JULIEN L'APOSTAT

TOME PREMIER. — LA SOCIÉTÉ AU IVe SIÈCLE. - LA JEUNESSE DE JULIEN - JULIEN CÉSAR.

LIVRE IV. — JULIEN CÉSAR.

CHAPITRE II. — LA DÉFENSE DES GAULES.

 

 

I. — La bataille de Strasbourg.

Julien passa à Sens les derniers mois de 356. Il était encore dans toute la joie de la victoire. Mais, peu enclin au repos, à peine avait-il déposé le harnais de guerre qu'il demanda aux lettres le délassement dont, depuis plusieurs mois, il se sentait privé. Le panégyrique de Constance, prononcé à Milan l'année précédente, avait eu du succès : Julien voulut faire acte de courtisan habile, et en même temps d'homme reconnaissant, en écrivant dans sa retraite gallo-romaine l'éloge de celle à qui il devait sa fortune, l'impératrice Eusébie[1].

Je n'analyserai pas cette seconde production de sa plume aussi longuement que j'ai analysé la première. On a vu, par un précédent exemple, quels sont les défauts et les qualités du genre, et dans quelle mesure Julien était capable d'éviter les uns et d'atteindre les autres. Peut-être l'éloge d'Eusébie, moins soutenu par la trame des faits historiques, et privé de l'animation que répandaient dans celui de Constance de beaux récits de batailles, parait-il plus froid, plus artificiel, plus encombré de digressions inutiles. Cependant on y reconnait aussi un accent de sincérité dans la louange et dans l'expression des sentiments de gratitude, qui manque au panégyrique de Constance. Nous avons déjà emprunté à ce discours les traits qui ont aidé à peindre le caractère de l'impératrice. En terminant, Julien parle d'un voyage fait par celle-ci à Rome, au moment même où Constance secondait les débuts guerriers du jeune César en menaçant les Alemans du côté de la Rhétie, c'est-à-dire pendant l'automne qui venait de finir. Il décrit, peut-être d'après quelque relation officielle, l'arrivée toute récente de la princesse dans la ville éternelle[2], la joie du peuple et du sénat, que les souverains, à cette époque, visitaient si rarement, les grands préparatifs faits pour la recevoir, et les présents magnifiques dont elle combla les tribus et les centuries. Le discours de Julien est le seul document historique où il soit question de ce voyage, — fait peut-être pour préparer celui que Constance devait accomplir l'année suivante.

Sens était une ville bien fortifiée, et facile à défendre[3]. Mais les campagnes voisines avaient été dévastées par de fréquentes invasions. Elles ne produisaient que la nourriture des habitants. Aussi, pour faire subsister les troupes que Julien amenait avec lui, avait-on été obligé de les disperser. Le César en avait renvoyé une partie dans leurs anciennes garnisons, et surtout sur les points les plus exposés aux attaques. Les autres avaient été réparties entre diverses localités des environs. Parmi les troupes ainsi éloignées de Sens se trouvaient les corps d'élite des Scutaires et des Gentils, particulièrement redoutés des Barbares[4]. Prévenus par des transfuges, les envahisseurs reprirent confiance. Ils se persuadèrent qu'ils emporteraient aisément Sens, où restait un faible nombre de soldats. Cela les engagea à entreprendre, contre leur habitude, une campagne d'hiver. Vers la fin de décembre, à l'époque de l'année où habituellement les guerriers Germains demeuraient en repos au fond de leurs forêts, occupés à chasser ou à boire de la bière, toute une armée investit la ville. Julien se hâta de fermer les portes, et de fortifier les points faibles. On le vit jour et nuit, sur les remparts et les tours, dirigeant ses soldats, observant les agresseurs, veillant aux surprises. Son plan était de faire une sortie, et de percer la ligne d'investissement ; mais le peu d'hommes qu'il avait sous la main en rendit l'accomplissement impossible. Plusieurs fois il essaya de se dégager, et dut rentrer dans la ville, accablé pais la supériorité du nombre. On le voyait, dit Ammien, grincer des dents, dans ses accès de colère. Mais si l'offensive rêvait ne réussit pas, il opposa aux efforts de l'ennemi une défensive si énergique, que les Germains renoncèrent à s'emparer de la ville. Après trente jours de siège, ils se retirèrent, humiliés de leur échec, et maudissant, dit encore Ammien, les folles illusions qui les avaient conduits devant Sens[5].

Le siège eût été plus court et la déroute des Barbares plus complète, si le commandant en chef des armées romaines en Gaule, Marcel, avait fait son devoir. Il avait ses quartiers à peu de distance de la ville assiégée. Rien ne lui était plus facile, apparemment, que de prendre les Barbares à revers. Par jalousie ou par mollesse, il ne fit pas un mouvement. Son inertie plus ou moins calculée eût pu amener la perte de la ville et la capture du César. Le bruit de cette inqualifiable conduite parvint jusqu'à, Milan. Constance s'émut. II cassa Marcel de son grade, et lui donna l'ordre de rentrer dans ses foyers[6]. C'était une punition assez douce. Marcel paya d'audace. Se posant en victime de la plus cruelle injustice, il accourut à Milan. Introduit dans le consistoire impérial, il y plaida sa cause, non en accusé, mais en accusateur. Avec des éclats de voix et de grands gestes, il dénonça Julien, et le représenta comme un ambitieux, qui essaie ses ailes avant de monter plus haut. Julien connaissait l'audace de Marcel, la facilité de Constance à recevoir des soupçons : il avait envoyé sur les traces du général disgracié l'un de ses chambellans, l'eunuque Euthère. Ammien fait d'Euthère un portrait intéressant. C'était un Arménien, d'origine libre, qui, pris tout enfant et mutilé par des brigands, fut vendu à des marchands romains et, sous Constantin, par ceux-ci introduit au palais : il y grandit dans la domesticité impériale, s'instruisant de son mieux, et bientôt remarqué pour la droiture de son naturel, la finesse de son bon sens, l'étendue prodigieuse de sa mémoire et l'honnêteté de ses mœurs. Julien le prit pour chambellan. Il ne se gênait pas pour donner d'utiles conseils, quand le dilettantisme néohellénique l'emportait, chez le jeune César, sur la gravité romaine. Ammien dit qu'il vieillit avec la réputation de n'avoir jamais trahi un secret, si ce n'est pour sauver des innocents, et de n'avoir jamais accru sa fortune par des moyens mauvais. Aussi, quand, fatigué des affaires, il se fixera à Rome au lieu d'aller, comme la plupart des eunuques de cour, enfouir dans quelque obscure retraite une opulence mal acquise, il y jouira de la considération universelle, aussi bien vu des grands que du peuple. Ce fidèle serviteur détourna de Julien les attaques de l'audacieux Marcel. Dès qu'il eut rejoint celui-ci à Milan, il demanda à être entendu. Avec la modestie qui convenait à sa situation, mais aussi avec une grande fermeté, il démentit toutes les imputations dirigées contre son maître. Il raconta l'inaction de Marcel, la longueur du siège, les efforts de Julien, contraint de se défendre seul contre les assaillants. Je serai toute ma vie, dit-il, le témoin fidèle de mon prince ; j'y mettrais ma tête. Marcel fut vaincu par cette honnête éloquence, et relégué par Constance à Sardique, son pays d'origine[7].

Constance comprit, à ce moment, les inconvénients pour Julien d'un commandement divisé et affaibli. Le César avait fait ses preuves de talent et de vaillance : on pouvait en toute sécurité lui confier désormais la direction des opérations militaires. Constance, après la disgrâce de Marcel, mit le César à la tête de toutes les troupes des Gaules. Julien raconte, en termes d'assez mauvaise humeur, cette décision impériale. Avec la pensée, dit-il, de faire un présent de peu de valeur, et sans se douter du grand changement qui s'ensuivrait dans les affaires des Celtes, Constance me confia la conduite de l'armée. On était aux premiers jours du printemps[8] de 357.

Voyant tout en paix dans l'Empire, et s'imaginant que le temple de Janus était clos pour jamais, Constance put enfin réaliser un désir formé depuis longtemps : accompagné d'une grande suite militaire, il entra triomphalement dans Rome, et passa un mois à visiter la ville éternelle[9]. Eusébie l'accompagnait, et avec elle Hélène, la femme de Julien, qu'une invitation faite dans les termes les plus affectueux avait conviée à être du voyage. La princesse venait d'être mère : mais l'enfant mâle auquel elle avait donné le jour avait péri en naissant, par une maladresse de la sage-femme. On prétendit que cette maladresse n'était pas involontaire, et que la sage-femme avait été achetée par Eusébie, demeurée stérile après plusieurs années de mariage, et jalouse de la fécondité de sa belle-sœur. Les mêmes rumeurs, dont Ammien Marcellin se rend l'écho, lui attribuent encore d'avoir, pendant le voyage de Rome, fait boire par surprise à Hélène un breuvage destiné à la faire avorter toutes les fois qu'elle deviendrait enceinte. Il est difficile de savoir s'il y a quelque chose de vrai dans la jalousie de l'impératrice, et dans les criminelles pratiques que ce sentiment lui aurait inspirées : mais il suffit que le bruit en ait couru, pour augmenter l'intérêt mélancolique qui s'attache à la mémoire de la pauvre princesse.

Constance rencontra à Rome un sénat dont la partie la plus nombreuse, ou au moins la plus influente, était païenne, et empêchait d'exécuter les lois qu'il avait rendues contre l'ancienne religion. Il y trouva en même temps la partie féminine de l'aristocratie ardemment attachée à l'orthodoxie catholique, et fut obligé de recevoir une députation des plus grandes dames de Rome demandant le rappel de Libère. Il eut le déplaisir de voir les mêmes sentiments partagés par la masse du peuple, qui, au milieu même des jeux offerts par lui, réclamait à grands cris le retour du pape exilé. Mais le charme de Rome effaçait toutes les dissonances. Nulle part, peut-être, Constance ne fut plus heureux et plus aimable. Fier de son talent oratoire, il haranguait le sénat dans la curie, le peuple du haut des rostres. La liberté de parole dont usait la foule romaine, qui se souvenait toujours, même devant ses maîtres, qu'elle avait été le peuple-roi, ne choquait point ses oreilles. Épris de la beauté de la ville éternelle, il rêvait de l'embellir encore, et en même temps il se préoccupait de reproduire, pour en orner quelqu'une de ses résidences, les œuvres d'art qui l'avaient le plus frappé. On sait la réponse du prince persan Hormisdas, à qui Constance manifestait l'intention de faire copier la statue équestre qui décorait le forum alors si splendide de Trajan : Avant de placer quelque part ce cheval, il faudrait lui bâtir une écurie comme celle-ci. Mais le Persan, avec la philosophie amère que le malheur donne aux exilés, ajoutait : Ce qui me console, à Rome, c'est de voir que là aussi on est mortel. Constance, lui, eût volontiers oublié, parmi les splendeurs du Palatin, cette condition commune de l'humanité. Il se trouvait si bien dans la séculaire demeure des Césars, qu'il y serait resté longtemps[10], si des bruits de guerre n'étaient venus, à plusieurs reprises, frapper ses oreilles. Le temple de Janus n'était pas si bien fermé, qu'on n'en entendit, de nouveau, grincer les portes d'airain. Des messagers vinrent successivement annoncer à l'empereur que les Suèves ravageaient la Rhétie, que les Quades avaient envahi la Valérie[11], que les Sarmates étaient en Pannonie et en Médie. Si ces nouvelles se trouvaient vraies, c'étaient les lignes des Alpes et du Danube touchées à la fois par un mouvement d'invasion qui pouvait atteindre d'un côté le nord de l'Italie, et de l'autre menacer la Grèce et presque Constantinople. Force était bien à Constance d'y veiller. Il s'arracha donc, au bout de trente jours, aux délices de Rome, et, après ce mois de vacances, si rare dans la vie d'un souverain, il se rendit à Milan, et de là, par le Trentin, à Sirmium. Mais il se trouva que le péril avait été exagéré. A Sirmium, Constance s'occupa des intérêts de l'arianisme plus que de ceux de l'Empire[12] ; et, dans un voyage qu'il fit à la fin de l'été sur les frontières des Quades et des Sarmates, il reçut de leurs princes des assurances de paix[13].

La vraie lutte contre les Barbares était alors, non sur les Alpes ou sur le Danube, mais sur le Rhin. L'agglomération de peuplades que l'on désigne sous le nom général d'Alemans s'agitait de plus en plus[14]. La Germanie romaine, et après elle la Gaule, étaient de nouveau menacées. Constance, dont on ne peut nier l'intelligence stratégique, dressa un excellent plan de campagne. Il venait d'adjoindre à Julien, en remplacement de Marcel exilé et d'Ursicin rappelé en Orient[15], le vieux Sévère, général à la fois expérimenté et modeste, qui tout de suite lui inspira confiance. Le César partit de Sens à la tête de ses troupes, et marcha vers Reims[16] : une armée de vingt-cinq mille hommes[17], remontant d'Italie sous le commandement du maitre de la milice Barbation, devait en même temps se diriger vers Bâle. On espérait que les Germains, qui déjà répandaient dans l'est de la Gaule leurs bandes avides de pillage, seraient pris entre les deux armées se rapprochant l'une de l'autre comme les branches d'un compas[18]. Le plan fut d'abord déjoué. Un parti de Lètes indépendants se coula inaperçu jusqu'à Lyon. La grande ville manqua d'être surprise, et n'eut que le temps de fermer ses portes. Les envahisseurs, empêchés d'y pénétrer, se dédommagèrent en dévastant les campagnes. Mais Julien, toujours en éveil, détacha de sa petite armée trois escadrons de cavalerie, qu'il chargea d'observer les routes par lesquelles les Lètes pouvaient opérer leur retraite. Tous ceux qui prirent la direction  des Vosges tombèrent aux mains de la cavalerie romaine, avec leur butin encore intact. Mais ceux qui s'échappèrent le long de Jura, vers Bâle, où se trouvait Barbation, passèrent sans être inquiétés : Cella, tribun des Scutaires, qui faisait partie du corps de ce général, interdit même le passage aux cavaliers commandés par deux des officiers de Julien, le tribun Bainobaudes[19] et le futur empereur Valentinien, dont la consigne était de garder cette route. La jeune gloire de Julien offusquait Barbation : non content d'empêcher le César de détruire complètement les ennemis, le général félon tenta de le noircir auprès de Constance, en envoyant à celui-ci une relation mensongère, dans laquelle il accusait Bainobaudes et Valentinien d'être venus sous un faux prétexte, avec la mission secrète de débaucher ses soldats.

Cependant la marche en avant des deux armées, qui se poursuivit pendant l'été, au milieu des moissons mûrissantes[20], intimidait les Alemans. Ceux d'entre eux qui campaient sur la rive gauche du Rhin, dans les forêts escarpées des Vosges, furent pris de terreur. Ils obstruèrent par des abattis d'arbres énormes les chemins déjà montueux et difficiles que devaient suivre les troupes. Beaucoup d'entre eux se réfugièrent dans les îles dont est semé le cours du Rhin. Lorsque Julien et ses soldats arrivèrent au fleuve, ils entendirent résonner à leurs oreilles les hurlements lugubres et les injures des Barbares. Afin de les déloger, Julien, qui n'était outillé ni pour naviguer sur le Rhin, ni pour y jeter des ponts, envoya demander à Barbation, dont l'armée était munie de tous les services, sept bateaux plats faisant partie de son équipage de pontonniers[21]. Toujours traître, le maître de la milice, au lieu d'envoyer ces embarcations, les fit brûler comme inutiles. Heureusement des espions germains, que les soldats de Julien avaient saisis, indiquèrent des gués. Pendant les grandes chaleurs de l'été, il y avait des endroits par où l'on pouvait passer, sinon à pied sec, au moins avec une assez grande facilité. Julien fit venir des soldats d'infanterie légère, qu'il mit sous les ordres du tribun Bainobaudes, le même qui, en compagnie de Valentinien, avait eu récemment à se plaindre de la duplicité de Barbation. Il leur proposa de tenter le passage du fleuve : Ce sera, leur dit-il, une action mémorable, si vous y réussissez. Les braves vélites sautèrent dans l'eau, et, tantôt grimpant sur les rochers que le fleuve à demi desséché laissait à découvert, tantôt se servant de leurs boucliers en guise de barques, abordèrent à l'He la plus proche : là ils massacrèrent comme du bétail, sans distinction d'âge ni de sexe, tous les Barbares qu'ils rencontrèrent. Ayant trouvé, amassées le long de l'Ile, les pirogues de ceux-ci, ils y montèrent, et bien que, trop chargées, ces barques manquassent souvent de chavirer, ils s'en servirent pour aller, d'île en île, donner la chasse aux Alemans. Lorsque, lassés de tuer, ils revinrent au rivage, ils étaient tellement alourdis par le butin qu'ils avaient dû, pendant la traversée, en jeter une partie à l'eau. Les Barbares demeurés dans les fies que les soldats romains n'avaient pas eu le temps de fouiller reconnurent que ces retraites n'étaient point inaccessibles, même pour une armée dépourvue de flottille, et se hâtèrent de passer sur la rive droite du Rhin, avec leurs femmes, leurs troupeaux et leurs bagages[22].

Julien ne poursuivit pas tout de suite la victoire : il s'occupa d'abord de la consolider, et se retira en arrière pour relever les fortifications de Saverne[23], qui avait été le clef des Vosges jusqu'au jour où les Germains l'avaient démantelée. Dans la forteresse ainsi rétablie, il installa une garnison. Mais il importait d'en assurer le ravitaillement, que les continuelles incursions des Alemans pouvaient à tout instant rendre impossible. Ceux-ci, en fuyant, avaient laissé leurs moissons mûres : précisément, l'époque était venue de les couper. Julien y employa ses soldats : ces moissonneurs armés firent la récolte sans cesser d'avoir l'œil au guet, car on redoutait toujours quelque retour offensif de l'ennemi. Mais il n'osa revenir, et laissa les Romains recueillir en paix le froment semé par des mains barbares. Le fort fut ainsi muni de blé pour un an. Julien s'occupa ensuite de l'approvisionnement de son armée. Précisément un convoi de vivres qu'il attendait lui avait manqué, par une nouvelle félonie de Barbation. Celui-ci l'avait arrêté au passage, s'en était approprié une partie, et avait brûlé le reste. Les soldats de Julien, indignés, se demandaient si Barbation était fou, ou s'il avait reçu l'ordre secret de contrarier tous les mouvements du César, et de causer sa perte. Ce que l'on conna1t des intentions de Constance, si l'on examine de près ses actes, permet de rejeter ces bruits comme imaginaires et calomnieux. Mais les soldats étaient excusables d'y croire et de les répandre. Julien, cependant, ne perdait pas le sang froid. Il y avait, heureusement, moyen de réparer le dommage. L'approvisionnement de Saverne n'avait pas épuisé les champs cultivés par les Barbares. Sous la garde de postes placés çà et là, les soldats continuèrent à faucher les blés. On put ainsi mettre dans les charriots de l'armée une provision de blé suffisante pour assurer sa nourriture pendant vingt jours[24].

Cependant la fortune se chargea bientôt de venger Julien. Au moment où la jonction des deux armées allait se faire, Barbation changea brusquement de route, et tenta le passage du Rhin. Libanius assure qu'il avait reçu des ordres de Constance, qui voulait ménager au maître de la milice l'occasion d'une victoire où Julien n'aurait point de part[25]. Ce fut le contraire qui arriva. Les Alemans, avertis de l'opération hasardeuse projetée par Barbation, le laissèrent approcher du fleuve ; mais dès que le pont de bateaux destiné au passage des troupes eut été construit, les barques qui le portaient furent assaillies par d'innombrables troncs d'arbres, lancés dans le fleuve en temps opportun, et que le courant impétueux du Rhin charriait au milieu d'elles, les heurtant, les dispersant, les submergeant[26]. Démoralisée par l'effet inattendu de ce stratagème, l'armée de Barbation recula, et, sous l'impression d'une terreur panique, s'enfuit avec lui jusqu'à Bide, poursuivie par les Barbares. Une grande partie des bagages, voitures, chevaux, conducteurs, tomba aux mains de l'ennemi[27]. Dès que la poursuite eut cessé, Barbation disloqua son armée, et renvoya dans leurs quartiers d'hiver[28] les diverses troupes dont elle était formée, bien qu'on fût encore en plein été. Puis, comme si la campagne eût été finie, il se rendit à la cour, non pour se justifier, mais pour accuser Julien[29].

