JULIEN L'APOSTAT

TOME SECOND. — JULIEN AUGUSTE. - JULIEN ET LE PAGANISME - JULIEN ET LES CHRÉTIENS : LA LÉGISLATION.

LIVRE VI. — JULIEN ET LE PAGANISME.

CHAPITRE II. — LA RELIGION DE JULIEN.

 

 

I. — Les pratiques religieuses.

En rétablissant le culte païen, Julien n'obéit pas seulement à une pensée de réaction politique ou à un sentiment de dilettantisme littéraire. L'hellénisme représentait à ses yeux autre chose qu'un brillant et glorieux passé. Pour lui, ce rêve était une réalité. Les dieux d'Homère étaient de vrais dieux. Leur culte était une religion. Et Julien croyait remplir un devoir en la pratiquant avec une véritable minutie.

Sa journée religieuse commençait de bonne heure. Debout dès l'aurore, il adressait une prière à Mercure, âme du monde et moteur des esprits[1]. Puis il offrait un sacrifice. Son premier souci, depuis son lever, dit Libanius, était de se tenir en communion avec les dieux par le moyen des victimes[2]. Lui-même se fait gloire de n'avoir en aucun temps, même en voyage, manqué de sacrifier le matin et le soir[3]. C'était plus que ne faisaient habituellement les ministres des dieux, qui ne sacrifiaient guère que le jour des calendes et à la nouvelle lune[4]. Mais Julien, au rapport de Libanius, célèbre tous les jours[5]. Comme celui-ci le dit en termes pittoresques, il salue par le sang le lever du dieu ; il le reconduit avec du sang au moment de son coucher ; quand le dieu a disparu, il immole encore aux génies de la nuit[6]. Libanius ajoute que si une mauvaise fortune empêche Julien de courir aux temples, ses dévotions se font au palais, lui-même devenu un temple, où, dans des jardins plus purs que ne sont ailleurs les sanctuaires, les autels font l'ornement des arbres, les arbres la décoration des autels[7].

De préférence, cependant, Julien, toutes les fois qu'il le pouvait, prenait part au culte public, selon les exigences du calendrier païen. Dans toutes les villes où il séjournait, il est peu de temples où il n'ait tour à tour sacrifié[8]. La profusion des victimes était incroyable. On vit plusieurs fois Julien, en un seul sacrifice, faire tomber successivement devant l'autel cent taureaux, des béliers, des brebis, 'des chevreaux, en quantité innombrable, et beaucoup d'oiseaux au blanc plumage, capturés sur terre et sur mer[9]. Les pieds dans le sang[10], l'impérial pontife remplissait parfois lui-même le rôle de victimaire[11]. Libanius le loue de ne point assister de son trône, sous la protection des boucliers dorés de ses gardes, aux rites célébrés par les mains d'autrui, mais de mettre lui-même la main à l'œuvre[12]. Il le montre prenant le glaive, découpant les oiseaux, interrogeant les entrailles[13]. Son application en ces circonstances était si grande, qu'il demeurait insensible à la température. Un jour, à Antioche, il sacrifiait pour demander aux dieux de la pluie. Sa prière parut exaucée, car une pluie torrentielle tomba. Il resta seul à l'autel sous ce déluge, pendant que les assistants gagnaient en toute hâte l'abri d'un toit voisin[14]. C'est en le voyant ainsi que Libanius le proclamait supérieur à tous les prêtres dans l'exercice des cérémonies sacrées, non seulement à ceux d'aujourd'hui, alourdis et comme émoussés, mais aux plus exacts de ceux qui fleurirent jadis en Égypte[15].

Quelquefois Julien, oublieux de son rang, se réduisait au rôle de simple servant des prêtres. La joie, dit un témoin païen, éclatait sur son visage quand, accompagné d'une troupe de femmes, il portait lui-même avec ostentation les objets sacrés qui devaient servir à l'officiant[16]. Il s'abaissait encore à de plus humbles soins. Libanius le montre courant autour de l'autel, avec des morceaux de bois dans les mains[17]. On s'égayait du spectacle qu'il offrait ensuite, quand, incliné vers le brasier, il gonflait ses joues et soufflait sur les charbons afin d'attiser le feu[18]. Il devenait alors, dit saint Grégoire de Nazianze, un sujet de risée, non seulement pour les étrangers à son culte, mais même pour ceux dont il croyait flatter ainsi les croyances[19].

Tous les païens ne partageaient pas, en effet, pour la ferveur trop démonstrative de Julien la béate admiration de Libanius. Ceux d'entre eux qui avaient gardé le sens de la beauté grecque, avec ses mouvements mesurés, ses gestes harmonieux et sobres, — ou simplement qui n'avaient pas perdu le sentiment des convenances, — souffraient de voir leur empereur prendre ces attitudes. Ils rappelaient, avec un sourire attristé, une curieuse légende : Minerve saisie de désespoir parce que, s'étant mirée dans l'eau, elle reconnut qu'elle avait les jambes mal faites[20]. Mais l'hellénisme dégénéré de Julien ne craignait ni la laideur ni le ridicule. Il croyait ne pouvoir faire trop d'efforts pour honorer les dieux. Les carnages sacrés lui portaient à la tête. De ces troupeaux égorgés, de ces ruisseaux de sang, dit avec attendrissement Libanius, lui paraissait monter vers le ciel une odeur suave[21]. Il ne songeait même pas à se demander ce que coûtait toute cette viande abattue[22]. Les gens sages, cependant, s'en préoccupaient déjà. Il y a dans tout ceci, disaient-ils, plus de superstition que de véritable religion[23]. On ne craignait pas de blâmer tout haut[24]. On avait peur que les frais du culte, qui atteignaient des proportions inconnues jusque-là, n'épuisassent le trésor public[25]. On citait l'épigramme jadis adressée à un autre empereur philosophe : Les bœufs blancs à Marc César. Si tu reviens vainqueur, nous périrons tous. Et l'on se demandait sérieusement ce qui resterait de la race bovine, si les profusions de Julien continuaient, et si surtout, ayant un jour vaincu les Perses, il éprouvait le besoin de rendre grâce aux dieux par une recrudescence de sacrifices[26].

Ce n'était pas seulement l'exagération dans le nombre des victimes qui choquait les païens raisonnables. L'excès de superstition montré par Julien étonnait beaucoup d'entre eux. Il manifestait, dans l'étude des présages, une vraie ferveur de néophyte. Les tendances de son esprit inquiet, que le merveilleux attirait toujours, depuis que ses premières expériences d'Asie l'avaient initié aux mystères de l'occultisme, le jetaient tout entier dans la recherche de l'avenir. Peut-être aussi l'intention de réagir contre les prohibitions dont Constantin et Constance avaient frappé l'art divinatoire, et la volonté de rassurer par son exemple ceux qui eussent hésité à en reprendre les pratiques, entraient-elles pour quelque chose dans l'ostentation avec laquelle il s'y livrait pour sa part. Mais celle-ci dépassait la mesure ordinaire. On ne citait qu'un empereur romain qui pût, sur ce point, lui être comparé, le fantasque Hadrien, dont l'esprit mal équilibré joignait au scepticisme une superstition immodérée[27].

Soit par lui-même, soit par les haruspices dont il s'entourait, et qui se prétendaient dépositaires des secrets de l'Étrurie[28], soit par les néoplatoniciens de sa cour, qui opposaient aux méthodes italiques celles de la théurgie orientale[29], Julien vivait en un commerce continuel avec les dieux. Sans cesse on le voit fouiller les entrailles des animaux sacrifiés[30] ; il interroge le vol des oiseaux[31] ; il interprète des songes[32] ; il étudie le sens des chutes accidentelles ou des rencontres fortuites[33] ; il demande aux immortels des signes visibles de leur volonté[34] ; il questionne leurs statues[35] ; malade, il se fait dicter des consultations par Esculape[36]. Sa vie se passe dans une épaisse atmosphère d'illusions et de prestiges. Les dieux et les démons habitent avec toi, lui dit Libanius[37], qui raconte sur cette cohabitation de curieux détails. Tels sont leurs bienfaits, que, même pendant ton sommeil, ils te touchent de la main pour t'éveiller, te révèlent les embûches, le moment de combattre, la disposition à donner à ton armée, où il faut aller, d'où il faut revenir. Seul tu as vu leur visage, bienheureux contemplateur et envoyé des bienheureux ! Seul tu as eu le privilège d'entendre et de reconnaître la voix des dieux, et de pouvoir t'écrier, comme dans Sophocle, tantôt : Ô voix de Minerve ! tantôt : Ô voix de Jupiter ! ou bien : Voix d'Apollon, d'Hercule, de Pan, de chacun des dieux et des déesses ![38] Ammien Marcellin, qui partage quelques-unes de ces superstitions, ne peut s'empêcher d'en noter discrètement l'extravagance. Julien,  dit-il, était trop adonné à l'observation des présages[39].

Les chrétiens avaient remarqué aussi l'étrange manie de l'empereur apostat. Parmi eux couraient à ce sujet des récits qu'il est intéressant de recueillir, au moins comme écho de ce qui se disait alors. Un jour, raconte saint Grégoire de Nazianze[40], Julien examinait après un sacrifice les entrailles d'une victime. Il crut y voir l'image d'une croix, qu'entourait une couronne. Les assistants se troublèrent : ce phénomène leur semblait annoncer le triomphe du christianisme. La couronne, aux yeux des devins, est signe de victoire : et comme le cercle qui forme la couronne n'a ni commencement ni fin, la victoire ainsi présagée doit être éternelle[41]. Mais un interprète plus savant ou plus habile ranima les courages. Selon lui, le phénomène était, au contraire, de bon augure : car l'image de la croix ainsi cernée de toutes parts signifiait l'étouffement prochain de la religion chrétienne, incapable désormais de s'étendre et de se dilater. Saint Grégoire ne se porte pas garant de l'exactitude de ce récit. S'il est faux, autant en emporte le vent ![42] Peut-être, cependant, n'est-il pas entièrement imaginaire. Julien et ses amis étaient attentifs aux moindres singularités que présentaient les organes des bêtes sacrifiées. Ammien a raconté comment Julien, offrant un sacrifice lors de l'expédition contre Constance, fut rassuré quand Aprunculus lui eut expliqué que la double membrane entourant le foie d'une victime était le présage d'événements heureux[43] : et l'on verra bientôt la colère de Julien quand un bœuf sacrifié à Mars, pendant la guerre des Perses, offrit des présages menaçants, ominosa signa[44].

Une autre superstition de Julien donne un caractère particulier à son apostasie. Il cherchait par tous les à moyens à effacer le caractère indélébile reçu au baptême. Il y avait, parait-il, des rites spéciaux et des formules d'exécration composées dans ce but[45]. Mais c'était surtout par le sang que l'eau du baptême était lavée[46]. Probablement est-il fait allusion ici à quelque criobole ou taurobole, comme ceux auxquels se soumettaient les initiés de Cybèle et peut-être ceux de Mithra. Saint Grégoire parle d'initiation impure, opposée à l'initiation chrétienne[47].

Il ajoute cette phrase remarquable : Julien s'appliqua particulièrement à profaner ses mains, afin d'en ôter toute trace du sacrifice non sanglant, par lequel nous communions au Christ, à ses souffrances et à sa divinité[48]. On sait que dans la primitive Église les communiants recevaient sur leurs mains le pain eucharistique[49]. Et l'on sait aussi qu'une des cérémonies de l'admission au grade de Lion, dans le culte mithriaque, consistait dans la purification des mains, sur lesquelles du miel était versé[50]. Peut-être est-ce par ce rite que Julien purifia, selon son langage, ou profana, selon le langage de saint Grégoire, les mains qui avaient autrefois touché le corps du Christ. Julien demandait aux chrétiens qui, à son exemple, passaient au paganisme de se purifier de même, en lavant leur âme par des supplications aux dieux, et leur corps par les ablutions légales[51].

Il semble que, au moins pour lui, les lites mithriaques aient été le moyen de cette purification sacrilège. Nous avons déjà dit, d'après Libanius, que Julien avait construit, au milieu du palais impérial de Constantinople, un sanctuaire dédié au dieu qui amène le jour, c'est-à-dire à Mithra[52]. Là, continue le panégyriste, il participait aux mystères, à la fois initié et initiateur[53]. Probablement, dans la chapelle ou le spelæum du palais, Julien avait pris divers grades mithriaques. Son initiateur parait avoir été Maxime, et l'un de ses compagnons d'initiation, Théodore[54]. A. son tour, Julien, revêtu de ces grades, peut-être élevé à la dignité de pater, reçut d'autres mystes dans la confrérie.

