JULIEN L'APOSTAT

TOME PREMIER. — LA SOCIÉTÉ AU IVe SIÈCLE. - LA JEUNESSE DE JULIEN - JULIEN CÉSAR.

LIVRE II. — LA SOCIÉTÉ AU MILIEU DU IVe SIÈCLE.

CHAPITRE III. — LA CLASSE MOYENNE, LE PEUPLE, LES ESCLAVES.

 

 

I. — Décadence de la classe moyenne.

Dans toute société complète, il existe une classe moyenne, qui est le principal ressort du progrès. C'est elle qui pousse l'aristocratie, disposée à s'endormir dans la possession séculaire des dignités et des biens, si la vue de rivaux jeunes, ardents, toujours prêts à la remplacer, ne la tenait en haleine. C'est elle aussi qui en-trahie le peuple, parce que, tirant de lui son' origine, se recrutant sans cesse dans ses rangs, elle lui montre, par un exemple quotidien, comment le travail et l'effort élèvent les hommes. Tel nous apparaît, dans sa marche ascendante, ce tiers état florissant dont l'histoire se confond avec celle même de la nation durant la longue existence de la monarchie française. Si jamais, dans l'avenir, il vient à disparaître, ce sera pour avoir trop complètement triomphé à la fin du siècle dernier, en détruisant, dans l'aristocratie, le seul contrepoids qui lui aurait permis de garder cette situation de classe moyenne, sans laquelle il n'a pas de raison d'être.

Toute différente est l'histoire de la bourgeoisie romaine. Elle reste bien, jusqu'à la fin de l'Empire, la classe intermédiaire entre l'aristocratie et le peuple. Mais elle ne supplantera jamais la première, comme le fit, il y a cent ans, le tiers état français. Elle ne périt pas absorbée par le second, comme le verra peut-être chez nous un avenir gros de menaces. Elle traîna de bonne heure une existence languissante. On la voit, pendant la dernière période de l'Empire romain, condamnée par les lois elles-mêmes à l'immobilité. Ce qui semble ailleurs un réservoir de forces vives devient ici un marais d'eaux stagnantes. Il suffit d'ouvrir les Codes pour apercevoir les causes de cette décadence, dont rien ne donne une idée dans l'histoire de la bourgeoisie chez aucune nation moderne. C'est la misère croissante de l'Empire, conséquence d'une mauvaise organisation économique, qui l'a produite, en conduisant le législateur à confisquer la plus grande partie de la classe moyenne pour l'enchaîner à la machine gouvernementale, en faire l'instrument passif, le rouage inerte et lourd de la perception de l'impôt.

Cette classe se confond presque entièrement désormais avec les curiales. Quiconque, n'appartenant pas à l'aristocratie de naissance ou de fonctions, se distingue en même temps du peuple et possède une existence indépendante du travail manuel, est par la loi incorporé à la catégorie de citoyens, foule maintenant au lieu d'être une élite, où se recrutent les magistrats municipaux, le conseil de la cité, et dont l'ensemble forme la curie. En faire partie n'est plus un honneur, mais une condition sociale, d'autant plus onéreuse et redoutée qu'elle est devenue héréditaire. Sur les curies pèsent non seulement les services municipaux et quelques impôts particuliers, mais encore la responsabilité de toutes les contributions demandées à la circonscription territoriale dont la cité est le centre. Les curiales en doivent faire la répartition, assurer la levée, et répondent à l'État sur tous leurs biens de l'entier acquittement des impôts. Esclave et tyran tout ensemble, chacun d'eux n'a plus qu'un souci : écarter de ses épaules cet intolérable fardeau ; mais la tâche continuelle des empereurs est de maintenir dans chaque cité un nombre d'hommes suffisant pour le supporter sans défaillance. Quand on lit, au Code Théodosien, les nombreuses lois du quatrième siècle relatives aux curiales, on croit assister à une lutte, pleine de péripéties et de détours, entre la ruse et la force. Les empereurs sont occupés à ramener dans les villes la classe moyenne, qui s'en échappe par toutes les issues.

Cette lutte n'a pas commencé au quatrième siècle : on l'entrevoit dans les textes législatifs dès l'époque des Antonins, qui de loin semble l'âge d'or de l'Empire. Mais c'est au IVe siècle qu'elle est arrivée au point le plus aigu. Les épisodes en sont alors innombrables, et aussi variés que curieux. Un jour, Constance est averti que la curie de la splendide Carthage ne compte plus que de toutes petites gens, exiguos admodum curiales. Grâce à la vénalité qui régnait au palais, tous les riches ont acheté quelque titre les exemptant des charges municipales : les plus opulents et les plus qualifiés sont parvenus à entrer au sénat : d'autres se sont fait octroyer l'honorariat de quelque magistrature qu'ils n'ont jamais exercée, et sont devenus, à prix d'argent, anciens comtes ou anciens gouverneurs. La bourgeoisie responsable de l'impôt n'est plus représentée que par ceux qui n'ont pas eu assez d'argent ou assez de crédit pour acquérir quelque immunité. Constance sévit, comme déjà, en semblable occurrence, avait fait Constantin. Les anciens curiales sont rayés du sénat (à moins qu'ils n'aient déjà été préteurs et donné des jeux), les autres sont dépouillés des insignes de leurs mensongères dignités : la curie de Carthage retrouvera ses membres récalcitrants. Cette histoire est celle de beaucoup de cités, en Afrique et ailleurs : nombreuses sont les lois défendant aux curiales de s'élever au-dessus de leur état, ou mettant à cette élévation des conditions très difficiles[1].

Tous n'en auraient pas eu le moyen, d'ailleurs, et beaucoup cherchaient le salut par une autre voie. Quelques-uns s'enrôlent dans la garde impériale ou dans les légions. Les lois les poursuivent dans ces divers emplois, et, préférant dépeupler les armées que les curies, ramènent à celles-ci leurs déserteurs[2]. Il n'était même pas permis de changer de condition en se déclassant. Quiconque est bourgeois doit rester bourgeois. Si un curiale se fait recevoir dans une corporation d'artisans, s'engage comme ouvrier dans quelqu'une des manufactures ou comme colon dans quelqu'un des domaines exploités par l'État, l'État sait l'y découvrir, et le rend malgré lui à la glèbe municipale[3]. On vit des curiales désespérés chercher un refuge dans la maison de quelque grand propriétaire, et, pour prix de son silence, lui abandonner leurs biens. Le fugitif se con fondait avec les esclaves, épousait une servante, préférant faire souche de petits esclaves que de petits curiales. Mais la loi veillait : ces mésalliances étaient frappées des peines les plus sévères, les complices étaient châtiés, les biens du coupable confisqués, soit au profit de ses proches, héritiers de ses obligations, soit an profit de la curie elle-même[4].

Malgré cette poursuite incessante, les curies se vident, selon l'expression d'une loi de 338. Vainement a-t-on recours aux moyens les plus extraordinaires pour les remplir. En dépit d'une ordonnance de Constantin, qui exemptait de leurs obligations quiconque n'avait pas dix-huit ans accomplis, on y fit entrer jusqu'à des enfants. Un vieillard avait été dispensé de la curie à cause de son grand âge. Le gouverneur de la Cappadoce le remplaça par son petit-fils, âgé de quatre ans. Saint Basile dut intervenir, remplissant ce rôle de défenseur des faibles que la législation canonique du IVe siècle imposait à l'évêque, et qui était leur seule ressource en ce temps de désorganisation sociale[5]. Il représenta que le fardeau retomberait sur les épaules du vieillard, car l'enfant de quatre ans serait incapable de lever l'impôt ou de nourrir les soldats[6]. On ne sait quel succès eut sa réclamation : mais ce trait suffit à montrer la détresse des curies et la difficulté de leur recrutement. La vérité est que, comprimée entre l'aristocratie et le peuple, sans pouvoir ni monter ni descendre, la classe moyenne dépérit. L'air ne s'y renouvelle ni par en haut ni par en bas. Sa vie n'est plus qu'artificielle, entretenue par l'intervention incessante de l'État. Mais cette intervention est quelquefois mortelle. Un autre trait, emprunté encore à l'histoire de la Cappadoce, en fera juger. Dans la seconde moitié du Ir siècle, cette province fut partagée en deux, ce qui se traduisait en une augmentation d'impôts. Pour en garantir la levée, l'empereur ordonna qu'une partie de la curie de Césarée, composée des plus riches de la province, serait transportée dans une petite ville, qui devenait le chef-lieu de la Seconde Cappadoce. Ce fut dans Césarée un deuil public : on cessa d'éclairer les portiques, on ferma les gymnases, l'agora devint désert. Beaucoup de curiales prirent la fuite, emmenant leurs femmes et leurs enfants. D'autres se laissèrent conduire comme des captifs dans la nouvelle capitale. On vit ainsi, dans une province ; la destruction ou du moins l'ébranlement profond de la classe moyenne, qui perdait jusqu'à la stabilité de ses foyers[7].