La dispersion des vingt-cinq mille hommes que Barbation avait eu l'ordre de conduire à son secours laissait le César isolé en Alsace, avec treize mille hommes seulement. Devant Strasbourg campaient sept rois Alemans, dont les contingents formaient une grande multitude. Les confédérés espéraient vaincre sans coup férir. Ils savaient par un transfuge le petit nombre des soldats demeurés avec Julien, et pensaient que la nouvelle du désastre de Barbation et, de l'évanouissement de son armée le déciderait à une prompte retraite. Le chef de tous ces rois, l'Agamemnon barbare, était Chnodomaire, qui jadis avait vaincu le frère de Magnence, le César Decentius, se vantait d'avoir ruiné d'innombrables cités gauloises et parcouru longtemps la Gaule sans rencontrer d'adversaire. Son orgueil s'était accru par la récente défaite de Barbation, due surtout à lui et à ses bandes. Il parcourait le camp allemand, la tête haute, le regard étincelant, plein de projets et de paroles téméraires. Julien, lui, mettait le temps à profit en fortifiant, selon les règles de la castramétation romaine, le campement de ses soldats. Quand les envoyés germains furent venus le trouver, le sommant, de la part des sept rois, de quitter les terres que ceux-ci avaient acquises par leur courage et par leur épée, il fit attendre quelques jours la réponse à cet orgueilleux message[30]. Ce fut seulement après que le camp fut achevé, point d'appui pendant la bataille, protection ou refuge en cas de retraite, qu'il se déclara prêt à combattre.

Le soleil était haut sur l'horizon, quand l'armée romaine sortit de ses retranchements. Au son des trompettes, l'infanterie défila lentement, flanquée de la cavalerie, où brillaient les solides et rapides escadrons des cataphractaires et des sagittaires. Du camp romain à la plaine de Strasbourg, où étaient massés les Barbares, il y avait environ quatre lieues. Déjà l'avant-garde était en route, quand Julien la fit rappeler. Midi est venu, dit-il ; nous arriverons tard sur le champ de bataille, fatigués par la marche, accablés par la chaleur. Nous combattrons à jeun contre des adversaires frais, reposés, qui auront eu le temps de prendre de la nourriture. Le soir tombé, nous aurons un ciel sans lune, et, par un temps couvert, nous ne serons même pas aidés de la lueur des étoiles. La prudence nous commande de rentrer dans notre camp, à l'abri des retranchements et des fossés : nous y passerons une nuit tranquille : demain, dès le point du jour, fortifiés par le sommeil et un bon repas, nous marcherons à l'ennemi. Mais les soldats ne l'entendirent pas ainsi. Au discours de Julien ils répondirent en frappant bruyamment leurs boucliers avec leurs lances, pour montrer leur ardeur de combattre. Les chefs partageaient le sentiment des soldats. Florentius, préfet du prétoire, fit remarquer à Julien qu'il valait mieux profiter des circonstances, et frapper un grand coup sur les Barbares assemblés ; que si on les laissait se disperser pour se reformer ailleurs, ennemis partout présents et redevenus insaisissables, on lasserait le soldat romain, dont l'esprit était assez porté à la sédition, et ne pardonnerait pas l'occasion manquée d'une facile victoire. Florentins ajoutait que les Germains sont, en rase compagne, moins braves qu'on ne suppose, et rappelait l'expédition de Constance, l'année précédente, en Rhétie, où au lieu d'ennemis il ne trouva que des abattis d'arbres. Tout à coup, au milieu de l'armée impatiente, une porte-étendard éleva la voix. Va, cria-t-il, va, heureux César, où t'appelle la Fortune. Par toi, nous retrouvons la bravoure et l'esprit militaire. Va devant, lève bien haut notre drapeau. Tu vas voir de quoi le soldat romain est capable sous les yeux d'un chef vaillant, pourvu qu'il ait Dieu propice. » Et l'armée s'ébranla d'un seul mouvement, sans que personne ne songent plus à la retenir.

Parvenus sur une colline, d'où l'on apercevait le Rhin, les Romains rencontrèrent des éclaireurs ennemis, qui s'enfuirent à toute bride ; un seul d'entre eux, qui n'était pas monté, put être pris : il raconta que depuis quatre jours des masses germaines traversaient sans interruption le fleuve[31]. La plaine, en effet, était toute noire de soldats en marche : les Romains, à leur vue, s'arrêtèrent, immobiles et solides comme un mur. Les Barbares s'arrêtèrent aussi, et les deux armées se regardèrent un instant, dans un silence solennel. Puis le combat commença. La gauche des Alemans était conduite par Chnodomaire, reconnaissable à sa haute stature, à son casque rouge, à l'énorme javeline qu'il portait, à l'adresse avec laquelle il conduisait et domptait un cheval écumant. Leur droite avait pour chef Sérapion, fils de Médéric et neveu de Chnodomaire : il avait fait son éducation en Gaule, où il avait jadis échangé son nom barbare d'Agénaric contre le nom grec de Sérapion. Les cinq autres rois, de nombreux princes[32], les grands[33], marchaient à leur suite, avec trente-cinq mille hommes. Quand l'aile gauche, commandée par Sévère, eut fait quelque pas, elle se trouva au bord d'un marais, que traversait un aqueduc ; sous les arches de celui-ci, à demi-obstruées par les roseaux, une multitude de Germains étaient embusqués[34]. Les Romains hésitèrent, craignant un piège, et demeurèrent en suspens, sans vouloir ni reculer ni avancer. Quand Julien, qui se tenait au centre, vit cette hésitation, capable de compromettre le succès de la journée, il courut vers la gauche, suivi de deux cents cavaliers. Sans se soucier des traits qui volaient de toutes parts, il allait de rang en rang, relevant les courages, excitant par des paroles brèves et ardentes les Romains à reprendre l'offensive. La marche en avant recommença. Les Barbares, à leur tour, eurent un moment de trouble. Le menu peuple, qui combattait à pied, craignit d'être abandonné, en cas d'échec, par la cavalerie, composée des princes, des grands, de tous ceux qui étaient assez riches pour avoir un cheval. Avec cette indiscipline, qui faisait sa faiblesse vis-à-vis de la discipline rigoureuse gardée sur le champ de bataille par le soldat romain, la populace barbare exigea que tous les cavaliers missent pied à terre et se confondissent dans ses rangs. Chnodomaire sauta de cheval : tous les autres l'imitèrent. Ils ne croyaient pas faire un grand sacrifice, car ils se tenaient sûrs de la victoire.

Le combat se poursuivit avec des fortunes diverses. Pendant que l'aile gauche des Romains poussait devant elle les ennemis, la cavalerie de l'aile droite fléchit : les Cataphractaires, voyant leur chef blessé, reculèrent en désordre. Julien, reconnaissable au drapeau de pourpre qu'un soldat portait derrière lui, courut pour les rallier ; mais bientôt les Alemans, passant à travers les escadrons rompus, se heurtèrent à la masse inébranlable de l'infanterie romaine. De ses rangs s'éleva aussitôt le barrit, cri de guerre qui commence par un sourd murmure, et, s'enflant par degrés, finit par imiter le fracas des flots jetés par la tempête contre les rochers[35]. Bientôt la mêlée fut générale. Au milieu d'un nuage de poussière, qui s'élevait du sol desséché par la chaleur et dérobait les combattants aux regards, les Barbares, leurs longs cheveux dénoués, les yeux étincelants de fureur, se jetaient sur les Romains, qui pour s'abriter formaient la tortue avec leurs boucliers. L'attaque était si violente, qu'on put croire que ce mur d'acier allait se briser sous les coups. Alors arrivèrent au pas accéléré les Bataves[36] et les Royaux[37], puissante réserve de l'armée romaine. La lutte continua, plus ardente que jamais, les Romains opposant leur expérience et leur calme aux assauts répétés des ennemis. Tout à coup, un groupe d'Alemans, dirigé par les rois, et composé des nobles attachés à leur personne, que suivaient une multitude d'hommes du peuple, se jeta avec une telle violence sur les rangs des Romains, qu'il s'ouvrit un passage : mais il rencontra en face de lui la légion des Primani[38], qui formait le noyau de l'armée, et n'avait pas encore pris part an combat. Solide comme une tour, elle opposa un front impénétrable aux efforts de l'ennemi. Ammien Marcellin compare la lutte suprême des légionnaires et des Alemans à celle du mirmillon opposant son casque et son bouclier au trident et au filet du rétiaire, et profitant des mouvements désordonnés de celui-ci pour le cribler de blessures. Au pied de ce rempart vivant s'entassaient les cadavres. Sans cesse arrivaient de nouveaux Germains ; mais à leur tour ils mordaient la poussière. Les épées, à force de frapper, se faussaient dans la main des soldats : ils ramassaient alors les javelots lancés par les Germains, et s'en servaient contre eux. La victoire se dessinait maintenant pour les Romains, ou, comme le dit Ammien Marcellin, un Dieu propice se déclarait pour eux. Les Barbares perdirent pied, et, avec leur mobilité habituelle, passant d'un acharnement sans exemple à un découragement complet, prirent la fuite dans la direction du Rhin. Tous ceux qui savaient nager se jetèrent dans le fleuve. Les Romains les poursuivirent, et beaucoup seraient entrés dans l'eau avec eux, si Julien et ses officiers ne les avaient retenus sur la rive. De là, les sagittaires criblaient de flèches les fugitifs, que l'on voyait s'enfoncer et disparaître dans les flots. Se souvenant des naumachies qui ensanglantaient trop souvent les amphithéâtres, Ammien dit que l'on assistait à cette scène tragique comme si l'on avait été au spectacle. Seuls parvinrent à, la rive opposée ceux qui purent se servir de leurs boucliers d'osier en guise de barques. Les Romains avaient, en tout, perdu deux cent quarante trois soldats et quatre officiers, parmi lesquels le brave tribun Bainobaudes, et le chef des cataphractaires dont la blessure avait causé le désarroi de la cavalerie : on trouva sur le champ de bataille six mille cadavres d'Alemans, sans compter ceux que le Rhin avait engloutis[39].

Le roi des rois Chnodomaire essayait aussi de gagner le fleuve, avec l'espoir de le traverser. Comme il approchait de la rive, il eut à passer par un endroit marécageux ; son cheval glissa : précipité à terre, il se réfugia sur une colline boisée, où des Romains l'aperçurent. Aussitôt une cohorte, conduite par un tribun, courut pour le prendre ; craignant qu'il ne s'échappât pas quelque coin du bois, elle cerna la colline. Mais Chnodomaire ne songeait plus à la fuite : aussi abattu par le malheur qu'il avait été jadis exalté par le succès, dès qu'il vit les soldats il se rendit. Deux cents Barbares qui l'avaient suivi, parmi lesquels trois de ses plus fidèles amis, se rendirent après lui.

La victoire était complète : aussi, quand, au son des clairons, l'armée romaine se rassembla pour le repas du soir et le sommeil de la nuit, salua-t-elle Julien du nom d'Auguste. Mais celui-ci protesta très haut qu'il n'avait aucune prétention à ce titre. Chnodomaire lui fut amené. Le Barbare se prosterna aux pieds du vainqueur, implorant sa grâce. Plus généreux que Constantin, qui, en 306, avait fait exposer aux bêtes deux rois francs dans l'amphithéâtre de Trèves[40], Julien rassura le suppliant, et, pour donner une preuve de sa modestie, au lieu de tramer son prisonnier à sa suite et de le donner en spectacle aux villes de la Gaule[41], il commanda de conduire Chnodomaire à Constance, qui le reçut au retour de son voyage chez les Quades et les Sarmates. Constance, respectant la parole de Julien, accorda la vie sauve au roi Barbare : il le relégua à Rome, et lui assigna pour prison la caserne des Pérégrins, sur le mont Caelius. Transplanté loin de son pays et de ses habitudes, dévoré d'humiliation et de regret, Chnodomaire y mourut bientôt d'une maladie de langueur[42].

Toujours envieux de Julien, et croyant plaire à Constance en rabaissant le César, les courtisans affectèrent de railler son succès. Ils le nommaient entre eux Victorinus, soit pour indiquer qu'il n'était, après tout, qu'un petit vainqueur, soit par allusion à l'empereur gallo-romain Victorinus, qui à l'époque des trente tyrans avait guerroyé contre les Germains[43]. Leur flatterie attribuait à Constance tout le mérite de la campagne. Celui-ci avait fini par prendre ces louanges au sérieux, et, soit dans ses discours, soit même dans le préambule de ses édits, il parlait couramment de sa victoire de Strasbourg, des bonnes dispositions qu'il avait fait prendre à son armée, de son prisonnier Chnodomaire. Ce n'est pas moi, c'est lui qui triomphait, écrit Julien avec amertume[44]. Ammien répète les mêmes plaintes[45]. Pour être tout à fait juste, il faut se souvenir, ici, que Constance avait l'habitude de parler de la sorte de toutes les victoires gagnées par ses lieutenants : si l'un d'eux avait un succès en Perse, il l'annonçait aux provinces par des bulletins[46], comme un triomphe personnel[47]. Mais il convient d'ajouter que tel fut dans tous les temps l'habitude des souverains de Rome. Dans l'inscription d'Ancyre, Auguste, qui, devenu empereur, ne fit plus la guerre, s'attribue toutes les victoires remportées sous son règne : le sénat lui décerna plusieurs fois le triomphe, et vingt-deux fois il fut salué imperator[48]. Antonin le Pieux prit pour la seconde fois le même titre à la suite du succès remporté par Urbicus en Bretagne[49], et souffrait que Fronton lui en donnât le mérite, comme le succès de la bonne manœuvre d'un navire revient au pilote immobile à son gouvernail[50]. Sans nier que Julien eût quelque raison de se plaindre, on doit reconnaître que Constance ne parla point autrement que n'avaient fait, dans des circonstances semblables, les meilleurs et les plus célèbres de ses prédécesseurs.

Julien, demeuré maître du champ de bataille, s'occupa d'abord de faire enterrer les morts[51] ; il montra encore son humanité, en accordant leur grâce aux messagers qui, avant le combat, avaient apporté l'insolente sommation des Barbares ; puis il revint à Saverne. De là, il envoya à Metz (Mediomatricos) les prisonniers et le butin. Ensuite, il fit ses préparatifs pour passer le Rhin dans la direction de Mayence (Mogontiacum), et porter la guerre en territoire ennemi. L'armée romaine eût préféré demeurer dans ses campements, et jouir d'un repos bien gagné. Julien dut employer toute son éloquence pour entraîner ses soldats. On jeta des ponts, et l'armée traversa le fleuve[52]. Les Alemans, effrayés d'abord, envoyèrent demander la paix ; puis, changeant tout à coup d'avis, ils dépêchèrent d'autres messagers, pour menacer les Romains d'une guerre sans merci, s'ils ne repassaient le fleuve. Julien répondit par un coup d'audace. Il mit à l'eau pendant la nuit de légers navires, et y fit embarquer huit cents soldats, avec ordre de parcourir le fleuve, et de dévaster la rive ennemie. Puis, apercevant au point du jour les collines couvertes d'ennemis, il mit en mouvement son armée. Les soldats escaladèrent allégrement les hauteurs : mais, arrivés au sommet, ils ne trouvèrent personne : les Alemans s'étaient retirés au delà du Mein. Bientôt des tourbillons de fumée, sur toutes les collines, annoncèrent l'œuvre de destruction commencée. Des escouades de cavaliers romains, lancées de toutes parts, ravageaient l'intérieur des terres, tandis que les barques armées en course portaient la terreur sur le rivage. On fit de nombreux prisonniers ; on détruisit des récoltes, on captura des troupeaux, on livra aux flammes des habitations construites à la manière romaine par des Germains qui commençaient à échanger les mœurs primitives des peuples nomades contre les habitudes des civilisés[53].

On avança ainsi pendant dix milles ; mais quand l'armée eut atteint, vers les pentes du mont Taunus, ces vastes contrées forestières dont les Romains, depuis César, ont toujours parlé avec horreur, une timidité nouvelle remplaça le premier entrain. Les soldats n'avaient plus devant eux des plaines ouvertes à ravager : ils entraient dans la région des ténèbres : ils prononçaient en tremblant ce nom vague de forêt Hercynienne, qui s'appliquait indifféremment à toutes les régions boisées de l'est de la Gaule et de l'ouest de la Germanie. Ajoutant foi aux paroles d'un transfuge, ils se persuadaient que les noires futaies qui s'étendaient maintenant à perte de vue devant eux étaient pleines d'embûches, et que de souterrains ignorés surgiraient sur leurs pas des multitudes de Barbares. On hésita longtemps avant de s'engager ainsi dans l'inconnu : puis, le courage militaire reprenant le dessus, on se remit bravement en marche ; mais vite les convois d'hommes, de chevaux, de bagages furent arrêtés par des monceaux d'arbres abattus : les routes étaient barrées avec des chênes, des frênes, d'énormes troncs de sapins. La marche devint difficile : les soldats furent souvent obligés de reculer, afin de chercher en arrière d'autres chemins. Ce fut un dur voyage : l'automne finissait : dans ces âpres régions, le vent devenait glacial, les collines et les vallées étaient couvertes de neige : l'armée se tramait péniblement, souffrait beaucoup. Elle parvint, heureusement, sans rencontrer d'autres ennemis que la forêt et la saison, à un fort bâti par Trajan au confluent de la Nidda et du Mein, et qui, sans cesse attaqué depuis trois siècles, avait été grossièrement réparé : Julien s'y retrancha, et s'occupa de ravitailler son armée. Les Alemans, le voyant ainsi établi sur leur territoire, furent pris de peur : ils envoyèrent des ambassadeurs implorer la paix. Julien leur accorda une trêve de dix mois, espace de temps jugé par lui nécessaire pour achever de réparer les murailles du fort, et pour le mettre complètement en état de défense. Bientôt vinrent à lui trois rois Alemans, qui n'avaient point pris part à la bataille de Strasbourg, mais y avaient envoyé leurs contingents : ils prêtèrent un serment solennel, selon la mode de leur pays[54], jurant de ne plus attaquer lei Romains, de respecter leur forteresse jusqu'à la fin de la trêve, et de leur apporter eux-mêmes des vivres, s'ils en avaient besoin[55]. De nombreux prisonniers romains furent rendus[56]. La campagne de Germanie était terminée, avec profit et avec gloire.

