens d'Antioche. Il y voyait la marque de cette philosophie, qui le mettait à part et au-dessus d'eux. La garder lui paraissait non seulement son droit, mais encore l'affirmation de sa puissance. C'est avec un vif chagrin qu'il avait été, en devenant César, contraint de la laisser tomber sous les ciseaux des barbiers de Constance. Les médailles de cette époque le montrent imberbe. Même après 360, celles qui sont frappées en Gaule continuent à le représenter sans barbe. On le retrouve ainsi jusque sur les monnaies émises à Sirmium et à Constantinople. Mais les pièces datées d'Antioche lui donnent une longue barbe[53]. Il semble avoir laissé croître celle-ci, à mesure que s'affermissait son pouvoir et que se développait son rôle de réformateur religieux. De là le prix qu'il y attachait, et l'obstination avec laquelle il bravait par elle et pour elle la délicatesse syrienne. Dans la pensée de Julien, sa barbe était un symbole.

La mauvaise humeur que l'affectation de Julien à ne pas leur ressembler causait aux habitants d'Antioche les empêchait d'apercevoir ses vrais mérites. Quand ils l'entendaient vanter lui-même ou faire vanter par ses amis la pureté de ses mœurs, qu'il opposait à la licence trop répandue dans leur ville[54], ils oubliaient d'admirer ce que cette abstention des plaisirs sensuels supposait de vertu chez un homme jeune, libre de tout lien et investi de tout pouvoir. Ils ne songeaient pas que s'il excluait du palais les danseurs, les mimes, les joueurs de flûte et de cithare[55], le temps ainsi gagné par lui était employé à de sérieuses études, dont beaucoup, sans doute, étaient inspirées par la vanité littéraire mais dont aussi d'autres avaient pour objet le bien public. Ils ne faisaient pas réflexion que s'il comparait avec une complaisance parfois blessante leur amour de la bonne chère et son abstinence philosophique[56], c'était peut-être sa sobriété habituelle qui lui permettait d'écourter le sommeil[57], de consacrer au travail de l'esprit les premières veilles de la nuit, et ensuite de chanter encore avec les coqs, selon l'expression de Libanius[58], c'est-à-dire de se remettre au travail avant le lever du jour. Ils se montraient surtout injustes en ne reconnaissant pas que, s'il refusait de rester assis longtemps au cirque, devant l'inutile spectacle des cochers et des athlètes, s'il laissait voir son ennui pendant les banquets officiels, il ne trouvait jamais trop longues les heures passées dans son cabinet à lire, à écrire, à s'occuper d'études ou d'affaires, ou sur son tribunal à entendre les plaideurs. Tel il s'était montré en Gaule, aussi infatigable que scrupuleux dans l'administration de la justice, tel, au rapport d'Ammien Marcellin, il fut à Antioche.

Ammien loue l'équité de ses sentences. Il punissait, même de la peine capitale, ceux qui l'avaient mérité ; mais il s'appliquait aussi à défendre le patrimoine des innocents contre les entreprises des gens cupides. Dans son amour du juste, il manœuvrait habilement, dit l'historien, entre les écueils de la procédure[59]. Il poussait l'attention jusqu'à se défier de son humeur et de ses soudains emportements. Ceux-ci, il est vrai, étaient souvent fort vifs, puisqu'il allait jusqu'à pousser des cris pendant l'audience[60], et même à frapper à coups de poing et à coups de pied les gens du peuple qui venaient lui présenter une requête ou soumettre une cause à son jugement[61]. Mais il avait donné l'ordre aux préfets ou à ses assesseurs de l'avertir à temps, quand il leur semblerait manquer de sang-froid[62]. Averti, il paraissait repentant de ses excès et reconnaissant de la correction. Oribase lui ayant dit un jour de ne pas montrer par ses regards et l'accent de sa voix la colère qui le possédait : Tu as raison, répondit Julien, et tu verras que tu n'auras pas lieu de me réprimander une seconde fois[63]. Un jour, où les avocats avaient applaudi l'un de ses jugements, il dit avec émotion : Je me suis réjoui d'être loué par des hommes à qui j'ai donné la permission de me blâmer, si j'avais fait ou dit quelque chose de contraire au droit[64]. On raconte encore qu'une femme était en procès avec un officier de la garde impériale ayant le grade de protecteur. Celui-ci vint à l'audience en uniforme, et armé. La femme se plaignit amèrement, comme si cet appareil eût eu pour objet de l'intimider. Poursuis avec confiance, femme, dit l'empereur ; si celui-ci a mis son costume militaire, c'est afin de marcher plus facilement à travers la boue : mais cela ne peut nuire en rien à ta cause[65]. Quand on entendait ces divers propos de Julien, on eût cru, dit Ammien, que l'antique Justice, depuis longtemps remontée au ciel, selon le dire des poètes, était descendue de nouveau sur la terre[66].

Cependant l'historien, toujours sincère, ajoute que des nuages venaient encore de temps en temps en voiler l'éclat. Julien, entre autres travers, avait la manie de s'informer indiscrètement de la religion des plaideurs[67]. Ammien ajoute que leur réponse n'influa jamais sur sa décision[68]. Mais au moins la question devait-elle souvent avoir pour effet de leur inspirer confiance, s'ils étaient païens, de les intimider, s'ils étaient chrétiens. Et ce sont peut-être des indiscrétions de ce genre qui donnèrent lieu à un bruit rapporté par saint Grégoire de Nazianze : on crut que Julien méditait d'interdire l'accès des tribunaux à tous ceux qui, avant de plaider, n'auraient pas fait acte de paganisme en brûlant de l'encens[69].

En tout cas, il est probable que dans le zèle de Julien à juger quelque chose dépassait la mesure. Les uns attribuaient ce zèle à son envie de tirer tout à soi, de se mêler de tout, et de prétendre à toutes les supériorités[70]. D'autres considéraient comme l'indice d'un esprit peu sûr les fluctuations de sa jurisprudence, les scrupules qui le portaient souvent à revenir sur son premier avis, et à changer de fond en comble, pendant la nuit, la solution d'un procès[71]. C'est un adversaire, saint Grégoire de Nazianze, qui nous donne ces détails : mais Julien lui-même reconnaît que les habitants d'Antioche ne le voyaient pas avec plaisir rendre la justice[72].

La ferveur païenne dont Julien fit montre à Antioche ne parait pas avoir contribué à le rendre populaire, même auprès des idolâtres. On lui était, de ce côté, reconnaissant d'avoir rétabli le culte des dieux : mais on trouvait qu'il y mettait trop d'ardeur, et se rendait trop encombrant.

Mes amis et moi, disait-il, ne suivons ici qu'une seule route, celle qui mène aux temples des dieux[73]. Même les pratiques païennes lui sont ainsi une occasion de marquer son opposition aux autres manifestations de la vie de la cité, et de se montrer faisant bande à part, en compagnie d'un petit nombre d'élus. Et il ajoute un correctif destiné à faire voir combien lui et les siens sortent peu de la solitude close où ils se confinent : Encore cette route, dit-il, ne la prenons-nous que rarement[74]. Ici, il semble bien avoir volontairement, pour se singulariser davantage, altéré la vérité. Libanius nous dit, en effet, que toutes les fois qu'il n'en est pas empêché, Julien va faire ses dévotions dans les temples publics, de préférence aux chapelles privées de son palais[75]. Et Julien lui-même a dit ailleurs qu'à Antioche il fréquentait souvent les sanctuaires des dieux[76]. Il fait même allusion aux critiques auxquelles donnait lieu la fréquence de ces pèlerinages[77]. Libanius montre Julien visitant à, Antioche les temples de Minerve, de Cérès, de Mars, de Calliope, d'Apollon, les deux temples de Jupiter, celui de la haute et celui de la basse ville[78]. Julien lui-même raconte qu'il a sacrifié plusieurs fois dans le temple de la Fortune, qu'il est entré trois fois de suite dans le temple de Cérès, un grand nombre de fois dans celui d'Apollon à Daphné[79].