Un tel exemple fait comprendre la situation précaire de cette classe, qui avait cessé de s'appartenir à elle-même pour devenir la chose du fisc. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de la voir étrangère à toute activité industrielle et commerciale. Contrairement à ce qui se passe dans la société moderne, c'est au-dessus ou au-dessous de la bourgeoisie que se traitent les affaires. La production industrielle ou le haut négoce sont aux mains des grands propriétaires d'esclaves, qui sont les capitalistes du monde romain. Quand on voit encore, à la fin du le siècle, non seulement à Rome, mais dans les villes de province, des patrimoines de grandeur moyenne comprendre mille ou deux mille esclaves[8], on s'explique aisément que les très riches maisons, où tout le monde travaille, tiennent en beaucoup de lieux la place des manufactures. Ammien Marcellin, décrivant le cortège d'un opulent personnage qui traverse Rome avec pompe, précédé et suivi de ses esclaves, fait marcher devant son char tout le tissage, omne textrinum[9]. Il s'agit, dans ce portrait, d'un membre de l'aristocratie, ou au moins de cette oligarchie financière qui, dans les peuples en décadence, va de pair avec elle. Les entreprises qu'aurait pu former l'association des petits et des moyens capitaux sont rendues presque impossibles par cette concurrence du travail servile. Dans le petit commerce, le trafic de détail et de boutique, elle se fait moins sentir : mais ces métiers se confondent avec le travail manuel, et sont abandonnés par la bourgeoisie à la plèbe.

Tout commerce d'ailleurs, grand ou petit, veut que celui qui l'exerce ait la libre disposition de sa personne et de ses capitaux : or les biens du curiale répondent de ses obligations vis-à-vis de l'État : lui-même est tellement asservi, qu'il ne peut entreprendre un voyage sans l'autorisation du gouverneur de la province[10]. Déclarant les curiales exempts de l'impôt des patentes, une loi du milieu du IVe siècle dit : A moins que par hasard il n'y en ait qui fassent un commerce[11]. Ce langage montre que le cas prévu est tout exceptionnel. On ne rangera même pas parmi les commerçants les membres de la classe moyenne que l'État, en échange des charges de la curie, a contraints d'entrer dans les corporations vouées au service des transports ou de l'alimentation publique. Comparés à la masse des curiales, ils ne représentent qu'une minime partie de la bourgeoisie, et comme ils se montrent presque aussi pressés qu'eux d'échapper à leurs obligations, il est probable que celles-ci ne sont pas compensées par de grands profits[12].

Ces armateurs, ces bouchers ou ces boulangers malgré eux ne le sont le plus souvent que parce qu'ils possèdent des immeubles frappés de cette servitude. C'est la terre qui les contraint, obnoxius quem possessio tenet[13]. Pour eux comme pour les curiales, la terre est le principe des charges et des responsabilités. Elle est aussi la mesure de la richesse. Quand les empereurs veulent définir un curiale, ils disent : celui qui possède au moins 25 arpents de terre[14]. Dans le monde romain du IVe siècle, la classe moyenne, enchaînée au sol par de lourdes obligations, repose sur une base à peu près unique : la propriété foncière.

C'est là sa faiblesse : en un certain sens, c'est peut-être là aussi sa force. La classe moyenne de ce temps est assez difficile à étudier. Quand on regarde seulement certains documents, il semble que d'elle se dessine un portrait très net, celui-là même que nous venons de tracer ; mais des renseignements recueillis ailleurs en corrigent ou au moins en atténuent légèrement quelques traits. La lecture des lois où il est question des deux catégories d'hommes qui nous semblent la résumer surtout, les curiales et les membres de certains services publics, donnent l'idée qu'on a prise en lisant les pages qui précèdent. On croit voir la bête de somme, condamnée à porter le fardeau de tous, et à brouter, sur le coin de terre où elle est attachée, une herbe chaque jour plus sèche et plus rare. Mais il faut que cette herbe ait gardé quelques sucs généreux, et que la possession du sol donne encore, même aux plus asservis, des qualités d'endurance et de vitalité, un regain d'indépendance et de force, car de la classe moyenne, du monde où se recrutait la bourgeoisie municipale et la curie des villes, sont sortis, au IVe siècle, beaucoup des chrétiens illustres qui ont exercé sur leur temps la plus grande influence. Au tableau qu'ils tracent eux-mêmes de leur enfance, du milieu familial où ils ont grandi, on voit que cette classe restait plus vivante que les textes législatifs, lus seuls, ne le feraient croire, et qu'elle était encore une pépinière d'hommes éminents.

Telle est l'origine des Basile, des Grégoire de Nysse, des Grégoire de Nazianze, des Césaire, des Amphiloque, issus de familles distinguées au barreau, dans l'enseignement du droit ou dans les offices de judicature locale. Les renseignements donnés sur leur patrimoine ou sur celui de leurs parents nous apprennent toujours qu'il consistait en immeubles : on ne voit pas dans cc milieu trace d'activité industrielle, mais on y rencontre une activité intellectuelle, un souci désintéressé de l'éducation et des lettres, souvent une ferveur religieuse, qui contrastaient avec l'état de dépression morale que les textes législatifs nous font entrevoir. Cependant, quand on y regarde de près, on s'aperçoit que, si occupés qu'ils soient d'intérêts plus élevés, les hommes dont j'ai écrit les noms, et ceux qui paraissent avec eux en relation de parenté ou d'amitié, sont très au courant des charges qui pèsent sur la classe dont ils font partie, et fort enclins à lui venir en aide.

Dans la correspondance de saint Basile, en particulier, il est souvent question des curiales, soit pour les défendre contre les exactions des hauts magistrats, soit pour défendre vis-à-vis d'eux-mêmes et de leur tyrannie forcée les petits contribuables. Une de ses plus belles lettres recommande à un chrétien, fatigué des affaires publiques, d'accepter néanmoins la charge de répartiteur de l'impôt, car le Seigneur ne veut pas que la région soit soumise à l'influence des cabaretiers, et que le recensement ressemble à un marché d'esclaves... Toi, en prenant une tâche qui te pèse, tu seras approuvé de Dieu : tu agiras avec équité, sans crainte des puissants et sans mépris des pauvres ; si les hommes ne te rendent pas justice, Dieu te verra et se chargera de te récompenser[15].

Un trait intéressant dans la vie de quelques-uns de ces saints personnages, c'est la manière dont ils usent de leurs biens. Les pauvres en reçoivent par l'aumône une grande part. Saint Grégoire de Nazianze, qui n'était pas très riche, saint Grégoire de Nysse, qui l'était beaucoup plus, nous sont représentés comme manquant toujours d'argent parce qu'ils donnent tout ; mais on voit qu'ils ont conservé leurs terres : Grégoire de Nazianze s'efforce même de soustraire les siennes aux exactions du fisc. Saint Basile, au contraire, s'est, de son vivant, démis de tout son patrimoine. Il l'a distribué peu à peu aux pauvres. Devenu évêque, il ne possédera plus en propriété que ses habits et ses livres[16]. Saint Hilarion, avant de se faire moine, a partagé son bien entre sa famille et les pauvres. Un autre moine, saint Abraham, devenu riche par la mort de ses parents, a chargé un ami de distribuer aux pauvres toute leur succession. La plupart des religieux qui se retiraient dans la solitude agissaient de même[17]. Ils suivaient l'exemple donné au siècle précédent par le fondateur de la vie monastique, saint Antoine, qui, ayant perdu son père et sa mère, abandonna aux gens de son village les biens qui lui venaient du premier, 150 arpents de bonne terre, pour les aider à payer l'impôt, et donna aux pauvres le reste de sa fortune[18].

On doit admirer, dans ces exemples de dépouillement volontaire, le mouvement de la grâce divine et l'effort héroïque de la charité : mais peut-être sera-t-il permis de penser que l'état précaire de la propriété, pliant sous le poids des responsabilités et des charges, rendit pour plusieurs ce dépouillement plus facile. Et, bien que les historiens ne le marquent point d'une manière précise, sauf pour saint Antoine, on sera tenté de croire que ces pieuses libéralités furent quelquefois faites, non aux pauvres individuellement, mais à la masse des contribuables accablés par l'impôt, ou aux curies obligées d'en répondre.

 

II. — Progrès de la classe ouvrière.

En face de la classe moyenne qui s'étiole, l'historien éprouve quelque consolation à voir la population ouvrière se développer et grandir. Si le christianisme n'a rien pu pour empêcher la décadence de la première, il a été le principal moteur des progrès de la seconde. En combattant, par la prédication et l'exemple, le mépris du paganisme pour le travail, pour le petit commerce, pour le salaire[19], il a commencé une révolution pacifique, dont le dernier terme sera la destruction de l'esclavage, mais dont le premier fruit est une amélioration sensible dans la condition des travailleurs libres. A mesure que l'esprit public se laisse pénétrer par les enseignements de l'Évangile, le séculaire préjugé hostile au travail manuel s'atténue. Se sentant plus respectés, les ouvriers deviennent plus dignes de respect. Meilleurs, ils sont, comme il arrive toujours, plus prospères. Rarement la doctrine chrétienne a exercé une influence aussi évidente sur les idées, et par elles sur les mœurs.