L'heure du repos, cependant, n'avait pas encore sonné. Les Alemans — c'est-à-dire les peuples barbares qui habitaient sur la rive droite du Rhin — étaient pour un temps réduits à l'impuissance ; mais les Francs — dont les tribus vivaient dans ce qui devint les Flandres et le Brabant — n'avaient rien perdu de leur audace. Même quand ils ne poussaient pas plus avant, le bassin gaulois de la Meuse était parcouru par eux, comme un champ régulier de pillage. L'hiver, qui arrêtait d'autres Barbares, ne mettait pas un terme à leurs incursions : comme l'a dit un contemporain, ils foulaient avec le même plaisir la neige et les fleurs[57]. Aussi est-ce probablement sans surprise qu'au retour l'avant garde de Julien, commandée par Sévère, et se dirigeant par Cologne et Juliers vers Reims, se heurta contre une bande de Francs, au nombre d'environ un millier[58]. Ceux-ci, croyant Julien pour longtemps encore retenu en Germanie, profitaient de l'abandon où il semblait laisser la Gaule pour y ramasser du butin. La rencontre imprévue des premières troupes romaines, la nouvelle de l'arrivée du reste de l'armée, les arrêta. Ils se jetèrent dans deux forts depuis longtemps abandonnés, et dont les murailles croulantes dominaient la Meuse, Pendant cinquante jours, en décembre et en janvier, cette poignée d'hommes, dans deux forteresses à demi ruinées, soutint avec une admirable obstination l'effort de toute l'armée de Julien. Craignant que les Francs ne profitassent d'une nuit sans lune pour s'échapper en suivant le lit gelé de la Meuse, Julien faisait, depuis le lever du soleil jusqu'au soir, parcourir tous les jours la rivière par des bateaux, afin de briser la glace ou de l'empêcher de se rejoindre. Il est probable que les Romains se contentèrent ainsi d'un blocus rigoureux, et n'essayèrent pas de donner l'assaut. La fatigue et la famine déterminèrent seuls les Barbares à se rendre. La capitulation vint à temps pour les Romains, car au moment où elle eut lieu une armée de secours allait être envoyée par les tribus franques. Julien fit conduire enchaînés ses prisonniers à Constance. Celui-ci reçut avec joie les fiers captifs, leur fit des présents, et les enrôla dans ses troupes[59], se flattant d'y avoir introduit des espèces de tours, tant il est vrai que chacun d'eux valait plusieurs hommes[60].

A la suite de ce nouveau succès, l'armée romaine reprit sa marche, et se dispersa dans ses diverses garnisons. Julien se rendit à Lutèce, pour y passer le reste de l'hiver.

 

II. — Julien à Paris.

Lutèce était encore, à ce moment, une petite ville. Elle occupait l'Ile qui a gardé le nom de la cité, et débordait sur la rive gauche de la Seine, jusqu'à la colline de Lucoticia[61], qu'on appela plus tard la montagne Sainte-Geneviève. Un pont de bois[62] joignait la cité à ce faubourg, couvert de maisons et de jardins. Quant à la rive droite, liée aussi à la cité par un pont[63], elle était peu habitée, étant encore occupée en partie par des marais, que traversaient seulement quelques chaussées[64]. Malgré la médiocre étendue de la surface bâtie, Lutèce n'était pas sans importance. Sa situation lui donnait une valeur stratégique, que Constance Chlore avait reconnue en y plaçant une garnison. Plusieurs voies la mettaient en communication avec Orléans, Dreux, Beauvais, Senlis, Rouen et Sens[65]. Mais une grande voie lui apportait plus que toutes les autres le mouvement et la vie : c'était le fleuve au milieu duquel elle était assise.

Les fleuves étaient alors, plus encore que de nos jours, les chemins qui marchent. Le commerce extérieur n'en pouvait guère suivre d'autres, ce qui faisait des villes baignées par eux l'entrepôt nécessaire de toutes les marchandises importées du dehors et destinées à être consommées dans l'intérieur du pays. Lutèce recevait ainsi les marchandises de Bretagne[66] qui ne s'arrêtaient pas dans les villes de l'estuaire de la Seine, à Barfleur, à Lillebonne, à Rouen, et, par la Marne, elle pouvait envoyer vers Reims et les régions de l'est une partie des denrées qui avaient ainsi remonté jusqu'à ses quais. Mais plus encore peut-être servait-elle de trait d'union entre le nord de la Gaule ou la Bretagne et le commerce des régions méridionales[67]. On peut, dit Strabon, remonter le Rhône fort loin, et transporter de la sorte les marchandises en différents endroits, car la Saône et le Doubs, qui sont des rivières navigables et propres à porter de grosses charges, se jettent dans le Rhône. Depuis la Saône jusqu'à la Seine, on voiture les marchandises par terre. C'est en descendant cette dernière rivière qu'on les transporte dans le pays des Lexoviens et des Calètes, et de là par l'Océan, en moins d'un jour, dans l'île de Bretagne[68]. Dès les premiers temps de la domination romaine, la puissante corporation des nautæ parisienses, qu'on voit complètement organisée sous Tibère[69], semble avoir monopolisé la batellerie de la Seine, comme celles des mutes de Lyon et de Vienne étaient maîtresses de la navigation commerciale de la Saône et du Rhône.

Julien ne s'établit pas dans la cité, qui, resserrée dans son île, encombrée de population indigène, de mariniers, de pêcheurs, se prêtait assez malaisément à la résidence d'un souverain. C'était proprement la ville gauloise. Comme Lyon, où les quartiers indigènes se renfermaient entre la Saône et la Loire, et où les édifices officiels s'étageaient sur la colline de Fourvières[70], Paris se divisait naturellement en deux parties, file, laissée presque complètement aux gens du pays, la plaine de la rive gauche et les premières pentes de Lucoticia servant à l'habitation des fonctionnaires, des soldats, de toute la colonie romaine. Là, séparé de la Seine par de vastes jardins, s'élevait le palais impérial, probablement construit par Constance Chlore. C'est l'édifice si connu sous le nom de palais des thermes, et dont, en effet, subsistent encore les salles consacrées au bain froid et au bain tiède. Sous ses fenêtres passait la voie d'Orléans : parallèlement à cette voie, un aqueduc, qui amenait au palais l'eau des sources d'Arcueil, profilait ses lignes élégantes. Tout à côté, la garnison avait sa caserne et son champ de manœuvres[71]. L'amphithéâtre, le théâtre, s'élevaient un peu plus loin, sur les versants de la colline. Ce coin de la rive gauche, plein d'édifices et de verdure, avec la vue du fleuve et de l'île, et, par delà la Seine, la perspective lointaine de la colline de Montmartre, devait être fort agréable à habiter. Julien s' y plaisait beaucoup. Il loue la régularité du cours de la Seine, qui diminue ou grossit rarement, mais (ce qui nous étonne davantage) il vante en même temps la limpidité et la salubrité de son eau, aussi pure qu'agréable à boire[72]. Le climat tempéré, la douceur des hivers, le ravissent : lui qui, enfant, s'était amusé à planter des vignes dans son domaine de Bithynie[73], voyait avec intérêt les vignes excellentes qui garnissaient les plaines et les coteaux aux environs de sa chère Lutèce[74], et les figuiers que des jardiniers industrieux parvenaient à y élever, en les abritant des gelées par des paillassons[75].

Julien passa à Lutèce les premiers mois de 358, et, depuis lors, y fit sa résidence habituelle toutes les fois que les nécessités militaires lui permirent de prendre quelque repos. Il y séjourna pendant l'hiver de 358-359, pendant la seconde moitié de 359 et la première de 360.

Il y menait, nous dit-on, la vie d'un philosophe. Tout le temps qu'il pouvait dérober aux affaires de l'État était employé à l'étude. Il consacrait de longues heures aux recherches philosophiques. Il continuait à cultiver aussi la rhétorique : plusieurs des discours conservés dans ses Œuvres ont été composés pendant les loisirs de Lutèce. On nous dit même qu'il s'exerçait à faire des vers : mais probablement y réussit-il assez mal, car le recueil de ses écrits ne nous a conservé, en fait de poésie, que quelques pièces insignifiantes[76]. Ce qui est plus intéressant, c'est d'apprendre que Julien se livra assidûment aux travaux historiques, étudiant avec soin l'histoire romaine et celle des nations étrangères[77] ; occupation digne d'un prince, mais dont ses écrits ont gardé peu de traces, car (nous l'avons déjà remarqué) les allusions à l'histoire romaine y sont fort rares. Il apprit même, ajoute Ammien, à parler le latin avec une correction suffisante[78] ; ce qui confirme ce que nous avons dit plus haut d'une des principales lacunes de son éducation. Une partie de ses nuits était employée à ces diverses études : après un court sommeil, pris sur un tapis ou un matelas étendu à terre, avec une peau de bête pour couverture[79], il se levait et se mettait au travail, à la lueur de cette petite lampe qui, dit Ammien, aurait pu rendre de lui un si bon témoignage[80]. Ces heures de recueillement nocturne se partageaient entre les affaires publiques et les Muses, c'est-à-dire probablement la philosophie, l'histoire ou les lettres ; car on ne peut se représenter Julien passant une partie des nuits à composer laborieusement des vers médiocres.

De son palais de Lutèce, la pensée de Julien se reportait quelquefois vers les lieux où s'était écoulée sa jeunesse studieuse, vers les villes de l'Asie Mineure, et surtout vers Athènes. C'est peut-être à deux de ses anciens camarades de cette ville que fut envoyée de Gaule une lettre où respire, avec une ardeur passionnée, l'amour des lettres et de la philosophie. Elle est adressée à Eumène et à Pharianus, personnages d'ailleurs inconnus. Si quelqu'un, — écrit le jeune César, — vous a persuadés qu'il est pour l'homme un bonheur plus doux et plus solide que de philosopher à son aise et sans trouble, il vous a trompés et s'est trompé. Mais si votre ancienne ardeur ne s'est pas éteinte comme une flamme trop vive, je vous estime heureux. Quatre ans et trois mois se sont écoulés depuis que nous sommes séparés. Je verrais avec plaisir quels ont été vos progrès durant cet intervalle. Pour ma part, c'est merveille que je parle grec, tant je me suis barbarisé dans ces contrées. Ne dédaignez pas la littérature, ne négligez pas la rhétorique, et occupez-vous de poésie. Cependant étudiez surtout les sciences. Le grand travail, c'est l'étude des dogmes d'Aristote et de Platon : c'est l'œuvre par excellence, c'est la base, le fondement, l'édifice et la toiture. Le reste n'est que hors-d'œuvre[81]... C'est probablement encore de Lutèce que Julien écrit au philosophe Priscus, — peut-être celui qu'il avait eu l'occasion de rencontrer à Athènes. Il lui offre de se servir de la poste impériale pour venir en Gaule. Si tu veux visiter les côtes de l'Océan, tout, avec l'aide de Dieu, marchera selon tes vœux, à moins que tu ne t'effraies de la rudesse des Gaulois et de l'hiver... Pour moi, je te jure par l'auteur et le conservateur de tous mes biens que, si je désire vivre, c'est pour vous être utile, à toi et à tous les vrais philosophes[82]... Mais le voyage ne se fit pas. Priscus, qui était très circonspect, jugea peut-être que la puissance du César n'était pas encore assez bien assise, et que des rapports trop ostensibles avec lui auraient des inconvénients. Ce n'est que plus tard, tout à la fin de sa vie, que Julien aura la consolation de voir à sa cour le prudent néoplatonicien.

Les habitudes austères de Julien ont été louées par les historiens, par les panégyristes, et (ce qui est moins heureux) par lui-même[83]. Ses mœurs restèrent probablement irréprochables[84]. Il aimait à citer ce mot d'un lyrique grec : Le pinceau d'un habile artiste embellit un visage ; la pureté des mœurs est l'ornement de notre vie[85]. Sa sobriété était extrême : à la guerre, il se contentait de l'ordinaire du soldat[86] : dans son palais de Lutèce, il ne prenait que les nourritures les plus simples : il corrigeait les menus que Constance, dans sa prévoyance minutieuse, avait réglés d'avance pour la table du César, et en excluait les mets délicats, tels que le faisan ou les tétines de truie, si recherchées des Romains[87]. Julien, chez qui peu d'actions, même parmi les meilleures, étaient exemptes de vanité, mettait une véritable obstination à braver le froid. Lui-même a raconté, dans un écrit public, que pendant un hiver, à Lutèce, le froid était si vif que la Seine charriait d'énormes glaçons, pareils à des morceaux de marbre phrygien qui auraient roulé les uns sur les autres. Le fleuve était sur le point de se prendre entre les deux rives. Cependant, devenu plus dur que jamais, Julien défendit d'allumer du feu dans la cheminée de sa chambre[88]. Le moment arriva où le froid devint tout à fait insupportable. Il permit alors à ses domestiques de chauffer l'appartement ; mais de peur qu'une chaleur trop vive ne fit sortir l'humidité des murs, il voulut qu'on apportât seulement un réchaud, avec quelques charbons ardents. Cela lui porta si fort à la tête, qu'il s'endormit d'un lourd sommeil, et fut à moitié asphyxié. On m'enleva, raconte Julien, les médecins m'engagèrent à rejeter la nourriture que j'avais prise. Il n'y en avait pas beaucoup, par Jupiter ! je la rendis, et me sentis si soulagé, qu'après une nuit tranquille je pus le lendemain me remettre aux affaires[89].

Parmi les affaires qui occupaient Julien durant ses séjours à Lutèce, la plus importante était l'administration financière des Gaules. Tout a été dit sur la tyrannie fiscale de l'Empire, écrasant non seulement le contribuable, mais l'intermédiaire forcé, qui était le curiale, et tarissant, le plus souvent sans un réel profit pour l'État, toutes les sources de la richesse privée. Une grande partie des sommes arrachées par l'impôt à la misère du peuple passait aux mains de serviteurs ou de favoris, ou se perdait dans les prodigalités d'un luxe stérile, comme un fleuve détourné de son lit, et enlevé aux campagnes dont il entretenait la fertilité, pour aller se perdre dans les sables. En Gaule, pays surtout agricole, l'impôt le plus lourd était la contribution personnelle. Les propriétaires, qui payaient l'impôt foncier, étaient exempts de celle-ci. Un privilège spécial en dispensait la plèbe des villes. Restait la classe si nombreuse des cultivateurs, des colons, sur lesquels cette contribution pesait de tout son poids. Elle s'élevait, au commencement du règne de Julien, à vingt-cinq aurei par tête[90]. Mais parmi les contribuables, beaucoup étaient hors d'état de payer. Le préfet du prétoire, qui avait la charge de cette levée d'impôts, reversait alors sur ceux qui s'étaient acquittés de leur part celle des insolvables, au moyen d'une indiction supplémentaire[91]. Julien, qui savait que l'Illyrie avait été complètement ruinée par ce procédé fiscal[92], s'opposa avec énergie à ce que, sous son gouvernement, il fût appliqué en Gaule. Certainement, dit-il, Florentius corrigera son projet, qui est trop injuste[93]. Le préfet, cependant, insista, se déclarant responsable envers Constance de la somme demandée. Julien essaya de le persuader, refit lui-même les calculs, et lui démontra que la contribution déjà perçue était plus que suffisante pour les besoins auxquels elle était destinée[94]. Florentins ne se tint pas pour battu. Il agit, Dieu m'en est témoin, écrit Julien, comme un tyran un peu modéré n'eût osé le faire, et cela tout près de moi[95]. Le préfet, en effet, après un assez long temps, présenta de nouveau à Julien un projet de rôles supplémentaires[96]. Dans cet état de choses, écrit celui-ci, quel parti devait prendre un disciple zélé de Platon et d'Aristote ? Laisser sans rien dire des malheureux en proie à des brigands, ou bien les défendre de tout mon pouvoir, au moment où ils allaient exhaler le chant du cygne, grâce aux intrigues criminelles de ces pervers[97]. Abandonner leur défense serait, à ses yeux, aussi coupable que, pour un tribun militaire, déserter son poste devant l'ennemi. Si j'en dois souffrir, j'aurai mis au moins ma conscience en repos[98]. Julien repoussa donc le nouveau projet de Florentius, et, dans un moment d'irritation, prit le papier, et le jeta à terre[99]. Le préfet se plaignit à Constance de ce manque d'égards. Constance envoya à Julien une lettre de blâme. Celui-ci répondit avec fermeté : Il y a lieu de se réjouir si le provincial, pillé de toutes parts, peut acquitter néanmoins l'impôt régulier ; mais il ne faut pas lui demande de supplément, car aucun supplice ne pourrait obtenir davantage de gens déjà réduits à la misère[100]. n Le César eut gain de cause : aucune taxe additionnelle ne fut plus exigée des Gaules. Il obtint même de lever en son propre nom les contributions de la Seconde Belgique, ruinée par les incursions des Francs et le passage continuel des troupes romaines. On n'y vit point paraître les agents ordinaires du fisc : l'impôt, demandé au nom de Julien, rentra régulièrement : sans sommations, sans exactions, il fut versé par le contribuable avant même le terme fixé[101]. Du reste, Julien se garda d'accorder, comme l'avait fait naguère Constantin, aucune remise : les remises d'impôt, disait-il, profitent surtout aux riches[102]. Par ce mélange de douceur et d'équité, le César parvint à soulager efficacement les contribuables gaulois. Ce fut pour eux comme le soleil succédant aux ténèbres[103]. Quand Julien quitta la Gaule, la capitation était tombée de vingt-cinq aurei à sept, sans que les services publics fussent moins assurés[104].

On pourrait croire que ce récit, fait Par la plume amie d'Ammien Marcellin, contient quelque exagération dans la louange. Cela serait d'autant plus vraisemblable, que nous verrons Julien, devenu Auguste, s'inspirer en Asie de principes tout contraires à ceux qui dirigèrent son administration en Gaule. A Antioche, il commettra de véritables absurdités économiques. Il lui arrivera, en Orient, d'accorder ces remises d'arriéré qu'il considérait en Occident comme inutiles aux pauvres et profitables aux seuls riches. Mais tous ceux qui ont étudié le caractère de Julien et observé de près sa courte carrière, reconnaîtront qu'il est peu d'hommes à qui l'exercice du pouvoir absolu ait été plus funeste. Beaucoup de parties, dans le César, sont dignes d'admiration : peu d'actes de l'Auguste paraîtront exempts de blâme. A la première phase de la carrière de Julien appartiennent les sages mesures que nous avons racontées. Pour elles, l'éloge est unanime, et les écrivains chrétiens en parlent presque du même ton qu'Ammien Marcellin ou que Libanius. Saint Grégoire de Nazianze approuve Julien d'avoir, en allégeant les impôts, procuré à son peuple une courte et passagère félicité[105]. Saint Ambroise, rappelant que Valentinien II refusa toujours d'augmenter les contributions de ses sujets, et disait à ceux qui l'en pressaient : Ils ont peine à payer ce qu'ils doivent : comment acquitteraient-ils des taxes nouvelles ? ajoute : Les provinciaux avaient déjà loué cette conduite dans Julien[106].

Saint Grégoire félicite encore Julien du soin avec lequel il choisissait les magistrats et rendait lui-même la justice[107]. C'est ce que dit avec plus de détails Ammien Marcellin. Julien ne souffrait pas de juges prévaricateurs[108]. Lui-même siégeait dans les causes importantes. Diverses anecdotes semblent indiquer qu'il inclinait vers la clémence plutôt que vers la sévérité. Une fille avait été enlevée : il condamna le ravisseur à l'exil. Les parents se plaignirent qu'il n'eût point prononcé la peine de mort. Un empereur, répondit-il, doit toujours préférer la loi la plus douce[109]. Devant lui, en audience publique, était un jour accusé de vol ou de concussion Numerius, ancien gouverneur de la Narbonnaise. Celui-ci niait avec énergie : toute preuve manquait. L'avocat de l'accusation, Delphidius, s'écria avec emportement : Qui donc, glorieux César, sera maintenant jugé coupable, s'il suffit de nier pour paraître innocent ?Et qui donc sera innocent, répondit Julien, s'il suffit d'être accusé pour paraître coupable ?[110] Un jour, partant pour une expédition militaire, Julien reçut les plaintes de plusieurs de ses sujets. Il renvoya les plaignants aux gouverneurs de leurs provinces respectives. Revenu à Lutèce, il s'informa des suites qu'avaient eues leurs réclamations. Quand il eut appris que des peines sévères avaient été prononcées contre ceux dont ils se plaignaient, il révisa les jugements et atténua les peines[111]. L'indulgence de Julien ne dégénérait cependant pas en faiblesse. Il condamna un jour en appel un gouverneur accusé de péculat, que le préfet du prétoire Florentins avait acquitté[112]. Julien n'aimait pas, ajoute-t-on, les employés de la police. Quelques-uns de ceux-ci ayant été introduits dans le consistoire impérial où une somme d'argent devait leur être remise, l'un des agents étendit les deux mains au lieu de présenter, comme l'eût voulu l'étiquette, un pan de sa chlamyde : Ces gens-là, dit tout haut Julien, sont plus habitués à prendre qu'à recevoir[113]. Le propos, pour piquant qu'il fût, n'était peut-être pas très opportun, car un souverain gagne peu à ridiculiser ceux qu'il emploie ; mais Julien était léger et inconsidéré en paroles, nous dit Ammien Marcellin[114]. L'historien ajoute qu'il avait un amour immodéré de la popularité, et cherchait à gagner par de petits moyens les applaudissements du vulgaire[115] : des épigrammes contre sa propre police devaient amener à coup sûr ce résultat.