Julien a parlé de ce groupe d'initiés, peu nombreux, et choisis parmi ses amis les plus intimes. Dans son discours sur le Roi Soleil, il s'exprime ainsi : C'est une belle chose, pour un homme, de tenir, par trois générations ou par une longue suite d'ancêtres, au culte de ce dieu ; mais il est honorable aussi, quand on s'avoue né pour le servir, de s'être, seul ou avec un petit nombre d'autres, consacré spécialement au culte d'un tel maitre[55]. Le sophiste Himère était parmi ces privilégiés. Ayant purifié mon âme dans le Soleil Mithra, j'ai été uni par les dieux à l'empereur aimé des dieux[56], dit-il dans son discours en l'honneur de Constantinople et de Julien. Nous avons eu le même initiateur, écrit Julien à l'asiarque Théodore[57], qui semble avoir été aussi l'un des intimes admis aux mystères célébrés dans le spelæum impérial. C'est parmi ceux-ci que Julien recruta les principaux fonctionnaires de son palais et les plus dévoués serviteurs de sa politique. Après la phrase citée plus haut sur la purification des mains, qui était, nous l'avons dit, un rite mithriaque, saint Grégoire de Nazianze ajoute : Par des initiations et des sacrifices, Julien constitua sa cour, et munit de mauvais conseillers un gouvernement mauvais[58].

 

II. — Dieu et les dieux.

Julien était dévot à tous les dieux. Tous ceux dont ont parlé les poètes, pères et enfants, dieux et déesses, supérieurs et subordonnés, dit Libanius, il fait des libations à tous, il remplit d'agneaux et de bœufs les autels de tous[59]. Quelquefois il les prie tous ensemble, et s'imagine recevoir leur réponse collective[60]. Le plus souvent il les distingue. Presque tous les personnages de la mythologie grecque et italo-romaine sont nommés et invoqués dans ses écrits : Saturne, Jupiter, Apollon, Mars, Pluton, Bacchus, Silène, Esculape, Hercule, les Dioscures, Minos, le Soleil et la Lune, Rhéa, Junon, Minerve, Latone, Déméter et Cora, Vénus, Hécate, les Muses, les Grâces, les Parques, Erinnys, etc. Les divinités asiatiques y ont leur place ; fréquente et même très absorbante : Mithra, Cybèle, Attis. Moins souvent, mais avec grand respect encore, il cite les divinités égyptiennes Sérapis et Isis. Il n'est rien, pour ainsi dire, qui demeure à l'abri de son culte : n'a-t-il pas honoré solennellement, dit Libanius, les dieux, les héros, l'air, le ciel, la terre, la mer, les fontaines, les fleuves ?[61]

De cette vaste accumulation, de cette piété qui se répand avec une aisance égale sur les objets les plus divers, il parait difficile, au premier abord, de tirer une théologie précise. La pensée de Julien est flottante : elle se dérobe dès qu'on essaie de la saisir. Elle n'est pas toujours semblable à elle-même. Julien parait parfois appartenir à plusieurs écoles théologiques. Dans les Césars, il nous montre un Olympe à la fois naïf et goguenard, tel que pouvait se le représenter l'imagination d'un enfant ou d'un homme du peuple : les deux grands couples divins, Saturne et Rhéa, Jupiter et Junon, couchés sur des lits d'ébène ou assis sur des trônes d'or : alentour les autres dieux, rangés en cercle : ils passent le temps à boire du nectar et à manger de l'ambroisie : Silène fait le bouffon : on entrevoit même l'équivoque Ganymède. Manifestement, Julien se joue dans ce tableau, et montre que certains aspects de la mythologie ne sauraient être pris au sérieux. Ailleurs, il rejette plus clairement encore les fables incroyables et monstrueuses, que les Grecs ont inventées au sujet des dieux : Saturne dévorant ses enfants, Jupiter incestueux, Bacchus déchiré en morceaux, puis recollé[62]. Il n'admet pas que Pluton soit l'être infernal que dépeint la mythologie, ni que Minerve soit sortie réellement du cerveau de Jupiter[63]. Mais, par contre, Julien accepte les traditions populaires, alors surtout qu'elles se rattachent aux origines nationales : lui si peu Romain cependant, il croit au bouclier tombé du ciel, que l'on garde chez nous, gage que nous a envoyé réellement et effectivement le grand Jupiter ou Mars, père des Romains, afin d'être à jamais le rempart de notre cité[64]. Démêler sa vraie pensée est d'autant plus difficile, que très probablement Julien ne la voyait pas lui-même avec une clarté complète, tantôt crédule, tantôt sceptique, toujours dévot.

En y regardant de près, cependant, on voit se dessiner des préférences. S'il nomme sans cesse et comme au hasard les dieux dans ses écrits, Julien parle de certains d'entre eux avec un accent particulier. Il leur donne une place distincte des autres. On sent qu'ils sont entrés plus avant dans sa vie. C'est à eux qu'il déclare devoir le plus de reconnaissance. Ce sont les vrais gardiens de son âme et de sa destinée. Le Soleil, écrit-il, est celui de tous les dieux que j'ai supplié le premier[65]... Je suis le serviteur du dieu Soleil[66]. Il se fait dire par Mercure, à la fin des Césars : Je t'ai procuré la connaissance de ton père Mithra[67]. Il prend à témoin Jupiter, le grand Soleil, la puissante Minerve[68]. Il cite à part Jupiter, le Soleil, Mars, Minerve, et après eux, dans la même phrase, tous les dieux[69]. Il est visible qu'à ces personnages ainsi nommés hors rang vont d'abord ses adorations et ses prières. Le Soleil, sous ce nom, ou personnifié dans le persan Mithra, parait son dieu préféré, son dieu personnel, celui auquel il tient par les liens de ce servage étroit, que produit l'initiation. Apparemment, dans Jupiter il voit surtout le symbole du Dieu suprême. Minerve est demeurée la déesse de son adolescence studieuse, la personnification de sa chère Athènes. Quant à Mars, le père de Romulus et le dieu de la guerre, son nom vient se placer de lui-même sous la plume d'un empereur romain.

Il semble qu'en ces quatre noms se résume, autant que sa complexité et son incohérence permettent de l'atteindre, la doctrine religieuse de Julien. Minerve et Mars correspondent à sa théorie des dieux nationaux ; Jupiter est l'expression de ce monothéisme qui, dans l'esprit de beaucoup de païens du quatrième siècle, coexistait si singulièrement avec les croyances et les pratiques polythéistes ; le Soleil est le centre d'un système théologique, où Julien a essayé de condenser toute sa philosophie religieuse, et que nous trouverons exposé dans l'un de ses plus importants écrits.

Si on la regarde de près, la théorie de Julien sur les dieux nationaux se rattache étroitement à l'ensemble de ses conceptions doctrinales. Elle forme, comme l'a très bien dit M. Adrien Naville[70], une sorte de compromis entre le polythéisme absolu et le monothéisme. Elle découle en même temps, par une conséquence presque nécessaire, des principes platoniciens dont était imbu Julien. Et elle marque très nettement la divergence des idées chrétienne el, païenne, non seulement sur le terrain du dogme, mais même en matière de philosophie sociale.

Nos auteurs — ainsi s'exprime Julien — disent que le créateur de l'univers est le père et le roi commun, qu'il a distribué le reste des nations à des dieux protecteurs des nations et des villes, et que chacun d'eux exerce spécialement les fonctions qui lui sont dévolues[71]. On voit apparaître ici la notion d'un Dieu supérieur, de quelque nom qu'on l'appelle, — Être suprême[72], Jupiter, père de la sainteté et de la justice[73], père du Soleil[74], père des dieux[75], père et maitre qui aime les hommes[76], — de qui tout procède, qui a tout créé, et dont la providence immuable[77] gouverne toutes choses. Cette notion n'était pas étrangère aux païens éclairés du IVe siècle. Un Themistius, un Symmaque, un Maxime de Madaure, un Longinien, un Nectaire, ont, comme Julien, l'idée du divin supérieur aux dieux, et vers lequel, par des routes variées, cheminent, disent-ils, toutes les religions[78]. Quand ils plaident, comme le fera Symmaque, en faveur de la liberté des cultes, ils insistent sur les ressemblances, et déclarent que, dans le fond, au moyen de rites divers, païens et chrétiens adorent le même Dieu. Mais quand une intention apologétique ne dirige pas leurs paroles, ils laissent apercevoir des différences irréductibles entre le Dieu suprême dont l'existence et les fonctions se concilient avec le polythéisme, et le Dieu véritablement unique des chrétiens. Julien qui, loin de chercher la conciliation, se fût plutôt appliqué à élargir le fossé qui séparait sa religion nouvelle de ses anciennes croyances, indique clairement les points sur lesquels elles divergent, et les raisons pour lesquelles un rapprochement entre elles demeure impossible.

La divergence fondamentale est dans l'idée même du Dieu créateur. Pour les chrétiens, comme pour les Juifs, il a directement produit de rien tous les êtres, visibles et invisibles, esprits et corps. C'est ce qu'enseigne l'Écriture sainte, ce que répètent les docteurs, ce que définissent les conciles, ce que redisent les symboles, ce que les martyrs ont constamment répondu aux juges qui les interrogeaient sur leurs croyances. Je ne connais pas d'autres dieux, si ce n'est le seul et vrai Dieu, qui a fait de ciel et la terre, et tout ce qu'ils contiennent, déclare saint Cyprien au proconsul d'Afrique[79] : la même formule se retrouve souvent sur les lèvres des confesseurs de la foi. Tout autre est la conception du Créateur, empruntée par Julien à Platon. Le monde n'a pas été fait par Dieu ex nihilo, mais au contraire émane de lui, puisque le monde existe de toute éternité[80], et que la matière elle-même est divine[81]. Mais en même temps la dignité du premier être exige qu'entre sa perfection suprême et les créatures les plus imparfaites il y ait une série d'intermédiaires, chargés de produire, en son nom et par son ordre, les êtres inférieurs. Dieu crée les dieux, et, revêtus par lui d'immortalité, les dieux créent les mortels. C'est la doctrine de Platon dans le Timée[82] ; Julien cite textuellement, dans son livre Contre les chrétiens, le passage où elle est le plus explicitement formulée[83], et, en d'autres endroits du même ouvrage[84], explique par cette doctrine sa théorie des dieux nationaux. Moise et la Bible ont commis, dit-il, une monstrueuse erreur, quand, après avoir montré Dieu formant de rien le ciel, et la terre, ils le montrent dirigeant lui-même les destinées d'un peuple élu[85]. Le Dieu de Julien a créé le monde par le moyen des dieux intermédiaires, et il a préposé-ces dieux à la formation et à la conduite des nations entre lesquelles il a divisé l'univers.

Julien pose en principe que chaque nation obéit à l'ascendant particulier de celui des dieux qui est chargé de veiller sur elle[86]. Il explique de cette manière les différences des divers peuples. Dites-moi pourquoi les Celtes et les Germains sont braves, les Grecs et les Romains polis et civilisés, mais cependant fiers et belliqueux, les Égyptiens plus avisés et plus industrieux, les Syriens peu propres à la guerre, mous, mais avec un mélange d'esprit, de chaleur, de légèreté et de facilité à apprendre[87]. Continuant cette revue des nations à lui connues, on aurait peine, ajoute Julien, à trouver quelques peuples de l'Occident, sauf un très petit nombre, qui cultivent la philosophie et la géométrie, et qui même soient propres à ce genre d'études, quoique l'Empire romain ait étendu si loin ses conquêtes. Le talent de la parole et l'art des rhéteurs n'y est le privilège que de quelques esprits d'élite, mais ils sont étrangers à toutes les autres sciences[88]. Le dédain de l'Hellène pour les Romains ou les Celtes se montre ici avec une exagération et une injustice singulières. Mais pour Julien cette inégalité des aptitudes intellectuelles tient à la nature même de chaque peuple, et cette nature provient du Dieu particulier qui lui a été préposé.

La différence des coutumes et des lois, même les conceptions différentes de ce qui est bien et de ce qui est mal, n'ont pas une autre cause. Quel est le Grec qui ne regarde comme un crime d'avoir commerce avec sa sœur, sa fille ou sa mère ? Les Perses jugent que ce n'est point mal. Ai-je besoin de démontrer en détail que la nature germaine est amie de la liberté et impatiente du joug, tandis que les Syriens, les Perses et les Parthes sont d'une humeur douce et facile, ainsi que les Barbares qui sont à l'ouest et au midi et qui tons, sans exception, se soumettent volontiers aux dominations les plus despotiques ?[89] De ces faits plus ou moins exacts, Julien tire les conséquences : Si Dieu, dit-il, n'a pas établi sur chaque nation, pour la gouverner, un génie ou un démon sous ses ordres, et une race spéciale d'âmes qui obéit et se plie à des êtres supérieurs, d'où résulte la différence des lois et des coutumes, qu'on me montre de quelle autre cause elle peut provenir. Il conclut qu'à côté du maitre commun de l'univers il y a les autres dieux, préposés aux nations et placés sous ses ordres, comme les ministres d'un roi, et s'acquittant chacun de leurs fonctions d'une manière différente[90].

Les théories qui viennent d'être exposées, si on les presse et qu'on leur fasse rendre toute leur logique, aboutissent à considérer les différences des religions, des institutions, des tempéraments, de la morale elle-même, chez les divers peuples, comme étant de droit divin. Chaque nation est marquée ainsi d'un caractère immuable, dont elle ne peut s'affranchir. Mais ce principe conduit à nier, d'abord, l'unité de l'espèce humaine. A ceci Julien ne répugne pas. Si les dieux ont pu produire un seul homme et une seule femme, ils étaient aussi capables de créer plusieurs hommes et plusieurs femmes : création aussi facile, et qui expliquerait la diversité des mœurs et des lois[91]. Julien finit par se ranger à cette hypothèse. Au cas où la race entière serait sortie d'un couple unique, les lois ne présenteraient pas sans doute cette variété[92]. La terre, d'ailleurs, eût pu difficilement se peupler, lors même que les femmes eussent produit plusieurs petits ensemble, comme les truies[93]. Les faits prouvent donc qu'il a existé à l'origine plusieurs hommes primitifs[94]. Chacun d'eux a été créé par un dieu différent, et est devenu père d'un. peuple, formé d'après un type spécial, d'où ont découlé ses aptitudes et ses lois.