On a, sur les sacrifices offerts par Julien à Antioche, plusieurs anecdotes intéressantes.

L'une d'elles lui fait honneur. Il avait gravi la pente boisée du mont Casius, qui domine Antioche, pour y offrir des victimes dans le temple de Jupiter. Pendant qu'il accomplissait les rites, il aperçut tout à coup, près de lui, une forme prosternée, et entendit s'élever de terre une voix plaintive, qui demandait grâce. Qui es-tu ? interrogea-t-il. La réponse lui apprit que le suppliant était Théodote, ancien gouverneur d'Hiérapolis. En 361, conduisant, au milieu des dignitaires de cette ville, Constance qui venait de la traverser dans sa marche contre Julien, il avait demandé, en feignant de verser des larmes et de pousser des gémissements, que la tète de Julien rebelle fût envoyée aux habitants d'Hiérapolis, comme avait été, quelques années auparavant, portée de ville en ville la tète de Magnence. C'est la faute qu'il venait aujourd'hui confesser à Julien, en implorant son pardon. Je connaissais le fait, répondit celui-ci, et beaucoup de gens me l'avaient dénoncé. Mais retourne en paix vers tes lares, délivré de toute crainte par la clémence d'un prince qui, suivant le précepte du sage, met son plaisir à diminuer le nombre de ses ennemis et à augmenter celui de ses amis[80]. Cet acte de clémence fut récompensé tout de suite, car Julien, au sortir du temple de Jupiter, reçut une lettre du préfet d'Égypte, lui mandant qu'après de longues recherches on venait de découvrir un bœuf Apis[81]. Ce fut pour lui une grande joie, comme tous les faits qui concouraient au progrès du paganisme ; mais, de plus, il y eut là, pour son esprit que l'approche de l'expédition de Perse rendait chaque jour plus anxieux, un favorable présage, car, dans la pensée des Égyptiens, la découverte d'un bœuf Apis annonçait non seulement une bonne récolte, mais encore des événements heureux[82].

Julien a raconté lui-même un autre épisode de ses sacrifices. Quand il allait visiter un temple, il lui était difficile d'y faire en paix ses dévotions. Ordinairement, le peuple et les magistrats se précipitaient à sa suite. On l'accueillait avec des cris et des applaudissements, comme un acteur qui parait sur la scène. Cela choquait ses sentiments religieux. Il voyait, dans cette coutume, soit une flatterie malséante, soit peut-être quelque ironie : en tout cas, elle dénotait une population peu accoutumée à fréquenter les sanctuaires païens, et qui y venait plutôt pour regarder un spectacle ou pour faire sa cour à l'empereur que pour prier. Julien, dans ces circonstances, prenait quelquefois la parole, et réprimandait les assistants. Il nous a laissé un spécimen des harangues qu'il prononçait alors. Vous venez rarement, dit-il, dans les temples des dieux, et quand vous y accourez à cause de moi, vous remplissez de désordre les lieux saints. Il conviendrait à des hommes sages d'adresser en silence leurs demandes aux dieux. N'avez-vous pas entendu le précepte d'Homère : Silence parmi vous ? Ne vous souvenez-vous pas comment Ulysse ferma la bouche à Éryclée, tout étonnée de la grandeur de son action : Réjouis-toi intérieurement, vieille, et ne hurle pas ton bonheur ?[83] Les Troyens ne prient ni Priam, ni ses femmes, ni ses filles, ni ses fils, pas même Hector, bien que le poète dise qu'ils s'adressent à celui-ci comme à un dieu : dans son poème il n'a montré les priant ni les femmes ni les hommes. C'est vers Minerve que toutes celles-ci lèvent leurs mains, en poussant des cris lugubres : mode barbare, et convenable à des femmes, mais non point impie envers les dieux, comme ce que vous faites à propos de nous. Car vous louez les hommes au lieu des dieux, plus encore, au lieu des dieux vous nous flattez, nous autres hommes. Il vaudrait beaucoup mieux, je pense, ne pas même flatter les dieux, mais les honorer sagement[84].

L'incident qui, lors d'une visite au temple de Jupiter, avait inspiré à Julien cette harangue se reproduisit encore, un jour qu'il visitait le temple de la Fortune. Il y fut salué par des battements de mains et de bruyantes exclamations. Cette fois, c'est par un édit adressé au peuple d'Antioche, et affiché dans la ville, qu'il fit connaître ses sentiments. Le texte en a été conservé dans le recueil de sa correspondance. Si j'entre incognito dans un théâtre, applaudissez, dit-il ; mais si j'entre dans un temple, gardez le silence, et réservez vos applaudissements pour les dieux. C'est eux, avant tous autres, qui y ont droit[85].

Un autre épisode de ces visites a été raconté par Libanius. Julien s'était rendu en pèlerinage au temple de Jupiter, situé dans la ville basse. Il se produisit alors un petit fait insignifiant, qui frappa beaucoup l'imagination des païens. Un cygne, capturé dans les marais de l'Oronte, avait été consacré au dieu, et vivait dans les jardins du temple. Devenu animal domestique, l'oiseau avait perdu l'usage de ses ailes. Il nageait dans les bassins ou se promenait sur la terre, comme le plus vulgaire palmipède. Au moment où Julien offrait le sacrifice, on remarqua que le cygne s'approchait de l'autel où brûlait le feu sacré. On le vit ouvrir toutes grandes ses ailes. Bientôt, aux regards étonnés de l'assistance, il prit son vol, fit le tour du temple, et disparut dans les airs, du côté de l'Orient. Les applaudissements éclatèrent, cette fois non réprimés par Julien. Les assistants crurent avoir vu Jupiter lui-même, sous la forme de l'oiseau aimé de Léda[86].

C'était l'infirmité du paganisme, que ses mythes les plus gracieux suggéraient presque toujours quelque idée impure. La blanche envolée du cygne à travers l'azur rappelait à ceux qui la contemplaient une des scandaleuses amours du maitre des dieux. Il en était ainsi de beaucoup de rites païens. Surtout dans une ville aussi corrompue qu'Antioche, l'immoralité, qui dormait au fond des religions antiques, et particulièrement des cultes syriens, remontait d'elle-même à la surface. Julien était contraint de la subir, au risque d'être éclaboussé par cette écume. Quand le cortège impérial se formait, pour prendre part à quelque procession païenne, ou conduire le prince à l'un des temples, tout un monde sorti de bouges infâmes, mais ayant peut-être un rang et un rôle dans certaines cérémonies sacrées[87], accompagnait à travers les rues et les places d'Antioche, parmi les cris indécents et les murmures suspects, l'empereur qui s'avançait à cheval suivi des prétoriens. J'ai cité plus haut les paroles de saint Jean Chrysostome sur ces honteuses exhibitions, et l'appel adressé par l'orateur sacré au témoignage de beaucoup de ses auditeurs, qui en avaient été les témoins[88].

La vie étrange que Julien menait ainsi à, Antioche, presque seul avec lui-même, ou avec un petit groupe qui ne lui renvoyait que l'écho de ses propres pensées, n'était pas de nature à dissiper cette haine contre ses sujets chrétiens, qui était devenue pour lui une idée fixe. Celle-ci ne pouvait, au contraire, que s'accroître dans un tel milieu. C'est d'Antioche que Julien envoya, à deux reprises, l'ordre de bannissement de saint Athanase, dont nous avons parlé plus haut. Contre un autre personnage, lié aussi à l'histoire de l'Égypte chrétienne, mais dont on essaierait vainement de faire un saint, fut prononcée par lui, à Antioche, une sentence encore plus sévère.