Il serait intéressant de montrer cette doctrine tombant goutte à goutte, pendant trois siècles, sur le roc épais du préjugé païen, qu'elle entame d'abord et finit par dissoudre. Elle crée dans les premières communautés chrétiennes, composées en majorité de petites gens, une atmosphère alerte et laborieuse. La paresse antique est dissipée, dans ce milieu nouveau, par le souvenir sans cesse rappelé de Jésus et des apôtres, par les lettres de Paul, où le travail est loué et recommandé sous toutes les formes[20], par ces livres rapidement populaires, la Didachè, le Pasteur, faisant aux fidèles un devoir de travailler pour amasser l'argent nécessaire à l'aumône, mais leur défendant d'admettre à demeure parmi eux quiconque se présente au nom du Seigneur sans justifier de l'exercice d'un métier[21]. Quand les païens commencent à s'apercevoir de l'existence de l'Église et entrent en polémique avec elle, l'éloge des travailleurs se place de lui-même sous la plume de ses apologistes. C'est Athénagore, c'est Minucius Félix, en appelant, pour démontrer l'excellence de ses doctrines, au témoignage que des illettrés, des artisans, lui rendent par leurs vertus ; c'est Tertullien, déclarant que le moindre ouvrier chrétien connaît mieux que Platon la nature et les perfections de Dieu[22]. Rapproché de ce langage, le mépris que l'orgueil païen professe pour le travail manuel parait déjà suranné : et l'on ne s'étonne pas de voir l'injure de Celse, qui croyait diminuer le Christ en lui reprochant d'être le fils d'une pauvre ouvrière, exciter seulement le dédain d'Origène[23].

Pour juger du progrès accompli, il suffirait presque de comparer au langage des écrivains des trois premiers siècles celui que tiendront les moralistes de la fin du quatrième. Alors, c'était le grave et patient effort de la lutte ; maintenant, c'est l'accent du triomphe. Lentement élaboré, l'idéal de l'ouvrier libre et croyant a trouvé sa forme. Si loin que l'idéal reste toujours du réel, quelque chose du type rêvé se reconnaît déjà S'inspirant à la fois de ce que son zèle désire et de ce que voient ses yeux, le plus éloquent des Pères du IVe siècle, celui en qui on entend tous les autres, saint Jean Chrysostome, fait à diverses reprises le portrait du travailleur chrétien. Si l'on en rassemble, dans ses discours, les traits épars, on voit apparaître l'image d'un homme laborieux et gai, très supérieur par la moralité et même le bonheur au riche oisif. Sa vie est pleine, puisque d'elle dépendent et la nourriture de sa femme et l'entretien de ses enfants. Personne n'a le droit de le mépriser : les magistrats, et les particuliers opulents, et les prêtres doivent entrer avec respect dans la maison où font bon ménage la vertu et la pauvreté, dans l'atelier du faiseur de tentes, du teinturier, du corroyeur ou du forgeron. Bien que noirci de fumée, retentissant du bruit des marteaux, cet atelier est un lieu saint. Dans un coin, on voit suspendu (c'est au moins le vœu de l'orateur) le tronc où l'artisan dépose chaque jour la modeste offrande prélevée sur ses gains, afin d'aider de plus pauvres que lui. Le matin, dès l'aurore, le bon ouvrier est allé à l'église demander à Dieu de bénir le travail de la journée[24]. De retour chez lui, il s'est placé devant son enclume ou son établi, pendant que sa femme et ses enfants s'asseyaient près du métier à tisser. Bientôt, de la ruche laborieuse des bruits joyeux se sont élevés, car l'ouvrier chrétien égaye son travail par le chant des psaumes, que les siens répètent en chœur[25]. Et le riche, tramant le fardeau de son oisiveté, ou accablé des soucis de sa fortune, s'est arrêté ; il a prêté l'oreille à ces voix unies : Heureux, a-t-il murmuré, celui qui gagne sa nourriture par le labeur de ses mains ![26]

On voudrait pouvoir contrôler par les faits cette image trop charmante. La comparaison est difficile, car les petits n'ont pas d'histoire. L'intelligente curiosité qui porte nos contemporains à étudier les familles ouvrières et à en rédiger des monographies, n'était pas née au Ir siècle. A peine peut-on saisir au passage, dans les récits des annalistes du temps, un ou deux traits concernant des ouvriers. Les inscriptions, si prolixes quand il s'agit des grands, sont d'un laconisme désespérant dès qu'il est question des humbles. Cependant quelques figures, les unes à peine entrevues, d'autres plus distinctes, permettent de dire que tout n'est pas dd à l'imagination dans le tableau tracé par saint Jean Chrysostome.

C'est bien une existence de piété et de travail qui nous apparaît dans le naïf éloge écrit sur la tombe d'un fabricant de dés d'ivoire. J'ai mené toujours une vie bonne, lui fait dire sa femme. Parti de peu, j'ai rendu notre médiocrité honorable à tous. Et elle ajoute : Il fut le chef et le conseiller de sa corporation. C'était un homme d'une merveilleuse bonté et d'une grande innocence[27]. Les mêmes paroles eussent convenu à Sévère, le tisserand de Ravenne, que le suffrage du clergé et du peuple vint chercher dans l'atelier, où il travaillait entre sa femme et sa fille, pour le faire asseoir dans la chaire épiscopale[28]. Ce fait extraordinaire en dit plus que tous les détails sur les vertus du pieux artisan. Non moins significative est l'anecdote rapportée par un des biographes de saint Antoine. C'était en 356, à la veille du premier exil d'Athanase. Le célèbre cénobite avait quitté son désert pour aller dans Alexandrie saluer le champion de la foi orthodoxe. Mais il fit dans la métropole égyptienne une autre visite, fort inattendue. On le vit se diriger vers la maison d'un corroyeur. Comme on cherchait le motif de cette démarche : J'ai été averti de Dieu, déclara Antoine, que cet homme est plus avancé que moi dans la piété. Étant entré dans le lieu où travaillait l'artisan : Que penses-tu du salut ? lui demanda-t-il. Je crois, répondit celui-ci, que tous en sont dignes par leurs vertus, excepté moi, qui n'y arriverai pas à cause de mes péchés. — Voyez, s'écria Antoine, cet homme a plus appris à son établi que moi dans ma solitude ![29]

Dans le tableau qu'il a tracé, saint Jean Chrysostome a eu soin de montrer la femme travaillant près de son mari. C'est ce qu'on vient de retrouver dans l'atelier du tisserand de Ravenne. Le métier à tisser gravé sur la tombe d'une épouse chrétienne du ne siècle en semble l'illustration[30]. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir une autre chrétienne prendre, dans une épitaphe de 341, le titre d'ouvrière, operaria, que prononçaient naguère avec un étrange mépris Cicéron, Suétone et Celse. Elle y joint la qualification, qu'ils n'eussent pas beaucoup mieux comprise, d'amie des pauvres, et la donne de même à son mari[31]. Le tombeau est un grand sarcophage de marbre, qui semble peu convenir à un ménage d'artisans : cependant le style de l'inscription, les incorrections de l'orthographe, font penser à des personnes de très modeste condition sociale[32]. On ne craignait pas, au IVe siècle, d'enterrer avec un grand luxe funéraire des gens exerçant de petits métiers. Telle est cette marchande de légumes, dont une fresque perpétue le souvenir dans la catacombe de Calliste. Rien n'est plus rare qu'un portrait dans les antiques cimetières chrétiens. A peine y pourrait-on signaler une ou deux peintures qui semblent rappeler les traits individuels des défunts. Cela donne une signification particulière aux dérogations à cette règle générale de modestie. L'exception est surtout remarquable, quand il s'agit d'une personne d'humble condition. La marchande est représentée debout devant un éventaire chargé de fruits et de légumes. Au-dessous est une corbeille remplie des mêmes denrées. Des feuillages verts reposent sur un escabeau. On regrette de ne pouvoir lire l'épitaphe, malheureusement perdue ; mais l'importance de l'arcosolium, richement décoré, au fond duquel est cette peinture, semble attester que la défunte jouissait d'une grande considération dans la communauté chrétienne[33].