En nommant plus haut les principaux conseillers mis par Constance auprès de Julien, nous avons dit que Salluste semble avoir été le seul en qui le César ait eu confiance. C'était, écrit-il, un ami fidèle, un défenseur dévoué, toujours prêt à partager mes dangers, sans calculer les siens[116]. Leur liaison alla jusqu'à la confidence la plus intime. Mon souvenir, dit encore Julien, me retrace vivement et coup sur coup la communauté des peines que nous avons endurées ensemble, nos relations simples et pures, nos entretiens pleins de franchise et de loyauté, nos communs efforts dans la pratique du bien, notre répugnance invariable et notre courage inflexible à l'égard des méchants, goûts qui nous rapprochaient sans cesse, n'ayant qu'un cœur, les mêmes habitudes, inséparables amis[117]. Les intrigues d'un autre conseiller de Julien, Pentadius, aidé, à la cour de Constance, par le secrétaire Paul et par Gaudentius, obtinrent de l'empereur l'éloignement de Salluste, dont la faveur auprès du César avait sans doute causé des jalousies[118]. Constance, apparemment dans les premiers mois de 358, le manda près de lui en Illyrie, et lui donna un emploi en Thrace[119], le remplaçant en Gaule par un nommé Lucien[120]. Julien, à la fois affligé et froissé par le départ de son ami, trompa sa douleur en adressant au fonctionnaire déplacé une longue épître, de ce genre faux que Sénèque avait jadis mis à la mode. Celui-ci avait écrit la Consolation à Marcia ;Julien employa ses loisirs à rédiger, dans son palais de Lutèce, la Consolation à Salluste. C'est une de ses compositions les plus artificielles et les plus fades. Quelques mots, que nous avons cités plus haut, montrent la sincérité de l'affection réciproque qui unissait Julien et Salluste. Quelques phrases expriment aussi une confiance en la protection divine, qui semble partir d'un véritable sentiment religieux, et que l'on croirait exprimée par une plume chrétienne : Julien, du reste, avec cette prudence qui ne l'abandonne jamais, ne parle encore que de l'Être suprême, de Dieu, et se garde ici de toute expression mythologique[121]. Mais tout le reste est un assemblage de formules construites selon les règles de la plus mauvaise rhétorique du IVe siècle. Citations des poètes, des philosophes, allusions à l'histoire et à la fable, Hésiode, Homère, Pythagore, Socrate, Platon, Scipion, Lélius, tout se rencontre, hormis le naturel et la simplicité. Quels charmes trouver pour apaiser mon âme troublée par la douleur ? Devrons-nous imiter les accents de Zamolxis, ou reproduire les épodes magiques que Socrate apporta dans Athènes, et qu'il crut devoir employer pour le beau Charmide, afin de le guérir de son mal de tête ? Ou bien, si nous ne pouvons mouvoir de si grands ressorts, faits pour de plus vastes scènes, de même qu'on ne saurait introduire de grosses machines sur un petit théâtre, recueillons l'élite des faits anciens, comme les plus belles fleurs d'un pré richement émaillé, afin de nous réjouir l'âme par des récits assaisonnés d'un peu de philosophie. C'est de la sorte, je pense, qu'aux mets trop doux on ajoute quelques ingrédients qui en déguisent la fadeur[122]. Et, pour conclure un aussi laborieux exorde, Julien cite, avant d'entrer en matière, ce vers de l'Odyssée : Par quoi commencer ? comment continuer ? par quoi finir ?[123] On entend d'ici le ton de tout le morceau. S'il ne s'y rencontrait, en bien petit nombre, quelques notes plus simples et plus touchantes, on serait tenté de dire de cette singulière élégie :

Ce n'est que jeux de mots, qu'affectation pure,

Et ce n'est pas ainsi que parle la nature.

Il est probable que Julien ne regretta pas en Salluste l'ami seulement. Tout porte à croire que leur union avait une autre cause. Salluste, à qui il dédiera plus tard son discours sur le Roi Soleil, semble avoir été dès lors soit païen déclaré, soit secrètement favorable à l'ancienne religion. Comme les fonctionnaires placés par l'empereur autour de Julien avaient été vraisemblablement choisis parmi les adversaires de l'idolâtrie, Salluste se trouvait ainsi former au milieu d'eux une exception, et être auprès du César un des représentants de l'opposition religieuse au gouvernement de Constance. Avec le bibliothécaire Évhémère, qui était païen d'ancienne date, avec le médecin Oribase, qui semble avoir été dès cette époque gagné au culte des dieux[124], il faisait partie du petit groupe auquel Julien osait tout à fait ouvrir son cœur. Désormais, écrit celui-ci après le départ de Salluste, je demeurerai seul, privé de nos libres causeries, car il n'y a plus personne avec qui je puisse converser de même dans un aussi complet abandon[125].

Julien eût craint certainement d'entretenir des rapports religieux avec les païens de Lutèce. A en juger, du reste, par les monuments qui nous sont parvenus de cette ville, le paganisme y était fort mélangé, et les dieux de la Grèce et de Rome s'y joignaient, dans les mêmes sanctuaires, aux dieux indigènes dont la politique romaine avait respecté ou favorisé le culte. Sur les diverses faces d'autels trouvés dans la cité, Esus, Cerunnos, le Tarvos Trigaranus, se rencontrent sculptés en compagnie de Jupiter, de Vulcain, des Dioscures[126]. Ce syncrétisme barbare qui se retrouve, sous des formes et avec des noms divers, dans toute la Gaule, devait peu sourire à Julien. On le verra tout accepter des cultes les plus grossiers de l'Orient, s'efforcer de réhabiliter leurs plus vilaines fables : mais il n'était probablement pas disposé à, se conduire de même envers la mythologie celtique, dont la rudesse couvrait cependant moins d'impuretés. Ses écrits ne renferment aucune allusion aux dieux indigènes. César, qui a conquis la Gaule, parle d'eux, probablement avec bien des inexactitudes[127] ; la curiosité amusée du satirique Lucien s'en occupe[128] : Julien, qui administra pendant quatre ans les vastes contrées comprises entre l'Océan et le Rhin, ne semble pas s'être aperçu qu'une religion nationale y coexistait avec le culte romain, représentée soit par des personnages aux formes et aux attributs bizarres, soit par la multitude des divinités topiques. Il parle avec sympathie des mœurs simples et sévères des habitants de Lutèce[129] ; il déclare que les Gaulois honorent en Vénus la déesse des justes noces et en Bacchus le père des joies honnêtes[130] ; mais il ne désigne par leur nom aucun des dieux autochtones. Le paganisme hellénique ou asiatique de Julien ne trouvait point à s'appuyer sur l'idolâtrie particulière au pays, ou à se compléter en empruntant à celle-ci des traits originaux. L'ami ou le correspondant des hiérophantes de l'Asie ne chercha jamais s'il y avait encore, dans la Gaule du IVe siècle, comme il y en avait en effet, des représentants des vieilles familles druidiques. Julien qui, en dehors des choses de la guerre ou du gouvernement, était peu observateur (ses écrits en font foi), poursuivit en Gaule le rêve religieux commencé à Éphèse et à Athènes, sans y rien ajouter.

C'est en secret, dans l'ombre de son palais de Lutèce, qu'il satisfaisait sa dévotion. Ammien Marcellin raconte que la première heure du jour y était consacrée. Quand Julien se levait, après le court sommeil de la nuit, il commençait par prier en cachette Mercure, que la théologie nous apprend être l'âme agile du monde et le moteur des esprits[131]. C'est un Mercure tout néoplatonicien, ne rappelant guère plus le Mercure homérique ou romain que le Mercure gaulois ou germanique que Jules César et Tacite avaient cru découvrir[132]. Ammien ajoute que Julien pratiquait la divination sous sa double forme, l'haruspicine et l'art augural[133]. Il faisait, ajoute l'historien, ce que firent de tout temps les adorateurs des dieux, avec la connivence d'un petit nombre de personnages, dépositaires de ses secrets[134]. Mais, pour tout autre que ces intimes confidents, l'apostasie du César demeurait couverte d'un voile, et, comme autrefois, par crainte de Constance sans doute, mais aussi par ménagements pour l'opinion publique, il gardait les habitudes extérieures d'un chrétien[135].

 

III. — La délivrance du Rhin.

Pendant son séjour à Lutèce, Julien ne s'occupa pas seulement de religion, de littérature, ou même de l'administration publique : il ne cessait de penser aux choses militaires. Les premiers mois de 358 furent par lui consacrés à méditer un grand dessein et à en préparer l'exécution.

Julien ne s'était pas laissé éblouir par les victoires de l'année précédente. Il sentait que si elles avaient relevé la gloire du nom romain, elles ne pouvaient cependant procurer à la Gaule qu'un repos momentané. Son esprit prévoyant comprenait que ces luttes de détail seraient sans fin, et renaîtraient d'elles-mêmes, si l'on ne parvenait à délivrer de toute influence étrangère la ligne du Rhin, qui aux beaux temps de l'Empire servait de limite à la Germanie Inférieure et traversait par le milieu la Germanie Supérieure. Le grand fleuve avait une double valeur, économique et stratégique. C'est par lui que pénétrait directement jadis le blé importé de Bretagne en Germanie : maintenant, débarqué dans les ports gaulois, on était obligé de le convoyer péniblement et à grands frais par terre jusqu'aux villes encore occupées par les Romains en pays rhénan[136]. Le Rhin avait servi surtout au ravitaillement des places fortes semées sur ses deux rives et aux mouvements de troupes d'une garnison à l'autre. En rendre de nouveau la navigation libre aux embarcations romaines était le seul moyen de consolider les succès récents et de leur faire porter des fruits. Il fallait, coûte que coûte, refaire la flotte de Germanie, rétablir ses stations et ses escadres échelonnées depuis l'embouchure du fleuve jusqu'à Spire et même au delà[137]. Mais bien loin était le temps où Germanicus remontait l'Ems avec mille bateaux pour aller venger la défaite de Varus[138]. La classis germanica n'existait plus guère que de nom. Le peu de navires qui en testait pourrissait sans emploi sur quelque rivage[139]. Presque en aucun point le parcours du fleuve n'était maintenant sans danger pour des vaisseaux romains. Vers l'embouchure, ils devaient redouter les tribus franques qui, à plusieurs reprises, avaient envahi la Belgique, et y possédaient désormais une installation fixe. Les diverses nations allemandes menaçaient toujours le cours du Rhin, et si Julien avait fait sentir aux unes le poids de ses armes, d'autres se pressaient derrière elles, encore indomptées, et toujours prêtes à paraître au bord du fleuve pour intercepter le passage. Affranchir le Rhin était donc l'œuvre à tenter sans retard. Mais elle était ardue et multiple. La nécessité de l'accomplir se montrait évidente ; ses difficultés paraissaient formidables.

Julien alla d'abord au plus pressé, en essayant de reconstituer matériellement la flotte. Il avait environ deux cents navires, ou débris de l'ancienne classis germanica, ou empruntés à l'autre flotte, la classis britannica. Ce chiffre nous parait énorme, mais ne doit pas faire illusion : ces navires étaient des barques, pontées ou non pontées[140], capables d'évoluer non seulement sur le Rhin, mais sur les rivières voisines[141]. C'était trop peu pour atteindre le but que se proposait Julien. Il fit construire en moins de dix mois quatre cents autres navires[142], et posséda ainsi le nombre d'embarcations jugé nécessaire pour occuper solidement le cours du Rhin.

Mais avoir les navires, et les tenir sous sa main, partie à Boulogne, partie en Bretagne[143], ne suffisait pas. Il fallait maintenant leur ouvrir le fleuve, et là gisait la grosse difficulté. Julien avait soumis l'année précédente les Alemans qui tenaient les deux rives du Rhin de Mayence à Strasbourg, entre la Moselle et la Meuse. Mais toute la région inférieure du fleuve, de Mayence à la mer, était encore pour la plus grande part au pouvoir de la barbarie, maîtresse d'en fermer l'accès aux navires romains. Le préfet du prétoire, Florentins, essaya de résoudre la question par des moyens pacifiques. Sans l'aveu de Julien, il entra en pourparlers avec les Barbares, et offrit d'acheter moyennant deux mille livres d'argent la libre entrée du Rhin[144]. Constance, averti, ne désapprouva pas la négociation, et conseilla à Julien de la ratifier, à moins qu'il ne trouvât la condition trop déshonorante[145]. Julien se montra révolté à la pensée de payer un tribut aux Germains[146] : probablement aussi comprit-il que le marché serait peu durable, et qu'une fois en possession de l'argent romain, les adversaires de l'Empire ne tarderaient pas à oublier leurs engagements. Il rompit donc toute négociation, et, résolu à prendre l'offensive, il dressa son plan de campagne.

Il s'agissait d'une nouvelle guerre, qui, dans sa pensée, durerait cinq ou six mois[147] et aurait un double objet : d'abord, chasser les Francs de Belgique, ensuite passer sur l'autre rive pour y disperser les Alemans. C'étaient deux grands coups à frapper vite, sans laisser à l'ennemi le temps de se reconnaître. Pour y parvenir, Julien voulut devancer l'époque habituelle des opérations militaires. Ordinairement, elles commençaient, pour les armées de la Gaule, au mois de juillet. La moisson était alors terminée dans les régions du sud-ouest, et les troupes complètement approvisionnées de blé pour toute la durée de la campagne[148]. Mais Julien ne pouvait attendre jusque-là Il emprunta aux magasins des diverses garnisons une provision de biscuit[149] pour vingt jours, que les soldats emportèrent dans leurs sacs. L'armée se mit en marche dès le mois de mai.

Sur la nouvelle de l'expédition, les Saliens établis en Toxandrie, c'est-à-dire dans la plaine de la rive gauche du Rhin, entre les bouches de ce fleuve et la Meuse, envoyèrent au devant de Julien. Leurs députés devaient le supplier de ne point les chasser des terres qu'ils occupaient depuis deux générations, et de les considérer comme des alliés et des vassaux. Les mouvements de Julien avaient été si rapides, que les envoyés francs le rencontrèrent à Tongres, alors qu'ils le croyaient encore à Paris. Le César leur fit une réponse évasive, et les renvoya : mais en même temps, agile comme la foudre[150], il tomba, avec une partie de ses troupes, sur leur pays, tandis que le reste de l'armée, sous la conduite de Sévère, suivait les bords de la lieuse. Surpris, déconcertés, les Saliens firent à peine une ombre de résistance, et presque aussitôt se soumirent. En considération de leur prompte obéissance, et de leur possession déjà longue, Julien ne les expulsa pas : il se contenta d'enrôler parmi les auxiliaires romains une partie de leurs guerriers, et d'en former ces corps de Saliens que cite la Notitia Dignitatum[151]. Mais il se porta aussitôt vers les Chamaves, autre tribu franque qui de la Batavie avait récemment envahi, sur la rive gauche du Rhin, les terres les plus voisines de son embouchure, et rendaient impossible, dit un contemporain, tout envoi de vivres de l'île Britannique aux cantonnements romains[152]. Ceux-ci étaient des intrus, dont le temps n'avait pu légitimer l'établissement en terra d'Empire, et à qui l'on ne pouvait laisser plus longtemps la clef du Rhin. Aussi, malgré leurs supplications, Julien leur fit-il une guerre sans merci. Les Barbares n'éprouvaient ordinairement aucune répugnance à tourner leurs armes les uns contre les autres. Les armées romaines étaient pleines de Francs, d'Alemans ou de Saxons, que nul scrupule n'empêcha jamais de combattre leurs frères. Julien forma sur le champ de petites troupes de Saliens, qu'il mit sous les ordres d'un aventurier, lui-même d'origine barbare, nommé Charrietton, une sorte de géant, moitié brigand, moitié soldat, dont l'âme avait quelque chose d'une bête féroce[153]. Ces irréguliers firent beaucoup de mal aux Chamaves, attaqués par eux pendant la nuit, et combattus de jour par les troupes régulières. La tribu, refoulée de toutes parts, finit par repasser le Rhin, et de là, craignant d'être poursuivie, demanda la paix. On raconte que le roi des Chamaves étant venu en personne l'implorer de Julien, celui-ci lui demanda son jeune fils en étage. Le roi répondit en pleurant que l'enfant avait péri pendant la guerre. Julien le fit alors paraître à ses yeux : il avait été fait prisonnier dans une des razzias opérées par les bandes de Charrietton. Julien le garda, en promettant de le bien traiter, accorda la paix, à condition que les Chamaves ne remettraient plus le pied sur le territoire romain, et enrôla encore parmi les auxiliaires les plus robustes et les plus braves de ces Barbares[154].

Julien ne voulut pas quitter la Belgique sans rétablir, sur les bords de la Meuse, trois forts détruits par les Chamaves. Il y laissa une garnison, avec la plus grande partie de la provision de biscuit que portaient les soldats. Pour assurer désormais la subsistance de son armée, il comptait sur les moissons abandonnées par les Chamaves, et se proposait de les faire couper par des ouvriers militaires, comme l'année précédente les blés d'Alsace. Mais il se trouva que la moisson n'était pas mûre. L'armée souffrit bientôt de la disette. Le soldat commença à se mutiner. On appelait tout haut Julien de noms injurieux. Ce n'était plus le très heureux et victorieux César. mais l'asiatique, le petit Grec, le trompeur, l'incapable caché sous un masque de faux sage. Où nous entraîne-t-il ? disaient les mécontents. Hier, il fallait supporter les gelées et les neiges : aujourd'hui, nous voilà exposés à mourir de faim. Nous ne sommes point exigeants, cependant : nous ne demandons que notre vie, et nous ne réclamons point l'argent qu'on nous doit, bien que nous n'en ayons ni touché ni vu depuis longtemps, traités comme si nous avions travaillé contre l'État, au lieu d'affronter pour lui toutes les fatigues et tous les dangers ![155]

Ainsi, du moins, Ammien résume les plaintes des soldats, en ajoutant que depuis l'arrivée de Julien en Gaule, ils n'avaient ni reçu de gratification extraordinaire, ni même touché régulièrement leur solde. L'historien raconte que les agents de Constance veillaient de si près à empêcher Julien de se rendre populaire par des distributions d'argent, qu'un jour, ayant donné quelque monnaie à un soldat qu'il avait appelé pour lui couper la barbe, le César fut dénoncé à Constance par le notaire Gaudentius[156]. L'habituelle exactitude d'Ammien rend difficile de contester ces assertions[157] : cependant elles n'émanent plus d'un témoin oculaire, puisqu'il avait depuis 357 suivi Ursicin en Orient, et il se trouve qu'elles s'accordent mal avec d'autres récits. Libanius (on s'en souvient) rapporte que Julien encourageait les soldats, en donnant une récompense en argent pour chaque tête coupée d'ennemi. Si le fait est vrai, le César avait donc à sa disposition les sommes nécessaires pour récompenser les actes de courage[158]. On a vu d'ailleurs qu'il intervenait avec sollicitude dans toutes les questions relatives à l'administration fiscale, et surveillait de très près la levée des impôts. Il serait peu croyable qu'un aussi bon administrateur n'eût pas trouvé les moyens d'assurer à ses troupes le paiement à peu près régulier de leur solde. Le butin pris sur l'ennemi, et que nous savons avoir été quelquefois très abondant, eût pu, d'ailleurs, en bien des cas y suppléer. La disette où fut réduite l'armée, par une imprudente mesure de Julien, expliquerait suffisamment la mutinerie des soldats[159].