Encouragés par l'impunité accordée au meurtre de l'évêque Georges, les païens d'Alexandrie venaient d'écrire à l'empereur pour demander le châtiment d'un ancien commandant militaire de l'Égypte sous Constance[89]. Le duc Artemius, arien comme Georges, s'était associé à ses entreprises et contre les catholiques, dont il avait poursuivi les moines et les vierges sacrées, envahissant même les solitudes de Tabenne dans l'espoir d'y découvrir saint Athanase, et contre l'idolâtrie, dont il avait, à Alexandrie, pillé ou abattu les sanctuaires. On lui imputait surtout la dévastation du Sérapéum. Dans sa lettre écrite vers la fin de janvier aux Alexandrins, Julien avait lui-même réveillé le souvenir de cet attentat. Le stratège de l'Égypte, disait-il, envahit naguère le temple sacré du dieu, s'empara des images, des offrandes, de tout le mobilier religieux. Quand, indignés, vous avez essayé de défendre le dieu, ou plutôt les trésors du dieu, il a osé envoyer contre vous ses fantassins, par un acte injuste, illégal et impie[90]. L'empereur ajoute qu'Artemius agissait ainsi moins pour plaire à Constance que par crainte de Georges, qui le surveillait continuellement de peur qu'il ne préférât une conduite politique et modérée à ces allures tyranniques[91]. Cette accusation tout ensemble de tyrannie et de faiblesse, formulée par un empereur, ne pouvait qu'encourager ou ranimer les rancunes des païens d'Alexandrie. Aussi, dès qu'ils se sentirent eux-mêmes pardonnés, dénoncèrent-ils à Julien les actes déjà anciens d'Artemius. Ils l'accablèrent, dit Ammien Marcellin, sous le poids d'atroces accusations[92]. Julien prononça la confiscation de tous ses biens, puis le condamna à la décapitation[93]. Pour donner une complète satisfaction aux païens, l'exécution eut lieu à Alexandrie[94].

Julien prononça à Antioche d'autres sentences capitales contre des ennemis politiques. Le notaire Gaudentius, qui avait, par l'ordre de Constance, mis l'Afrique romaine en état de défense, et l'ancien vicaire d'Afrique Julianus, qui s'était associé à cette œuvre avec une ardeur jugée excessive, furent amenés chargés de chaines, et condamnés à mort[95].

Au même temps appartient la condamnation de Marcel, coupable, selon Ammien, d'avoir voulu mettre la main sur l'Empire[96], et, au dire d'Eunape, d'avoir conspiré par attachement à Constance[97]. Ce dernier mot est à retenir, car il semble indiquer que Constance avait su se faire des amis véritables, qui demeurèrent sous Julien fidèles à sa mémoire, et cherchèrent à la venger. Marcel fut jugé par le préfet du prétoire Salluste, et décapité. C'était le fils de l'ancien commandant de l'armée des Gaules, dont Julien, étant César, crut avoir tant à se plaindre[98]. Eunape fait remarquer, comme un indice de la modération et de l'humanité du prince, que celui-ci, en se montrant in-pitoyable pour le fils, épargna le père, et le combla même de faveurs.

Quant aux chrétiens, ils eurent à souffrir de nombreuses vexations. On en a un exemple dans l'affaire d'Eleusius. Cet évêque avait eu la carrière la plus agitée, qui donne une idée de ce que pouvait être la vie de certains prélats au milieu du quatrième siècle. Rien dans son passé ne le destinait à l'état ecclésiastique. C'était un officier supérieur dans la maison militaire de Constance, quand l'évêque de Constantinople, Macedonius, le fit élire au siège épiscopal de Cyzique, en même temps qu'un payeur de la garde prétorienne, Marathon, était promu à celui de Nicomédie[99]. Eleusius mena en soldat les affaires de son diocèse. Pour ramener à l'unité la petite et inoffensive secte des novatiens, il interdit leurs assemblées, et démolit l'église qu'ils avaient à Cyzique[100]. En même temps, il abattait dans la même ville les temples des dieux, et vouait au mépris public les cérémonies de la religion païenne[101]. L'orthodoxie de ce rigide champion de la foi n'était cependant pas sans alliage. Il s'associa en plusieurs circonstances aux vexations infligées par les macédoniens aux défenseurs de la pure doctrine de Nicée[102]. Cependant, il repoussa toujours les opinions extrêmes de l'arianisme. Il appartenait au tiers parti des semi-ariens, plus proche même de la définition orthodoxe que la plupart de ses amis, au jugement de saint Hilaire de Poitiers[103]. Aussi finit-il par être chassé de sa ville épiscopale à la fin du règne de Constance, grâce aux intrigues des ariens avancés[104]. Il y rentra au commencement de celui de Julien, lors du rappel de tous les évêques exilés. Mais il n'y demeura pas longtemps en paix. En juillet 362, Julien reçut à Antioche une députation des païens de Cyzique, qui dénonçaient à l'empereur les excès de zèle d'Eleusius. Julien fut heureux de pouvoir, en sévissant contre un évêque, faire montre en même temps d'impartialité religieuse. Il condamna l'évêque à rebâtir dans les deux mois l'église des novatiens, à ses frais, sous la menace d'une forte amende[105]. En même temps, pour le punir de sa conduite envers les idolâtres, et aussi des conversions nombreuses qu'il avait opérées, des constructions monastiques élevées par lui en faveur des veuves et des vierges consacrées à Dieu, il lui interdit le séjour de Cyzique. La même interdiction fut étendue aux étrangers qui étaient avec lui, c'est-à-dire vraisemblablement aux moines. Le motif, avoué par Julien, de cette interdiction faisait grand honneur aux succès évangéliques obtenus par Eleusius[106] : l'empereur craignait que, dans une ville dont une grande partie était déjà gagnée au christianisme, la présence de l'évêque et de son entourage n'excitât trop vivement les esprits contre la réaction païenne qui se préparait. Il redoutait surtout la population des manufactures de l'État, nombreuse à Cyzique, et où les ouvriers, avec leurs femmes et leurs enfants, étaient presque tous chrétiens. Ces corporations ouvrières, composées d'adorateurs du Christ, étaient celle des tisseurs ou teinturiers en laines, lanarii, et celle des monetarii, chargés de la frappe des monnaies[107] : cette dernière était alors assez riche et assez puissante pour que quelques-uns de ses membres fussent admis, dans des villes aussi considérables qu'Antioche, au nombre des curiales[108]. Il est intéressant de voir, au milieu du quatrième siècle, la religion nouvelle si florissante dans une ville qui avait été, dans la province d'Asie, l'un des centres du culte de Rome et d'Auguste[109].

Julien semble avoir pris plaisir à semer la division entre les populations chrétiennes et leurs évêques. Tel est au moins le but du long et curieux rescrit qu'il adressa d'Antioche, le 1er août 362[110], aux habitants de Bostra.

Bostra était une place forte, située au nord de l'Arabie romaine[111] : ville importante, en grand commerce par caravanes avec Palmyre. Les chrétiens y formaient la moitié de la population. Ils avaient pour évêque un des écrivains les plus distingués de l'époque, Titus, auteur de livres contre les manichéens : saint Jérôme le place parmi ceux dont on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, leur érudition dans les choses profanes ou leur connaissance des saintes Écritures[112]. Mais son orthodoxie ne fut peut-être pas à la hauteur de sa science : Sozomène le nomme parmi les écrivains célèbres de la nuance semi-arienne[113], et on le trouve même, en 363, en compagnie d'Acace et de ses partisans, ce qui porterait à le classer parmi les ariens d'une nuance beaucoup plus avancée[114]. Quoi qu'il en soit, les réformes religieuses de Julien paraissent avoir excité une grande émotion à Bostra. Se sachant soutenus, les païens y firent quelque désordre[115] ; mais, de leur côté, les chrétiens, qui avaient conscience de leur force, se montrèrent prêts à la résistance. Les deux partis étaient sur le point d'en venir aux mains. Julien fit savoir que si une sédition éclatait à Bostra, il ferait retomber toute la faute sur l'évêque et ses clercs, et l'attribuerait à leurs excitations[116]. En réponse à cette menace, l'évêque Titus écrivit à l'empereur pour se justifier. Il montra que, grâce à son influence et à celle de son clergé, la paix n'avait point été troublée. Quoique les chrétiens, dit-il, soient ici en nombre égal à celui des Hellènes, nos exhortations les ont empêchés de commettre le plus léger excès[117].