Le travail à l'atelier domestique, l'ouvrier membre d'une corporation, voilà ce que laissent voir les textes du ne siècle. La corporation est chose essentiellement romaine ; elle apparaît dès l'époque obscure des origines de Rome. Au IVe siècle, elle se montre sous une double forme : obligatoire et oppressive pour ces propriétaires fonciers que l'État groupe en collèges chargés des divers services de transport et d'alimentation, et qui paraissent, dans l'ordre industriel, le pendant des curiales dans l'ordre civil ; obligatoire encore, mais, à certains égards, bienfaisante, pour les ouvriers proprement dits ou pour les petits commerçants, qui trouvent dans leurs divers corps de métier assistance et protection. Les textes montrent les corporations industrielles, à cette époque, fières et florissantes. On les voit, à Alexandrie, marcher en procession au-devant de saint Athanase, les gens de chaque métier s'avançant en groupes séparés ; dans la grande métropole égyptienne, où la vie industrielle et commerciale est très active, ces cérémonies, nous dit-on, se reproduisent toutes les fois que les Alexandrins veulent faire honneur à quelque citoyen populaire ou à quelque hôte de distinction[34]. Malheureusement, Les inscriptions, qui abondent en renseignements sur la vie intérieure des corporations pendant les deux ou trois premiers siècles de l'Empire, font très incomplètement connaître leur organisation au quatrième. On le regrettera d'autant plus que, par l'obligation, le nombre de leurs membres a dû beaucoup augmenter, et que, la plupart des métiers étant devenus héréditaires, il a dû se former dans chacune d'elles un esprit de corps beaucoup plus puissant, tout un ensemble de traditions et de coutumes.

On évitera de confondre les corporations industrielles du IVe siècle avec les collèges de petites gens, collegia tenuiorum, qui se rencontrent au commencement de l'Empire sous une multitude de dénominations, parfois grotesques, souvent touchantes. Dans ces associations, formées pour festoyer ensemble, et presque toujours aussi dans le but plus sérieux de. s'assurer, par le secours mutuel, une sépulture honorable, entraient pêle-mêle prolétaires et esclaves[35]. Nombreuses aux siècles précédents, elles sont devenues très rares dans celui qui nous occupe. L'une des causes de leur décadence fut sans doute le nombre croissant des chrétiens. Ceux-ci se retiraient d'associations funéraires en partie composées d'idolâtres, placées même fréquemment sous l'invocation de quelque dieu[36], et dont les avantages se rencontraient d'ailleurs dans l'Église, puisqu'elle ouvrait ses cimetières à, tous les fidèles sans faire, selon le mot d'un écrivain du IVe siècle, aucune distinction entre le riche et le pauvre, le libre et l'esclave[37]. Mais une autre cause dut contribuer aussi à leur disparition. Se sentant plus honoré, le travailleur libre était devenu plus difficile dans le choix de ses compagnons. On peut regretter ce sentiment et lui préférer la fraternité touchante qui avait jadis groupé de petites gens de toute origine. Cependant, il faut remarquer que cette fraternité, en ce qu'elle put avoir de vrai et de pur, se retrouvait amplement dans les réunions du culte chrétien. Partout ailleurs, dans leurs relations de travail et de loisir, les ouvriers ne pouvaient que gagner à vivre entre égaux. Si l'on tonnait quelques exemples, sous la République et dans les premiers temps de l'Empire, de corporations industrielles admettant des esclaves parmi leurs membres[38], ils se rapportent à une époque où le travail libre était à peine distingué, par l'opinion publique, du travail servile ; mais ces exemples ne se retrouvent pas au ne siècle, où ils eussent été en contradiction avec les idées et avec les mœurs. Les chrétiens formaient alors la majorité de la population ouvrière. M. de Rossi fait remarquer l'énorme disproportion existant, à cette époque, entre le nombre des inscriptions païennes et celui des inscriptions chrétiennes[39] ; ces dernières sont, pour la plupart, relatives à des gens du peuple, et par les idées, par le style, par l'orthographe, rappellent tout à fait le milieu social où se recrutaient les corporations industrielles. Certains faits peuvent être considérés comme des indices de la sympathie publiquement manifestée par celles-ci au christianisme et à ses représentants. Les saleurs dédient une statue à Constantin[40]. Les corroyeurs, — ce corps de métier dont le nom se retrouve si souvent sous la plume de saint Jean Chrysostome, — élèvent aussi, à Rome, une statue à Constantin, et une autre à l'un de ses fils[41]. En 334, ils choisissent pour patron le consul Anicius Paulinus, chrétien déclaré[42]. On a déjà vu que les fabricants de dés d'ivoire, à une époque quelconque du IVe siècle, avaient élu président ou syndic un très vertueux et très pieux fidèle : ils prêtaient volontiers l'oreille à ses avis, puisqu'au titre de magister l'épitaphe ajoute l'appellation moins officielle, mais assez significative, de conseiller, hortator.

On remarquera que les quelques corporations dont nous avons cité les noms appartiennent aux petits métiers, à ceux qu'on peut exercer chez soi, plutôt qu'à la grande industrie. Il n'est guère question que de ceux-ci dans les textes juridiques ou les inscriptions. Nous en avons dit la raison : les grands ateliers se rencontrent surtout dans les maisons peuplées de nombreux esclaves, qui travaillent embrigadés par décuries ou par centuries : leur législation se confond avec celle de l'esclavage. Les ouvriers libres travaillent à leur compte, ou au compte d'un patron, dans les petits ateliers, souvent dans les ateliers de famille. L'absence de machines industrielles, la simplicité des instruments de travail, font qu'il n'y a guère, entre la grande et la petite industrie, d'autre différence que le nombre des ouvriers et l'étendue des ateliers : l'une est celle qui emploie des esclaves, l'autre est celle que pratiquent les hommes libres : mais les procédés de la fabrication et la nature des produits sont les mêmes. Quand il est question, par exemple, de tisserands chez les écrivains du IVe siècle, le contexte seul nous apprend s'il s'agit d'un tissage occupant des centaines de bras, comme ce textrinum qu'Ammien Marcellin nous a montré marchant devant le char d'un riche possesseur d'esclaves, ou d'un petit atelier dans lequel deux ou trois personnes font courir la navette sur le métier à tisser, comme on en rencontrait encore, il y a peu d'années, dans nos campagnes. A cette sorte d'atelier domestique s'appliquent presque tous les passages où des tisserands sont nommés dans les écrits ou les discours des Pères de l'Église.

Dans quelques grands établissements d'une nature exceptionnelle, des hommes libres se rencontraient, cependant, mêlés à des affranchis et à des esclaves. Diverses sortes de produits avaient été soustraits par l'État à l'industrie privée. Le souci de la sécurité extérieure et intérieure de l'Empire l'obligeait à fabriquer lui-même les armes et les machines de guerre, ainsi que les étoffes et les objets de toute nature servant à l'équipement des soldats. Un sentiment d'un autre ordre le conduisait à se réserver le monopole des étoffes destinées aux palais impériaux, rigides tissus chargés d'or et d'argent, pour la parure de l'empereur ou de l'impératrice, légers voiles de lin ou lourdes tapisseries pour leurs appartements. Ses orfèvres seuls lui semblaient capables de sertir ou de ciseler les bijoux de la couronne, ces tiares, ces diadèmes, ces colliers, ces pendeloques, ces ceinturons, que le luxe et l'étiquette multipliaient singulièrement au IVe siècle. Enfin, il usait d'un droit régalien, en s'attribuant la fonte et la frappe des monnaies. L'État avait ainsi ses filatures de lin, ses tissages de lin et de laine ; il avait ses teintureries de pourpre ; il avait ses fabriques d'armes ; il avait ses ateliers d'orfèvrerie ; il avait ses hôtels des monnaies. Si l'on parcourt les lois réglant la condition des hommes libres employés dans ces diverses manufactures, il semble qu'elle différât peu de celle des esclaves[43]. Ils n'ont pas le droit de changer de profession, et doivent transmettre à leurs enfants celle qu'ils ont exercée toute leur vie. Dans certains métiers, ils ne peuvent se marier hors de la corporation. Les malfaçons sont sévèrement punies. Cependant, quand on y regarde de près, ces gens soumis à une réglementation si restrictive paraissent assez libres, et même fort remuants. Au IIIe siècle, les monétaires des Gaules font trembler Aurélien. Un armurier gallo-romain fut pendant quelques mois empereur[44]. En Orient, au IVe siècle, quand les tisserands et les armuriers des fabriques impériales veulent manifester leur mécontentement, ils sortent sur la place publique en brandissant leurs outils, et semblent un essaim d'abeilles que la fumée a chassé hors de la ruche[45]. A Cyzique, les tisserands en laine et les monétaires forment deux corporations extrêmement nombreuses : ils vivent avec leurs femmes, leurs enfants et leurs serviteurs ; leurs obligations consistent à fournir chaque année au fisc une quantité déterminée d'objets de leur fabrication, les uns des monnaies neuves, les autres des uniformes militaires[46]. Ils paraissent une population à part, qui se mêle peu aux habitants de la ville, et ne se croit pas obligée d'en partager les sentiments. Si les ouvriers impériaux de Césarée font cause commune avec tout le peuple de la cité pour protester en faveur de saint Basile[47], ceux de Cyzique se séparent, sous Julien, de leurs concitoyens et refusent de suivre ceux-ci devant les autels des dieux[48]. Ces exemples suffisent à montrer que dans cette catégorie de la classe ouvrière, comme dans les autres, le christianisme avait jeté de profondes et multiples racines.