Ammien ne nous dit malheureusement pas comment Julien parvint à ramener ceux-ci à l'obéissance : il laisse voir seulement qu'il usa, pour y parvenir, de toute espèce de flatteries[160]. L'armée consentit enfin à se remettre en route pour la seconde partie de la campagne. Il s'agissait de rentrer en Germanie. On passa le Rhin sur un pont de bateaux. Mais Sévère, qui commandait l'avant-garde, n'avait plus son zèle accoutumé. Malade, et sentant sa mort prochaine, il ne s'avançait qu'avec répugnance sur le sol ennemi. Au lieu d'encourager ses éclaireurs, il leur reprochait d'aller trop vite, et voulait les contraindre à déclarer qu'ils ne connaissaient pas le chemin. Heureusement, les Alemans ne se rendirent point compte de cet état d'esprit. Un de leurs rois, Suomaire, craignant d'être chassé du canton qu'il occupait, accourut au devant de Julien, et, tombant à ses genoux, lui demanda la paix. Julien n'hésita pas à traiter. Il imposa à Suomaire l'obligation de rendre tous les Romains qu'il avait en captivité, et de fournir des vivres à l'armée.

Restait, dans un canton voisin, un autre chef, Hortaire, qui n'avait point offert de soumission. Julien envoya contre lui des troupes commandées par Nestica, tribun des Scutaires, et par l'aventureux Charrietton. Un prisonnier allemand servait de guide. Les soldats marchèrent difficilement, trouvant, selon la coutume des Barbares, tactique naturelle de ces pays de forêts, les chemins obstrués par des abattis de grands arbres. Il fallut tourner ces retranchements improvisés, et faire de longs circuits avant d'arriver au pagus gouverné par Hortaire. Exaspérés par les obstacles qu'ils avaient rencontrés, les soldats ravagèrent tout, enlevant les troupeaux, faisant prisonniers les habitants, tuant ceux qui résistaient. A la vue de soit pays dévasté et de ses villages en flammes, Hortaire demanda grâce. Il jura de restituer tous les captifs romains. Mais il tint mal sa parole. Par ceux qu'il avait renvoyés libres, Julien apprit qu'un grand nombre d'autres demeuraient aux mains du Barbare. Indigné, le César déclara qu'il garderait en otage et rendrait responsables quatre des plus chers et des plus fidèles compagnons du roi[161]. Celui-ci sollicita une entrevue. Prosterné devant Julien, il s'engagea à renvoyer tous les captifs, promit de fournir gratuitement le bois et les pierres nécessaires pour réparer les villes romaines de la région, mais ne put s'engager, comme Suomaire, à ravitailler les troupes : son pays avait été trop ravagé par elles : il n'y restait ni une tête de bétail, ni une gerbe de blé[162].

Ainsi les deux principaux chefs qui menaçaient à ce moment le cours du Rhin furent soumis et devinrent tributaires de Rome. Des milliers de captifs, qui, depuis plusieurs années, servaient chez les Barbares, et les suivaient dans leurs migrations, recouvrèrent la liberté. Les cités démantelées des provinces rhénanes commencèrent à se relever : leurs curies diminuées par l'absence de beaucoup de notables, prisonniers des Germains, purent se reconstituer : l'industrie retrouva les bras qui manquaient : il y eut, grâce au retour des captifs, de nombreux mariages : toutes les sources de la vie sociale se rouvrirent et des régions hier encore désolées prirent un air de fête[163]. Entrant librement par l'embouchure du fleuve, d'où avaient fui les Chamaves, et descendant entre deux rives pacifiées, la flotte reconstruite par Julien apportait sans obstacle aux populations romaines de la Germanie les blés de Bretagne, et faisait flotter les enseignes impériales aux yeux des Germains réduits à l'impuissance.

Vers le mois de juillet[164] de l'année suivante, Julien crut nécessaire d'affermir ces résultats par une nouvelle expédition sur le Rhin.

La première partie de la campagne consista dans une inspection minutieuse des villes dont la restauration avait été ordonnée, depuis Mayence jusqu'à l'embouchure du fleuve : Julien visita ainsi sept places, dont Bingen (Bingio), Antemach (Antumacum), Bonn (Bonna), Neuss (Novesium), Kellen (Tricesimæ), activant et surveillant les travaux. Comme sa présence excitait le zèle de tous, les rois allemands exécutèrent les traités, en fournissant les matériaux promis, et les soldats des garnisons romaines se firent ingénieurs, charpentiers, maçons : non seulement les légionnaires, habitués à tous les travaux manuels, mais même les auxiliaires barbares, qui par nature y répugnaient, rivalisèrent d'ardeur : on vit de ces derniers traîner des poutres dépassant cinquante pieds de long, taillées dans les arbres géants des forêts germaniques. Julien fut rejoint, au cours de son inspection, par le préfet Florentins, qui amena de grands convois de vivres.

La seconde partie de la campagne eut un caractère moins pacifique. On avait remonté les bords du fleuve jusqu'à Mayence. Florentins et Lupicinus, qui avait remplacé ; comme maitre de la cavalerie, Sévère récemment décédé, pressaient Julien de faire passer ses troupes par le pont permanent construit sous Trajan en cet endroit. Julien refusa, car l'armée eût débouché dans les États de Suomaire, devenu l'allié de Rome, et les dégâts inévitablement faits par le soldat auraient pu troubler une paix récente et toujours fragile. Ces précautions étaient d'autant plus nécessaires que d'autres rois allemands, qui n'avaient point pris part aux combats de l'année précédente, étaient accourus avec leurs contingents, et voulaient obliger Suomaire à empêcher par la force les Romains de passer le Rhin. Julien continua donc à remonter la rive gauche avec son armée, jusqu'à un point jugé favorable pour y jeter un pont de bateaux. Mais, sur la rive opposée, les hordes germaniques suivaient le mouvement de ses troupes, et campaient la nuit en face du lieu où elles apercevaient les feux du camp romain. Julien tenta alors une diversion : il continua son mouvement au delà de l'endroit où il avait décidé de passer le fleuve : en même temps trois Cent soldats, sous les ordres d'un tribun, furent embarqués sur quarante chaloupes, et de nuit, en silence, ayant réussi même à étouffer le bruit des rames, débarquèrent sur la rive droite. Ils manquèrent de surprendre au milieu d'un festin les chefs germains, qui ne durent leur salut qu'à la vitesse de leurs chevaux. Beaucoup de leurs serviteurs furent tués. Profitant du désordre et de l'effroi causés par cette aventure, Julien revint en arrière, jeta un pont au lieu précédemment fixé, et passa. L'armée romaine traversa, sans y faire aucun dégât, le canton du roi Hortaire, avec lequel on avait traité l'année précédente ; mais, arrivés en pays ennemi, les soldats y mirent tout à feu et à sang. On ravagea ainsi le territoire allemand jusqu'aux limites des Burgondes, vers les sources du Mein. Là Julien établit son camp.

Il y reçut la soumission de deux chefs allemands, les frères Marien et Hariobaude. Un autre prince allemand, Vadomaire, allié des Romains, mais qui, semble-t-il, n'avait point tenu tous ses engagements[165], vint aussi des environs de Bâle, où il résidait, trouver le César, apportant comme recommandation une lettre de Constance. Vadomaire s'était chargé des intérêts d'autres chefs, Urius, Ursicin et Vetralp, pour lesquels il demandait aussi la paix. Julien consentit à traiter avec Marien et Hariobaude : il reçut amicalement Vadomaire, mais refusa d'épargner sur sa parole les trois chefs dont celui-ci s'était fait l'avocat. Les Barbares, dit-il, sont gens de peu de foi ; nous partis, ils n'observeront pas les engagements pris par autrui en leur nom. On continua de ravager le pays des clients de Vadomaire, jusqu'à ce que ceux-ci, voyant les moissons brûlées, les maisons en cendres, les habitants pris ou tués, eussent envoyé des ambassadeurs dûment accrédités demander grâce. La condition de tous les traités de paix fut la libération des prisonniers faits par les Barbares : de nombreux Romains furent encore rendus à la liberté.

Julien a résumé, avec un juste orgueil, les résultats des deux campagnes de 358 et de 359. J'ai traversé trois fois le Rhin, et j'ai ramené d'au-delà de ce fleuve vingt mille prisonniers repris sur les Barbares. Deux batailles et un siège m'ont mis en possession de mille hommes capables de servir et à la fleur de l'âge. J'ai envoyé à Constance quatre cohortes d'excellents fantassins, trois autres de plus ordinaires, et deux superbes escadrons de cavaliers. Je suis mettre en ce moment, grâce aux dieux, de toutes les villes, et j'en pris alors plus de quarante[166]. Ceci est dit avec une simplicité et une brièveté vraiment impériales, qui contrastent avec le verbiage ordinaire de Julien. L'énergie militaire des actions a, par exception, passé ici dans le style. On croirait lire un fragment des Res gestæ divi Augusti, gravées par le premier empereur romain sur les murailles du temple d'Ancyre.

 

IV. — L'usurpation de Julien.

On se tromperait fort en croyant que d'aussi grands succès furent accueillis avec enthousiasme à la cour de Constance. La relation que Julien, conformément aux ordres qu'il avait reçus, envoya de sa campagne de 358 excita, dit Ammien, des sentiments tout contraires. Probablement en fut-il de même l'année suivante. Les gouvernements absolus sont comme les démocraties : ils aiment peu les généraux victorieux. Les courtisans crurent, cette fois encore, plaire au maitre en rabaissant les victoires du César.

Peut-être des connaisseurs en art militaire, familiers en même temps avec l'histoire des anciennes guerres, eussent-ils pu, en effet, joindre à une admiration légitime quelques réserves. Comme l'a dit un historien moderne, soit qu'Ammien Marcellin, qui est, sans comparaison aucune, la meilleure autorité pour tous ces temps, ne sache pas raconter nettement les opérations ; soit que, ce qui parait plus vraisemblable, les opérations n'aient plus le caractère de l'école où s'étaient formés les légions et les généraux de la République, toujours est-il que, dans ces trois campagnes, on chercherait vainement rien qui soit comparable à celles de Jules César sur ce même terrain, à l'action méthodique des légions, au robur peditum où résidait la précellence romaine, à la puissante discipline qui des corps armés faisait de redoutables engins de destruction, aux campements réguliers qui, chaque soir, assuraient si bien le lendemain de l'armée. L'art de la guerre avait sensiblement baissé ; elle était devenue moins savante et elle avait pris quelque chose de l'irrégularité des Barbares contre lesquels on combattait[167].

Par un autre côté encore, la manière de combattre de Julien pouvait prêter à la critique. Quand on lit de près Ammien Marcellin, et avec lui les autres historiens de Julien, on s'étonne de tout ce qui, dans ses campagnes, se commit de cruautés inutiles. Souvent le César refuse d'accepter la soumission de toute une peuplade d'Ale-mens ou de Francs, afin de pouvoir en mettre à feu et à sang le territoire. Il est sans cesse question d'habitants égorgés et de villages livrés aux flammes. On brûle stupidement les moissons sur pied, au risque de nuire aux intérêts de l'armée elle-même. Les soldats sont encouragés à ne faire de quartier à personne, s'il est vrai que pour chaque tête coupée on leur donne une gratification. Tous les excès reprochés aux envahisseurs germains, les Romains les leur rendent avec usure. Ils paraissent chercher avant tout à les frapper de terreur. Ils se conduisent avec eux comme, hélas ! de tout temps et sous tous les cieux les civilisés se sont cru le droit de se conduire envers les Barbares. A des sauvages ils font une guerre de sauvages. Sans doute, Julien eût pu invoquer à l'appui de ces mœurs militaires d'innombrables précédents. Il ne faisait que suivre les exemples de ses prédécesseurs. Mais ceux-ci n'étaient pas des philosophes, et peut-être eût-il été digne d'un philosophe d'inaugurer une autre manière de combattre des hommes qui, après tout, n'étaient point réfractaires à la civilisation romaine.

Mais les adversaires de Julien à la cour de Constance fussent malaisément entrés dans cet ordre d'idées. Ce qu'ils contestaient en Julien était précisément ce qu'il avait de moins contestable : son intelligence militaire et son courage personnel. Raillant l'aspect hirsute, dont aussi bien Julien avait eu jadis le tort de se faire gloire[168] : Ce prétendu victorieux est un bouc, disaient-ils, et non un homme. Son amour de la retraite, de l'éloquence, de l'étude, était tourné en ridicule : ils l'appelaient une taupe bavarde, un singe vêtu de pourpre, un Grec pédant. Mais, ce qui était aussi absurde qu'odieux, ils allaient jusqu'à l'accuser de lâcheté, le traitant d'homme timide, qui se tient à l'ombre, et décore de belles paroles des actes insignifiants[169].

Ammien prétend que Constance prenait plaisir à ces misérables plaisanteries. S'il agissait ainsi, il se montrait à la fois ingrat et injuste. Mais, à en croire Mamertin, d'autres ennemis que Julien avait à la cour employaient contre lui des moyens plus insidieux. Ceux-ci (qui jouaient, à la vérité, assez gros jeu) affectaient de le glorifier devant Constance. Aux efforts tentés pour rabaisser le César, ils répondaient en l'exaltant, au contraire, outre mesure. Ils parlaient avec une admiration feinte de l'état lamentable où il avait trouvé la Gaule, et de la sécurité qu'il lui avait rendue. Ils montraient les Germains abattus, les villes relevées, les captifs délivrés, le jeune prince passant l'été au camp, l'hiver au tribunal[170]. C'était piquer Constance à l'endroit sensible, et l'animer contre Julien. Mais peut-être le sentiment de basse envie dont parle le panégyriste n'entrait-il pas, alors, seul en jeu. Constance pouvait avoir des raisons sérieuses de suivre d'un regard inquiet l'effet produit non seulement en Occident, mais encore parmi les populations païennes de l'Orient, par la popularité croissante de Julien.

Les nouvelles arrivées de l'Occident les agitaient. Dans ces milieux où la Gaule et la Germanie étaient considérées comme des contrées barbares, on se prenait pour elles d'un intérêt soudain. Les riverains de l'Oronte montraient une joie inattendue, en apprenant que le Rhin était de nouveau ouvert aux flottes romaines[171]. Le parti de l'opposition, que nous avons vu naguère près de se rallier autour de l'étudiant encore obscur de Nicomédie ou de Pergame, se réjouissait visiblement de l'autorité que gagnait chaque jour le César. En lui se concentraient de plus en plus les espérances de ceux qui rêvaient un changement politique ou religieux. Ceux-ci demandaient aux dieux de mettre fin au fléau qui ruinait le monde — c'est-à-dire au règne de Constance — et de faire jouir le reste de la terre du bonheur des Gaulois[172]. Antioche, — dira plus tard Libanius, racontant à Julien lui-même les impressions de cette époque, — Antioche ne demandait sans doute pas publiquement aux dieux l'empire du monde pour toi ; cela n'était pas permis : mais chacun, à part soi, ou dans les sociétés de ceux qui avaient les mêmes sentiments, ne cessait de supplier Jupiter de mettre fin à un état de choses où se consumait l'Empire[173]. Il est peu probable que tel fût le vœu de tous les habitants d'Antioche, car la majorité, dans cette ville, était dévouée au Christ et à Constance[174], et se montrera toujours peu favorable à Julien ; mais c'étaient au moins les sentiments de la petite et ardente minorité païenne au milieu de laquelle vivait Libanius.

Toujours prudent, Julien paraissait les ignorer. Il multipliait, au contraire, les preuves de loyalisme. Probablement exagérera-t-il beaucoup en disant plus tard aux Athéniens : Je prends ici Jupiter, ainsi que tous les dieux protecteurs des villes et des nations, pour témoins de mon dévouement et de ma fidélité envers le prince, à l'égard duquel je me suis montré comme je voudrais qu'un fils se conduisit avec moi[175]. Mais il est peut-être dans le vrai, quand il ajoute : Je lui ai témoigné une déférence telle, que pas un des Césars n'en a fait voir aux empereurs qui l'ont précédé[176]. Une des marques de cette déférence fut l'empressement de Julien à mettre au service de Constance toutes les ressources de sa rhétorique. Aux railleries dont les flatteurs de celui-ci poursuivaient le César lettré, il répondait en exaltant, dans de laborieuses compositions, les vertus de l'Auguste. C'était, apparemment, aussi spirituel qu'habile. Le second panégyrique de Constance, écrit pendant un des séjours de Julien à Lutèce, à une date qui semble flotter entre la fin de 358 et les premiers mois de 360, peut être considéré comme un moyen ingénieux et honorable de désarmer les préventions dont il se sentait l'objet à la cour.

Ce second panégyrique n'est guère, quant aux idées et aux faits, que la répétition du premier ; ce sont les mêmes divisions : famille et éducation de Constance, guerres civiles, guerres étrangères, avec peu de détails nouveaux, quelques traits seulement ajoutés çà et là aux récits de batailles, mais, en revanche, une plus grande incohérence de rédaction et de plan. Les allusions mythologiques et les citations d'Homère, à tout propos et hors de tout propos, font l'effet le plus étrange, mêlées au récit d'événements contemporains, et forment, sur la trame unie et sobre de pages d'histoire, une bigarrure qui choque le goût moderne, comme elle eût choqué le goût épuré et délicat des vrais anciens. C'est la mauvaise rhétorique grecque du quatrième siècle. Quelques points, cependant, méritent d'être signalés.

Il semble que Julien craigne moins de laisser voir désormais, bien que dans une ombre encore discrète, quelque chose de ses sentiments religieux. Ils sont, en apparence, assez compliqués. Telle page est d'un platonicien, presque d'un chrétien, et vraiment fort belle. Un Père de l'Église n'eût pas désavoué ce qu'il dit de nos devoirs envers cet Être pur de tout mélange avec un corps terrestre, que nous nommons Dieu. Julien déclare qu'il y aurait imprudence et folie à ne pas obéir à Dieu, dans la mesure de nos forces, si nous avons souci de la vertu. Mais l'obéissance à Dieu ne suffit pas : il faut aussi lui rendre le culte légitime, et ne pas négliger l'hommage dû à l'Être suprême. Une piété profonde fait partie de la vertu, car la religion est fille de la justice[177]. Mais sur cet admirable déisme Julien, à la faveur des licences accordées aux rhéteurs, va greffer tout le polythéisme. Ayons l'œil sur le roi des dieux, dont un vrai prince doit être l'organe et le ministre[178]. Tout bien est venu et provient encore de ce divin auteur : il n'a point produit les maux, mais il les a bannis du ciel, et, quand il les a vus se répandre sur la terre, et s'attacher à la colonie d'âmes venue d'en haut, il a préposé, pour les juger et pour les détruire, ses fils et leurs descendants. Parmi ces fils, les uns sont les sauveurs et les protecteurs du genre humain ; les autres, des juges inexorables, qui infligent un châtiment sévère aux hommes vivants ou dégagés des liens du corps ; d'autres, exécuteurs des vengeances et bourreaux des condamnés, constituent la tribu des démons pervers et insensés[179]. La récompense promise au souverain qui par ses bienfaits aura mérité l'amour de ses peuples est toute païenne. Les dieux devanceront les prières de ses sujets, et, tout en lui accordant d'abord les dons du ciel, ne le priveront pas des biens humains. Enfin, quand le destin l'aura fait descendre au mal et aux chances incurables de la vie, ils les recevront dans leurs chœurs et dans leurs festins, et répandront sa gloire parmi les mortels. Voilà les vérités que j'ai souvent entendues de la bouche des sages, et que me persuade la raison[180].