On aperçoit combien peu ces principes laissent subsister de l'unité physique et de l'unité morale du genre humain. Mais ils' portent atteinte du même coup à l'idée de la liberté et à la notion du progrès. Leur opposition radicale aux principes chrétiens éclate ici. Le christianisme fait à l'homme un devoir de travailler à l'amélioration morale de sa personne d'abord, ensuite de la société où il vit, afin d'approcher le plus près possible de la perfection. Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait[95]. Le paganisme, au contraire, professe que les croyances, les institutions et les mœurs des anciens ne sont pas seulement vénérables par leur antiquité, mais sont éternelles dans leur diversité, et qu'on n'y saurait toucher sans crime, même dans le but de les améliorer. Il enseigne que la morale change selon les latitudes, puisque, pour employer un exemple souvent cité, tels actes qui paraissent licites aux Perses sont réprouvés comme impies par les Grecs et les Romains. Il condamne les civilisations diverses à demeurer toujours séparées, à s'enfermer dans un fatalisme immobile, à n'atteindre jamais, par l'effort aidé de la grâce, à cette unité supérieure — ut sint unum sicut et nos[96] — vers laquelle tendent les sociétés chrétiennes. Bien que contredite sans cesse par les faits, qui ne sauraient avoir la rigueur inflexible des idées, cette négation de la liberté et du progrès est l'essence même du paganisme[97]. Celse l'avait enseignée avant Julien, et avait été réfuté par Origène[98] au nom des doctrines chrétiennes. Julien reproduit les thèses de Celse, et sera réfuté par Cyrille. Plus modéré dans la forme, mais non moins résolu dans le fond, Symmaque, à la fin du siècle, se fera encore le champion de l'immobilité traditionnelle : saint Ambroise défendra contre lui la liberté, la vie, le progrès[99].

 

III. — La théologie du Soleil.

La thèse de Julien sur les dieux nationaux se rattache aux idées platoniciennes, et en particulier à la doctrine de l'émanation. La théologie du Soleil en découle plus visiblement encore.

Elle reflète surtout le platonisme dégénéré qui commence à Jamblique. Dans son discours Sur le Roi Soleil, Julien se réclame du grand Platon[100]. Cependant il se hâte d'ajouter : Et d'un penseur inférieur à Platon dans l'ordre des temps, mais non par le génie, Jamblique de Chalcis[101]. Celui-ci est bien le vrai maitre de la pensée de Julien. Si l'ancien pédagogue Mardonius apprit au futur César à lire Platon, avec lequel il demeura familier, et qu'il cite souvent, ses professeurs asiatiques, les néoplatoniciens de Pergame, et surtout Maxime d'Éphèse, le véritable éducateur de sa seconde jeunesse, son initiateur réel à la philosophie, l'ont plongé tout entier dans les doctrines de Jamblique.

A vrai dire, les intermédiaires entre Platon et ce contemporain de Constantin, Ammonius, Porphyre, Plotin, existent à peine pour Julien[102]. Ammonius et Plotin ne sont que des philosophes : Porphyre est déjà un ennemi du christianisme, mais il le poursuit d'une haine toute philosophique, et sa haute spiritualité se préoccupe peu de défendre contre lui les dogmes surannés du paganisme[103] : Jamblique, au contraire, opère cette conciliation des doctrines platoniciennes et des mythes païens, cette purification du paganisme par les explications allégoriques, cette paganisation de la philosophie par le plus superstitieux mysticisme[104], qui enivreront l'esprit de Julien. C'est lui, dit-il, qui m'a initié aux diverses études de la philosophie[105]. C'est chez lui que j'ai puisé[106], ajoute-t-il à propos des doctrines exposées dans le traité Sur le Roi Soleil. Et quand il cite les maîtres de la pensée philosophique, il a soin de le distinguer par une épithète, qui le met à part et au-dessus de tous : Platon, Plotin, Porphyre, et le divin Jamblique[107].

Le discours Sur le Roi Soleil fut écrit en trois nuits[108], à la fin de l'année 362[109]. Il fut probablement envoyé à Rome, pour y être lu en public le 25 décembre, jour où la ville royale[110] honorait Sol invictus[111]. Julien le dédia à son ami Salluste, préfet du prétoire des Gaules, le même pour qui il écrivit, quatre ans auparavant, sa Consolation et à qui, à la fin de 361, il avait déjà dédié le traité perdu des Saturnales[112]. De son propre aveu, ce discours ne saurait prétendre à beaucoup d'originalité. Je l'ai écrit de mémoire, dit Julien[113] ; et il explique cette expression en ajoutant : Si tu veux consulter sur ces matières des écrits plus complets et plus mystiques, prends ceux du divin Jamblique, et tu y trouveras le comble de la sagesse humaine[114]. Tel qu'il est, le discours de Julien Sur le Roi Soleil a le double avantage de nous faire connaître les enseignements qu'il avait tirés des livres de Jamblique et des leçons de ses commentateurs de Pergame ou d'Éphèse, et la foi à laquelle il avait dès lors donné son âme. En ceci, comme en toutes les choses de la pensée, Julien se montre ce qu'il fut toujours, l'esprit docile aux influences, le bon écolier de ses maîtres païens, plutôt que le penseur vigoureux et personnel. Lui donner une place individuelle dans l'histoire de la philosophie serait une erreur.

Conformément aux doctrines de l'École d'Alexandrie, Julien se représente le monde magnifique et divin, qui s'étend de la voûte élevée du ciel jusqu'aux extrémités de la terre, comme un composé de trois termes entre lesquels, en quelque sorte, s'étage la divinité. Au sommet est l'Être en soi, de quelque nom qu'on l'appelle, l'Absolu, l'Un, ou, selon l'expression préférée de Platon, le Bon. De la substance primordiale innée en lui, cause simple et unique de ce qu'il peut y avoir daim les autres êtres de beauté, de perfection, d'unité et de puissance, il produit à son image le Soleil intellectuel, chargé de communiquer tous ces biens aux dieux intelligents, et qui lui-même a pour image le Soleil matériel, par qui la vie se répand sur les êtres visibles. D'où trois mondes : le monde intelligible, siège des principes absolus et des causes premières, le monde intelligent, le monde sensible. Au second préside le Soleil intellectuel, entouré des dieux intelligents ; dans le troisième, le Soleil visible dispense la lumière, la chaleur et la vie, entouré lui-même des dieux cosmiques, qui sont les astres.

C'est vers le premier Soleil, le Soleil des intelligences, que montent surtout les adorations de Julien ; c'est de ce Roi qu'il se proclame le serviteur et l'initié. La pensée, le cœur de l'homme n'ont pas d'ailes assez fortes pour les porter aux sommets inaccessibles où réside l'Un absolu, le Bon abstrait. Bien que divin, le disque lumineux qui verse sur la terre la clarté et la chaleur n'échauffe et ne féconde que les corps. Entre le monde sensible et le monde intelligible, le Soleil illuminateur des esprits est le véritable intermédiaire. Être mitoyen, il sert de médiateur aux dieux intelligents[115]. Il rapproche et relie les deux extrémités de l'Être divin, les purs intelligibles, d'une part, les dieux visibles et cosmiques, de l'autre[116]. Il opère l'unité[117]. Entre la seule Cause efficiente de l'univers[118], qui est au sommet, et la multitude des divinités agissantes qui peuplent le ciel[119] » visible, il tient le milieu[120].

La triade panthéiste, et toute néoplatonicienne, qui fait le fond du système n'offre aucune ressemblance avec la Trinité chrétienne. Elle en est séparée, au contraire, par des dissemblances radicales[121]. Mais il n'est pas impossible que Julien ait cherché, cependant, à donner au Soleil illuminateur des intelligences, au Soleil médiateur, quelques traits du Verbe divin adoré par les chrétiens, quelque similitude avec le Logos de l'Évangile selon saint Jean. Cela est assez dans les habitudes de son esprit et dans le mouvement, tout à la fois, de sa polémique et de sa propagande. En d'autres écrits, il semble faire d'Hercule une sorte de Christ païen, que Jupiter a engendré pour être le Sauveur des hommes[122], et donner un rôle analogue à Esculape, descendu du ciel sur la terre et apparu sous forme humaine, pour étendre sa main de Sauveur sur toute la terre, afin d'y guérir les âmes troublées et les cœurs infirmes[123]. Si Julien a vraiment tenté des assimilations de cette nature, il n'a fait que transporter dans le domaine de la métaphysique et de la théologie quelque chose de la tactique déjà employée par lui sur le terrain des institutions religieuses, quand il s'efforçait de réformer à l'image de l'Église chrétienne le culte et le clergé du nouveau paganisme, et d'emprunter à celle-ci ses œuvres charitables.

Dans le rang où le met la doctrine néoplatonicienne, intermédiaire entre l'Être abstrait et les créatures visibles, le Soleil a, dit Julien, la supériorité sur les dieux[124]. Il est le Dieu suprême du paganisme. Quelque nom que la Fable attribue à ce roi des dieux, qu'elle l'appelle Jupiter, Pluton, Sérapis, Apollon, Bacchus, Mithra, Horus, c'est tout un avec le Soleil. Esculape est né de sa substance ; Minerve Providence est sortie de lui ; Vénus l'accompagne, et communique à la terre sa fécondité ; la Lune, à qui Minerve transmet l'intelligence, reçoit de lui son éclat ; les Grâces sont ses filles ; le chœur des Muses lui obéit ; tous les dieux, toutes les planètes, toutes les sphères et tous les cercles du monde gravitent autour de lui, pendant qu'il demeure éternellement assis sur son trône de lumière[125]. A lui vient ainsi aboutir le syncrétisme qui, dans les derniers siècles du paganisme, fond peu à peu tous les dieux, rendant chaque jour leurs formes plus effacées, plus fluides, plus aptes à rentrer les unes dans les autres, jusqu'à ce que, finalement, elles aillent s'absorber toutes ensemble dans la divinité solaire. Mais telle est désormais leur indétermination, que, malgré les efforts des théologiens du paganisme finissant, il devient impossible de les distinguer entre elles et de leur assigner ou de leur maintenir une place fixe : quand on lit attentivement le discours de Julien Sur le Roi Soleil, on s'aperçoit que les trois mondes définis par lui au commencement de cet écrit perdent dans les pages qui suivent leurs différences et leurs limites. Tous leurs confins se sont brouillés. Dans la plupart des passages où sont décrites les fonctions du Roi Soleil, le lecteur est incapable de reconnaître si Julien parle du Soleil intellectuel ou du Soleil visible : tout se confond dans une brume lumineuse, au sein de laquelle les êtres flottent indéterminés et vagues.

Si Julien se présentait à nous seulement comme un disciple du néoplatonisme, ou comme un zélateur des cultes orientaux, on s'étonnerait sans doute de rencontrer sous sa plume des idées aussi peu précises, mais on n'aurait pas à signaler entre le rôle qu'il a pris ostensiblement et les théories qu'il expose une contradiction choquante. Julien se donne comme le restaurateur de l'hellénisme. Tu es Grec, et tu commandes à des Grecs, lui disent ses amis et ses flatteurs[126]. Ce sont les dieux grecs qu'il prétend replacer sur les autels. Il invoque à chaque page les poètes dont l'imagination brillante les a dotés de ces formes et de ces couleurs qui ont fait leur popularité chez un peuple artiste, et leur ont acquis l'admiration des siècles. Homère, Hésiode, sont les deux autorités sur lesquelles sans cesse il s'appuie. Quand il songera, un jour, à retirer aux professeurs chrétiens le droit d'enseigner, il voudra qu'ils ne puissent accuser plus longtemps Homère et Hésiode d'erreur au sujet des dieux[127]. C'est pourtant ce que lui-même, à son insu, ne cesse de faire.

Entre l'anthropomorphisme de la religion grecque, entre ses divinités aux contours si élégants et si nets, entre ses dieux qui semblent le type d'une humanité supérieure, revêtue d'une forme parfaite, et les êtres sans limites, sans forme .et sans sexe qui se meuvent comme des nébuleuses dans les trois mondes de Julien, il n'y a pas de commune mesure. Les uns s'éveillent à la vie sous le ciseau d'un Phidias ou d'un Praxitèle : les autres ne pourraient être représentés plastiquement, si ce n'est peut-être par les monstres qui couvrent d'un fourmillement gigantesque les murailles des temples hindous. Ce sont des conceptions radicalement différentes. Ceci ne peut, sans offenser la logique et le bon sens, être ramené à cela. Or Julien prétend rester à la fois le disciple de Jamblique et d'Homère. Il n'y parvient qu'en faisant subir à l'esprit grec les plus étranges violences. Pour le rendre conforme à son système, il est obligé non seulement de solliciter doucement les textes des poètes inspirés, mais encore de les déformer jusqu'à les briser.