Les ouvriers des manufactures impériales, malgré l'espèce de servage auquel ils étaient assujettis, ne représentent pas encore la dernière classe du peuple, puisque, pour retenir dans les liens de la corporation les artisans de la monnaie, Constantin leur défend par décret d'aspirer au perfectissimat ou à l'égrégiat, dignités correspondant à l'ordre équestre, ou de prétendre au grade de ducénaires, de centenaires, qui étaient des officiers de la milice palatine[49]. On ne leur barrerait pas la route de ces dignités ou de ces grades, si quelques-uns au moins parmi eux n'étaient en mesure d'y parvenir. Cela n'indique pas une situation très abaissée. Pour atteindre les derniers rangs du peuple, il faut descendre jusqu'à ces prolétaires que l'État admet à participer aux distributions publiques de pain et de denrées. Ces distributions, véritable manifestation du socialisme officiel, furent dans Rome, pendant les premiers siècles de l'Empire, la ressource unique et régulière de plusieurs centaines de mille hommes. Elles avaient pour explication et, dans une certaine mesure, pour excuse la concurrence écrasante faite au travail servile. Au IVe siècle, la situation s'est améliorée, au moins pour les petits métiers, et le nombre des travailleurs libres s'est accru, en même temps que diminuait celui des esclaves[50]. Cependant la situation économique n'est pas encore assez modifiée pour que les mauvaises habitudes prises depuis de longs siècles par une partie très considérable de la classe populaire aient pu se corriger : les empereurs du IVe siècle sont obligés de nourrir, et même d'amuser, une immense multitude de pauvres et d'oisifs. Les distributions gratuites de blé, d'huile, de lard, même de vin, continuent à Rome, à Constantinople, dans les grandes villes : elles sont réglementées par plusieurs titres du Code Théodosien : c'est en partie pour en garantir le fonctionnement régulier que travaillent obligatoirement les corporations astreintes au service des transports et de l'alimentation. Une loi de 369 parle des gens du peuple qui n'ont pas d'autre ressource, popularibus quibus non est aliunde solatium[51]. En 394, Prudence, dans son poème contre Symmaque, montrera encore ceux-ci escaladant les degrés de l'estrade dressée dans chacune des quatorze régions de Rome, afin de recevoir des mains du distributeur public leur part de denrées ou le bon qui y donne droit[52]. De ce genre de distribution, le pain qui nourrit la longue oisiveté de la foule[53] a reçu l'appellation officielle de pain des gradins, panis gradilis[54].

Ces pensionnaires de l'annone sont, au IVe siècle, ce qu'ils furent dans tous les temps : calmes, si l'État leur donne, comme autrefois, leur sportule pleine de vivres et leur place gratuite au théâtre ; turbulents, si par hasard la flotte qui porte le blé d'Afrique, d'Égypte ou de Sicile a été retardée par les vents contraires et n'est point signalée, aux époques accoutumées, en vue du port d'Ostie. Quand ce contretemps se produit, tout autre intérêt ou tout autre devoir disparaît pour ces affamés : malgré les lois prohibant les sacrifices officiels, le préfet de Rome est obligé, pour prévenir une émeute, d'offrir des victimes dans le temple des Castors, protecteurs de la navigation[55]. Mais, hors ces moments d'effervescence passagère et de superstition réveillée, c'est le christianisme qui l'emporte, au quatrième siècle, jusque dans cette dernière couche du peuple romain. Tous les petits, écrira bientôt Prudence, tous ceux qui demeurent aux plus hauts étages des maisons et, pour rentrer chez eux, foulent les marches noircies de longs et sinueux escaliers, tous ceux qui vivent du pain distribué par l'assistance publique, fréquentent déjà, dans les souterrains du Vatican, la tombe du père aimable de l'Église romaine ou courent en foule vers le baptistère du Latran, afin d'en rapporter le signe du salut et l'onction royale[56]. Si Prudence, en 394, a pu écrire tous, on pourra au moins, trente ou quarante ans plus tôt, mettre le plus grand nombre, avec l'assurance de n'être pas loin de la vérité. Mais, pour être tout à fait vrai, il conviendra d'ajouter que, parmi ces pensionnaires de l'assistance publique, victimes à demi conscientes d'une organisation économique viciée depuis des siècles, il y en a maintenant qui ne sont pas oisifs. Ceux-ci exercent de petits métiers qui ne suffiraient pas à les nourrir sans l'aide de l'État. Une inscription, malheureusement trop fragmentaire pour être complètement comprise, contient une liste, dressée par l'ordre d'un préfet de Rome dans la seconde moitié du IVe siècle[57] : c'est l'énumération des gens qui, pour un motif quelconque, ont, dans les divers quartiers de la ville, encouru la radiation des largesses publiques. Parmi les noms qui se lisent encore sur le marbre, on en rencontre d'apparence chrétienne, comme Redemptus, Boniface, Adeodat, Quod vult Deus. A la suite de plusieurs de ces noms est jointe une indication de métier : coiffeur, valet d'auberge, revendeur, marchand de cire, de plumes, de vaisselle, de légumes, de galoches, d'habits. Ce n'est point pour s'être fait ainsi quelques moyens d'existence que ces artisans ou ces petits marchands ont été radiés, car beaucoup d'autres noms, dans la même liste, ne sont accompagnés d'aucune mention de ce genre. Le détail que nous venons de relever montre seulement, au IVe siècle, des habitudes laborieuses s'introduisant jusque parmi les assistés auxquels l'État assure encore leur place au théâtre et leur droit au bon de pain : locum spectaculis et panem, dit l'inscription[58].

 

III. — Situation des esclaves.

L'amour des spectacles était encore très grand au IVe siècle. Mais déjà les moralistes chrétiens ont pour le combattre des arguments que leurs devanciers n'eussent pas employés. Saint Jean Chrysostome ne reproche pas seulement au théâtre, au stade, à l'amphithéâtre leur immoralité ou leur cruauté, comme l'avaient fait Tatien, Athénagore, Tertullien, saint Cyprien ; il leur objecte aussi le temps qu'ils font perdre aux spectateurs[59].

Si envahissante qu'elle paraisse quelquefois, la place occupée par le théâtre dans la vie moderne n'est rien auprès de celle qu'il avait prise chez les anciens. Dans leur vaste hémicycle ou leur ovale immense, les édifices construits pour le drame, les courses ou les combats, pouvaient contenir et renfermaient souvent en fait les habitants adultes de toute une cité. Les représentations n'y duraient pas, comme chez nous, deux ou trois heures ; elles commençaient ordinairement le matin pour s'achever dans la nuit[60]. Le nombre des jours ainsi employés comprenait une partie notable de l'année. En 354, le calendrier romain compte encore cent-soixante quinze jours de fête. Il y en a dix pour les combats de gladiateurs, soixante-quatre pour les jeux du cirque, cent un pour les représentations scéniques[61]. Mais les fêtes du calendrier, célébrées à des dates fixes, aux frais communs du trésor public et des titulaires de diverses magistratures, sont loin de représenter toutes les journées consacrées aux spectacles. Il y faut ajouter ceux que les empereurs offrent de temps en temps au peuple, à l'occasion d'un anniversaire, d'un événement heureux, d'une victoire ; et aussi les représentations organisées par de riches citoyens, avides de popularité, ou empressés de montrer leur fortune. Celles-ci sont encore très nombreuses, à en juger par les allusions qu'y font les écrivains du temps[62].

Certes, le mot de saint Jean Chrysostome est bien justifié. Il trouve son application non seulement à Rome, à Constantinople ou à Antioche, mais encore dans les moindres cités ; on connaît des villes où l'amour des spectacles était devenu si absorbant, qu'il avait fini par y éteindre toute vie industrielle et commerciale, leurs habitants n'ayant plus d'autre souci que les jeux où du matin au soir ils passaient leur vie[63]. Si juste qu'il soit, cependant, le mot de l'orateur du IVe siècle n'eût sans doute pas été compris cent ou deux cents ans plus tôt. Maintenant les intelligences sont préparées à l'entendre. On perd encore le temps, mais on en sait davantage le prix, parce qu'on apprécie mieux la valeur du travail, pratiqué de plus en plus par les hommes libres.