Toute cette mythologie pouvait aisément passer pour la couleur poétique répandue sur un discours plein des souvenirs de l'antiquité. Cependant, on remarquera que les images de cette nature étaient absentes du premier panégyrique, maintenu avec un soin extrême dans les limites de la plus stricte neutralité religieuse. Il est visible pour nous que Julien, se sentant plus fort, mieux affermi dans son rôle de César, craint moins que par le passé de laisser deviner le fond intime de sa pensée, sauf à ménager dans les affirmations unitaires du déisme platonicien une justification facile des reproches que pourraient lui attirer ses effusions polythéistes. Sa dévotion et sa prudence se mettaient ainsi d'accord.

Sur un autre point encore, le ton s'est, en quelques années, assez sensiblement modifié. Bien que très sobre d'allusions à ses propres exploits (elles n'eussent point été agréables à Constance et aux gens de la cour), Julien, en louant son héros, laisse voir que lui-même n'est plus sans expérience de la guerre. Parlant des auxiliaires francs et germains qui servirent dans l'armée de Magnence, il déclare que les peuples qui avoisinent la mer du Nord sont de rudes combattants et remportent en vigueur sur toutes les autres nations barbares : c'est un fait que je ne sais pas simplement par la renommée, dont la voix n'est pas toujours sûre, mais que je connais pour l'avoir éprouvé[181]. La fin du panégyrique est curieuse, non seulement par les éloges, trop précis cette fois pour être de pure invention, qui y sont donnés à Constance, mais encore par la manière brusque dont Julien termine son discours, comme s'il eût entendu soudain un appel de clairon. Le passage vaut d'être cité :

Ne vous semble-t-il pas que j'ai vraiment terminé mon compliment ? ou bien désirez-vous m'entendre louer la constance et la dignité de l'empereur, rappeler que non seulement il ne fut vaincu par aucun de ses ennemis, mais qu'il ne céda jamais à aucune passion honteuse, qu'il n'enleva de force à personne ni riches palais, ni villas splendides, ni colliers d'émeraudes, qu'il ne s'abandonna ni à l'amour illicite des femmes libres, ni à celui des femmes esclaves, ni à aucun autre attachement déshonorant, qu'il ne rechercha pas la douceur intempestive des biens que né produit pas chaque saison, n'étant point, l'été, en quête de la glace, et ne changeant point d'habitation selon les températures, mais toujours présent dans les parties de l'Empire où l'appelait son activité, et y supportant alternativement le froid et la chaleur ? De tout cela, je pourrais vous fournir des preuves convaincantes, et je rappellerais aisément ce que chacun sait. Mais mon discours s'étend et s'allonge, je n'ai plus le loisir de cultiver les Muses, et l'heure est venue de me remettre à l'action[182].

Constance résidait à Constantinople, quand ce panégyrique lui fut présenté, probablement dans les premiers mois de 360. Mais déjà certaines pages du discours de Julien étaient devenues un anachronisme. Au moment où le César racontait que, depuis dix ans, Sapor, intimidé par sa défaite à Singare et son échec devant Nisibe, demeurait en paix avec les Romains, sans être lié par des serments et des traités[183], le roi des Perses, qui, dès 357, avait recommencé à faire valoir ses droits sur la Mésopotamie et l'Arménie, venait décidément de rompre la trêve et d'envahir de nouveau les provinces romaines. Les derniers mois de 359 l'avaient vu occupé au siège d'Amide, ville située sur le Tigre, au pied des montagnes de l'Arménie : il l'avait emportée après un siège de soixante-treize jours, dont le récit, fait par Ammien Marcellin, l'un des assiégés, est parmi les pages les plus intéressantes de l'histoire militaire de l'antiquité[184].

Bien que, épuisé par sa victoire même, Sapor eût dû rentrer en Perse, les affaires des Romains allaient assez mal de ce côté. Le haut commandement avait été désorganisé par des intrigues de cour[185]. Il y avait urgence à reformer, en Orient, une armée solide, assez nombreuse pour résister aux masses envahissantes dont les Perses préparaient le retour pour le printemps, et composée de soldats assez expérimentés, assez endurcis à la guerre, pour briser encore une fois leur effort. Le danger n'était plus sur le Rhin, momentanément pacifié. La seule inquiétude sérieuse que Julien eût éprouvée à la fin de 359 ou dans les premiers mois de 360 avait eu pour cause une irruption de Pictes et de Scots[186] au delà du mur de Septime Sévère, qui marquait la limite de la domination romaine en Bretagne : par ses ordres, le maitre de la cavalerie, Lupicin, s'était embarqué à Boulogne avec deux cohortes auxiliaires[187] et deux légions[188]. Mais du côté de la Germanie rien ne remuait. La présence de Julien en Gaule était nécessaire pour maintenir en repos les Alemans toujours inquiets et frémissants[189] ; mais aussi elle y suffisait. Les Barbares qui habitaient aux extrêmes frontières en ressentaient, dit Zosime, une telle frayeur, qu'ils n'avaient pas, même en songe, l'envie de faire la guerre[190]. Ce calme s'étendait à tout l'Occident. L'Italie entière et l'Illyrie, ajoute le même historien, n'avaient à redouter aucun danger, puisque les Barbares du Danube, dans la crainte que le César, traversant la Gaule, ne vint à passer le fleuve et à tomber sur eux, se montraient sages[191]. Seul, l'Orient paraissait menacé d'une conflagration prochaine. Il était naturel que Constance fit de grands efforts pour la prévenir, et pour rassembler sur la ligne du Tigre et l'Euphrate tous les moyens de résistance.

Aussi ne nous étonnerons-nous pas qu'il ait envoyé demander des renforts aux troupes aguerries de Julien. On connaissait la valeur des corps levés en Gaule. Depuis bien des années, c'est dans ce pays, alors placé aux avant-postes de la barbarie, que se formaient les plus vigoureux soldats. La magnanimité gauloise était passée en proverbe dans le langage militaire[192]. Dans sa guerre contre Magnence, Constance avait vu de près l'endurance de ces soldats gaulois, qui ne tournaient jamais le dos à l'ennemi[193]. Tout récemment, des soldats empruntés à l'armée des Gaules, qui se trouvaient enfermés parmi les défenseurs d'Amide, avaient, dans une sortie d'une audace extraordinaire, failli s'emparer de la personne de Sapor : après la chute de la ville, Constance, émerveillé, avait fait élever des statues à plusieurs de leurs officiers[194]. Il n'est pas surprenant qu'il ait songé à appeler en Orient un plus grand nombre de tels hommes. Les historiens du Ive siècle ont, de parti pris, noirci cette démarche[195]. Ammien prétend qu'elle avait été suggérée par une lettre du préfet Florentius, indiquant ce moyen d'affaiblir Julien et de le livrer sans défense aux Barbares[196]. Sans accuser nettement Constance d'un acte aussi criminel, Julien l'insinue[197]. L'histoire impartiale ne saurait se contenter de ces accusations sans preuves. Elle a le droit de demander autre chose que les vagues rumeurs alléguées par Ammien[198]. Elle laisse aux contemporains les procès de tendance. Pour elle, qui juge sans passion, les faits s'apprécient d'après les nécessités politiques. Vue de ce biais, la demande de Constance est pleinement justifiée. L'intérêt de l'Empire, dit un historien moderne, exigeait que les légions des Gaules, qui n'avaient plus d'ennemis devant elles, contribuassent à sauver les provinces orientales[199].

Confié au tribun des notaires, Decentius, le message de Constance était adressé directement à Lupicin, dont l'empereur ignorait le départ pour la Bretagne. Ordre était donné au maitre de la cavalerie d'envoyer de Gaule, en vue de la campagne qui devait s'ouvrir au printemps[200] contre les Perses, les cohortes des Bataves, des Hérules (alors engagés, à l'insu de Constance, dans la guerre contre les Pictes et les Scots), des Pétulants, des Celtes, plus trois cents hommes choisis dans les autres corps de l'armée. Quelque temps après l'arrivée de Decentius, un nouveau message fut envoyé de Constantinople au premier écuyer de Julien, Sintula : celui-ci était chargé d'emprunter aux Scutaires et aux Gentils leurs meilleurs combattants, et de les conduire en personne[201]. On remarque que ces demandes visaient plus encore la qualité que la quantité, et ne désorganisaient pas la défense des Gaules, puisque, même après les prélèvements qui viennent d'être indiqués, les légions, ce vrai noyau de l'armée romaine, demeuraient dans le pays, et avec elles beaucoup d'autres corps, tels que les Cataphractaires et les Sagittaires, troupe formidable[202], pour employer les expressions d'Ammien, les Cornuti, les Bracati, forts de la longue expérience des combats[203], selon un mot du même historien, et le grand nombre des unités de dénominations diverses que la Notitia Dignitatum nous montre éparses dans les garnisons.

Deux choses seulement, dans les réquisitions de Constance, paraissent mériter la critique. L'une est leur forme même : adressées à Lupicin et à Sintula, elles passent par dessus la tête du César[204]. En droit, cela n'excédait point les pouvoirs de l'Auguste, commandant supérieur de toutes les armées romaines, et maître de correspondre directement avec leurs officiers : en fait, cela pouvait sembler blessant pour Julien. Mais une faute plus grave, parce qu'elle n'était plus de pure forme, c'est le manque de parole que les ordres ainsi donnés supposaient vis-à-vis des auxiliaires barbares. Les divers corps que ceux-ci constituaient ne s'étaient laissés enrôler qu'à la condition expresse de ne pas servir hors des Gaules. Ils avaient consenti à quitter les bords du Rhin, mais avaient stipulé qu'en aucun cas on ne les obligerait à franchir les Alpes[205].

Julien éprouvait à leur égard un grand embarras, placé entre les ordres exprès de l'empereur et l'esprit indépendant et superbe des Barbares[206]. Il eût voulu gagner du temps, et attendre, avant de laisser partir les troupes, l'arrivée du maître de la cavalerie, qui était en Bretagne, et du préfet du prétoire, qui était à Vienne[207]. L'un était le destinataire direct des ordres de l'empereur, l'autre avait parmi ses instructions celle d'assister le César dans toutes les circonstances graves. Mais on ne pouvait penser que Lupicin, récemment embarqué pour la Bretagne, en reviendrait avant le printemps ; quant à Florentius, il s'attardait à Vienne sous le prétexte, dit Ammien, de veiller aux approvisionnements de l'armée[208]. Peut-être y avait-il là mieux qu'un prétexte, car en temps ordinaire Florentins s'occupait avec zèle et succès de la nourriture des troupes, pour laquelle Julien, au contraire, semblait trop compter sur le hasard : l'année précédente, les convois de vivres que le préfet avait conduits en personne à l'armée du Rhin étaient arrivés fort à propos. Cependant, l'absence prolongée de Florentins a sujet d'étonner. Ammien l'attribue à la peur des soldats. Julien manda le préfet par une lettre pressante. Dans un mouvement de désespoir, sincère ou feint, il manifestait l'intention d'abdiquer, si celui-ci ne venait l'assister de ses conseils, et l'aider à faire entendre raison à Constance. Je ne saurais, écrivait-il, survivre à la ruine des provinces[209].

Florentius s'obstina à demeurer à Vienne, et à laisser à Julien toute la responsabilité d'une décision. Le César, ne rencontrant près de personne l'appui qui lui eût permis de résister, voyant même auprès de lui le maitre des offices Pentadius et le questeur Nebridius faire cause commune avec les envoyés de Constance[210], fut obligé de se soumettre, sans plus de délai, aux injonctions de son suzerain. Il laissa Sintula faire jusque dans sa garde[211] les prélèvements dont celui-ci était chargé, et ne s'opposa point à ce qu'il prit les devants avec le petit corps de Scutaires et de Gentils ainsi composé. En même temps, Julien donna aux autres corps désignés par Constance, et répartis entre diverses garnisons, l'ordre de se tenir prêts à quitter, au premier signal, leurs quartiers d'hiver[212].

Mais il ne s'agissait plus, cette fois, d'une expédition rapide, après laquelle les troupes regagneraient leurs stations accoutumées. C'était une véritable expatriation qui se préparait. Les armées romaines étaient devenues assez impropres à être ainsi transplantées. Depuis que les légionnaires avaient reçu la permission de se marier, d'habiter avec leurs femmes et leurs enfants, ils avaient perdu le goût des aventures lointaines. Ils étaient presque devenus des soldats régionaux. Les camps permanents ou les villes de garnison leur formaient de petites patries, d'où ils ne s'éloignaient plus sans esprit de retour. A plus forte raison en était-il ainsi des auxiliaires barbares, qui, en quittant leur pays d'origine, avaient amené avec eux leurs familles. L'idée de s'en séparer pour aller combattre et peut-être séjourner en Orient, l'idée même d'échanger contre les pays chauds les froids climats auxquels ils étaient habitués[213], leur paraissait insupportable. Les esprits commençaient à s'agiter. On voyait des femmes de soldats errer à travers les camps, portant leurs enfants dans leurs bras, et suppliant leurs maris de ne pas les abandonner[214]. Des libelles, partout répandus, propageaient les protestations et les plaintes, en y joignant les prédictions les plus sinistres. Le texte d'un billet, trouvé par terre dans la caserne des Pétulants, au pied même de l'étendard de la cohorte, nous a été transmis par Ammien Marcellin. Nous voici donc, y lisait-on, chassés jusqu'aux extrémités de la terre comme des criminels et des condamnés : et bientôt, nous partis, ceux qui nous sont chers vont redevenir la proie des Alemans, et retomber dans la captivité d'où nous les avons arrachés par tant de sanglants combats[215]. Ce billet fut apporté à Julien, et lu dans son conseil. Le César jugea ces plaintes fondées. Il essaya d'y donner satisfaction dans la mesure de son pouvoir, en ordonnant qu'avec les troupes se mettraient en route des charriots qui transporteraient, aux frais de l'État, les femmes, les enfants et le mobilier des soldats[216].

Tout, cependant, était-il spontané dans ces plaintes ? et des meneurs intéressés n'avaient-ils pas excité ou entretenu l'agitation ? L'historien Zosime, très favorable à Julien, dit que les pamphlets répandus dans l'armée étaient l'œuvre de plusieurs officiers[217]. On jugera que le mouvement de désespoir, qui parait s'être emparé des soldats, avait quelque chose de factice, si l'on remarque que, l'année suivante, quand Julien entraînera contre Constance l'armée entière des Gaules, et marchera vers l'Orient à la tête de vingt-trois mille hommes, il ne sera question ni de femmes et d'enfants séparés violemment de leurs défenseurs naturels, ni de provinces abandonnées sans secours à l'invasion germanique. Tous les griefs se seront évanouis. On n'entendra plus parler des inquiétudes, dont on fit tant de bruit en 360. Il y a, apparemment, au fond de ceci toute une intrigue, dont les détails nous échappent. Peut-être Julien n'y fut-il pas d'abord mêlé. Il semble avoir agi loyalement, s'il est vrai qu'il conseilla de ne point faire passer par Paris les troupes qui se rendaient à l'appel de Constance[218]. Mais le mandataire de celui-ci, le tribun Decentius, fut d'un avis contraire. Comme, dans le conseil du César, on hésitait sur l'itinéraire, il insista pour que la concentration eût lieu à Paris[219]. C'était une imprudence, qui fut chèrement payée.

Le mécontentement des soldats avait gagné la population civile : leur départ causa beaucoup d'émotion. Sur toutes les routes par où passaient les troupes en armes, escortant des charriots remplis de femmes et d'enfants, la foule s'assemblait, et regardait avec inquiétude ce lugubre convoi : c'étaient des pleurs, des cris : les Gaulois suppliaient leurs défenseurs de ne pas les abandonner. Tel est du moins le tableau que trace Libanius[220]. Afin de faire ensemble leur entrée, les cohortes paraissent s'être rejointes sur la rive droite de la Seine, au point d'intersection des diverses voies qui du nord et de l'est aboutissaient à Paris. Julien alla, selon sa coutume[221], les recevoir dans ce faubourg, alors peu habité, où elles défilèrent devant lui pour passer la Seine, traverser la Cité, et de là gagner leurs casernements de la rive gauche. Avec cette familiarité qu'eurent ou affectèrent tous les grands capitaines, et qui fait tant d'effet sur le soldat, Julien adressait la parole aux hommes qui défilaient devant lui, interpellant par leurs noms ceux qu'il reconnaissait, rappelant à tous les hauts faits accomplis ensemble : en même temps, dit Ammien, il les exhortait à marcher allègrement vers l'Auguste, qui pourra les récompenser davantage, et répandre sur eux de plus abondantes largesses. Il invita, pour le jour même, les principaux officiers à un repas d'adieu, pendant lequel il les combla de prévenances, et leur fit toute espèce d'offres de protection et de services[222]. C'est sous l'impression de cet accueil, d'une bienveillance peut-être intéressée, que les troupes se retirèrent pour la nuit dans leurs quartiers, situés près du palais.

Mais tout de suite l'agitation recommença. Ici encore, il est facile de retrouver la main de quelques meneurs. Et probablement appartenaient-ils à l'entourage immédiat de Julien. Le médecin Oribase n'était pas seulement l'homme de science qui, sur l'invitation de celui-ci, avait occupé ses loisirs de Gaule à écrire une encyclopédie médicale en soixante-dix livres[223], et le dévot qui était devenu l'un des confidents des pratiques païennes du César. Il était encore le dépositaire de sa pensée politique et de ses plus secrètes ambitions. Souvent préoccupés de la chute éventuelle de Constance, supputant les chances qu'aurait Julien de le remplacer, ils se communiquaient leurs songes sur ce sujet. Je pense, lui écrivait un jour Julien, qu'aujourd'hui plus que jamais tu as vu clairement l'avenir. Car je viens d'avoir moi-même une vision analogue. J'ai cru voir planté dans une salle un arbre d'une hauteur démesurée, qui penchait vers la terre, et de ses racines partir un autre arbre tout petit, de jeune pousse, mais couvert de fleurs. Ému de la crainte que ce petit arbre ne soit arraché avec le grand, je m'approche, et j'aperçois le grand arbre étendu sur le sol, et le petit, au contraire, droit, mais à fleur de terre. A cette vue, toujours inquiet, je m'écrie : Quel arbre ! mais son rejeton est en danger de périr. Alors un homme tout à fait inconnu me dit : Regarde bien, et rassure-toi ; la racine demeurant dans la terre, le petit arbre restera intact et s'affermira davantage. Voilà quel est mon songe : Dieu sait ce qu'il en doit arriver[224]. Il est visible que le grand arbre abattu est Constance, et le rejeton destiné à croître à ses dépens, Julien. Quand on se rend compte, par cette lettre, de la nature des confidences échangées entre le prince et son médecin, on comprend plus aisément un mot d'Eunape disant qu'à tous ses mérites Oribase joignait celui d'avoir été le principal auteur de l'élévation de Julien[225]. C'est apparemment lors de l'arrivée des troupes à Paris que cet habile et zélé serviteur se mit, dans ce but, en rapports avec les soldats et les officiers. Et ses conseils ne furent peut-être point étrangers au mouvement qui, dès le coucher du soleil, les porta vers le palais. Ils l'enveloppèrent de toutes parts, afin que personne ne pût s'échapper[226] : blocus facile, puisque les massives constructions des Thermes étaient isolées entre des jardins, la voie d'Orléans et le camp lui-même. La nuit se passa ainsi à crier sous les fenêtres de Julien et à le saluer du titre d'Auguste.