C'est de la sorte seulement qu'il parvient à donner, dans son néo-hellénisme, la place centrale au Soleil. Pour tout lecteur des poèmes homériques, la divinité principale y est incontestablement Zeus. A ce maitre de l'Olympe, Apollon est subordonné comme tous les autres dieux. Julien s'efforce d'effacer cette impression. Il y emploie les raisonnements les plus subtils. Hésiode a donné au Soleil pour parents Hypérion et Theia. C'en est assez, dit Julien, pour faire entendre que le Soleil est le fils légitime de l'Être supérieur à tous les êtres. Car que signifie autre chose le nom d'Hypérion ? et que veut dire Theia, si ce n'est le plus divin des êtres ?[128] Par de mêmes arguties est démontrée l'indépendance d'Apollon à l'égard de Jupiter. Un passage de l'Iliade, commenté à faux, l'établira, contrairement à tout l'esprit de la poésie homérique. Jupiter, qui est le maitre universel, contraint les autres par la force. Mais quand Apollon déclare qu'à cause de l'impiété des compagnons d'Ulysse il quitte l'Olympe, Jupiter ne lui dit pas : Je t'entrainerai plutôt avec la terre et les mers[129], il ne le menace pas de le charger de liens ou de lui faire violence ; mais il prie Apollon de continuer à paraître parmi les dieux[130]. Si Homère, dans un vers dont on essaierait vainement de tirer un sens favorable, montre Junon contraignant le Soleil à éteindre ses feux dans la mer[131], Julien refuse, pour cette fois, de le croire inspiré ; il prononce à son tour le quandoque bonus dormitat Homerus : Envoyons promener, dit-il, les fictions des poètes ; au divin ils mêlent parfois beaucoup d'humain[132]. Il recueille alors de tous côtés les témoignages en faveur de ses théories, sans songer qu'ils détruisent l'autorité des deux poètes dont il a fait comme les prophètes de l'hellénisme. S'il a entendu dire qu'en Chypre les prêtres consacrent le même autel à Jupiter et à Apollon, il en tire la conséquence que ces dieux non seulement sont égaux, mais encore sont identiques[133]. Il triomphe en voyant cette identité proclamée par un vers que les poésies orphiques placent dans la bouche même d'Apollon Il n'y a qu'un Jupiter, qu'un Pluton, qu'un Soleil, c'est Sérapis[134]. Mais il ne prend pas garde que ce syncrétisme, pythagoricien et oriental tout ensemble, est la ruine de la religion homérique, et par conséquent de l'hellénisme. C'est ainsi que tantôt par une exégèse toute verbale, et sans racines dans la tradition, tantôt par l'abandon même de ses propres principes, Julien entreprend de concilier ces res dissociabiles, l'hellénisme primitif et la philosophie décadente, la religion des poètes, brillante de jeunesse, et l'alexandrinisme vieilli, qui plie sous le poids des abstractions.

Tel qu'il est, le discours de Julien Sur le Roi Soleil n'était peut-être pas de nature à plaire aux Grecs de vieille roche. Par sentiment national, par instinct da beau, ils se défendaient de leur mieux contre l'invasion des divinités étrangères. On remarquera que Mithra, le dieu préféré de Julien, celui sous les traits duquel il aimait surtout à se représenter le Soleil, n'a de monuments dans aucun des pays grecs qui occupent les deux rivages de la mer Égée[135] : au Pirée seul, port ouvert aux matelots de toutes les nations, une inscription en son honneur a été trouvée[136]. Julien lui-même semble avoir senti que son Discours, si plein qu'il fût d'Homère et d'Hésiode, n'était pas à l'adresse des Grecs. Peut-être avancé-je des idées inintelligibles pour eux, dit-il en un endroit[137]. Les destinataires de cet étrange écrit étaient les Romains[138]. On ignore comment sa lecture, faite probablement avec une grande solennité, au nom de Julien, soit devant le sénat, soit dans l'une des basiliques de la Ville éternelle, fut accueillie. Tout témoignage manque à ce sujet. Ce qu'on peut affirmer, c'est que rien n'était moins romain que le langage et les théories de Julien, même quand il s'efforçait de plaire aux habitants des sept collines. C'est à tort, probablement, qu'il s'imagine faire plaisir aux Romains en affirmant que leur capitale est essentiellement grecque par son origine et par sa constitution[139]. Renchérissant sur Aurélien, qui avait proclamé le Soleil seigneur de l'Empire romain[140], il bouleverse toute la légende des origines, en affirmant que le Soleil est le fondateur de Rome[141]. En effet, non seulement Jupiter, le glorieux père de tous les dieux, habite au Capitole avec Minerve et Vénus, mais encore Apollon a sa demeure sur la colline du Palatin ; or le Soleil ne fait qu'un, on le sait, avec toutes ces divinités[142]. Toute cette partie du Discours est pleine de semblables raisonnements. Le culte du Soleil, dont l'introduction fut si tardive à Rome, y est reporté, par une étrange altération de l'histoire, à la naissance même de la cité. La légende romaine est pliée aux théories de Julien sur ce dieu. Énée est fils de Vénus ; mais Vénus est apparentée au Soleil. Mars est le père de Romulus ; mais Mars, appelé Aziz par les Syriens, est considéré par eux comme le courrier du Soleil. Le feu sacré dont la garde a été remise par Numa aux Vestales, c'est le feu même du Soleil[143]. Julien termine ce que l'on pourrait appeler la portion romaine du Discours, en rappelant les fêtes instituées à Rome en l'honneur du Soleil, qu'il identifie à Mithra : J'ajouterai que nous rendons un culte particulier à Mithra[144], et que nous célébrons tous les quatre ans[145] des jeux en l'honneur du Soleil... Avant le renouvellement de l'année, et immédiatement après le dernier mois consacré à Saturne, nous célébrons par des jeux magnifiques dédiés au Soleil la fête du Soleil invaincu[146].

Suit une péroraison, qui conclut la partie oratoire et publique du discours :

Veuillent les immortels, rois du ciel, m'accorder de célébrer plusieurs fois ces fêtes ! Je le demande surtout au Soleil, roi de tous les êtres, qui, engendré de toute éternité autour de la substance féconde du Bon et tenant le milieu entre les dieux intermédiaires intelligents, les unit à lui et les remplit tous également d'une beauté infinie, d'une surabondance génératrice, d'une intelligence parfaite, c'est-à-dire de tous les biens ensemble. De tout temps, et maintenant encore, son trône, rayonnant au milieu du ciel, en éclaire la région visible qu'il occupe éternellement ; et c'est de là qu'il répand sa beauté sur tout l'univers et qu'il peuple le ciel entier d'autant de dieux que sa substance, éminemment intelligente, lui permet d'en concevoir, pour les tenir étroitement et individuellement unis à lui. Toutefois il n'est pas moins libéral envers la région sublunaire, où il verse une éternelle fécondité, ainsi que tous les biens qui peuvent jaillir d'un corps sphérique. C'est encore lui qui prend soin de tout le genre humain, et spécialement de notre ville, de même qu'il a créé notre âme de toute éternité, et qu'il se l'est adjointe pour compagne. Puisse-t-il donc m'accorder les faveurs que je lui ai demandées ! Puisse sa bienveillance assurer à notre cité commune l'éternité dont elle est capable ! Puissions-nous, sous sa sauvegarde, prospérer dans les choses divines et humaines, tant qu'il nous sera donné de vivre ! Puissions-nous enfin vivre et gouverner, aussi longtemps qu'il plaira au dieu et qu'il sera avantageux pour nous-mêmes et pour l'intérêt de tous les Romains ![147]

A la suite de ces paroles, qui terminent la partie destinée au public, vient une sorte d'Envoi, de lettre intime adressée à Salluste pour lui dédier le discours :

Voilà, mon cher Salluste, ce que j'ai pu ébaucher en trois nuits sur la triple puissance du dieu, en faisant appel à ma mémoire... Mon travail serait inutile sans doute, si je n'avais voulu qu'instruire les autres après Jamblique. Mais, résolu à écrire un hymne de reconnaissance en l'honneur du dieu, j'ai voulu traiter de sa substance, selon mes forces, et mes paroles, je l'espère, n'auront pas été dites en vain. Le précepte : Honore de tout ton pouvoir les dieux immortels[148] n'a pas été dit seulement à propos des sacrifices, mais au sujet des louanges que l'on adresse aux dieux. Je prie donc pour la troisième fois le Soleil, roi de tous les êtres, de répondre à ma dévotion par sa bienveillance, de m'accorder une vie bonne, une prudence consommée, une intelligence divine, et, quand l'heure sera venue, la mort la plus douce, puis, après cette vie, un essor facile auprès de lui, un séjour éternel dans son sein, ou, si cela est trop pour mes mérites, de longues suites d'années à vivre ici-bas ![149]

Si ces paroles donnent une notion assez vague des idées de Julien sur la vie future, elles respirent une piété fervente, et l'on ne peut douter que le serviteur du Roi Soleil ait été sincère en les écrivant.

 

IV. — L'interprétation des mythes.

Le discours Sur la Mère des dieux fut, nous dit Julien, improvisé en une seule nuit. Peut-être la rapidité de la composition est-elle pour quelque chose dans la confusion et l'incohérence du langage : peu d'ouvrages de Julien sont plus ennuyeux et plus mal composés. Mais peu sont aussi curieux en même temps, et nous font mieux connaître tout un côté de ses idées religieuses.

Contrairement aux habitudes de l'auteur, le début du discours est tout historique. Il raconte comment le culte de la Mère des dieux, — Cybèle, la Grande Mère, la déesse Idéenne, — après avoir été propagé de Phrygie à Athènes, fut importé directement de Phrygie à Rome au second siècle avant notre ère. L'entrée dans Rome du vaisseau contenant la pierre noire de Pessinonte, et la légende de la vestale Clodia, sont même narrées avec une simplicité et une verve rares sous la plume de Julien. Mais tout de suite il entre dans l'exposé de ses idées personnelles, et développe ses théories sur la vraie nature d'Attis et de la Mère des dieux. C'est ici que l'obscurité se fait. Il est indispensable de mettre de l'ordre dans la pensée de Julien, afin de la rendre intelligible.

Exposons d'abord le mythe d'Attis et les cérémonies par lesquelles il est commémoré. Nous dirons ensuite quels sont, selon Julien, le sens du mythe lui-même et la signification symbolique des cérémonies. Nous étudierons enfin les idées générales de Julien sur les mythes et sur leur interprétation.

La mythologie, raconte Julien, dit qu'Attis, exposé sur les eaux du fleuve Gallus, atteignit la fleur de son âge. Devenu beau et grand, il fut aimé de la Mère des dieux, qui, entre autres faveurs, lui donna un bonnet d'étoiles[150]. La Mère des dieux avait permis à son jeune amant de bondir et de danser[151] ; mais elle lui avait fait un précepte de la servir religieusement, de ne point se séparer d'elle, et de n'en pas aimer d'autre[152]. Attis ne sut pas obéir. La Fable ajoute qu'il descendit dans une caverne, et qu'il s'unit à une nymphe[153]. La Mère des dieux, d'accord avec son assesseur Corybas, députa le Lion à Attis. Celui-ci, repentant, se mutila[154], assis sous un pin, dont son sang arrosa les racines[155]. Promu au rang de demi-dieu, il remonta vers la Mère, qui lui rendit son amour[156].

Le culte d'Attis et de la Mère était solennisé par des rites dont le caractère et les acteurs sont en rapport avec cet étrange récit. Ses prêtres, les Galls, étaient des eunuques. Julien nous a laissé la description des fêtes qu'ils célébraient vers l'équinoxe du printemps[157]. La description est assez confuse : mais elle s'éclaire par les récits d'autres écrivains[158] et par les indications du calendrier romain de 354. Le 22 mars, un pin, souvenir de l'arbre témoin de la mutilation d'Attis, était porté en procession, enveloppé de bandelettes, comme s'il eût été le cadavre même du dieu. Les jours suivants étaient consacrés au deuil. On jeûnait. On pleurait la mort d'Attis. Le 24 mars était appelé par excellence le jour du sang, dies sanguinis. Le chef des Galls s'y tailladait les bras, répandant le sang par ses blessures : le même jour, dit Julien, était coupée la moisson sacrée et mystérieuse du dieu Gallus, c'est-à-dire que les nouveaux Galls célébraient leur entrée dans la confrérie par une honteuse mutilation. Mais au deuil, au jeûne, au sang, succédait une joie délirante. Les trompettes annonçaient la résurrection d'Attis. Le 25 mars était le jour des réjouissances, hilaria, et la fête s'achevait par l'orgie. Julien ne fait pas allusion à la procession qui avait lieu le surlendemain à Rome, quand les prêtres, le peuple, les plus grands personnages eux-mêmes menaient la pierre noire enchâssée d'argent, symbole de la déesse, prendre un bain dans l'Almone : la cérémonie était localisée à Rome, dépositaire depuis la seconde guerre punique de la pierre sacrée.