Il fallut toute la subtilité de Julien pour tourner contre Titus des paroles aussi raisonnables et aussi rassurantes. C'est ce qu'il essaya pourtant de faire par sa lettre aux Bostréens.

Il commence par revendiquer la reconnaissance à laquelle sont, dit-il, tenus à son égard les chefs des Galiléens. Car sous Constance plusieurs d'entre eux ont été bannis, persécutés, emprisonnés ; des chrétiens furent égorgés comme hérétiques : des villages entiers furent détruits à la suite de discussions religieuses. Julien, au contraire, a rappelé les exilés et leur a rendu leurs biens. Aujourd'hui, cependant, que voit-on ? Ayant perdu le pouvoir de tyranniser, n'ayant plus la faculté de rendre la justice, d'écrire des testaments, de s'approprier des héritages, de tirer tout à eux[118], les hommes qu'on appelle clercs cherchent à exciter des séditions, à soulever leurs ouailles contre les adorateurs des dieux, à combattre les édits philanthropiques rendus par le restaurateur de l'ancien culte.

Celui-ci, cependant, n'a nullement l'intention d'user de contrainte envers les adversaires de ses idées. Nous ne permettons pas qu'on les trame de force devant les autels des dieux. Au contraire, nous déclarons formellement que si quelqu'un d'eux désire participer à nos lustrations et à nos offrandes, il doit d'abord se purifier, et se rendre les dieux propices. Si loin sommes-nous de vouloir que ces impies aient part à nos cérémonies saintes, avant d'avoir lavé leurs âmes par des supplications aux dieux et leurs corps par des ablutions légales ![119]

Il m'a donc paru bon, continue Julien, de faire savoir à tous les peuples, par le présent écrit, et de déclarer formellement qu'il est interdit de se révolter avec les clercs, de se laisser entraîner par eux à jeter des pierres et à désobéir aux magistrats. Ils peuvent cependant s'assembler tant qu'ils le voudront, et prier selon leur coutume. Mais ils ne doivent pas se laisser gagner à la rébellion, et faire cause commune avec elle ; sinon, ils seront punis[120].

Ici commence la partie insidieuse du rescrit. J'adresse celui-ci, dit Julien, d'une manière spéciale à la ville de Bostra, parce que son évêque Titus et son clergé, dans le mémoire qu'ils m'ont présenté, ont accusé le peuple qui leur est soumis, disant qu'ils l'avaient engagé à ne pas se révolter, mais que le peuple s'était jeté dans le désordre. Julien reproduit ici la phrase de la lettre de Titus que nous avons citée plus haut et continue : Voici quelles sont, sur vous, les paroles de votre évêque. Vous voyez que ce n'est pas à votre bon vouloir qu'il attribue votre modération : c'est malgré vous, dit-il, que vous avez été contenus par ses exhortations. Chassez-le donc, sans hésiter, de votre ville, comme s'étant fait votre accusateur[121].

Dans cette phrase est, sans contredit, le mot important de la lettre : c'est pour l'amener que tout le reste a été écrit. Julien termine son message par des conseils de paix et de tolérance réciproque, donnés sur un ton de commisération méprisante pour les chrétiens.

Que ceux d'entre vous qui sont dans l'erreur ne fassent aucun tort à ceux qui, en toute droiture et justice, honorent les dieux selon l'antique tradition ; mais que non plus les serviteurs des dieux n'envahissent ou ne pillent les maisons de ceux qui sont dans l'erreur par ignorance plus que par volonté. Ces paroles avouent explicitement les violences déjà commises en divers lieux par les païens. C'est par la raison, continue Julien, qu'il faut convaincre et instruire les hommes, et non par les coups, les outrages et les supplices corporels. J'engage donc encore et toujours ceux qui ont le zèle de la vraie religion à ne pas maltraiter la multitude des Galiléens, à ne se permettre contre elle ni voies de fait ni outrages. Il faut avoir plus de pitié que de haine pour ceux qui se trompent sur les grandes choses. Le premier des biens est vraiment la piété : au contraire, l'impiété est le plus grand des maux. C'est pourquoi ceux qui abandonnent les dieux pour se tourner vers les morts et leurs reliques s'infligent à, eux-mêmes le châtiment[122].

Les perfides insinuations[123] envoyées aux chrétiens contre leur évêque ne produisirent aucun effet. Ils ne le chassèrent point de la ville, comme les y engageait l'empereur : en 363, on trouve encore Titus en possession de son siège[124]. Mais il ne semble point que les conseils de tolérance adressés aux païens aient été mieux écoutés. Ceux-ci, qui savaient apparemment lire entre les lignes, reconnurent tout de suite que l'empereur n'exigerait pas avec sévérité qu'ils fussent suivis. Deux lettres de Libanius, dont nous parlerons plus loin, montrent qu'il y eut encore des faits de persécution à Bostra, avec la connivence des autorités.

On a remarqué les paroles haineuses de Julien au sujet des morts, de leurs reliques, des tombeaux, comme il appelle souvent les églises chrétiennes. C'est vers le temps même où il publia son rescrit aux Bostréens, que sont signalées les premières profanations de reliques des martyrs. Lui-même dit que, pendant son séjour à Antioche, il avait donné l'ordre de détruire tous les tombeaux des athées, et que cet ordre fut exécuté avec une violence qui dépassait ses intentions[125]. Saint Grégoire de Nazianze précise cet aveu, en disant que les païens mirent le feu aux sépulcres des martyrs, en même temps qu'ils brûlaient les corps de ceux-ci, mêlés par dérision aux plus vils ossements, et jetaient au vent les cendres[126]. Ce détail fait particulièrement allusion à un fait, célèbre dans l'antiquité, qui se passa vers le mois d'août. Les reliques de saint Jean-Baptiste, conservées, dit-on, à Samarie, furent exhumées par les païens : on les mélangea à des os d'animaux, et on les réduisit en cendres[127]. On raconte que le tombeau et les reliques du prophète Élisée furent profanés de la même manière[128]. Les chrétiens parvinrent à sauver quelques débris de celles de Jean-Baptiste : ils furent envoyés à saint Athanase, qui à, ce moment n'avait pas encore quitté Alexandrie, et les déposa avec respect dans la muraille d'une église de cette ville[129].

 

III. — L'édit de maximum.

Les réformes administratives et économiques auxquelles s'appliqua Julien durant son séjour à Antioche sont de diverses sortes. Autant que nous en pouvons juger, il y en eut d'utiles que la population, prévenue contre lui, accueillit assez mal, mais qui paraissent avoir été inspirées par le désir sincère d'améliorer la situation de la ville.