Les moralistes chrétiens auront encore beaucoup à faire, cependant, pour combattre l'irrésistible attrait de ces joies factices. On en jugera par l'histoire d'une semaine sainte à Constantinople, tout à la fin du siècle. Le mercredi, une pluie torrentielle était tombée, menaçant d'inondation les campagnes chargées de moissons et la ville elle-même. Le peuple n'avait cessé de visiter les sanctuaires, au chant des litanies. L'orage se calma le jeudi. Rassurée, le vendredi saint la foule déserta l'église pour le cirque. Le samedi saint, elle courut au théâtre[64]. Cependant la population de Constantinople à tait chrétienne et même fervente. Mais sa ferveur n'était pas à l'épreuve des séductions de la scène. Celles-ci lui faisaient oublier jusqu'aux jours les plus sacrés et aux mystères les plus touchants de la religion. On comprend que les Pères de l'Église aient dirigé contre une passion aussi exclusive les traits de leur éloquence. Sur tous les points, le progrès social, si réel à cette époque, trouvait sa route barrée par le théâtre. Funeste à la famille par la démoralisation qu'il propageait, et aussi par les habitudes de vie tout extérieure qu'il entretenait, au travail industriel par l'oisiveté dont il était cause, à la vie religieuse par la concurrence souvent victorieuse qu'il faisait aux cérémonies du culte, le théâtre contribuait encore à retarder la suppression de l'esclavage, à cause du grand nombre des esclaves qu'il employait.

Dans l'immense personnel occupé aux spectacles, il y avait des gens de condition libre. Si la loi, tyrannique pour eux comme pour les membres de toutes les corporations, les retenait quelquefois, malgré les protestations de leur conscience, dans les liens d'un métier considéré comme immoral, au moins ne devaient-ils compte de leurs actions à personne. Mais à côté d'eux, confondus dans la promiscuité de la vie théâtrale, les esclaves étaient en foule. Ces comédiennes qui traversaient la ville en litière, superbement parées, ces mimes qui éblouissaient le peuple par le luxe de leurs équipages, travaillaient souvent pour le compte d'un maitre. Dépouillez, dit un écrivain du temps, de leurs habits de pourpre ceux qui font sur la scène le personnage de roi ou de prince, ce ne sont pas des rois ou des princes qui apparaîtront, et souvent ce ne sont même pas des hommes libres[65]. Plus encore que sur la scène, il en était ainsi au cirque. Non seulement les innombrables serviteurs attachés aux écuries étaient presque tous esclaves[66], mais aussi les cochers, que la foule enthousiaste couvrait de palmes, de couronnes, et sur lesquels l'or semblait pleuvoir, appartenaient pour la plupart à la classe servile. Dans les chasses périlleuses ou les combats sanglants de l'amphithéâtre, quelques hommes libres, parfois des nobles ruinés, risquent leur vie pour de l'argent, esclaves seulement de leur ventre, selon l'expression d'un contemporain[67] ; ce faible appoint, même en y joignant les condamnés et les prisonniers de guerre, ne suffirait pas cependant à remplir les cadres des bestiaires et des gladiateurs : il y faut des esclaves, au sens strict du mot. Façonnés par la dure discipline de l'entrepreneur qui les a loués ou vendus au président des jeux, ce sont les meilleurs combattants, les mieux entraînés, les plus dociles et les plus féroces tout ensemble. Ils savent mourir correctement sous les yeux du peuple romain, sans rien retrancher du plaisir qui lui est dû. Ce ne sont pas eux qui s'étrangleraient dans leurs prisons la veille du spectacle, comme ces farouches prisonniers saxons que la munificence impériale avait octroyés à Symmaque, et sur lesquels celui-ci, dans une lettre célèbre, verse des pleurs de crocodile[68].

En 350, les gladiateurs sont encore assez nombreux à Rome pour qu'un prétendant, se servant d'eux comme d'une armée, s'empare avec leur aide du pouvoir[69]. Jusqu'à ce que l'Église soit parvenue, au commencement du Ve siècle, à obtenir de la volonté hésitante des empereurs la suppression définitive des spectacles sanglants, cette horrible forme de l'esclavage subsistera. Sur des scènes plus douces, mais aussi plus impures, longtemps encore après cette date paraîtront des esclaves.

Les mœurs publiques recevaient des mœurs privées de fâcheux exemples, donnés, comme il arrive souvent, par ceux mêmes qui eussent eu le devoir d'éclairer ou de modérer les passions de la foule. Le goût des distractions scéniques était si grand dans l'ancien monde que beaucoup de gens, à qui leur fortune permettait de se donner ce luxe, avaient en permanence le théâtre chez soi. Ce n'était pas la comédie de salon, comme la jouent les modernes ; d'opulents Romains entretenaient des comédiens à demeure[70]. Ils nourrissaient dans leurs maisons des troupes d'histrions, de danseurs, de ballerines, achetés à grands frais ou dressés dès l'enfance. Des contemporains de Pétrone ou dé Pline ces mœurs ont passé à ceux de saint Jérôme ou de saint Jean Chrysostome. Ils font de leur maison un théâtre, répète plusieurs fois ce dernier, parlant des riches de son temps[71]. Il faut lire dans ses discours, ou dans les vers mordants de Grégoire de Nazianze, la description des salles aux plafonds dorés, aux parois de marbre, aux pavés de mosaïque, pleines d'ombre, de vases réfrigérants, de boissons exquises, de bruit et de musique, où les convives, couchés sur des lits d'ivoire, autour de tables ruisselantes de parfums, prêtent l'oreille aux concerts donnés par un orchestre domestique, ou promènent leurs regards sur les danses des jeunes garçons et des jeunes filles qui forment le corps de ballet[72].

Des scandales d'un antre ordre avaient-ils encore lieu dans les maisons riches ? On avait vu jadis des particuliers nourrir des troupes de bestiaires et de gladiateurs, non seulement pour les louer dans les jeux publics, mais encore pour offrir à leurs amis, dans des amphithéâtres privés, le spectacle de tueries intimes. Si ce dilettantisme cruel exista jamais en Orient, il semble qu'il y eût entièrement cessé an temps qui nous occupe. Les écrivains chrétiens de cette partie de l'Empire ne nous laissent rien ignorer des mauvaises mœurs de leur siècle : ils parlent souvent des chasses et des combats de gladiateurs donnés au peuple par des particuliers ; mais jamais ils ne montrent ceux-ci les prolongeant, pour ainsi dire, dans leurs maisons. C'est la corruption du théâtre, non les mœurs homicides de l'amphithéâtre, que la colère évangélique d'un Grégoire ou d'un Chrysostome poursuit jusqu'au fond des demeures de l'aristocratie. Ils décrivent quelquefois les ménageries où de riches personnages élevaient des oiseaux de proie, des bêtes sauvages, notamment des ours[73] ; mais ce qu'ils y trouvent à blâmer, c'est la dépense inutile et l'excès de luxe ; ils parleraient plus sévèrement si ces animaux servaient à des combats. Sur l'Occident, je n'oserais porter un jugement aussi assuré ; les écrivains latins du IVe siècle sont autrement sobres de détails de mœurs que leurs confrères orientaux ; ils se taisent de tant de choses qu'on ne saurait, en bonne critique, rien conclure de leur silence. Sur le point qui nous occupe, il serait certainement imprudent de le faire. Une anecdote rapportée par un historien grec, mais relative à une résidence impériale d'Italie, montre que là au moins existait encore, dans la moitié du siècle, un amphithéâtre où les bêtes féroces étaient chassées pour le seul plaisir du prince et de sa cour. Un jour que Gratien, dans son palais de Milan, assistait à une représentation de ce genre, saint Ambroise, qui voulait lui demander la grâce d'un accusé, ne put parvenir auprès de l'empereur qu'en se glissant, à la suite des bestiaires, par la porte destinée aux fauves[74]. C'est peut-être dans le même amphithéâtre que Julien avait vu Constance tuer de sa main, à coups de flèches ou de javelots, des ours, des léopards et des lions[75].

Quelque grand, cependant, que fût leur nombre, les esclaves destinés aux spectacles privés n'étaient que l'exception. Ce qui reste la règle, c'est la multitude des serviteurs inutiles employés dans les maisons riches. Quand le maitre voyageait, un nombreux cortège, rangé, comme une armée, en troupes distinctes, environnait son char ; même pour une simple promenade, il lui fallait une escorte : un élégant se fût cru déshonoré s'il avait été vu se dirigeant vers le bain ou se promenant au Forum sans être entouré d'esclaves. Chevauche-t-il ? ceux-ci marchent devant et derrière sa monture ; un coureur le précède, écartant la foule. Les femmes, si elles veulent être à la mode, se font suivre de même par de nombreux serviteurs : paraître dans la rue avec deux esclaves seulement serait une faute contre le goût[76]. Dans l'intérieur de la maison, la mollesse et la vanité multiplient de même les services à l'infini. Un contemporain nous dit qu'il y a des esclaves différents pour ouvrir la porte, annoncer les visiteurs, imposer silence aux voix trop bruyantes, offrir des fleurs, répandre des parfums, servir à boire, apporter les mets, les goûter, transmettre les moindres signes du maitre, en interprétant jusqu'au mouvement de ses doigts[77]. On recherche, comme autrefois, les jeunes pages au visage efféminé, au teint brillant, à la longue chevelure : ils sont mêlés à la foule des eunuques de tout âge, depuis l'enfant jusqu'au vieillard, dont les vêtements chargés de broderies d'or dissimulent mal la précoce ou sénile décrépitude. Tout ce monde, paré de couleurs éclatantes, remplit de son oisiveté affairée ou de son labeur frivole le palais des grands[78].