Si l'on en croit les interprètes modernes, le sens primitif du mythe (et des cérémonies qui le commémoraient) était purement naturaliste. Il ne s'agissait dans cette histoire que de la succession des saisons. La Mère des dieux, c'était la terre ; Attis, c'était le soleil. Cela signifiait que la vie et la joie circulent sur la terre dans la belle saison, quand elle est échauffée par les rayons du soleil. Quand Attis disparaît, quand il descend dans l'antre, la Mère devient triste, et pleure son abandon. Cela symbolisait le deuil de la terre dans la saison froide, quand le soleil a porté ses rayons vers d'autres contrées. L'émasculation d'Attis, enfin, c'était l'infécondité de la nature privée de l'action génératrice du soleil[159].

Que le mythe de Cybèle et d'Attis ait eu le sens naturaliste qu'ont cru y découvrir les modernes, ou qu'il soit seulement une légende obscène, conte populaire divinisé par le sensualisme mystique de l'Orient, il ne pouvait être accepté de Julien dans sa teneur littérale. Simple commémoration de la suite des saisons, de la terre pleurant en hiver le soleil refroidi, c'était un mythe trop grossier et trop peu intéressant pour son esprit subtil. Le récit des aventures scandaleuses d'une déesse et de son favori était moins acceptable encore pour sa haute moralité. Mais Julien n'avait pas un grand effort à faire pour tirer la légende vers un sens platonicien, au risque de la traiter comme une matière malléable. à laquelle il est facile de donner telle forme qu'on désire.

L'école philosophique dont était Julien faisait un usage immodéré de l'allégorie. Elle y trouvait l'explication et au besoin la justification de tout. Quand le néoplatonisme, au lieu de poursuivre, comme l'avaient fait ses fondateurs, une œuvre indépendante et désintéressée, se fut, dans la dernière période de son existence, appliqué à réhabiliter la mythologie en prêtant à ses récits les plus risqués un sens spiritualiste, et à instituer une sorte d'apologétique païenne par la conciliation toute arbitraire de la fable traditionnelle et des spéculations philosophiques, il ne rencontra dans cette voie nouvelle aucun obstacle capable de l'arrêter. Les anciens avaient trop peu l'instinct critique pour s'étonner d'aucune des hardiesses de l'interprétation allégorique ; et la mythologie était trop complètement dénuée de fond historique et résistant pour n'être pas aussi docile dans la main des philosophes qu'elle l'avait été d'abord dans celle des poètes. Aucune fable n'était traditionnelle au vrai sens du mot, par conséquent aucune fable ne trouvait dans la conscience des peuples une protestation contre les commentaires par lesquels de récents penseurs s'efforçaient de l'atténuer, de la corriger, de la transposer. Ajoutons que la mode était, et depuis longtemps, à l'allégorie. Les Pères de l'Église eux-mêmes subirent quelquefois avec excès l'influence de cette mode. Mais chez eux l'excès même, en cette matière, n'offrait que des inconvénients médiocres, parce que, si subtile que fût souvent leur exégèse, elle trouvait un correctif dans l'enseignement de l'Église : en professant que beaucoup des faits racontés par l'Ancien Testament préfiguraient les événements du Nouveau, celle-ci en même temps maintenait la réalité de ces faits, qui apparaissaient ainsi à la pensée chrétienne tout à la fois comme une prophétie ou un symbole et comme une histoire. La mythologie, elle, n'était pas une histoire : créature de rêve, elle se formait ou se déformait au gré de rêves nouveaux : elle se prêtait à tout, même à laisser couvrir sa nudité grossière ou naïve du manteau de la philosophie.

Regardons maintenant comment Julien en affuble le mythe de Cybèle et d'Attis.

Attis n'est autre chose que cette intelligence féconde et créatrice, qui engendre jusqu'aux derniers éléments de la matière, et qui renferme en elle tous les principes et toutes les causes des formes matérielles[160]. Car les causes supérieures et premières ne contiennent pas tous les éléments extrêmes et derniers[161]. Entre ces causes existe une hiérarchie. C'est la troisième de ces forces créatrices[162], la dernière des divinités, en qui finit la substance de tous les dieux[163], qui, se propageant par un principe d'exubérante fécondité, descend du sein même des astres jusqu'à la terre[164], avec la mission d'ordonner, de diriger, et de conduire à un état meilleur ce qui parait sans vie, infécond, abject, le rebut, la lie, et comme le résidu des êtres[165], c'est-à-dire la matière.

En regard de ce démiurge inférieur, qu'est-ce que la Mère des dieux ? C'est la source d'où naissent les divinités intelligentes et organisatrices qui gouvernent les dieux visibles ; la déesse qui enfante et qui s'unit au grand Jupiter ; la grande déesse existant par elle-même après et avant le grand organisateur ; la maîtresse de toute vie, la cause de toute génération ; celle qui mène vite à la perfection tout ce qu'elle fait ; qui engendre et organise les êtres avec le père de tous ; cette vierge sans mère qui s'assied à côté de Jupiter, comme étant réellement la mère de tous les dieux. Car ayant reçu en elle la cause des dieux supérieurs au monde, elle devient la source des dieux intelligents[166]. Julien lui donne l'épithète de Pronoé, Providence, que dans le précédent discours il a donnée à Minerve. Le syncrétisme du quatrième siècle reconnaissait, comme le dit plus loin Julien, une affinité[167] de Minerve avec la Mère des dieux, affinité qui allait presque à l'identité : en Italie, on trouve Minerve adorée, avec Attis, sous le nom de Minerve Bérécynthe[168].

Quant aux amours de la Mère de dieux et d'Attis, en voici le sens. La fable, dit Julien, signifie que la Providence, qui gouverne les êtres sujets à la génération et à la corruption, s'est prise à aimer la cause énergique et génératrice de ces êtres ; qu'elle lui a ordonné d'engendrer principalement dans l'ordre intellectuel, de se tourner volontairement vers elle et d'avoir commerce avec elle, à l'exclusion de toute autre, tant pour conserver une salutaire unité que pour éviter la propension vers la matière. Elle lui a commandé de garder les yeux tournés vers elle, comme vers la source des dieux organisateurs, mais sans se laisser entraîner ou fléchir vers la génération. C'est ainsi que le grand Attis devait être le procréateur par excellence. Car, en toutes choses, la direction vers la supériorité vaut mieux que la propension vers l'infériorité[169].

L'infidélité d'Attis, son commerce dans la caverne avec la nymphe, reçoit de ce qui précède son explication. Attis, à la tiare parsemée d'étoiles, commence son règne au point où la série entière des dieux se termine par le monde visible : il conserve sa pureté sans mélange jusqu'à la voie Lactée : au-dessous de celle-ci, parvenu là où l'impassible se mêle au passible, il donne naissance à la matière, et sa communion avec elle est représentée par la descente dans l'antre[170]. C'est ici qu'il importe de modérer son ardeur, en réglant la procréation de la matière. Car la génération est limitée par la Providence organisatrice à un nombre déterminé de formes[171]. Dans ce but, la Mère, fâchée de la condescendance qui a porté Attis, un être supérieur, un dieu, à se donner à un être inférieur[172], lui a envoyé le Lion, c'est-à-dire le principe igné, la cause qui préside à la lumière et à la flamme et vient en aide à la Providence organisatrice[173]. La mutilation d'Attis, qui arrive alors, a été un arrêt, en quelque sorte, dans la production de la matière, un retour à la mesure voulue par la Providence. Satisfaite par ce sacrifice, la Mère des dieux n'abandonna point Attis, quoiqu'il se fût avancé plus loin qu'il ne devait, mais elle le retint sur la pente, et, arrêtant sa course vers l'infini, elle le ramena vers elle[174].

Cette interprétation allégorique est si froide, si creuse. tout à la fois si vague dans l'ensemble et si ridicule par sa précision, qu'on se demande si le conte populaire, avec son matérialisme grossier, n'est pas préférable à l'idéalisme du commentateur. La haine de la matière, que professe ici Julien, comme la professèrent jadis, en se détachant du christianisme, les gnostiques Valentin ou Marcion, conduit quelquefois à d'étranges excès. Malgré les abstractions dont il s'enveloppe, le commentaire, à le regarder de près, ne semble pas beaucoup plus édifiant que le texte. Car ce commentaire ne se borne pas à trouver au mythe un sens caché, mais il entreprend de justifier par ce sens caché la cruauté des rites et l'immoralité des cérémonies. J'ai déjà cité l'extraordinaire euphémisme par lequel Julien désigne la mutilation volontaire des Galls. Comme cela se passe au moment de l'équinoxe : Que cette castration dont on a tant parlé, dit Julien, soit une limitation de l'infini, on n'en saurait douter, quand on voit que, dans ce même moment, le grand Soleil touche le point du cercle équinoxial où sa course est bornée[175]. La niaiserie de l'explication est surprenante. Un peu plus loin, Julien rapproche, avec une inconscience non moins étrange, deux actes tout à fait dissemblables. Il considère comme d'un mérite égal la continence gardée par l'hiérophante d'Éleusis et par ceux qui sous sa direction se préparent aux mystères, et l'immorale opération subie par les Galls : dans l'une et l'autre il voit une intention commune, celle de ne pas contribuer à la progression vers l'infini, et de maintenir pure et sans altération la substance finie, perpétuelle, et enfermée dans l'unité[176]. Aussi, selon lui, les bizarres et répugnants spectacles offerts, à l'équinoxe du printemps, par les prêtres ou les initiés de Cybèle doivent-ils, non moins que les Éleusinies, conduire les assistants à des méditations pieuses. Dans le symbole, le roi Attis borne, par sa mutilation, sa course vers l'infini. Par là les dieux nous ordonnent de restreindre l'infinité de nos désirs, de nous rapprocher de ce qui est borné, uniforme, et de tendre, autant que possible, vers l'unité. C'est dans ces dispositions qu'il convient de célébrer les Hilaria. Car qu'y a-t-il de plus dispos, de plus joyeux qu'une âme qui, après avoir échappé à l'infini, à la génération et à ses tempêtes, se sent enlevée vers les dieux ?[177]

Il va de soi que ces commentaires abstraits d'un mythe grossier, ces explications mystiques de rites barbares, ne sont que pour les délicats, pour ceux que scandaliserait le sens littéral et à qui feraient horreur les pratiques des prêtres fanatisés. Les anciens, dit Julien, ont réfléchi longtemps, avec l'aide des dieux, sur les causes des êtres, et ils les ont découvertes par eux-mêmes ou, ce qu'il vaut mieux dire peut-être, ils les ont trouvées, guidés par les dieux, puis ils les ont ensuite enveloppées de fables incroyables, afin que l'invraisemblance paradoxale de la fiction nous portât à la recherche du vrai. Or, la vérité, selon moi, peut suffire au vulgaire[178] sous une forme déraisonnable, et j'admets les symboles, du moment qu'ils sont utiles. Mais pour les hommes d'une intelligence supérieure[179], la plus grande utilité étant de connaître la vérité sur les dieux, celui qui la recherche et qui la trouve, guidé par les dieux mêmes, est averti par ces énigmes qu'il doit y chercher quelque chose, afin de parvenir, après l'y avoir trouvé, au comble de la doctrine par la méditation et non point par une croyance respectueuse à l'opinion d'autrui, ou sous une autre influence que celle de sa propre raison. Ainsi, plus une fable est incroyable, plus un récit sur les dieux semble paradoxal, et plus il est utile, car il éveille l'attention des sages, et les pousse à chercher la vérité enfouie sous le symbole. Suivons, dit Julien dans un autre de ses écrits, les traces récentes d'un homme que, après les dieux, je révère et j'admire à l'égal d'Aristote et de Platon[180]. Il ne parle pas de toutes les fables en général, mais des fables mystiques que nous a transmises Orphée, l'instituteur des plus sacrés mystères. Ce qu'il y a d'invraisemblable dans les fables est à ses yeux une voie qui conduit à la vérité. Plus une allégorie tient du paradoxe et du prodige, plus il semble qu'elle nous avertisse de ne pas nous arrêter aux faits, mais de chercher attentivement ce qu'ils déguisent, et de n'avoir pas de cesse que la vérité, mise sous nos yeux par les dieux qui nous guident, n'ait initié ou pour mieux dire n'ait rendu parfait notre esprit ou ce qu'il y a en nous de supérieur à l'esprit, j'entends cette partie de l'Être unique et bon, que nous possédons d'une manière indivisible, ce complément de l'âme, confondu tout entier avec l'Être unique et bon, grâce à la puissance supérieure, communicative et souveraine de cet Être[181]. Cela revient à dire, en termes beaucoup plus simples, que les sages et les philosophes sont invités par les dieux eux-mêmes à percer le sens des fables mythologiques, mais qu'à eux seuls est réservé le fruit caché sous l'écorce : quant à l'écorce elle-même, rude, grossière, souvent malsaine, elle demeure la seule pâture de la foule, des humbles, des petits, des ignorants, incapables de se désaltérer jamais au suc mystérieux et purifiant.