On se souvient que, peu de temps avant d'être entré à Constantinople et d'y avoir pris les rênes du gouvernement, Julien avait accordé à la députation d'Antioche qui lui apportait la couronne votée par les citoyens l'augmentation du sénat par l'élection de deux cents nouveaux curiales[130]. C'était le moyen de rendre moins lourdes à la classe moyenne, à la bourgeoisie de la ville, les charges municipales en les partageant entre des membres plus nombreux. La question du recrutement des curiales continua de préoccuper Julien, quand il prit résidence dans la capitale de la Syrie. Il dut intervenir plusieurs fois pour empêcher l'effet d'élections qui (au moins d'après son récit) auraient fait entrer dans la curie d'Antioche des citoyens pauvres, dont la présence n'et apporté aux autres aucun soulagement[131]. Il cassa presque tous les curiales désignés par le peuple pendant son séjour dans cette ville[132]. Comme il est seul à raconter ces faits, on ne saurait dire s'il agit ainsi par mauvaise humeur ou à bon escient. Cependant un rescrit du 18 septembre 362, adressé au préfet du prétoire Salluste, parait prescrire à ce sujet de sages mesures. Julien y rappelle qu'il a été obligé d'annuler les récentes nominations de curiales, à l'exception de celles qui provenaient régulièrement de la curie elle-même. Il ajoute qu'il a désigné les corporations entre lesquelles les membres de celle-ci pourront être choisis à l'avenir. Enfin, il cite parmi ceux qui devront être appelés à la curie les fils de décurions qui n'en font pas encore partie, et les plébéiens de la cité, que leur richesse rendrait capables de supporter le fardeau des charges municipales[133]. Il y a peut-être dans cette affaire des dessous qui nous échappent, car Julien avoue que tout ce qu'il fit pour réglementer à Antioche la nomination des curiales excita le mécontentement des habitants[134]. On ne parait pas lui avoir été plus reconnaissant des décisions qu'il prit au sujet de certains terrains appartenant à l'État. Il y avait, parait-il, autour d'Antioche trois mille lots[135] de terre demeurés en friche. Le peuple les demanda à Julien. Celui-ci les concéda volontiers ; mais, au lieu d'être attribués aux citoyens les plus pauvres, ils furent partagés entre des gens qui n'en avaient pas besoin. Le peuple réclama Julien ordonna une enquête. A la suite de celle-ci, les détenteurs illégitimes furent dépouillés. Les terres ne devinrent point l'objet d'un nouveau partage : elles furent mises en valeur et administrées au profit de la ville, par les soins de l'oncle de l'empereur, le comte Julien. Il parait que l'opération fut bien conduite, et devint avantageuse à la ville, car le revenu de ces terres l'exonéra d'une charge considérable, en assurant l'entretien des chevaux destinés à ses courses annuelles[136]. Tel est du moins le récit que fait Julien de cette affaire. Mais peut-être le peuple en avait-il attendu des avantages plus directs : car Julien reconnaît qu'elle ne profita point à sa popularité.

Il en fut de même de ses efforts pour assurer l'alimentation publique.

Au moment où Julien s'établit à Antioche, le peuple se plaignait de la cherté des vivres. Les denrées abondent, et tout est hors de prix[137], criait la foule assemblée au théâtre. Julien manda aussitôt les grands propriétaires et les négociants notables de la ville. Sans prendre le temps de se renseigner par une sérieuse enquête, il s'improvisa, devant eux, l'interprète des passions irréfléchies du vulgaire, leur laissa entendre qu'à ses yeux, comme aux yeux de la foule, ils étaient des accapareurs, et leur expliqua le devoir de sacrifier au bien public l'espoir d'un gain fondé sur l'injustice[138].

Si à toute époque la limite entre les spéculations permises et celles qui sont contraires à l'humanité et à la justice reste difficile à tracer, il en devait être surtout ainsi en un temps où la science économique était encore dans l'enfance. Les cœurs les plus généreux se laissaient parfois entraîner à des sévérités qu'on aurait peine aujourd'hui à ne pas trouver excessives. Un illustre enfant d'Antioche, Jean Chrysostome, dont la jeunesse est contemporaine du séjour de Julien en Syrie, professe, à cet égard, des idées qui n'iraient à rien moins qu'à interdire au commerçant et à l'agriculteur la recherche du profit légitime. Il condamne celui qui vend son blé ou son vin soit dès la récolte, soit au contraire après un temps assez long, pour profiter du moment où les prix seront en hausse[139]. Mais on ne saurait nier que beaucoup de propriétaires de vignobles, de plants d'oliviers ou de terres à céréales ne montrassent, dans bien des 'circonstances, une inhumanité condamnable. Il y en avait qui, déçus dans leurs calculs, et voyant tout à coup les prix s'avilir, aimaient mieux vider les tonneaux de terre cuite où ils avaient gardé leur vin, ou noyer dans l'Oronte les sacs de blé amassés dans leurs caves ou dans leurs greniers que d'en faire largesse aux pauvres[140]. Saint Jean Chrysostome raconte l'histoire d'un véritable accapareur de blé, qui, en un moment où la récolte future paraissait compromise par la sécheresse, conservait en magasin d'énormes quantités de froment, prêt à les jeter sur le marché quand tout espoir de moisson aurait été perdu. Une pluie inattendue vient tout à coup ranimer les champs et rendre la confiance à tous. Le spéculateur ne craignit pas de se lamenter publiquement. Que ferai-je, disait-il, de tout le blé que j'ai en réserve ?Cet homme plus cruel qu'une bête, cet ennemi commun, aurait mérité d'être écrasé sous les pierres ! s'écrie dans un élan d'indignation l'orateur chrétien[141].

On ne saurait donc blâmer Julien d'avoir prêté l'oreille aux plaintes de la population d'Antioche. Son tort fut de prendre parti tout de suite, avant de s'être renseigné, au risque de dénoncer aux haines ou même aux vengeances populaires tous les riches de la cité. Il semblait d'autant moins urgent d'agir ainsi, qu'Antioche était une des villes de l'Empire où l'on souffrait le moins de la différence des conditions, et où, entre un assez petit nombre de riches et un nombre heureusement restreint de pauvres, il y avait le plus de fortunes moyennes[142]. Mais Julien suivait toujours son premier mouvement. Ayant durement tancé les principaux citoyens, il laissa, dit-il, l'affaire en oubli ; puis, rien, après trois mois, ne paraissant changé, il se décida enfin à agir[143].

La situation était celle-ci. La sécheresse de l'année précédente ayant fait manquer la récolte, le blé était rare et cher. En revanche, le vin, l'huile, les fruits, toutes les autres denrées agricoles abondaient : mais les producteurs réussissaient à les vendre à un prix élevé. Pour suppléer au manque de blé, Julien prit une mesure ne dépassant probablement pas le droit qui appartient à l'État dans les moments de disette. Il fit venir, aux frais du trésor public, du blé d'abord des contrées voisines, puis de cet inépuisable grenier d'abondance qu'était l'Égypte : cela lui permit, non de le donner à vil prix, mais de le vendre au peuple d'Antioche un tiers moins cher que celui-ci ne le payait auparavant. On se procurait ainsi quinze mesures pour la somme avec laquelle, jusque-là, on en avait acheté dix, et l'on croyait n'avoir plus à craindre l'énorme hausse que l'hiver menaçait d'amener. Malheureusement, si légitimes qu'elles paraissent, ces interventions officielles dans le jeu délicat des ressorts économiques arrivent promptement à les fausser. Ne pouvant soutenir la concurrence de l'État, qui s'inquiétait peu de vendre à perte, les grands propriétaires achetèrent, eux aussi, du blé importé sur le marché d'Antioche, au prix fixé par Julien, et en même temps exportèrent secrètement en d'autres provinces celui qu'ils ne pouvaient plus vendre dans leur. ville à des prix rémunérateurs. Comme, en bout, pour nourrir une population de cent cinquante à deux cent mille personnes[144], Julien avait fait venir quatre cent vingt-deux mille mesures ou boisseaux[145], cette provision, si considérable qu'elle parût, se trouva bientôt épuisée. La disette de blé recommença plus dure encore, puisque les réserves des agriculteurs du pays avaient été fortement entamées par l'exportation. Julien, irrité, menaça de la prison les principaux curiales : mais Libanius parvint à lui faire comprendre l'inutilité d'une telle peine, qui irriterait les esprits sans remédier au mal[146]. Cependant la colère de Julien avait gagné les gens de son entourage : en dépit de la faveur dont jouissait le sophiste, un des officiers de l'empereur le menaça de le jeter dans l'Oronte, pour le punir de s'être fait l'avocat de la curie[147].