Julien a laissé le récit de cette nuit célèbre ou, pour employer une expression de Libanius, de cette nuit sacrée[227], dans laquelle sa destinée se décida. Il s'était couché de bonne heure, dans une chambre de l'appartement de sa femme, située au second étage du palais[228]. Pendant son premier sommeil, il avait eu un songe étrange. Il lui avait semblé voir le Génie de l'Empire, avec les traits que lui donnent les statue et les médailles, et entendre sortir de sa bouche ces paroles mélancoliques : Depuis longtemps, Julien, je me tiens en secret dans le vestibule de ta maison, et je m'apprête à t'élever en dignité. Plusieurs fois, je me suis senti repoussé, et je suis parti : si, aujourd'hui, je ne suis pas reçu, conformément au désir d'un grand nombre, je m'en irai, accablé de tristesse. Mais garde ceci au fond de ton cœur : je n'habiterai pas longtemps avec toi[229]. Si le songe est vrai, il vient s'ajouter à la lettre à Oribase pour montrer que Julien était sans cesse hanté par l'idée d'un changement de fortune. Cependant, à l'en croire, jusqu'au moment où les clameurs des soldats l'éveillèrent brusquement, il n'avait rien soupçonné de leur dessein. J'en atteste, dit-il, Jupiter, le Soleil, Mars, Minerve et tous les dieux[230]. Se levant, il courut à une fenêtre, d'où l'on apercevait un coin du ciel, et se prosterna devant Jupiter. Resta-t-il seul en prière, ou appela-t-il près de lui quelqu'un de ceux qui l'assistaient habituellement dans ses dévotions ? Peut-être à ce moment séjournait au palais l'hiérophante d'Éleusis, que Julien avait fait venir secrètement en Gaule pour le consulter et compléter son éducation religieuse. Eunape fixe ce séjour dans le temps qui précéda la révolte contre Constance, ce qui convient tout à fait à l'heure décisive où nous sommes. On croira aisément que, s'il était sous le toit impérial, le César le manda aussitôt. Et l'on peut admettre que, pendant qu'au dehors retentissaient les appels à la fois enthousiastes et menaçants de la soldatesque, s'accomplirent, avec l'aide de l'hiérophante, et en présence d'Oribase et du Libyen, c'est-à-dire d'Évhémère, les rites connus d'eux seuls, dont parle Eunape avec une sorte de terreur religieuse[231]. Julien dit seulement, dans un langage non moins mystérieux : Je demandai au dieu un signe de sa volonté. Il me l'accorda sur-le-champ, et m'ordonna d'obéir, et de ne pas m'opposer au vœu des soldats[232].

On remarquera, à ce propos, que toutes les fois que Julien demanda conseil aux dieux, la réponse qu'il crut ou prétendit en avoir reçue était conforme au vœu secret de son ambition. Quand, en 355, il hésite à accepter de Constance le titre de César, les dieux lui défendent de refuser. Quand, en 360, il hésite à recevoir des troupes révoltées celui d'Auguste, les dieux lui commandent de le faire. Cependant, Julien raconte qu'il n'obéit pas encore tout de suite, et, le jour venu, essaya de fléchir les soldats[233]. C'est ce que rapporte, de son côté, Ammien Marcellin. Il montre Julien discutant avec eux[234], tantôt les haranguant ensemble, tantôt parlementant avec quelques-uns, faisant mine de s'indigner, tendant les deux mains avec un geste de prière. Après tant de victoires heureuses, disait-il, ne faisons rien d'incorrect. N'allons pas, par un acte précipité, déchaîner la discorde. Puis, passant à un autre ordre d'idées : Cessez de vous indigner, ajoutait-il ; sans dispute, sans révolution, vous obtiendrez facilement l'objet de votre désir. Puisque la douceur de la patrie vous retient, et que vous redoutez les routes inconnues et les contrées lointaines, rentrez dans vos foyers vous ne verrez pas ces pays transalpins, qui vous déplaisent. J'arrangerai cela, à la commune satisfaction, avec le prudent Auguste, très capable de se rendre à la raison[235].

Cependant les cris redoublaient. Les émeutiers ne voulaient rien entendre. Vers neuf heures du matin, Julien céda. Aussitôt les portes du palais s'ouvrirent, et les soldats, s'emparant du César et l'élevant sur un bouclier, le saluèrent Auguste. Mais, depuis Dioclétien, l'étiquette imposait à l'empereur un diadème de métal, distinct du simple bandeau que portaient les Césars. Julien déclara qu'il n'en possédait point. Les soldats demandèrent alors qu'il empruntât, pour s'en couronner, quelque ornement de cou ou de tête appartenant à sa femme. Avec un scrupule assez singulier dans un tel moment, Julien objecta qu'une parure de femme serait, pour le commencement d'un règne, d'un mauvais présage. Ce bizarre débat se continua pendant assez longtemps. On proposa quelqu'une de ces chaînettes de métal[236], dont les écuyers ornaient la tête des chevaux. Ce ne serait pas assez noble, répondit Julien[237]. Enfin, un centurion des Pétulants, qui de sa haute stature dominait la foule, mit fin aux hésitations : il détacha son collier d'or, décoration militaire qu'il avait au cou en qualité de porte-drapeau, et, se glissant derrière Julien, le lui posa à l'improviste sur le front[238]. Cette fois, le formalisme romain fut satisfait : le nouvel Auguste parut régulièrement couronné. Il dut, pour se conformer à l'usage, annoncer que, comme don de joyeux avènement, il donnerait aux soldats cinq pièces d'or et une livre d'argent par tête[239].

Je rentrai, dit-il, au palais en soupirant, les dieux le savent, du plus profond de mon cœur. Il fallait bien avoir confiance dans le signe que le dieu m'avait manifesté, mais je rougissais, et je regrettais vivement de n'avoir point paru jusqu'au bout fidèle à Constance[240]. Julien s'enferma dans son appartement, et ne voulut voir personne. Il avait peur, dit Ammien[241]. Peur de lui-même ? de ses ennemis ? de l'avenir ? de sa conscience ? on ne sait. Mais il semble avoir passé quelques jours sans se montrer, dans une profonde retraite. On raconte que les partisans de Constance essayèrent de mettre à profit cette inaction. Selon Julien, ils cherchèrent à gagner les soldats à prix d'argent[242] ; si l'on en croit Libanius, ils auraient même payé un eunuque de la chambre, chargé par eux d'empoisonner le prince[243]. Des nouvelles alarmantes commencèrent de nouveau à courir. Tout à coup, un officier du palais, attaché à la maison d'Hélène[244], accourut au quartier des Pétulants et des Celtes[245]. Soldats, étrangers, citoyens, ne trahissez pas l'empereur ![246] criait-il avec une sorte d'égarement[247]. Les soldats sortirent en tumulte, le javelot ou le glaive à la main. Ils forcèrent les portes du palais, se répandirent dans les escaliers et les corridors, maltraitant tous les serviteurs, courtisans, dignitaires qu'ils rencontraient. Mais, à mesure que s'ouvraient devant eux les appartements impériaux, ils s'apercevaient que tout y était dans le plus grand ordre, et que rien n'annonçait un événement tragique. Leurs inquiétudes se changèrent en un vif enthousiasme, quand, introduits dans la salle du conseil, ils y furent reçus par Julien lui-même, resplendissant de l'éclat neuf de son costume d'Auguste[248]. La joie, raconte Julien, tint alors du délire : ils embrassaient leur empereur, l'élevaient dans leurs bras, et semblaient reprendre possession de sa personne[249].

Cependant aux clameurs joyeuses se mêlaient des cris de haine. Les soldats réclamaient impérieusement le supplice des amis de Constance. Les dieux, ajoute Julien, savent au prix de quels combats j'ai pu sauver leur vie[250]. Libanius affirme que Julien fit grâce à l'eunuque chargé de l'assassiner[251]. Il laissa Decentius quitter tranquillement Paris, et Florentins sortir de Vienne sans être inquiété[252]. Aucun de ceux dont il avait eu à se plaindre ne fut l'objet de représailles. J'aimerais à faire honneur de cette modération à l'humanité de Julien. Mais probablement y faut-il reconnaître surtout de la politique. Le nouvel Auguste espérait encore voir Constance ratifier les changements qui venaient de s'accomplir, et l'accepter comme collègue. Il avait intérêt à ne pas rendre tout de suite l'entente impossible. Plus tard, devenu tout à fait maitre, Julien se montrera moins ennemi des réactions sanglantes, et l'Auguste, qui n'aura rien oublié, vengera cruellement les injures du César[253].

Telle fut cette révolution d'armée et de palais[254], qui termina la première partie de la carrière de Julien, et lui ouvrit l'inconnu. La juger est difficile. On entrevoit dans les actes qui la préparèrent ou l'accompagnèrent des dessous peu honorables, et en même temps il semble qu'une sorte de nécessité de situation ou de fatalité politique devait un jour ou l'autre, sous une forme ou sous une autre, amener ce dénouement. Entre le César et l'Auguste, les rapports, sur lesquels pesaient de tragiques souvenirs d'enfance, avaient été à l'origine et étaient demeurés étranges et faux : on a les définis, d'un mot spirituel, une amitié de loup[255]. Cela convient bien au personnage. Il semble qu'aucun acte de Julien ne soit tout à fait exempt d'équivoque. A l'exception du métier militaire, qu'il fit avec des allures nettes et franches, même brutales, rien, dans sa vie, ne se présente en pleine lumière. Tout semble vu de biais, et sous un jour changeant, de quelque côté que l'on regarde. Tel nous est apparu Julien, dans ces années de méditation et d'étude durant lesquelles se forma ou se déforma sa pensée ; tel il s'est montré à nous dans le rôle subordonné où l'avait placé la faveur tardive de Constance ; tel il nous apparaîtra encore quand, investi du pouvoir absolu, et se mouvant sans entraves sur un plus grand théâtre, il essaiera de réaliser, par des moyens conformes à son caractère, les rêves religieux dont s'était nourrie sa jeunesse.

 

FIN DU PREMIER TOME

 

 

 



[1] Julien, Oratio III.

[2] Le synchronisme de l'expédition en Rhétie avec le voyage de l'impératrice à Rome aide à dater l'Éloge d'Eusébie. Celle-ci en effet fera, au printemps de 357, avec Constance et Hélène, un second voyage à Rome, dont Julien ne parle pas. Par conséquent l'Éloge d'Eusébie se place nécessairement avant ce second voyage, c'est-à-dire dans l'hiver de 356-357, et plus probablement pendant la tranquillité relative des derniers mois de 356, avant que les Alemans missent le siège devant Sens. Schwarz, De vita et scriptis Juliani imperatoris, p. 6, place de même (mais sans donner de raisons) ce discours dans l'hiver de 356-357.

[3] Ammien Marcellin, XVI, 3.

[4] Ammien Marcellin XVI, 4. — Sur les Gentiles et les Scutarii, voir Ammien Marcellin XIV, 7 ; XV, 5 ; XVIII, 9 ; XXXVIII, 13 ; Notitia Dignit., Or., 10 ; Occid., 8. Il y avait des Gentiles en garnison dans la Deuxième Germanie (Edmond Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule, n° 359, t. I, p. 485). Ces corps étaient surtout composés de Barbares ; voir la note de Valois sur Ammien Marcellin, XIV, 7.

[5] Ammien Marcellin, XVI, 4.

[6] Ammien Marcellin, XVI, 4, 7.

[7] Ammien Marcellin, XVI, 7, 8. — Sur la disgrâce de Marcel, Julien dit seulement : L'empereur, ayant conçu des soupçons contre le général en chef, le rappelle et lui ôte le commandement, dont il le juge tout à fait incapable. Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 9. Il semble que Julien, avec son manque habituel de sincérité, craigne de laisser voir qu'en disgraciant Marcel, Constance a voulu punir l'abandon où celui-ci avait laissé le César assiégé dans Sens.

[8] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 9 (Hertlein, p. 359).

[9] Ammien Marcellin, XVI, 10, 11, et Symmaque, Ép., X, 3.

[10] Ammien Marcellin, XVI, 11.

[11] Province bordant, à l'est, la Pannonie Inférieure, et qu'il ne faut pas confondre avec la Valérie italienne, limitrophe du Samnium. Voir la carte de la division provinciale de 297, dans Mommsen, Mémoires sur les provinces romaines, trad. Picot.

[12] Second synode de Sirmium, composé d'évêques occidentaux ; formule arienne adoptée par le synode ; souscription de cette formule par le vieil Osius. Héfélé, Hist. des conciles, trad. Delarc, t. II, p. 56-58.

[13] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10 (Hertlein. p. 360).

[14] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[15] Ammien Marcellin, XVI, 11. A partir de ce moment, Ammien Marcellin, qui était attaché, comme officier, à la personne d'Ursicin, et qui le suivit en Orient, cesse d'être un témoin oculaire pour les campagnes de Julien en Gaule.

[16] Ammien Marcellin (XVI, 12) : secundis minibus motus, Remos properavit. Cela signifie-t-il que Julien, avant le départ, avait secrètement consulté les présages, d'après les rites païens, ou y a-t-il là une simple métaphore ?

[17] Tel est le chiffre donné par Ammien Marcellin ; Libanius, Oratio X, dit trente mille hommes, et ajoute qu'on leur donna pour général un homme sachant faire manœuvrer de grandes troupes.

[18] Ammien Marcellin, XVI, 12. — Dans la langue technique de la stratégie, on appelait forceps ou forfex la disposition en V que prenait un corps de troupes lorsqu'il voulait laisser avancer, pour l'envelopper ensuite, un corps ennemi qui marchait sur lui en formant un coin (cuneus). Dict. des antiquités, art. Forceps, t. II, p. 1241.

[19] Ammien Marcellin le qualifie plus loin de tribunus Cornutorum. Les Cornuti, ainsi appelés de la ville de Cornutum, en Pannonie, où il y avait une fabrique de boucliers, étaient parmi des auxiliaires palatins. Notilia Dignit., Occid., 22.

[20] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 9 (Hertlein, p. 359).

[21] Sur la construction des ponts de bateaux, voir Lamarre, la Milice romaine, p. 135-137.

[22] Ammien Marcellin, XVI, 12 ; Libanius, Oratio X.

[23] Tree Tabernæ.

[24] Ammien Marcellin, XVI, 12 ; Libanius, Oratio X.

[25] Libanius, Oratio X.

[26] Libanius, Oratio X. Libanius est le seul à donner ces détails.

[27] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[28] Per stationes hibernas. Ammien Marcellin, XVI, 12.

[29] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[30] Libanius (Oratio X) prétend que les messagers montrèrent à Julien des lettres de Constance, concédant aux Germains la possession de centrées sur la rive gauche du Rhin, et reprochèrent au César de contrarier la volonté de l'Auguste. Ce détail, omis par Ammien, n'est pas croyable.

[31] Libanius prétend que Julien eût pu empocher ces renforts de passer le Rhin, mais laissa volontairement le passage s'effectuer, afin de détruire ensuite un plus grand nombre d'ennemis. Mais il ajoute que Julien livra bataille à temps pour empêcher de nouveaux contingents d'augmenter l'armée barbare au delà de trente mille hommes. Cela ne concorde pas tout à fait avec le récit d'Ammien.

[32] Regales.

[33] Optimates. Ce mot d'Ammien Marcellin est celui meule qu'emploient les lois Barbares pour désigner les grands ; voir les textes cités par Fustel de Coulanges, Monarchie franque, p. 78, 82, 83.

[34] Ammien Marcellin parle des fossés remplis de Barbares, fossas armatorum refertas ; le détail de l'aqueduc et des roseaux est donné par Libanius (Oratio X.)

[35] Ammien Marcellin, XVI, 12 ; cf. XXVI, 7 ; XXXI, 7. Végèce (III, 18) dit que le barrit ne doit pas être poussé quand l'ennemi est loin, mais au moment où s'engage la mêlée. Les soldats de Julien se conforment à cette règle. Le barrit parait avoir être emprunté par les Romains aux Germains : la description du barrit germanique donnée par Tacite, De mor. Germ., 3, ressemble tout à fait à celle du barrit romain, donnée par Ammien.

[36] Corps de cavalerie auxiliaire, recruté parmi les Germanis ; Orelli, 1755, 3400, 5263, 5455 ; Notit. Dignit., Or. et Occid.

[37] Regii. Notit. Dignit., Occid.

[38] Primanorum legionem. Wilmanns, 2867 ; Notit. Dignit., Or.

[39] Zosime, avec une incroyable exagération, prétend que dans la bataille six myriades d'hommes furent tués, et d'autres, en pareil nombre, périrent dans les flots, ce qui porterait à cent vingt mille le nombre total des morts Germains (Hist., III, 3). On voit quels grossissements un fait historique, sous l'influence de l'esprit de parti, peut subir en moins d'un siècle. Libanius, plus modéré, compte huit mille morts, (Oratio X), ce qui ne s'écarte guère de l'estimation d'Ammien, si l'on ajoute aux six mille cadavres du champ de bataille le nombre approximatif des noyés.

[40] Eutrope, X, 3 ; Paneg., VI, 4 ; VII, 10, Il ; X, 18. Les panégyristes expliquent cet acte cruel de Constantin par la nécessité d'intimider les Barbares.

[41] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10. L'emphase avec laquelle Julien se vante de sa clémence en gâte beaucoup le mérite.

[42] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[43] Voir dans les Dernières persécutions du troisième siècle, 2e éd., p. 887 et suiv., l'Appendice II, Note sur l'Empire gallo-romain.

[44] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10.

[45] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[46] Litteræ laureatæ.

[47] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[48] Voir dans Duruy, Hist. des Romains, t. IV, p. 153-166, la traduction par M. Perrot de la célèbre inscription découverte par lui à Ancyre.

[49] Lacour-Gayet, Antonin le Pieux, p. 139, 140.

[50] Cité par Eumène, Paneg. Constantin., 14.

[51] Ammien Marcellin, XVII, 1 ; Libanius, Oratio X.

[52] Flamine pontibus constratis transmisso. Ammien Marcellin, XVII, 1. Trajan avait construit en face de Mayence un pont permanent ; mais probablement ou il avait été ruiné par les Barbares, ou il était insuffisant pour le passage de l'année romaine.

[53] Ammien Marcellin, XVII, 1.

[54] Sur le serment germanique, voir Ozanam, les Germains avant le christianisme, éd. 1855, p. 138.

[55] Ammien Marcellin, XVII, 1.

[56] Libanius, Oratio X.

[57] Libanius, Oratio X.

[58] Six cents, dit Ammien Marcellin ; mille selon Libanius.

[59] Ammien Marcellin, XVII, 2.

[60] Libanius, Oratio X.

[61] Strabon, IV, 3.

[62] Julien, Misopogon, 4.

[63] Julien, Misopogon, 4.

[64] César, De Bello Gall., VII, 57 ; Strabon, IV, 3. Ce marais, dont l'écoulement se faisait parallèlement à la Seine, passaitpasse même encore sous les maisonsvers la rue Montmartre, coupant la rue Drouot, dont le nom de Grange-Batelière, abandonné récemment, indiquait le souvenir du lien où l'on passait ce cours d'eau au moyen âge ; gagnait l'Opéra, où l'architecte Garnier a dû compter avec lui, et se jetait dans le fleuve à Chaillot. Desjardins, Géographie historique et administrative de la Gaule romaine, t. II, p. 474.

[65] Voir le plan de Paris au temps de Julien, dressé par M. Longnon pour l'Histoire des Romains de Duruy, t. VII, p. 258.

[66] Grand commerce d'étain avec la Bretagne ; Strabon, III, 9 ; Diodore de Sicile, V, 21, 22. — Autres marchandises importées de Bretagne : or, argent, blé, bétail, peaux, chiens de chasse, et esclaves ; Strabon, IV, 2.

[67] L'étain s'exportait, de Bretagne à travers toute la Gaule, jusqu'à Marseille : Posidonius, cité par Strabon, III, 9.

[68] Strabon, Geogr., IV.

[69] TIB. CAESARE AVG. IOVI OPTVM. MAXSVMO NAVTAE PARISIACI PVBLICE POSIERVNT. Desjardins, Geogr. hist., t. III, p. 261.