Telle est la religion personnelle de Julien : une religion de philosophes ; plus que cela : une religion d'initiés. La phrase obscure et emphatique par laquelle se termine la citation qu'on vient de lire semble un écho de l'enseignement des mystères. Le contexte le laisse clairement entendre. Tout de suite après avoir écrit cette phrase, Julien s'écrie : Mais, à propos du grand Bacchus, je me sens pris de je ne sais quel transport, et j'entre en délire. Je mets donc un bœuf à ma langue[182]. Il ne faut pas révéler les choses ineffables. Puissent seulement les dieux les rendre secourables et à moi, et à tous ceux d'entre vous qui ne sont pas initiés ![183] Cette crainte d'être entraîné à dire de Bacchus ce qui ne doit pas être dit, cette distinction faite par Julien entre lui-même et les non initiés, indiquent assez qu'il avait pris part aux mystères dionysiaques, en avait connu les délires[184] et entendu les doctrines secrètes. S'il n'est pas probable qu'il ait été initié à ceux d'Éleusis, on a vu que l'initiation mithriaque lui avait été conférée à Constantinople. Peut-être était-il déjà, avant de quitter la Gaule, initié aux mystères de Bellone. Son discours sur la Mère des dieux montre qu'il avait appris aussi les secrets fermés et ineffables[185] de la déesse, et qu'il avait été au nombre des mystes dont les lampes brillent en l'honneur du sage Attis[186] : le discours se continue même par une longue et subtile dissertation sur les abstinences auxquelles il est obligé à ce titre[187].

Or, autant qu'on peut l'entrevoir à travers les renseignements trop rares que l'antiquité nous a laissés, les mystères, quelle que fût la divinité à laquelle ils étaient consacrés, avaient tous une double partie : la représentation dramatique de la légende, fantasmagorie imposante, terrible, gracieuse ou sensuelle, et la révélation des secrets enseignements touchant la morale et la vie future que les anciens sages étaient censés avoir enveloppés de ces apparences symboliques. C'était, en grand et sous sa forme la plus saisissante, puisqu'à la fois elle s'adressait à l'esprit et aux sens, l'interprétation allégorique des mythes. En une mesure discrète, et avec la plus scrupuleuse observance de la loi du secret, Julien, dans ses traités inspirés par les mêmes doctrines néoplatoniciennes que, de son temps, professaient en commun les philosophes et les hiérophantes, ne fait guère autre chose que de révéler aux intelligences assez raffinées pour le suivre la signification métaphysique et morale des fables les plus étrangères, en apparence, à toute métaphysique et à tonte morale. Nous venons de le montrer amplement à propos du mythe de Cybèle et d'Attis : on trouvera la même méthode employée, — exposé littéral de la légende, suivi de son commentaire allégorique, — dans le septième discours de Julien, à propos du mythe d'Hercule, et surtout de celui de Bacchus. Les circonstances grotesques de l'accouchement de Sémélé deviennent édifiantes par l'interprétation. C'est ici, dit Julien, qu'il ne faut pas prendre les mots dans leur sens ordinaire, mais dans un autre sens, celui de Platon, de Plotin, de Porphyre et du divin Jamblique. Sinon, on pourra rire ; mais par ce rire sardonique on sera privé à jamais de la connaissance des dieux, ce trésor contre lequel j'échangerais volontiers l'empire des Romains et celui des Barbares, j'en jure par mon maitre le Soleil ![188]

 

V. — La morale.

Si la théologie de Julien fut détestable, sa morale est presque toujours excellente. La sincérité et l'élévation de ses principes philosophiques expliquent en partie cette excellence. A la fois néoplatonicien et cynique, il emprunte sans doute à Jamblique un grand nombre d'extravagances, mais il demande aussi à Platon de hautes pensées, et il se trace d'après un Diogène très idéalisé d'austères règles de conduite. Mais une éducation sévère, l'habitude de la discipline chrétienne, ont laissé aussi leur empreinte très reconnaissable sur les doctrines morales de Julien. Le soin avec lequel nous l'avons vu s'efforçant d'infuser dans le clergé païen quelques-unes des vertus pratiquées surtout par les chrétiens, leur chasteté, leur charité, montre en quelle estime Julien tenait ces vertus, et quel hommage involontaire il rendit de tout temps aux mœurs créées par la religion dont il avait rejeté les dogmes.

Dans son écrit Contre les chiens ignorants, c'est-à-dire contre les faux et mauvais cyniques, — composé en deux jours[189], vers le milieu de 362[190], — Julien se déclare formellement le disciple de Diogène et de Cratès. A entendre ses paroles à la lettre, il aurait même reçu, à ce titre, une sorte d'investiture, et .célébré par une cérémonie quelconque son entrée dans la confrérie des cyniques. Nous avons, dit-il, pris le bâton[191]. Dans l'éclectisme de Julien, la philosophie cynique se rattache aux directions platoniciennes : Platon, par ses discours, a proclamé les principes : Diogène les a mis en pratique[192]. Cette philosophie peut se résumer en quelques mots. L'homme aspire au bonheur. Or, le bonheur est dans la connaissance ; les dieux sont heureux, non par la possession des plaisirs et des richesses, mais parce qu'ils se connaissent eux-mêmes[193]. Le fond de la philosophie, c'est donc de se connaître, comme le dit l'oracle de Delphes : Connais-toi toi-même ; et son but, c'est de vivre conformément à la nature[194]. Vivre conformément à la nature est tout le cynisme. Ses adeptes savent que l'homme est un demi-animal,... composé d'une partie mortelle et d'une partie immortelle, ou, plus simplement, par une définition qui rappelle un mot célèbre de Bonald, que l'homme est une âme qui se sert d'un corps[195]. Aussi domptent-ils leur corps, afin de l'asservir complètement à l'âme, et d'acquérir ainsi la vraie liberté par la suppression de toutes ses exigences. Ils se flattent d'arriver de la sorte à la ressemblance de Diogène, qui, n'ayant ni cité, ni maison, ni patrie, pas une obole, pas une drachme, pas un esclave, pas même le biscuit qui suffisait à Épicure pour se croire aussi fortuné que les dieux, ne prétendit pas rivaliser de bonheur avec eux, mais se vanta d'être plus heureux que le plus heureux des hommes[196].

Tel est, selon Julien, le vrai cynique : l'homme de la nature, mais de la nature domptée par la complète soumission des instincts corporels à la royauté de l'esprit. Cependant, même dans la lutte contre le corps, dans le mépris pour ses désirs et ses besoins, il faut observer des limites : un cynique ne doit pas être sans pudeur[197]. Ce principe excellent n'empêche pas Julien, par une de ces inconséquences qui lui sont habituelles, de citer pour les absoudre quelques-unes des excentricités les plus malséantes et même un acte immoral de Diogène[198]. Mais il se montre sans pitié pour les imitateurs maladroits de l'impudent philosophe. Il compare ceux-ci à des bêtes fauves[199]. Quand on veut être cynique, dit-il, il ne suffit pas de prendre le manteau, la besace, le bâton et la chevelure inculte, et de marcher comme dans un village où il n'y aurait ni barbier ni maitre d'école, mais il faut prendre la raison pour bâton, la constance pour besace cynique : ce sont les vrais attributs de la philosophie. On aura licence de tout dire, quand on aura montré de quoi l'on est capable : ainsi firent, je pense, Cratès et Diogène[200]. Julien est surtout impitoyable pour les cyniques qui se permettent de railler les faits mythologiques, et qui affectent des allures de libres penseurs ; sur l'un d'eux roule tout entier un de ses discours, celui qui a pour titre : Contre le cynique Héraclius[201], et auquel nous avons déjà fait quelques emprunts en étudiant là théorie de Julien sur l'interprétation des mythes.

Nous n'y relèverons, en ce moment, qu'un détail assez curieux. On a quelquefois appelé les cyniques : les moines mendiants du paganisme. Mais peut-être ignore-t-on que cette comparaison plus ou moins bonne a d'abord été faite par Julien. Il compare à des moines errants et vivant d'aumônes les faux cyniques auxquels il fait la guerre. Et il ne peut s'empêcher de dire que les premiers sont mieux vus du peuple que les seconds. Eux, on les appelle, et vous, on vous chasse[202]. Bien que les moines qu'il rapproche ainsi des disciples dégénérés de Diogène ne soient probablement pas parmi les plus réguliers[203], et ne ressemblent par aucun trait à ceux pour lesquels saint Basile a écrit des règles si prévoyantes et si sages[204], cependant l'aveu est précieux à retenir, et montre une fois de plus combien la popularité dont jouissaient les représentants, même imparfaits, de l'esprit chrétien excitait la jalousie du restaurateur de l'hellénisme.

Telle qu'elle est, avec des partis pris, des lacunes et des erreurs, l'apologie du cynisme par Julien fait voir tout de suite le terrain nettement spiritualiste où il place sa morale. Le sage qu'il rêve ressemble peut-être assez peu au Diogène de l'histoire ; mais il n'en donne que mieux l'image du parfait honnête homme. Et comme le premier devoir de l'honnête homme est envers la Divinité, ce sage est avant tout religieux.

On remarquera avec surprise que Julien, quand il n'essaie pas de traduire les rêveries néoplatoniciennes sur les dieux, ou ne cherche pas à édifier laborieusement des systèmes théologiques autour des divinités bizarres dont son esprit est comme fasciné, parle très raisonnablement et très simplement sur Dieu. Il a des mots d'un accent presque chrétien, comme celui-ci : L'essence de la Divinité est d'aimer les hommes[205]. Et il semble prêt à, rendre à l'Être divin amour pour amour. Je crains les dieux, dit-il, je les aime, je les vénère, je les adore, j'éprouve pour eux ce que l'on ressent pour de bons maîtres, pour des précepteurs, pour des parents, pour des protecteurs[206]... La confiance en Dieu, l'abandon à sa providence, sont exprimés avec non moins de force. Il n'est pas vraisemblable que l'homme qui se tourne vers l'Être suprême soit entièrement négligé et délaissé par lui ; Dieu plutôt lui tend la main, lui donne la force, lui inspire le courage, lui met dans l'esprit ce qu'il faut faire et le détourne de ce qu'il ne faut pas faire[207]. L'écrit d'où ce dernier passage est tiré fut, il est vrai, composé à une époque où Julien faisait encore profession extérieure de christianisme, avant la révolution de Paris et son départ de Gaule ; mais les nombreuses affirmations de l'efficacité de la prière, répandues en d'autres ouvrages, et ces effusions d'humilité, d'abandon à la Providence, qui se trouvent à la fin de sa lettre à Themistius, sont bien du temps où il était ouvertement païen.

Du même temps sont d'autres paroles, qui contrastent singulièrement avec le caractère méticuleux des pratiques habituelles au paganisme de Julien. Lui que nous avons vu si attentif à ne rien omettre des moindres rites, à rendre hommage à tous les dieux, à honorer ou à interroger toutes les statues, à observer tous les présages, et à multiplier sans raison comme sans mesure le nombre des bêtes immolées, émet quelquefois, comme par inadvertance, des professions de foi empreintes d'un large spiritualisme religieux. Il semble échapper par instants au joug de la superstition excessive qu'ont reconnue en lui les contemporains. On dirait que son âme est prise alors du désir d'adorer de nouveau en esprit et en vérité. Ce retour au bon sens se marque, par exemple, dans des paroles comme celle-ci, adressée au cynique Héraclius : Ignores-tu que les offrandes, petites ou grandes, que l'on fait aux dieux avec sainteté se valent toutes, tandis que sans la sainteté cent ou mille victimes restent de nulle valeur à leurs yeux ?[208] Julien va jusqu'à excuser Diogène de s'être abstenu des pratiques idolâtriques. Si de ce qu'il n'entrait pas respectueusement dans les temples, de ce qu'il ne s'inclinait ni devant les statues, ni devant les autels, on prenait cela pour une marque d'athéisme, on le jugerait mal. Il ne possédait aucune de ces choses, ni libation, ni encens, ni argent pour en acheter. Bien penser des dieux lui suffisait. Il les honorait de toute son âme, leur offrant ce qu'il possédait, selon moi, de plus précieux, une âme sanctifiée par leur pensée[209]. Julien, si fier des privilèges de l'initié, et si empressé à se faire l'initiateur de ses amis, reconnaît même, avec Diogène, que l'initiation, la participation aux mystères, n'ont aucune efficacité sans une vie pure, et que les non initiés, s'ils sont vertueux, ont droit aux récompenses dont seront privés les initiés, s'ils sont indignes[210].

Julien dut-il sa foi en l'immortalité de l'âme aux souvenirs de son éducation chrétienne, aux enseignements du néoplatonisme ou aux prétendues révélations sur la vie d'outre-tombe qui faisaient partie de la célébration des mystères ? On ne sait, et peut-être ces diverses influences se confondirent-elles dans son esprit. Ce qu'on peut affirmer, c'est que, à l'encontre de beaucoup de païens[211], cette foi semble avoir été chez lui très sincère. On ne surprend jamais dans ses paroles, sur ce sujet, l'expression d'un doute. Nous ne sommes pas, écrit-il, de ceux qui se figurent que l'âme périt avant le corps, ou qu'elle s'anéantit avec lui[212]. Comment, dit-il ailleurs, au moment où les deux substances auront cessé de se combattre, quand l'âme immortelle se sera séparée du cadavre retourné en poussière, les dieux n'auraient-ils pas le pouvoir de réaliser les espérances qu'ils ont données aux hommes ?[213] Sur le sort des âmes après la mort, ses idées sont probablement plus vagues : cependant il semble croire à une rémunération pour les justes et admettre un châtiment pour les pécheurs. Il déclare que dans l'autre vie les dieux réservent aux bons prêtres les plus belles récompenses[214]. Il demande au dieu Soleil de lui accorder, s'il l'en juge digne, un séjour éternel dans son sein[215]. Mourant, il proclame, dans le discours que lui prête Ammien Marcellin, que, de l'avis unanime des philosophes, l'âme l'emporte sur le corps, et qu'il y a lieu de se réjouir au lieu de se plaindre quand l'élément supérieur se sépare de l'inférieur[216], paroles assurément assez peu précises ; mais Libanius lui prête des mots plus fermes, quand il lui fait dire aux amis rassemblés autour de sa couche : Pourquoi, quand toutes mes actions m'assurent l'entrée dans les îles des bienheureux, me pleurez-vous comme si j'avais mérité le Tartare ?[217] Le sentiment d'humilité qui n'abandonne pas au lit de mort les saints du christianisme est ici tout à fait absent ; mais dans cette assurance superbe du païen se .retrouve au moins l'idée des peines et des récompenses de l'autre vie.