Si nombreux qu'ils paraissent, les esclaves de luxe, employés au service intérieur ou attachés à la personne du maitre, forment une faible partie de son patrimoine.

Il y faut ajouter les esclaves de la campagne, qui servent à l'exploitation des biens ruraux, et les esclaves industriels, répartis en divers ateliers, dont la population égale ou dépasse souvent le personnel des grandes manufactures modernes. Toute proportion gardée, les fortunes médiocres sont établies sur le même plan. Le service intérieur, moins somptueux, est encore très divisé : pour les besoins de la maison, sinon pour la production industrielle, beaucoup d'esclaves font l'office d'ouvriers. Même dans les demeures des pauvres, il y a des esclaves. N'en avoir qu'un est une marque non seulement de pauvreté, mais d'extrême misère[79]. A ne voir que l'apparence, l'esclavage n'a encore subi aucune atteinte. Les écrivains du milieu ou même de la fin du ne siècle montrent des esclaves mis en vente et exposés nus sur le marché, mal logés, mal nourris, contraints au silence, enchaînés, condamnés à tourner la meule, sujets à la torture, victimes de châtiments corporels et trop souvent, avec la connivence des lois civiles, voués malgré eux à l'immoralité[80]. L'esclavage semble être encore ce qu'il était au commencement de l'Empire romain. Chacun des détails que nous avons empruntés à Ammien Marcellin, à Basile, à Grégoire de Nazianze, à Jean Chrysostome, pourrait être appuyé d'une citation de Pétrone, de Valère Maxime ou de Pline, d'Ovide ou de Juvénal. Si la sévérité de l'histoire permettait un pareil jeu d'esprit, il ne serait pas très difficile de tracer un tableau de l'esclavage sous les règnes d'Auguste ou de Trajan, en se servant de témoins contemporains de Constance ou de Théodose, comme on pourrait peindre le personnel servile au temps de ceux-ci avec les couleurs fournies par des écrivains du premier ou du second siècle.

En y regardant de près, cependant, on s'aperçoit que les apparences ne correspondent pas tout à fait à la réalité. Bien qu'il y ait encore des multitudes d'esclaves, déjà se reconnaît, chez les plus riches citoyens, un effort pour combler, par quelque artifice, des vides qui se seraient produits dans la population servile. C'est ainsi qu'en tète de son pompeux cortège l'opulent personnage qu'Ammien Marcellin a pris pour type du luxe de l'époque, fait marcher devant son char tout le personnel de l'atelier de tissage, puis les cuisiniers et les marmitons, et qu'à la foule des esclaves suivant pêle-mêle sont joints un grand nombre de badauds du voisinage ; il semble que les maîtres de cérémonie qui, une baguette à la main, alignent tous ces figurants, aient cid emprunter de toutes parts pour donner l'illusion de l'ancien train de maison : ils ont vidé l'atelier, ils sont descendus dans les cuisines, ils ont même racolé peut-être des vagabonds et des oisifs[81]. Autre signe des temps : un cortège de cette sorte excitera bientôt moins d'admiration que de mécontentement. Quand une femme de bonne naissance se montre supérieure au préjugé mondain et traverse le Forum peu accompagnée ou même seule, un murmure de sympathie s'élève sur ses pas[82]. Mais une manifestation bien différente a lieu sur le passage des vaniteux possesseurs d'esclaves, qui fendent à grand bruit la foule. Quand tu t'avances sur ton char, dira saint Jean Chrysostome à l'un d'eux, beaucoup de gens ne te regardent pas, mais regardent le brillant harnais de tes chevaux, les esclaves qui te précèdent et qui te suivent et ceux qui ouvrent pour toi un chemin dans les rangs pressés du peuple : toi, ainsi escorté, ils te détestent et te considèrent comme un ennemi public[83].

Le nombre des esclaves parait donc avoir diminué, même dans les grandes maisons. Une conséquence de cette diminution, c'est qu'à la fin du le siècle on compte parmi les domestiques quelques hommes libres[84]. Quelle que soit la porte par où ils rentrent, ceux-ci reprennent peu à peu à divers étages de la société les places occupées auparavant par les esclaves. Dans le service de l'État, des cités, ils se substituent à eux pour une multitude de petites fonctions, dont ces derniers avaient eu jusque-là le monopole. A la différence de la grande industrie, où semble encore dominer l'esclavage, les petits métiers reviennent aux mains des personnes de condition libre. Ce mouvement, qui replace progressivement, sans secousse, la société sur ses véritables bases, a diverses causes. L'une est le déclin de la puissance militaire de Rome. Depuis longtemps, celle-ci ne fait plus que des guerres défensives : les captifs barbares qui en proviennent sont peu nombreux, comparés à la multitude des prisonniers de guerre qui, à la fin de la République et dans les deux premiers siècles de l'Empire, étaient presque chaque année jetés par la conquête sur tous les marchés du monde civilisé. En dehors de la traite, commerce rare et furtif, l'esclavage ne se recrute plus guère que par lui-même, c'est-à-dire par les naissances, qui, dans les familles serviles (c'est un fait d'expérience), ont été de tout temps inférieures aux décès. N'étant plus, comme autrefois, renouvelé par l'apport fréquent d'un sang nouveau, l'esclavage décline d'année en année. Voilà plus d'un siècle que ce déclin se produit. C'est un reflux lent, à peine sensible, qui laisse chaque jour un peu plus d'espace libre sur le rivage jadis tout entier couvert par la marée montante de la servitude.

Des motifs politiques ou même économiques ne suffiraient pas à expliquer un fait aussi considérable : rarement une révolution de cette importance s'accomplit sans avoir une cause morale. Depuis trois siècles, le christianisme avait employé à miner l'esclavage son influence croissante sur les âmes. Certes, la tâche était délicate, car nulle doctrine, même triomphante, et à plus forte raison une doctrine longtemps persécutée, n'eût pu attaquer de front une institution sur laquelle semblait reposer l'ancien monde. Pour l'abattre d'un seul coup, il aurait fallu recourir aux moyens révolutionnaires, c'est-à-dire renverser la société même avec elle. Rien n'était plus facile peut-être, car, en s'appuyant sur l'esclavage, les civilisations antiques prenaient pour base un amas de matières inflammables, qui avaient déjà causé des incendies partiels, et qu'une étincelle puissante eût sans beaucoup de peine entièrement allumées. Mais rien n'était plus contraire à l'esprit du christianisme, qui se contenta de poser, en les laissant se développer eux-mêmes, des principes incompatibles avec la continuation de la servitude : égalité primitive, consacrée de nouveau par le sang d'un Dieu répandu pour tous les hommes ; fraternité universelle, rappelée chaque jour par les rites et les sacrements d'une religion offerte à tous sans distinction de conditions sociales ; dignité du travail, devenu le devoir de chacun au lieu d'être le fardeau de quelques-uns ; humilité, chasteté, mortification, vertus nouvelles, directement opposées aux vices que favorisait et qui entretenaient l'esclavage. En même temps qu'il en préparait ainsi la lointaine mais complète abolition, le christianisme, par un juste souci des nécessités présentes, s'efforçait de le rendre provisoirement supportable : il prêchait aux maîtres la douceur, aux esclaves la résignation, afin de rapprocher les cœurs et d'inspirer aux deux classes d'hommes les plus divisées de situation et d'intérêt des sentiments de mutuelle tolérance.

Au IVe siècle, malgré les abus et les excès que nous avons signalés, le rapprochement est en train de s'accomplir, parce que les inégalités les plus révoltantes, sans s'effacer encore tout à fait des lois, disparaissent peu à peu des mœurs. Comme il arrive souvent, la société est déjà plus chrétienne que sa législation. Les écrivains religieux se plaignent encore avec raison que l'éducation de l'esclave reste généralement négligée, que sa moralité même soit souvent en péril par la cupidité ou les vices des maîtres[85] ; mais ils reconnaissent en même temps que l'esclave a obtenu de l'Église ou reçu de la société améliorée par elle ce que lui refusait la civilisation antique : l'égalité religieuse et le droit au mariage, à la paternité légitime, à la famille[86]. Cela seul suffisait à retirer au problème de l'esclavage beaucoup de son caractère aigu et douloureux. Aussi n'entend-on plus parler, comme autrefois, de révoltes d'esclaves. Les maîtres ne paraissent plus trembler dans leurs maisons, et s'y sentir entourés d'autant d'ennemis que de serviteurs. La cessation ou au moins l'atténuation de cet état de guerre intérieure est probablement pour quelque chose dans le sentiment de sécurité qui, en dépit des agitations et des misères de l'époque, se montre souvent dans le langage de ses écrivains. Il devient possible à ceux-ci de discuter le principe de l'esclavage, sans craindre de soulever des passions qu'eux-mêmes seraient ensuite impuissants à calmer. L'apaisement général des esprits permet d'entrevoir et même de montrer, dans un avenir plus ou moins prochain, la solution définitive.