Malgré le mauvais succès de la mesure, Julien était excusable d'avoir tenté, par un moyen empirique, de remédier à la disette du blé. Il ne le fut pas, quand il essaya de combattre, par un moyen encore plus mauvais, le haut prix des denrées.

Celles-ci, nous l'avons dit, étaient en abondance, mais on les vendait cher. Cependant, remarque un historien, les causes de cette cherté étaient en partie imputables à Julien lui-même. Il séjournait à Antioche avec une armée chaque jour plus nombreuse, puisque là était le point de concentration des forces qu'il rassemblait pour la guerre contre les Perses[148]. Se sentant nécessaires, les soldats ne reculaient devant aucun excès, et exigeaient une abondance inaccoutumée de nourriture[149]. Saint Jean Chrysostome parle du luxe des repas militaires, et des abus de vin qui s'y commettaient[150]. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir Socrate attribuer en partie la hausse du vin, de l'huile et des vivres, dont se plaignaient les habitants d'Antioche, au séjour dans leur ville de troupes nombreuses, qui nécessairement disputaient aux provinciaux les denrées mises sur le marché[151]. La cherté existait déjà, quand Julien entra dans Antioche : sa présence ne put que l'augmenter. Il crut y mettre une limite par le plus détestable de tous les procédés, un édit de maximum.

Plusieurs fois déjà, les empereurs romains avaient eu recours à cet expédient, — que renouvellera chez nous la Convention[152]. Toujours il avait tourné à mal ; mais, dans l'absence où l'on était de toute sérieuse notion économique, les leçons de l'expérience ne corrigeaient point l'empirisme des princes. Un seul, Alexandre Sévère, auquel un édit de ce genre, limité à certaines denrées, avait été proposé, eut le bon sens de le rejeter : sur plusieurs points ce jeune prince, qui fut montré plutôt que donné à l'Empire, devançait les idées de son temps[153]. La dernière taxe mise sur les denrées l'avait été par Dioclétien[154] : elle avait eu ce résultat, raconté par Lactance, d'arrêter tout commerce, et d'empêcher les marchandises les plus nécessaires de paraître sur les marchés, par conséquent d'aggraver la disette : malgré les sanctions terribles qui l'accompagnaient, la taxe fut vite abrogée par la force des choses[155]. Sans profiter de cet exemple encore peu ancien, le frère de Julien, le César Gallus, tenta aussi à Antioche, en 354, de remédier à l'élévation du prix des vivres par des mesures semblables, et, comme les magistrats municipaux s'y opposaient, il prononça contre eux une sentence de mort, que seule l'intervention du comte d'Orient, Honoratus, empêcha d'exécuter[156]. On avait vu alors le danger qu'il y a, pour un prince, à porter les questions de ce genre à la connaissance du peuple, et à lui dénoncer de prétendus accapareurs : la plèbe d'Antioche avait mis le feu à la maison d'un des principaux propriétaires de la ville, et avait assassiné le gouverneur de la Syrie, signalé à ses fureurs par l'inepte et lâche César[157]. Chose incroyable, Julien, emporté à son tour par une sorte d'aberration démocratique, ne désapprouvait pas les excès commis alors, et n'en redoutait pas le renouvellement. Il ne craignait pas de rappeler publiquement aux habitants d'Antioche l'acte de justice accompli neuf ans plus tôt, quand le peuple se rua, la flamme à la main, avec des cris, sur les maisons des riches, et massacra le gouverneur[158]. Cette colère, disait-il, avait été excessive dans sa manifestation, mais juste dans son principe[159]. C'est avec ces sentiments, et sans crainte des conséquences, que, s'imaginant ne léser dans leurs intérêts que les grands propriétaires d'Antioche, dont les domaines fournissaient la plupart des denrées apportées au marché, Julien taxa chacune d'elles au prix convenable, par un tarif rendu public[160].

Cette faute économique n'eut pas, heureusement, les lamentables conséquences qu'avait eues la tentative de taxation de Gallus. Si elle montra chez Julien le même entêtement que chez son frère, au moins n'amena-t-elle pas, cette fois, d'effusion de sang[161]. Mais elle produisit, à un double point de vue, un résultat tout autre que celui qu'attendait son auteur. Il avait pensé frapper seulement la grande propriété et la grande culture : il atteignit surtout le petit commerce[162]. Ceux qui vivaient de la vente en détail des marchandises achetées en gros aux producteurs directs durent suspendre leurs affaires. Ce sont les échoppiers, les revendeurs[163], c'est-à-dire les moins capables de supporter une perte, qui perdirent le plus, et conçurent le plus d'irritation contre Julien[164]. L'aspect d'Antioche était tout changé. Autrefois, les marchandises y abondaient tellement, qu'il n'y avait pas un point de la ville qui ne fût un marché : on n'avait pas besoin d'aller an loin acheter des denrées. On en trouvait partout devant soi, près de sa porte, et l'on n'avait qu'à étendre la main[165]. Maintenant la masse de la population, non seulement dans les faubourgs éloignés, mais même au centre de la cité, subissait le contrecoup de la grève des commerçants. Ceux-ci n'étalant plus sur l'agora ou dans leurs boutiques, l'abaissement des prix ne profita point aux consommateurs, puisqu'ils ne trouvèrent rien à acheter[166]. Ils se plaignirent ; mais Julien se moquait de leurs doléances. Sa frugalité, qu'il vantait à tout propos, narguait les exigences et la sensualité des habitants d'Antioche. Si l'on se plaignait de ce qu'on ne trouvât plus au marché ni volaille ni poisson, — le poisson autrefois si abondant à Antioche[167], — il se mettait à rire, disant qu'une ville frugale devait se contenter de pain, de vin et d'huile[168]. Avec sa manie de citer à tout propos Homère, il ajoutait que manger de la viande, c'est faire le délicat, mais demander du poisson et de la volaille, c'est un raffinement de luxe, inconnu même aux prétendants de Pénélope[169]. Ces railleries portaient au comble le mécontentement du peuple. Et ainsi, conclut Ammien, de l'édit de Julien, comme de toutes les mesures prises maladroitement pour amener l'avilissement des prix, découlèrent seulement la misère et la famine[170]. Libanius lui-même perd de son optimisme : Julien, dit-il, a été inspiré dans cet acte par un démon ennemi de la ville[171]. Une autre mesure, inventée par Julien dans l'unique but de vexer les chrétiens, n'eût pas été, si on l'avait prise au sérieux, de nature à ramener l'abondance sur les marchés. Julien ordonna d'arroser d'eau lustrale toutes les denrées exposées en vente à Antioche. Il pensait par ce moyen troubler la conscience des gens timorés ; quelques-uns s'imagineraient qu'il leur était défendu d'acheter des vivres ainsi consacrés aux démons, et se trouveraient placés entre les nécessités les plus urgentes de l'existence matérielle et un scrupule religieux ; d'autres, que le besoin aurait fait passer outre, se croiraient coupables d'apostasie, et perdraient ainsi pour l'avenir leurs forces de résistance. Heureusement la population chrétienne vit clair dans le jeu du persécuteur. Elle se souvint de l'enseignement du Seigneur : Rien de ce qui vient du dehors ne peut souiller l'homme ; c'est de lui-même, de ses pensées mauvaises, que viennent les souillures[172]. Elle se rappela la recommandation faite par saint Paul aux fidèles de Corinthe, pour les rassurer contre la crainte de toucher à des viandes provenant de sacrifices : Mangez ce qu'on vous présentera, sans faire de questions et sans tourmenter vos consciences[173]. Ceux d'Antioche suivirent cette règle, et achetèrent des vivres, ne s'inquiétant pas si ceux-ci avaient reçu ou non des gouttes d'eau lustrale. De même ils puisèrent sans scrupule aux innombrables fontaines qui faisaient la richesse et la beauté de la métropole syrienne, malgré le soin pris par Julien d'y faire jeter quelques débris des sacrifices. Le spiritualisme des consciences chrétiennes déjoua ainsi le grossier matérialisme du piège que leur tendait Julien[174].