Julien admet-il, cependant, que dans cette autre vie les âmes garderont la conscience de leur personnalité et le souvenir de l'existence terrestre ? On ne saurait l'affirmer, car jamais il n'exprime le désir ou l'espoir de retrouver auprès des dieux les grands personnages dont il célèbre la science ou la vertu[218], les poètes et les philosophes de l'antiquité, ou même les amis qu'il a connus sur cette terre. Pas plus dans ses livres que dans le discours prononcé sur son lit de mort, cette pensée, si naturelle cependant au croyant, ne se rencontre. Écrivant au philosophe[219] Amerius, qui venait de perdre une femme tendrement aimée, Julien fait appel, pour le consoler, à toutes les ressources de la rhétorique et à tous les souvenirs de l'histoire : il ne lui dit pas qu'il reverra dans un monde meilleur celle qu'il pleure amèrement ici-bas. Il semble que la foi de Julien en l'immortalité de l'âme soit sujette à des éclipses, ou plutôt qu'elle demeure hésitante sur les conditions de cette immortalité. La pensée païenne se retrouve ici, avec ses incertitudes et ses flottements. Que l'on compare cette lettre de consolation si laborieuse, si froide, si banale, avec les épîtres adressées vers le même temps, par saint Basile, à des époux, à des pères ou à des mères en deuil[220] : on sentira tout de suite la différence de deux doctrines, — peut-être aussi de deux cœurs.

Une grande erreur, chez certains modernes, est, parce que Julien fut un adversaire du christianisme, de faire de lui un libre penseur à leur manière. Non seulement il y eut rarement pensée moins libre que la sienne, mais encore peu d'hommes furent moins que Julien ce qu'on appelle un libéral. Tout au contraire, il juge qu'il n'y a pas de châtiments assez sévères pour les écarts de la pensée et pour les attaques dirigées contre les choses religieuses. Il cite, en le faisant sien, un mot de Jamblique, disant qu'à tous ceux qui mettent en question l'assistance des dieux il ne faut pas répondre comme à des hommes, mais les poursuivre comme des animaux féroces[221]. A propos d'Œnomaüs, qui avait écrit un livre contre les oracles : Est-ce que l'auteur d'une telle action ne mériterait pas d'être jeté dans un gouffre ? est-ce que les gens qui approuvent ces doctrines ne devraient pas, je ne dis pas être chassés à coups de thyrse, la peine serait trop légère, mais être écrasés sous des pierres ?[222] Aussi interdit-il à ceux sur qui il a juridiction spirituelle, aux prêtres de son clergé païen, toute lecture capable d'ébranler leurs croyances[223] : et il se réjouit à la pensée que beaucoup des ouvrages d'Épicure et de Zénon aient péri . C'est un bienfait des dieux que la perte de leurs livres[224]. Il regrette que le même sort n'ait pas atteint les écrits composés par les chrétiens, ou, selon son expression habituelle, par les impies Galiléens : Je voudrais, écrit-il, les faire tous disparaître[225]. Dans une pensée plus louable, il déplore qu'il soit hors de son pouvoir de purger le théâtre de toute obscénité. J'aurais tout fait, dit-il, pour y réussir. Mais l'entreprise est trop difficile, et il se contente d'interdire à ses prêtres d'assister aux spectacles[226].

Les théories de Julien sur l'abstinence sentent aussi fort peu le libre penseur. Elles se rattachent à ses observances religieuses. Lequel des philosophes qui vivent le plus à l'étroit, dit Libanius, a jamais été aussi maitre de son ventre ? Lequel a su, comme lui, s'abstenir d'aliments divers, suivant le dieu dont il célébrait le culte, Pan, Hermès, Hécate, Isis et tous les autres ? Lequel a supporté aussi joyeusement tant de privations de nourriture pour jouir du commerce des dieux ?[227] C'est surtout à propos des mystères de la Mère des dieux et du culte d'Attis que Julien a été conduit à expliquer ces abstinences rituelles. Les initiés sont soumis, pendant le carême de Cybèle, à des règles très bizarres. On leur permet l'usage des légumes, mais non celui des graines et des racines : manger un radis est défendu. C'est un cas de conscience de savoir si, comme certaines gens le prétendent, il est licite de se nourrir des cosses qui enveloppent les graines : sont-elles assimilées aux graines elles-mêmes, ou doit-on les considérer comme des légumes ? Même subtilité en ce qui concerne les fruits : pour des raisons mystiques, les initiés n'ont pas le droit de manger des oranges et des grenades : la question est douteuse pour les dattes, mais Julien la tranche par la négative. Défense aussi de manger du poisson, parce qu'on ne le sacrifie pas aux dieux et qu'il vit plongé dans les abîmes ; défense de manger de certains oiseaux, que l'on considère comme sacrés ; défense de manger du porc, parce que c'est un animal tout à fait terrestre, qui ne regarde jamais le ciel. Julien consacre plusieurs pages à exposer cette réglementation et cette casuistique puériles[228] : puis, s'élevant tout à coup à des considérations d'un autre ; ordre, il donne de l'abstinence des motifs que ne désavoueraient pas les religions les plus spiritualistes et les plus raisonnables. Son mérite sera dans la volonté, qui aura pris plus de soin du salut de l'âme que de la conservation du corps ; et, par une juste récompense, cette disposition de la volonté tournera au profit de la santé corporelle. Invoquant l'avis de tous les disciples d'Esculape, Julien conclut que, dans l'abstinence, non seulement l'âme, mais le corps, trouve un puissant moyen de secours et de salut[229]. Il semble qu'un juif ou un chrétien n'aurait pas mieux dit ; mais on remarquera que la conclusion est beaucoup plus sensée que les prémisses. On remarquera aussi que Julien prend plaisir à se vanter de ses abstinences : aux habitants d'Antioche, qui veulent voir leurs marchés approvisionnés de viandes, de poisson et de volaille, il rappelle que lui ne se nourrit que de légumes[230] ; bien qu'il ait beaucoup lu l'Évangile, le Ne videaris hominibus jejunans du Discours sur la montagne[231] est tout à fait sorti de sa mémoire.

On ne peut terminer l'étude des doctrines morales de Julien sans rechercher ce qu'il pensa de l'esclavage, que les sages, même païens, avaient déjà condamné[232], et que l'Église, après l'avoir miné depuis trois siècles par ses institutions et par sa doctrine, ne craignait plus d'attaquer publiquement par la bouche de ses plus éloquents docteurs[233]. Sur ce mal social, Julien est demeuré muet. Deux fois dans ses lettres il est question des esclaves, une fois pour engager le clergé païen à étendre jusqu'à eux la propagande[234], une autre fois pour commander d'en mettre quelques-uns à la torture[235]. Mais de la question même de l'esclavage, de sa légitimité, que l'on contestait alors dans la chaire chrétienne, des moyens d'atténuer ses rigueurs et d'amener peu à peu sa suppression, pas un mot ne se rencontre dans les livres ou dans la correspondance de Julien. Sur l'esclavage il semble en être demeuré aux idées ultraconservatrices de Platon et d'Aristote[236]. Il est même un des rares empereurs qui n'aient promulgué aucune loi en vue d'améliorer la condition des esclaves[237].

Ce que l'on dit ici de l'esclavage, on peut le dire de tous les autres problèmes sociaux. Rien de ce qui touche au progrès des classes populaires, si visible cependant au IVe siècle, à une plus grande diffusion de la moralité et du bien-être, à cette dette que les grands et les puissants ont naturellement envers les petits et les pauvres, ne semble avoir ému la pensée aristocratique de Julien. Il n'aime pas les spectacles : il rougit de leur obscénité : mais lui, philosophe, n'a pas tenté, comme l'essaya naguère Constantin, de faire cesser les combats de gladiateurs, plaie sanglante que les empereurs chrétiens travailleront seuls à guérir[238]. S'il recommande à ses prêtres de secourir les indigents, c'est afin de mettre l'hellénisme en mesure de faire concurrence à la charité de l'Église. Mais aucune grande institution d'assistance publique n'a été fondée ou seulement rêvée sous son règne. Un jour, parlant de Marc Aurèle, Julien a défini par un mot admirable l'idéal d'une vie à la fois de philosophe et de souverain : Avoir besoin de très peu de chose, et faire du bien au plus grand nombre[239]. Julien a mis son orgueil à réaliser la première partie de ce programme ; mais aucune parole ou aucune loi ne montre qu'il se soit beaucoup occupé de la seconde. L'activité de son esprit se tourna exclusivement vers la restauration de l'hellénisme. On a pu signaler, après la victoire politique et religieuse de Constantin, tout un mouvement de législation sociale, qui en fut la conséquence directe[240] ; pendant le triomphe éphémère du paganisme sous Julien, aucun effort n'a été fait dans ce sens. Cette fécondité, d'une part, et cette stérilité, de l'autre, forment un éloquent et instructif contraste. Julien se plaisait à traiter Constantin de perturbateur des anciennes lois et des vieilles coutumes[241] ; lui-même se rattacha délibérément au passé, et ne fit faire à la législation romaine aucun pas vers l'humanité et la justice.

 

 

 



[1] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[2] Libanius, Epitaphios Juliani.

[3] Julien, Ép. 27 ; Hertlein, p. 518.

[4] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 391.

[5] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 391.

[6] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 391.

[7] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 391.

[8] Julien, Misopogon (Hertlein, p. 446) ; Ép. 27 ; Ammien Marcellin, XXII, 9, 12, 14 ; XXIII, 3.

[9] Ammien Marcellin, XXII, 12.

[10] Ammien Marcellin, XXII, 12.

[11] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[12] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 395.

[13] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 395.

[14] Libanius, Legatio ad Julianum.

[15] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 395.

[16] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[17] Libanius, Ad Julianum consulem ; Reiske, t. I, p. 395.

[18] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 22.

[19] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 22.

[20] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio V, 22.

[21] Libanius, Pro Aristophane.

[22] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[23] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[24] Ammien Marcellin, XXII, 14.

[25] Ammien Marcellin, XXII, 12.

[26] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[27] Ammien Marcellin, XXV, 4. — Cf. Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., p. 276.

[28] Ammien Marcellin, XXIII, 5 ; XXV, 2.

[29] Ammien Marcellin, XXIII, 5.

[30] Julien, Ép. 27 (Hertlein, p. 518) ; Libanius, Ad Julianum consulem (Reiske, t. I, p. 395) ; Ammien Marcellin, XXII, 1 ; XXIV, 7.

[31] Ammien Marcellin, XXII, 1.

[32] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes (Hertlein, p. 355) ; Ép. 17 (ibid., p. 495) ; Ammien Marcellin, XX, 5 ; XXI, 2 ; XXV, 2.

[33] Ammien Marcellin, XXIII, 3, 5.

[34] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes ; Hertlein, p. 366.

[35] Julien, Misopogon ; Hertlein, p. 366.

[36] Julien, Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, Contra Julianum, VII ; Neumann, p. 207.

[37] Libanius, Legatio ad Julianum.

[38] Libanius, Legatio ad Julianum.

[39] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[40] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 54.

[41] Sozomène, Hist. ecclés., V, 2.

[42] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 54.

[43] Ammien Marcellin, XXII, 1.

[44] Ammien Marcellin, XXIV, 8.

[45] Sozomène, Hist. ecclés., V, 2.

[46] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 52.

[47] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 52.

[48] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 52.

[49] Voir Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, v° Communion ; 2e éd., p. 196.

[50] Porphyre, cité par F. Cumont, Textes et monuments figurés, t. I, p. 320 ; t. II, p. 40.

[51] Julien, Ép. 52 ; Hertlein, p. 560.

[52] Libanius, Epitaphios Juliani.

[53] Libanius, Epitaphios Juliani.

[54] Julien, Ép. 13 ; Hertlein, p. 585.

[55] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 170.

[56] Himère, Oratio VII ; éd. Didot, p. 60. Ce passage veut dire qu'Himère a été initié comme Julien, mais peut-être pas qu'il a été initié par Julien.

[57] Julien, Ép. 63 ; Hertlein, p. 585.

[58] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 52.

[59] Libanius, Monodia super Julianum ; Reiske, t. I, p. 509.

[60] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes ; Hertlein, p. 333, 360.

[61] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 617.