[70] Voir dans Desjardins, t. III. pl. II, le plan de Lyon antique. Cf. Vachez, L'amphithéâtre de Lugdunum et les martyrs d'Ainay, p. 9 : Pierrot-Desseilligny, Notice sur l'amphithéâtre de Lyon, p. 20 ; et mon Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, 2e éd., p. 398.

[71] Stativa ; campus. Ammien Marcellin, XX, 4, 5.

[72] Julien, Misopogon, 4.

[73] Julien, Misopogon, 4. Ép. 46.

[74] Τήν φίλην Λουκετίαν. Misopogon, 4 (Hertlein, p. 438).

[75] Misopogon, 4. — M. Littré fait, à propos de la description de Lutèce par Julien, ces réflexions : Pour ceux qui s'occupent des changements que les climats peuvent subir dans le cours des siècles, je remarquerai que la Seine, ne débordant pas plus alors qu'aujourd'hui, montre que la pente et les pluies n'ont pas sensiblement varié ; que la vigne, cultivée aujourd'hui comme alors, exclut une température plus froide, sans, il est vrai, en exclure une plus chaude ; mais qu'à son tour cette température plus chaude est exclue par la culture du figuier qui y est l'objet d'un art, et qui exige que pendant l'hiver on enveloppe l'arbre d'une couverture de paille ou de tout autre moyen protecteur. C'est encore la pratique dont on use dans les environs de Paris pour faire passer l'hiver aux figuiers, soit qu'on les empaille, soit que, comme à Argenteuil, on les couche par terre. Ces circonstances combinées prouvent que, depuis quinze cents ans, le climat de Paris ne s'est ni refroidi ni échauffé. Études sur les Barbares et le moyen âge, p. 109.

[76] Une seule a quelque intérêt archéologique : c'est la description d'un orgue. Les autres sont une épigramme sur la bière, que Julien n'aime pas, une énigme à propos d'un équilibriste, une sorte de charade sur un vers d'Homère, et un tercet sur l'hippocentaure (Hertlein, p. 611-612).

[77] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[78] Ammien Marcellin, XVI, 5. — Libanius (bien mauvais juge en ceci) dit qu'il avait une connaissance bien grande du latin (Oratio X).

[79] Ammien Marcellin, XVI, 5, Misopogon, 4.

[80] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[81] Ép. 55.— Si la séparation dont parle cette lettre est bien celle que causa le départ de Julien, quittant Athènes en septembre 355, la date de la lettre, écrite quatre ans et trois mois plus tard, serait décembre 359.

[82] Ép. 71. — Schwarz (p. 39) place cette lettre entre 356 et 359.

[83] Voir tout le commencement du Misopogon.

[84] On a parfois interprété dans un sens défavorable des passages des lettres 40 et 67. Il y est parlé, à deux reprises, du nourricier de ses enfants (Hertlein, p. 539 et 591). Comme Julien n'eut pas d'enfants de son mariage avec Hélène, et ne se remaria pu après être devenu veut il s'agirait ici d'enfants nés hors mariage. Tillemont (Hist. des empereurs, t. IV, p. 558) admet cette explication. Beaucoup de commentateurs (La Bletterie, Jondot, Tourlet, Heyler, Talbot, Wordswosth) se montrent très perplexes. Largajolli (Della politica religiosa di Juliano, p. 67) voit dans la phrase citée une interpolation de copistes ignorants ou malveillants. La question ne peut plus être posée, car Schwarz (De vita et scriptis Juliani imperatoris, p. 22-27) et Cumont (Sur l'authenticité de quelques lettres de Julien, p. 3-19) ont démontré que les six lettres à Jamblique, dont fait partie l'Ép. 40, et la lettre à Sopater, portant le n° 67, ne sont pas de Julien.

[85] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[86] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[87] Ammien Marcellin, XVI, 5 ; Julien, Misopogon, 4.

[88] Julien dit que la plupart des maisons, à Lutèce, étaient chauffées par des cheminées. Il est difficile de croire qu'il n'y eût point, dans le palais de cette ville, un hypocauste ou calorifère, comme on en trouve dans beaucoup d'habitations privées du nord de la Gaule (voir Cochet, la Seine-Inférieure historique et archéologique, p. 33, 190, 232, 431, 474, 475, 481). Julien cependant semble ne parler ici que de cheminées ordinaires. Sur les cheminées des maisons romaines, voir mes Études d'histoire et d'archéologie, 811.

[89] Misopogon, 4.

[90] Ammien Marcellin, XVI, 5. Somme énorme, si l'on se souvient qu'au temps de Dioclétien la moyenne de l'aureus donnait pour cette pièce une valeur en poids de 17 fr. 78, et si l'on tient compte du pouvoir, plus grand que de nos jours, qu'avaient les métaux précieux dans l'antiquité. Voir F. Lenormant, art. Aureus, dans Dict. des antiquités, t. I, p. 562-578.

[91] Ammien Marcellin, XVII, 3.

[92] Ammien Marcellin, XVII, 3.

[93] Julien, Ép. 17.

[94] Ammien Marcellin, XVII, 3.

[95] Julien, Ép. 17.

[96] Ammien Marcellin, XVII, 3.

[97] Julien, Ép. 17.

[98] Julien, Ép. 17.

[99] Ammien Marcellin, XVII, 3.

[100] Ammien Marcellin, XVII, 3.

[101] Ammien Marcellin, XVII, 3.

[102] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[103] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[104] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[105] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 75.

[106] Saint Ambroise, De obitu Valentiniani.

[107] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio IV, 75.

[108] Ammien Marcellin, XVIII, 1.

[109] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[110] Ammien Marcellin, XVIII, 1 ; Zonaras, Ann., XIII.

[111] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[112] Libanius, Oratio IX.

[113] Ammien Marcellin, XVI, 5. — Sur les agentes in rebus et le consistorium principis, voir le Dict. des antiquités, t. I, p. 132 et 1543 ; en particulier sur le consistorium à l'époque du Bas Empire, Cuq, le Conseil des empereurs, p. 463 et suiv.

[114] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[115] Ammien Marcellin, XXV, 4.

[116] Julien, Consolation à Salluste, 2.

[117] Julien, Consolation à Salluste, 2.

[118] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13.

[119] Consolation à Salluste, 8.

[120] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13.

[121] Consolation à Salluste, 6 ; Hertlein, p. 323.

[122] Consolation à Salluste, 8.

[123] Odyssée, IX, 14.

[124] Julien, Ép. 17.

[125] Consolation à Salluste, 6.

[126] Desjardins, Géogr. hist. et admin. de la Gaule romaine, t. III, p. 265-270.

[127] Jules César, De Bello gallico, VI, 17.

[128] Lucien, Hercule, 1-6.

[129] Misopogon, 5.

[130] Misopogon, 21.

[131] Ammien Marcellin, XVI, 5.

[132] Jules César, De Bello gallico, VI, 17 ; Tacite, De moribus Germaniæ, 9.

[133] Il s'agit probablement ici de la divination par l'aspect du ciel et le vol des oiseaux, car la partie de l'haruspicine consistant dans l'inspection des entrailles des victimes supposait des sacrifices, et l'on ne nous dit pas que Julien en ait offert pendant son séjour en Gaule.

[134] Ammien Marcellin, XXI, 2.

[135] Ammien Marcellin, XXI, 2.

[136] Libanius, Oratio X.

[137] Ces stations peuvent être déterminées approximativement par les inscriptions funéraires ou les briques timbrées trouvées dans les pays rhénans ; cf. E. Ferrero, Icrizioni e ricerche nuove intorno all' ordinamento delle armate, 1884, p. 62.

[138] Tacite, Ann., II, 6 et suiv.

[139] Libanius, Oratio X.

[140] Cf. Tacite, Ann., II, 6.

[141] Tacite, Ann., II, 21.

[142] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10 (Hertlein, p. 960). Zosime, toujours porté à l'exagération, dit (III, 5) que Julien construisit huit cents bateaux. Le témoignage de Julien, qui dit quatre cents, doit évidemment être préféré. Zosime donne de plus ce détail, qui peut être pris en considération : des bateaux plus grands que des chaloupes. Il ajoute, ce qui ne me parait point sûr, que ces bateaux furent construits avec le bois des forêts voisines du Rhin, et de là envoyés en Bretagne.

[143] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10.

[144] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10.

[145] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10.

[146] Comment (dit-il) la condition n'eût-elle pas été déshonorante, puisqu'elle paraissait l'être à Constance, trop habitué à se soumettre aux Barbares ? Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10.

[147] Ammien Marcellin, XVI, 8.

[148] Ammien Marcellin, XVI, 8.

[149] Buccellatum. Ammien Marcellin, XVI, 8.

[150] Tamquam fulminis turbo. Ammien Marcellin, XVI, 8. — Libanius, Oratio X.

[151] En Orient et en Occident, parmi les auxiliaires palatins.

[152] Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, II, fragm. 12.

[153] Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, II, fragm. 11.

[154] Ammien Marcellin, XVII, 8 ; Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10 ; Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, II, fragm. 12 ; Zosime, III, 6-8.

[155] Ammien Marcellin, XVII, 9.

[156] Ammien Marcellin, XVII, 9.

[157] Ammien y fait encore allusion dans le portrait d'ensemble qu'il trace de Julien après avoir raconté son règne, XXV, 4.

[158] Sulpice Sévère, Vita B. Martini, 3, dit que saint Martin, servant dans l'armée romaine, refusa sa part d'un donativum que Julien César offrait aux troupes rassemblées à Worms. Mais ce récit, rapproché d'autres circonstances de vie de saint Martin, offre trop de difficultés chronologiques pour qu'on en puisse tirer un argument certain : voir Tillemont, Mémoires, t. VI, p. 772-773, note ni sur saint Martin ; Lecoy de La Marche, Saint Martin, p. 663-666.

[159] J'ai dû exposer les raisons qui portent à douter des allégations d'Ammien sur la solde non payée aux soldats ; mais il faut ajouter que Julien, écrivant en 360 à Constance, après son usurpation, indiquera parmi les causes de mécontentement de l'armée des Gaules l'absence d'avancement, pour les officiers, et pour tous le non paiement de la solde (Ammien Marcellin, XX, 5). Dans sa Gratiarum actio pro consulatu (362), Mamertin parle des fréquents retards de solde sous Constance, milites sæpe anteactis temporibus ludo habiti qui præsens stipendium flagitarent.

[160] Ammien Marcellin, XVII, 10.

[161] Ammien Marcellin, XVII, 10. — Cf. Tacite, De mor. German., 13.

[162] Ammien Marcellin, XVII, 10 ; Julien, Ép. au sénat el au peuple d'Athènes, 10 ; Libanius, Oratio X ; Zosime, III, 4-5.

[163] Libanius, Oratio X. Bien que tracé par un rhéteur, ce tableau a des apparences de vérité.

[164] Ammien Marcellin, XVIII, 2. Cf. XVII 8.

[165] Cf. Eunape, Continuation de l'Histoire de Dexippe, II, fragm. 13.

[166] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 10.

[167] Littré, Études sur les Barbares et le moyen âge, p. 83-84.

[168] Mais qu'il n'offrit plus, tout le temps qu'il fut César. On se rappelle qu'à Milan, avant d'être reçu au palais comme membre de la famille impériale, Julien avait été rasé. On a vu que, même pendant ses expéditions militaires, il se faisait couper la barbe (Ammien Marcellin, XVII, 9). Les médailles représentant Julien César le montrent toutes imberbe. Ce n'est qu'après 361 que les médailles le représenteront avec de la barbe : quand, dans la dernière année de sa vie, il écrira le Misopogon, il aura repris tout à fait l'aspect hirsute dont le raillaient par souvenir et par anticipation les courtisans de 358.

[169] Ammien Marcellin, XVII, 11.

[170] Mamertin, Gratiarum actio pro consulatu.

[171] Libanius, Oratio X.

[172] C'est ce que Libanius dit d'Aristophane de Corinthe, Oratio VII.

[173] Libanius, Oratio V.

[174] Julien, Misopogon, 19.

[175] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 11.

[176] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 11.

[177] Julien, Oratio II, 15.

[178] Dans un autre passage (Oratio II, 27), il dit qu'un souverain a le devoir de ne pas mépriser le culte des dieux, et de vénérer les dieux protecteurs de la famille (Hertlein, p. 110).

[179] Julien, Oratio II, 29.

[180] Julien, Oratio II, 32.

[181] Julien, Oratio II, 6.

[182] Julien, Oratio II, in fine.

[183] Julien, Oratio II, 11.

[184] Ammien Marcellin, XVIII, 7-10 ; XIX, 1-7.

[185] Ammien Marcellin, XX, 2.

[186] Au IVe siècle, les historiens ne parlent plus des Calédoniens et des Méates, représentés dans les siècles précédents comme les adversaires les plus redoutables de la domination romaine en Bretagne ; on ne nomme plus que les Pictes et les Scots. Les premiers sont probablement identiques aux Calédoniens et aux Méates ; les seconds paraissent être passés d'Irlande dans le nord de la Bretagne. Jusqu'au sir siècle, les historiens distinguent les Pictes des Scots. Voir Lingard, Hist. d'Angleterre, trad. Roujoux, t. I, p. 28-29.

[187] Ammien Marcellin, XX, 1. Les Hérules et les Bataves sont comptés parmi les auxilia palatina, dans la Notitia Dignit., Or. et Occid. — Cf. Wilmanns, Exempta inscr., 1847.

[188] Numerisque Mœsiscorum duobus. Ammien Marcellin, XX, 2. Des Mœsiaci seniores sont indiqués parmi les legiones palatinæ, dans la Notitia Dign., Occid.

[189] Ammien Marcellin, XX, 1.

[190] Zosime, III, 8.

[191] Zosime, III, 8.

[192] Ammien Marcellin, XIX, 6.

[193] Julien, Oratio I (premier panégyrique de Constance), 31.

[194] Ammien Marcellin, XIX, 6.

[195] Ammien Marcellin, XX, 4 ; Libanius, Or. VIII, X ; Zosime, III, 8.

[196] Ammien Marcellin, XX, 4.

[197] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13.

[198] Putabatur. Ammien Marcellin, XX, 4.

[199] Duruy, Hist. des Romains, t. VII, p. 282.

[200] Ammien Marcellin, XX, 4.

[201] Ammien Marcellin, XX, 4.

[202] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[203] Ammien Marcellin, XVI, 12.

[204] Ammien Marcellin, XX, 4.

[205] Ammien Marcellin, XX, 4.

[206] Ammien Marcellin, XX, 4.

[207] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13.

[208] Ammien Marcellin, XX, 4.

[209] Ammien Marcellin, XX, 4.

[210] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13.

[211] Libanius, Oratio X. Libanius dit, avec son exagération accoutumée, qu'on prit tout ce qu'il y avait de meilleur, et qu'on laissa à Julien ceux-là seuls qui n'étaient plus capables que de prier. De telles exagérations se réfutent d'elles-mêmes. Elles semblent avoir été le mot d'ordre des écrivains païens. Zosime a dit de même (III, 3) que les trois cents soldats qui formèrent l'escorte de Julien dans son voyage d'Italie en Gaule ne savaient que faire des prières, et il cite cela comme un propos de Julien lui-même. Un autre passage de Zosime (IV, 23) montre que cette épigramme s'employait communément contre les soldats chrétiens.

[212] Ammien Marcellin, XX, 4.

[213] Cf. Ammien Marcellin, XX, 8.

[214] Libanius, Oratio X.

[215] Ammien Marcellin, XX, 4.

[216] Ammien Marcellin, XX, 4. Sur le cursus clabularius ou clabularis, destiné en temps ordinaire au transport des bagages de l'armée, voir Dict. des antiq., art. Clabularis ou Clavularis, t. I, p. 1220, et art. Cursus publicus, p. 1658-1659.

[217] Zosime, III, 9.

[218] Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 13 ; Libanius, Oratio X.

[219] Ammien Marcellin, XX, 4.

[220] Libanius, Oratio X.

[221] Ex more. Ammien Marcellin, XX, 4. Il semble même qu'il y eût en cet endroit une estrade permanente, d'où le César passait en revue les troupes rentrant dans Paris : Libanius dit que Julien parla aux cohortes άπό τοΰ είωθότος πρό τής πόλεως. Oratio X.

[222] Ammien Marcellin, XX, 4. — Si Zonaras n'était pas un écrivain de si basse époque, il y aurait peut-être lieu de rappeler ici ce qu'il dit (Ann., XIII) des tribuns et centurions corrompus par les largesses et les prévenances de Julien.

[223] Collectanea artis medicæ, ex Gallieni commentaritis. Il reste les livres I-XV, XXIV, XXV. En tête du Ier se lit la dédicace suivante : Empereur Julien, j'ai achevé, suivant votre désir, pendant notre séjour en Gaule, l'abrégé que votre divinité m'avait commandé. Éditions, Paris, 1558 ; Bâle, 1557. Oribase fit plus tard un abrégé de ce grand ouvrage.

[224] Julien, Ép. 17. — Cette lettre fut écrite entre janvier et avril 358 (Schwarz, De vita et scriptis, etc., p. 7). Tillemont dit à ce propos : Dans une lettre qui paroist estre de l'an 358, on voit que son imagination lui représentoit déjà dans ses songes ce qui arriva deux ou trois ans après. Il est bien aisé de croire que cela avait passé de sa pensée et de son cœur dans son imagination. Hist. des empereurs, t. IV, p. 451.

[225] Eunape, Vitæ soph., 29, Oribase.

[226] Ammien Marcellin, XXI, 4. — Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14 (Hertlein, p. 366).

[227] Libanius, Oratio IV.

[228] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14 (Hertlein, p. 366). Sur les appartements du second étage dans les maisons romaines, voir mes Études d'histoire et d'archéologie, p. 193-194.

[229] Ut formari Genius publicus solet. Ammien Marcellin, l. c. Les inscriptions l'appellent Genius publicus populi romani, ou, en abrégé, G. P. R. Sur ses représentations, voir Hild, art. Genius, dans le Dict. des ant., t. II, p. 1493.

[230] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[231] Eunape, Vitæ soph., Maximus.

[232] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[233] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[234] Probablement par une fenêtre ou un balcon du palais. Sur les portiques extérieurs et les loggie des habitations au IVe siècle, voir Germano di S. Stanislao, la Casa celimontana dei SS. martiri Giovanni e Paolo, p. 79-80.

[235] Ammien Marcellin, XX, 4. Cf. Libanius, Oratio X.

[236] Phalera. Ammien Marcellin, l. c. Cf. Claudien, Epigr. LXX, LXXIII.

[237] Ammien Marcellin, XX, 4.

[238] Ammien Marcellin, XX, 4 ; Julien, Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14 ; Libanius, Oratio X.

[239] Ammien Marcellin, XX, 4.

[240] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[241] Perterritus.

[242] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[243] Libanius, Oratio X.

[244] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[245] Ammien Marcellin, XX, 4.

[246] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[247] Turbulente, dit Ammien ; comme les gens qu'inspirent les dieux, dit Julien ; comme possédé d'Apollon, écrit Libanius.

[248] Ammien Marcellin, XX, 4.

[249] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[250] Ép. au sénat et au peuple d'Athènes, 14.

[251] Libanius, Oratio X.

[252] Ammien Marcellin, XX, 8.

[253] Ammien Marcellin, XXII, 3, 4.

[254] La date tout à fait précise ne peut être indiquée avec certitude. Tillemont (Hist. des Empereurs, t. IV, p. 452) place les faits en mars ou avril ; M. de Broglie (l'Église et l'Empire romain, t. IV, p. 79) les met aux premiers jours de mars ; Schwarz (De vita et scriptis Juliani imperatoris, p. 7 et 17) s'appuie sur la Chronographie de Léon le Grammairien pour proposer mai.

[255] Αυκοφιλία. Julien, Ép. 68 (Hertlein, p. 591). — A tort ou à raison, Schwarz croit que cette épître n'est pas de Julien, mais a été forgée et mise sous son nom par un contemporain (De vita et scriptis, p. 27-30).