 

 

 



[1] Ammien Marcellin, XXII, 9.

[2] Ammien Marcellin, XXII, 9.

[3] Ammien Marcellin, XXII, 9.

[4] Ammien Marcellin, XXII, 9.

[5] Sozomène, V, 4.

[6] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, 34. — Sur cet épisode, voir Saint Basile, p. 48-52.

[7] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, 34.

[8] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, 32.

[9] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, 32.

[10] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, 34.

[11] Saint Grégoire de Nazianze, Ép. 10.

[12] Julien, Ép. 4 ; Hertlein, p. 483.

[13] Sur les rapports de Celse avec Libanius, voir de ce dernier les Ép. 608, 615, 635, 655, 658, 693, 697, 1061, 1074, 1076, 1507. Cf. Meyers, Das Leben des Libanius, p. 90.

[14] Libanius, Ép. 648.

[15] Ammien Marcellin, XXII, 9.

[16] Zonaras, XIII, 12.

[17] Ammien Marcellin, XXII, 9.

[18] Sievers, Das Leben des Libanius, p. 57 et suiv.

[19] Sievers, Das Leben des Libanius, p. 61 et suiv.

[20] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 81.

[21] Cf. Libanius, Ép. 33, 372, 1031, 1125, 1350.

[22] Julien, Ép. 3 ; Hertlein, p. 483. — L'Ép. 44, publiée comme écrite à Libanius, est indiquée par certains manuscrits comme adressée à Priscus, et semble devoir, en effet, être rendue à ce philosophe, et reportée au temps où Julien lui écrivait de Gaule. Voir Hertlein, p. 548, note.

[23] Hertlein, p. 483.

[24] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 81.

[25] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 81 ; et Ép. 648.

[26] Philostrate, Vitæ sophist. (éd. Kayser, p. 230 et 256.)

[27] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 83.

[28] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 520.

[29] De Vita ; Reiske, t. I, p. 84.

[30] Pro Aristophane ; Reiske, t. I, p. 424-459.

[31] Cf. Ammien Marcellin, XIX, 12.

[32] Le supplice des plumbatæ fut souvent employé contre les martyrs.

[33] Parnassius et d'autres qui avaient été bannis lors du procès relatif à l'oracle d'Abydos obtinrent leur, grâce en 361 (Ammien Marcellin, XIX, 12). Le fait qu'Aristophane était encore exilé en juillet 362 semble indiquer entes actes de concussion pour lesquels il avait été condamné paraissaient alors établis. Julien avait eu au commencement de son règne à s'occuper déjà d'affaires de cette nature : cf. Code Théodosien, II, XXIX, 1.

[34] Peut-être parce que, malgré le plaidoyer de Libanius, il ne croyait encore qu'à demi à l'innocence d'Aristophane.

[35] Libanius, Ép. 1039. — Libanius était si fier de cette éloquence, que, quand il publia le discours pour Aristophane, il y réunit la lettre d'éloges reçue de Julien à cette occasion (Julien, Ép. 74), et sa propre réponse (Ép. 70). Voir Bidez et Cumont, Recherches sur la tradition manuscrite des lettres de l'empereur Julien, p. 78-79 et 126-128.

[36] Reiske, t. I, p. 405-423.

[37] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 457.

[38] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 457.

[39] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 457.

[40] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[41] Misopogon ; Hertlein, p. 461.

[42] Misopogon ; Hertlein, p. 461.

[43] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 440.

[44] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 436.

[45] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 436.

[46] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 579.

[47] Misopogon ; Hertlein, p. 437.

[48] Misopogon ; Hertlein, p. 436, 450.

[49] Libanius, Antiochicus.

[50] Misopogon ; Hertlein, p. 441.

[51] Misopogon ; Hertlein, p. 436.

[52] Misopogon ; Hertlein, p. 445.

[53] Cohen, Description historique des monnaies frappées sous l'Empire romain, t. VI, p. 360-363 ; Eckhel, Doctrina numm. vet., t. VIII, p. 133.

[54] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 445 ; Mamertin, Grat. actio (Paneg. vet., 1604, p. 168) ; Libanius, Ad Julianum consulem.

[55] Libanius, Ad Julianum consulem.

[56] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 438, 441.

[57] Libanius, Ad Julianum consulem.

[58] Libanius, Ad Julianum consulem.

[59] Ammien Marcellin, XXII, 10.

[60] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 21.

[61] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 21.

[62] Ammien Marcellin, XXII, 10.

[63] Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 24 ; Müller, Fragm. Hist. græc., t. IV, p. 25.

[64] Ammien Marcellin, XXII, 10.

[65] Ammien Marcellin, XXII, 10.

[66] Ammien Marcellin, XXII, 10.

[67] Ammien Marcellin, XXII, 10.

[68] Ammien Marcellin, XXII, 10.

[69] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 96.

[70] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 20. — N'est-ce pas ce qu'indique, avec l'intention de louer, le Panégyriste Libanius, quand il dit que Julien était un vrai Protée, faisant acte de prêtre, d'écrivain, d'augure, de juge, de général, de soldat, et, en lent, de sauveur ? Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 580.

[71] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 20.

[72] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 492.

[73] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 457.

[74] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 457.

[75] Libanius, Ad Julianum consulem.

[76] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 446.

[77] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 446.

[78] Libanius, Legatio ad Julianum.

[79] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 446.

[80] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[81] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[82] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[83] Cf. Iliade, VII, 195 ; Odyssée, XXII, 411.

[84] Julien, Misopogon ; Henlein, p. 443-444.

[85] Julien, Ép. 65 ; Hertlein, p. 588.

[86] Libanius, Legatio ad Julianum.

[87] Libanius, dans un discours adressé à Julien lui-même, appelle les courtisanes des femmes en la puissance de Vénus (Pro Aristophane ; Reiske, t. I, p. 446.) — Je rappellerai à ce propos la phrase brutale de Mommsen (Röm. Geschichte, t. V, p. 462) : Der Cultus der syrischen Götter war oft eine Succursale des syrischen Bordells.

[88] Saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et gentiles, 14.

[89] Théodoret, III, 18.

[90] Julien, Ép. 10 ; Hertlein, p. 489.

[91] Julien, Ép. 10 ; Hertlein, p. 489.

[92] Ammien Marcellin, XXII, 11.

[93] Théodoret, III, 18.

[94] Chron. d'Alex. (Migne, Patr. græc., t. XCII, p. 145.) C'est du moine Jean (neuvième siècle) que vint l'idée erronée de faire d'Artemius un martyr. Il écrivit les Actes du grand et glorieux martyr Artemius (publiés dans le Spicilegium romanum de Maï, t. V, p. 310, et dans les Acta SS., octobre, t. VIII, p. 856), qui sont la source d'où Métaphraste tira ses Actes du même personnage (Patr. græc., t. CXV, p. 1160-1212). Sur l'absence de valeur historique de la compilation du moine Jean, voir Tillemont, Mémoires, t. VII, p. 730-733 ; Batiffol dans Römische Quartalschrift, 1889, p. 252-257 ; Batiffol, Quæstiones Philostorgianæ, 1891, p. 35-40.