[62] Julien, Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, Contra Julianum, II ; Neumann, p. 167.

[63] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 176, 193.

[64] Julien, Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, Contra Julianum, VI ; Neumann, p. 196. — Cf. Plutarque, Numa, 13 ; Ovide, Fastes, 373.

[65] Julien, Ép. 13 ; Hertlein, p. 493.

[66] Oratio IV ; Hertlein, p. 168.

[67] Julien, Les Césars, in fine ; Hertlein, p. 432.

[68] Ép. 38 ; Hertlein, p. 536.

[69] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes ; Hertlein, p. 365.

[70] A. Naville, Julien l'Apostat et sa philosophie du polythéisme, p. 68.

[71] Julien, Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, Contra Julianum, IV ; Neumann, p. 179.

[72] Julien, Oratio VIII (consolation à Salluste) ; Hertlein, p. 322, 323.

[73] Oratio VII (contre le cynique Héraclius) ; Hertlein, p. 297.

[74] Oratio VII (contre le cynique Héraclius) ; Hertlein, p. 296.

[75] Oratio VII (contre le cynique Héraclius) ; Hertlein, p. 300.

[76] Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, Contra Julianum, VI ; Neumann, p. 197.

[77] Julien, Oratio IV (sur le Roi Soleil) ; Hertlein, p. 171.

[78] Themistius, Oratio XIII ; Symmaque, Ép. X, 3 ; Maxime de Madaure, dans saint Augustin, Ép. 16 ; Longinien, ibid., Ép. 234 ; Nectaire, ibid., Ép. 103.

[79] Acta proconsularia sancti Cypriani, 1.

[80] Oratio IV (sur le Roi Soleil) ; Hertlein, p. 171.

[81] Voir tout le discours V sur la Mère des dieux.

[82] Platon, Timée, 13.

[83] Julien, Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, Contra Julianum, II ; Neumann, p. 173.

[84] Saint Cyrille, IV ; Neumann, p. 179-188.

[85] Saint Cyrille, IV ; Neumann, p. 176.

[86] Saint Cyrille, IV ; Neumann, p. 179.

[87] Saint Cyrille, IV ; Neumann, p. 180.

[88] Saint Cyrille, IV ; Neumann, p. 181.

[89] Saint Cyrille, IV ; Neumann, p. 181.

[90] Saint Cyrille, IV ; Neumann, p. 181.

[91] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 375.

[92] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 375.

[93] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 375.

[94] Fragm. d'une lettre ; Hertlein, p. 376.

[95] Saint Matthieu, V, 48.

[96] Saint Jean, XVII, 11.

[97] Cf. Naville, Julien l'Apostat et sa philosophie du polythéisme, p. 81.

[98] Origène, Contre Celse, V, 25-33.

[99] Boissier, la Fin du paganisme, t. II, p. 329.

[100] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 189.

[101] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 189.

[102] Julien, Oratio V, VII ; Hertlein, p. 209, 288.

[103] Cf. la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 77.

[104] Ritter, Histoire de la philosophie, trad. française, t. IV, p. 529 ; Zeller, Die Philosophie der Griechen, t. V, p. 613-646 ; Jules Simon, Histoire de l'École d'Alexandrie, t. II, p. 187-190 ; Vacherot, Histoire de l'École d'Alexandrie, t. II, p. 63, 66, 119.

[105] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 189.

[106] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 204.

[107] Julien, Oratio VII ; Hertlein, p. 288. — Ailleurs il le traite de héros illustre. Oratio IV ; Hertlein, p. 189. — Dans une lettre à Priscus (Ép. 4* ; Rev. di filologia, 1889, p. 305), il met Jamblique le troisième après Pythagore et Platon.

[108] Oratio IV ; Hertlein, p. 204.

[109] Schwarz, De vita et scriptis Juliani imp., p. 13 ; Goyau, Chronologie de l'Empire romain, p. 494.

[110] Oratio IV ; Hertlein, p. 170.

[111] Schwarz, De vita et scriptis, p. 20.

[112] Oratio IV ; Hertlein, p. 204.

[113] Oratio IV ; Hertlein, p. 204.

[114] Oratio IV ; Hertlein, p. 204. — Voir cependant, Oratio IV (Hertlein, p. 189), la légère critique d'une expression employée par Platon et par Jamblique : ils disent que le monde a été engendré par le Soleil, ce qui peut s'entendre d'une génération chronologique, tandis que Julien aime mieux dire que le monde a été produit par le Soleil de toute éternité.

[115] Oratio IV ; Hertlein, p. 179.

[116] Oratio IV ; Hertlein, p. 179.

[117] Oratio IV ; Hertlein, p. 179.

[118] Oratio IV ; Hertlein, p. 181.

[119] Oratio IV ; Hertlein, p. 181.

[120] Oratio IV ; Hertlein, p. 181.

[121] Sur les différences entre la Trinité alexandrine et la Trinité chrétienne, voir Jules Simon, Histoire de l'École d'Alexandrie, t. I, p. 308-341.

[122] Oratio VII, contre le cynique Héraclius ; Hertlein, p. 284.

[123] Julien, Contre les chrétiens, dans saint Cyrille, VI ; Neumann, p. 198.

[124] Oratio IV ; Hertlein, p. 175.

[125] Oratio IV ; Hertlein, p. 186, 192, 194, 199.

[126] Libanius, Legatio ad Julianum.

[127] Julien, Ép. 42 ; Hertlein, p. 544.

[128] Oratio IV ; Hertlein, p. 176.

[129] Iliade, VIII, 21.

[130] Oratio IV ; Hertlein, p. 177.

[131] Iliade, XVIII, 239.

[132] Oratio IV ; Hertlein, p. 177.

[133] Oratio IV ; Hertlein, p. 175, 186.

[134] Oratio IV ; Hertlein, p. 175.

[135] Voir la Carte de la diffusion des mystères de Mithra, dans Cumont, Textes et monuments, t. I.

[136] Voir la Carte de la diffusion des mystères de Mithra, dans Cumont, Textes et monuments, t. I.

[137] Oratio IV ; Hertlein, p. 189.

[138] Cela résulte clairement de tout le discours, dans lequel il est question de Romulus, fondateur de notre ville, des temples du Palatin, des Jeux institués par Aurélien en l'honneur du Soleil, et qui se célébraient tous les quatre ans, etc. Wodsworth, art. Julianus, dans Dict. of christian biography, t. III, p. 500, se trompe en croyant que le destinataire de ce discours est Constantinople.

[139] Oratio IV ; Hertlein, p. 198.

[140] Les Dernières Persécutions du troisième siècle, 2e éd., p. 236.

[141] Oratio IV ; Hertlein, p. 199.

[142] Oratio IV ; Hertlein, p. 199.

[143] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 199-200.

[144] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 201.

[145] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 201.

[146] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 202. Il s'agit ici de la fête de Sol invictus, le 25 décembre ; cf. Corpus inscr. lat., t. I, p. 339.

[147] Oratio IV ; Hertlein, p. 203. — On peut faire sur ce passage l'observation déjà indiquée à propos de beaucoup d'autres : la pensée et l'expression vont du Soleil intellectuel au Soleil visible, sans qu'on sache toujours duquel Julien veut parler, et sans que les distinctions nettement indiquées au début du discours continuent à être observées. L'idée comme le langage sont devenus vacillants et confus.

[148] Hésiode, les Travaux et les Jours, 336.

[149] Julien, Oratio IV ; Hertlein, p. 201-203.

[150] Julien, Oratio V, sur la Mère des dieux ; Hertlein, p. 214.

[151] Julien, Oratio V, sur la Mère des dieux ; Hertlein, p. 214.

[152] Julien, Oratio V, sur la Mère des dieux ; Hertlein, p. 216.

[153] Julien, Oratio V, sur la Mère des dieux ; Hertlein, p. 214.

[154] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 217.

[155] Cf. Arnobe, Adv. Gentes, V, 5-7.

[156] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 220.

[157] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 220.

[158] En voir le résumé dans Marquardt, le Culte chez les Romains, trad. française, t. II, p. 68-74, et dans J. Réville, la Religion à Rome sous les Sévères, p. 63-85.

[159] A. Naville, Julien l'Apostat et sa philosophie du polythéisme, p. 120.

[160] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 209.

[161] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 209.

[162] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 209.

[163] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 221.

[164] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 210.

[165] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 221.

[166] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 215.

[167] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 231.

[168] Bérécynthe est un surnom de Cybèle. Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. I, p. 339 et note précédente.

[169] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 215-216.

[170] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 221.

[171] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 217.

[172] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 222.

[173] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 217.

[174] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 220.

[175] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 218.

[176] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 224.

[177] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 220.

[178] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 220.

[179] Julien, Oratio V ; Hertlein, p. 220.

[180] Il s'agit évidemment de Jamblique.

[181] Julien, Oratio VII, contre le cynique Héraclius ; Hertlein, p. 281.

[182] Expression grecque proverbiale, qui signifie : Je me condamne au silence. Les violateurs du secret des mystères, en Grèce, étaient condamnés à payer un βοΰς, pièce de monnaie athénienne représentant un bœuf.

[183] Oratio VII ; Hertlein, p. 282.

[184] Il en avait même tiré des façons de parler particulières ; c'est ainsi qu'il écrit à Priscus : La vue d'un seul livre de philosophie aristotélicienne fait de moi un Bacchus, ou au moins un narthécophore. Ép. 4* ; Rev. di filologia, 1889, p. 305.

[185] Oratio V ; Hertlein, p. 206.

[186] Oratio V ; Hertlein, p. 231.

[187] Oratio V ; Hertlein, p. 224.

[188] Oratio VII ; Hertlein, p. 288.

[189] Oratio VI ; Hertlein, p. 263.

[190] Schwarz, De vita et scriptis Jul. imp., p. 12.

[191] Oratio VI ; Hertlein, p. 234.

[192] Oratio VI ; Hertlein, p. 245.

[193] Oratio VI ; Hertlein, p. 238.

[194] Oratio VI ; Hertlein, p. 239.

[195] Oratio VI ; Hertlein, p. 237.

[196] Julien, Oratio VI ; Hertlein, p. 252.

[197] Julien, Oratio VI ; Hertlein, p. 258.

[198] Julien, Oratio VI ; Hertlein, p. 252.

[199] Julien, Oratio VI ; Hertlein, p. 255.

[200] Julien, Oratio VI ; Hertlein, p. 261.

[201] Oratio VII.

[202] Oratio VII ; Hertlein, p. 290.

[203] Sur les gyrovagues, on moines vagabonds, voir Dom Besse, les Moines d'Orient antérieurs au concile de Chalcédoine, p. 50-56.

[204] Voir Saint Basile, p. 37-44.

[205] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 372.

[206] Oratio VII ; Hertlein, p. 275.

[207] Oratio VIII, consolation à Salluste ; Hertlein, p. 323.

[208] Oratio VII ; Hertlein, p. 277.

[209] Oratio VI ; Hertlein, p. 257-258.

[210] Oratio VII, In fine ; Hertlein, p. 309-310.

[211] Cf. mes Études d'histoire et d'archéologie, p. 398.

[212] Julien, Ép. 63 ; Hertlein, p. 586.

[213] Fragment d'une lettre, Hertlein, p. 383.

[214] Fragment d'une lettre, Hertlein, p. 383.

[215] Oratio IV, in fine ; Hertlein, p. 205.

[216] Ammien Marcellin, XXV, 3.

[217] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 614.

[218] On ne peut considérer comme exprimant les idées de Julien sur l'autre vie son pamphlet des Césars, qui est une pure fantaisie historique et satirique.

[219] Julien, Ép. 37 ; Hertlein, p. 534.

[220] Voir saint Basile, Ép. 5, 6, 101, 206, 269, 300. 301, 302. — Cf. Saint Basile, p. 201.

[221] Julien, Oratio VII ; Hertlein, p. 307.

[222] Julien, Oratio VII ; Hertlein, p. 271-272.

[223] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 388.

[224] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 388.

[225] Ép. 9 ; Hertlein, p. 488.

[226] Fragment d'une lettre ; Hertlein, p. 390.

[227] Libanius, Epitaphios Juliani ; Reiske, t. I, p. 579.

[228] Oratio V ; Hertlein, p. 226-229.

[229] Oratio V ; Hertlein, p. 230.

[230] Misopogon ; Hertlein, p. 437-452.

[231] Saint Matthieu, VI, 18.

[232] Voir de fortes paroles de Dion Chrysostome, dans les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 201.

[233] Voir les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 211-213.

[234] Ép. 2* ; Revista di filologia, 1889, p. 298.

[235] Ép. 36 ; Hertlein, p. 531 ; cf. Ép. 9, p. 487.

[236] Voir le chapitre sur la Philosophie antique et l'esclavage, dans mes Études d'histoire et d'archéologie, p. 14-23.

[237] Lois des empereurs païens en faveur des esclaves ; voir les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 113-115 ; lois des empereurs chrétiens en faveur des esclaves, ibid., p. 481-487.

[238] Voir les Esclaves chrétiens, 3e éd., p. 431-494.

[239] Julien, Les Césars ; Hertlein, p. 428.

[240] Voir la Persécution de Dioclétien, 2e éd., t. II, p. 289-291.

[241] Ammien Marcellin, XXI, 10.