[95] Ammien Marcellin, XXII, 12.

[96] Ammien Marcellin, XXII, 11.

[97] Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, fr. 17 ; dans Müller, Fragm. hist. græc., t. IV, p. 21.

[98] Sur les rapports de Julien avec Marcel, voir Koch, Kaiser Julian der Abtrdünnige, p. 386-387.

[99] Sozomène, IV, 20 ; Suidas, v° Έλευσίος.

[100] Socrate, II, 38 ; Sozomène, IV, 21.

[101] Sozomène, V, 15.

[102] Voir Tillemont, Mémoires, t. VI, p. 397. — Julien, Ép. 52 (Hertlein, p. 559), parle de bourgades, κώμας, détruites pendant les discordes entre chrétiens sous le règne de Constance, sur le territoire de plusieurs cités, entre autres à Cyzique. Mais on ne peut savoir si ces excès sont antérieurs à l'épiscopat d'Eleusius, ou au contraire lui sont imputables. Peut-être la phrase de Julien fait-elle allusion seulement à la destruction de l'église des novatiens.

[103] Saint Hilaire de Poitiers, De Synodis.

[104] Théodoret, II, 23 ; Philostorge, V, 3 : Socrate, II, 40, 42, 45 ; IV, 17 ; Sozomène, IV, 24, 27.

[105] Socrate, III, 11.

[106] Malheureusement, la fin de sa carrière lui fit moins d'honneur : Mendes, menacé par Valens, accepta en 388 les doctrines ariennes. Il se repentit, mais il devint le chef du parti macédonien, qui contestait la divinité du Saint-Esprit, refusa en 381 de se soumettre à l'autorité du concile œcuménique de Constantinople, et persista, à la conférence de 383, dans son attachement à l'hérésie (Socrate, V, 8 ; Sozomène, VII, 7).

[107] Sozomène, V, 15.

[108] Cf. Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 475. — Sur les monetarii au quatrième siècle, voir Waltzing, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, t. II, p. 228.

[109] Voir Marquardt, Röm. Staatsverwaltung, t. I, p. 345, note 3.

[110] Julien, Ép. 52 ; Hertlein, p. 562.

[111] Ammien (XIV, 8) dit de Bostra, de Gerasa et de Philadelphie : Murorum firmitate cautissimas.

[112] Saint Jérôme, Ép. 70 ; De viris illustr., 102.

[113] Sozomène, III, 14.

[114] Socrate, III, 25.

[115] Cf. Libanius, Ép. 672b, 873, 730.

[116] Sozomène, V, 16.

[117] Julien, Ép. 52 ; Hertlein, p. 561. — C'est le seul endroit des écrits de Julien où les chrétiens soient appelés autrement que Galiléens ; mais la phrase n'est pas de Julien, puisqu'elle est tirée textuellement de la lettre de l'évêque de Bostra.

[118] Allusion à la juridiction civile et criminelle que les empereurs chrétiens avaient attribuée aux évêques.

[119] Julien, Ép. 52 ; Hertlein, p. 560.

[120] Julien, Ép. 52 ; Hertlein, p. 561.

[121] Julien, Ép. 52 ; Hertlein, p. 562.

[122] Hertlein, p. 562.

[123] L'artifice dont Julien se servit contre l'évêque de Bostra est un acte d'hypocrisie, qui entache son caractère. Negri, l'Imperatore Giuliano l'Apostula, p. 319.

[124] Socrate, III, 25.

[125] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 466.

[126] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 29.

[127] Rufin, II, 28 ; Théodoret, III, 3 ; Philostorge, VII, 4 ; Chronique d'Alexandrie (Migne, Patr. græc., t. XCII, p. 295). Saint Grégoire de Nazianze fait peut-être allusion à cette profanation dans Oratio V, 29.

[128] Philostorge, VII, 4.

[129] Rufin, II, 28.

[130] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 475.

[131] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 475.

[132] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 475.

[133] Code Théodosien, XII, I, 53.

[134] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 475. — Ces mesures, en tout cas, restèrent sans effet. La curie d'Antioche ne cessa de décroître. Au commencement du quatrième siècle, elle était d'environ 1.200 membres ; elle avait fort diminué à l'époque de Julien, qui dut la compléter. Quand Libanius écrivit son discours Πρός τήν βουλήν, c'est-à-dire vers 386, les curiales n'étaient pu plus de soixante : il n'y en avait plus, paraît-il, qu'une douzaine, quand il écrivit, après 388, son discours Ύπερ τών βουλών. Voir Puech, Saint Jean Chrysostome et les mœurs de son temps, p.48 ; Sievers, Das Leben des Libanius, p. 7, note 36.

[135] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 471.

[136] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 471.

[137] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 476.

[138] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 476.

[139] Saint Jean Chrysostome, In Ép. I ad Cor. hom. XXXIX, 8.

[140] Saint Jean Chrysostome, In Ép. I ad Cor., hom. XXXIX, 8.

[141] Saint Jean Chrysostome, In Ép. I ad Cor., hom. XXXIX, 7.

[142] Saint Jean Chrysostome, In Matth. hom LXVI, 3.

[143] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 476.

[144] 130.000, d'après Libanius, Ép. 1139 (écrite vraisemblablement en 363) ; 200.000, d'après saint Jean Chrysostome, Homll. in Ignatium, 5. Voir Puech, Saint Jean Chrysostome et les mœurs de son temps, p. 17.

[145] D'abord 400.000, puis 5.000, puis 7.000 ; enfin 10.000 ; Misopogon ; Hertlein, p. 476. D'après Libanius, Legatio ad Julianum (Reiske, t. I, p. 475), il aurait d'abord donné gratuitement, sans doute aux plus pauvres, 10.000 mesures, puis 3.000.

[146] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 478. — Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 84.

[147] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 84.

[148] Socrate, III, 17.

[149] Ammien Marcellin, XXII, 12.

[150] Saint Jean Chrysostome, In Ép. I ad Cor. hom. XII, 4.

[151] Socrate, III, 17.

[152] Voir dans Champagny, les Césars du troisième siècle, t. III, p. 314-317, la comparaison entre l'édit de maximum rendu en 301 ou 302 par Dioclétien et la loi révolutionnaire du 8 vendémiaire an II.

[153] Cf. Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, 2e éd., p. 196.

[154] Corpus Inscr. lat., t. III, p. 801-841, et Hermes, 1890, p. 16-35.

[155] Lactance, De mort. pers., 7.

[156] Ammien Marcellin, XIV, 7.

[157] Ammien Marcellin, XIV, 7.

[158] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 478.

[159] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 478.

[160] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 476.

[161] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[162] Le tour des petits est venu, dit Taine au moment de parler de l'édit de maximum établi par la Convention ; la Révolution, t. III, p. 488.

[163] Socrate, III, 17.

[164] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 451.

[165] Libanius, Antiochicus.

[166] Socrate, III, 17.

[167] Libanius, Antiochicus.

[168] Misopogon ; Hertlein, p. 451.

[169] Misopogon ; Hertlein, p. 451.

[170] Ammien Marcellin, XXII, 14. — Depuis le maximum, tout manque à Marseille, écrit-on de cette grande ville en 1793. Voir Taine, la Révolution, t. III, p. 490.

[171] Libanius, De Vita ; Reiske, t. I, p. 84.

[172] Saint Marc, VII, 15-23.

[173] Saint Paul, I Cor., X, 27.

[174] Voir Théodoret, Hist. ecclés., III, Il ; saint Jean Chrysostome, In sanctum Babylam contra Julianum et gentiles, 22 ; Oratio XLV.