Après avoir dit, en répétant saint Paul, que, devant Dieu, entre les esclaves et les libres il n'y a pas de différence ; qu'esclave, libre, sont de vains mots ne correspondant pas à une réalité[87], les écrivains et les orateurs ecclésiastiques du IVe siècle vont plus loin et ne craignent pas de sonder le fondement même de l'esclavage. Ce fondement, pour eux, c'est l'injustice, de quelque prétexte qu'on la couvre. Dès le temps de Constantin, Lao-tance écrit qu'a la racine de toute inégalité sociale on la rencontre. Pendant tout le cours du siècle, théologiens, prédicateurs, poètes sacrés, commentent ce mot en l'appliquant à la servitude. Son origine, disent-ils, c'est le péché, c'est la tyrannie, c'est l'avarice, l'insatiable cupidité. Esclave ou libre, distinction mauvaise ! s'écrie saint Grégoire de Nazianze. L'esclavage, loi mauvaise ! répète-t-il. Plus hardiment, saint Grégoire de Nysse, dans une homélie, déclare qu'en soumettant au joug leurs semblables créés par Dieu pour commander, les hommes se sont attaqués au précepte divin et ont dépassé les limites d'un pouvoir qui leur avait été donné sur les seuls êtres privés de raison : Homme vous-même, comment pouvez-vous vous dire le maitre d'un homme ? Et saint Jean Chrysostome résume tout l'enseignement catholique de son siècle en disant que la servitude n'est pas naturelle, c'est-à-dire qu'elle est contraire à l'ordre primitif et au droit même de la nature[88]. Pour bien juger de la portée de ces paroles, il faut se souvenir qu'elles ont été, le plus souvent, prononcées en chaire, devant des foules où maîtres et esclaves se trouvaient confondus ; quelquefois, comme l'indique dans un de ses sermons saint Jean Chrysostome, c'était pour donner satisfaction à la pensée intime des auditeurs, pour résoudre leurs doutes et répondre à leurs demandes, que les orateurs sacrés traitaient ces hautes questions, où tant d'intérêts présents, de droits actuels, de fortunes existantes, se trouvaient engagés.

Il eût été périlleux d'aller jusqu'au bout des conclusions qui semblaient sortir de ces prémisses. Beaucoup d'excellentes familles chrétiennes possédaient encore des esclaves[89], et, comme elles les traitaient bien, avec un égal respect de leur corps et de leur âme, elles ne croyaient point pécher contre la justice. Dans certains foyers d'élite, une vraie fraternité religieuse s'établissait même entre maîtres et serviteurs, qui s'édifiaient mutuellement par leurs exemples et s'excitaient ensemble à la vertu. Saint Grégoire de Nazianze avait vu, dans la maison de ses parents, un spectacle de ce genre, et en parle dans les termes les plus touchants. Saint Basile vivait avec ses domestiques comme avec des égaux, et semblait, nous dit-on, partager leur servitude[90]. Faire à d'aussi pieuses gens une obligation de conscience de se séparer de leurs esclaves eût sans doute été prématuré. Mais il n'était point hors de propos de le conseiller aux autres. Quelques-uns se défendaient de cette insinuation par un sophisme : Si nous gardons des esclaves, disaient-ils, c'est dans leur intérêt, afin de les nourrir. A ceux-là, saint Jean Chrysostome répondra un jour : Achetez donc des esclaves, mais pour leur enseigner un métier, et les rendre libres ensuite ![91] Tout se résumait, en définitive, à ceci : préparer par l'apprentissage les esclaves à recevoir utilement leur liberté, et à se transformer en ouvriers. Laissant de côté la question de justice, posée théoriquement du haut de la chaire, les interprètes de l'idée chrétienne font, dans la pratique, appel surtout à la vertu de charité.

Ils demandent à ceux qui les écoutent d'affranchir beaucoup d'esclaves. Mais ils veulent qu'on le fasse prudemment, et qu'on ne donne la liberté qu'à des gens capables d'en bien user. Depuis longtemps, la coutume s'est établie, chez les païens comme chez les chrétiens, de libérer des esclaves en mourant. Ordinairement, on leur laisse leur pécule, afin qu'ils aient les moyens de vivre. A la fin du IVe siècle, au moins parmi les chrétiens, on eût rougi d'agir autrement. Si dur et si inhumain que tu sois, dit saint Jean Chrysostome à un possesseur d'esclaves, tu ne voudrais pas mourir sans léguer, à ceux qui l'ont mérité par une bonne conduite, la liberté avec quelque argent[92]. La loi, cependant, ne permettait pas de faire sur une très grande échelle ces libéralités de la dernière heure. Jusqu'à Justinien, on n'eut pas la faculté d'affranchir par testament plus de cent esclaves. Aussi la bonne œuvre demandée aux chrétiens, comme la plus efficace et la plus méritoire tout ensemble, c'était la liberté donnée de leur vivant. Aucune loi ne la restreignait, et Constantin avait même ajouté aux formes classiques des formes nouvelles, pour la rendre plus facile et plus fréquente[93].

Les affranchissements entre vifs furent pratiqués de tout temps. Mais, à côté de ceux qu'inspirait un véritable sentiment d'affection ou de bienfaisance, combien eurent l'intérêt pour seul mobile ? Quelquefois, la liberté était vendue à l'esclave moyennant l'abandon de ses économies. Cela se rencontre encore au IVe siècle, et saint Jean Chrysostome, dans un tableau navrant, peint l'affranchi dénué de ressources, qui regrette amèrement la servitude[94]. D'autres fois, on donnait la liberté pour s'épargner la charge de nourrir un invalide ; tel, dit un poète du temps, le chien que le berger a gardé tant qu'il l'a vu capable de ramener le troupeau ou d'aboyer au loup, et dont il détache le collier quand il le juge impropre au service[95]. L'affranchissement conseillé aux chrétiens devait être pur de ces calculs de l'égoïsme antique. On voulait qu'ils donnassent la liberté ainsi qu'une aumône. On leur proposait même, comme le suprême effort de la vertu, un don plus vaste et un dépouillement plus complet. La libération de quelques esclaves, dans un sentiment religieux, est une bonne œuvre ; mais c'est l'affranchissement en masse des esclaves d'une maison, d'une famille, qui devient l'idéal.

Plusieurs fois les documents ecclésiastiques nous l'ont montré réalisé. Au IVe siècle, il dut en être souvent ainsi. On avait vu des fidèles se dépouiller de tous leurs biens pour en donner le prix aux pauvres : sans doute, ceux-là ne vendaient pas leurs esclaves, ce qui eût été une singulière façon de faire la charité ; ils les renvoyaient libres et comblés de dons. On dit qu'un ancien consul, mort victime de la persécution de Julien, affranchit un jour cinq mille esclaves : malheureusement, la pièce d'où est tiré ce renseignement est trop suspecte pour qu'on puisse s'y appuyer. Mais un historien digne de foi, contemporain des événements qu'il raconte, rapporte un fait semblable, dont l'héroïne est une grande dame, de ce groupe instruit et pieux qui s'était formé sous l'influence de saint Jérôme. Mélanie la jeune, épouse du sénateur Pinianus, vendit, de concert avec son mari, la plus grande partie de leurs nombreux immeubles pour en distribuer le prix aux pauvres ; en même temps, elle affranchit ceux de ses esclaves qui voulurent être libres, environ huit mille[96]. Cette phrase de Palladius est instructive. Elle montre d'abord combien l'esclavage était devenu supportable, quand les malins étaient de fervents chrétiens ; il résulte, en effet, des termes employés par l'écrivain que beaucoup parmi les esclaves de Mélanie aimèrent mieux demeurer à son service que de la quitter pour être libres. Mais surtout on remarquera le chiffre donné par l'historien. Il fait connaître l'immensité de la population servile qui faisait encore partie de certains patrimoines aristocratiques, à une époque où le nombre des esclaves avait diminué et où les fortunes étaient amoindries. Si l'on veut bien se souvenir que, même en un temps où la marchandise humaine était moins rare sur le marché, et par conséquent moins chère, un esclave de valeur moyenne était estimé à 500 fr.[97], on comprendra l'énormité du sacrifice pécuniaire qu'entraînait l'affranchissement de huit mille esclaves : Mélanie se dépouillait entièrement d'une somme équivalant à 4 millions de francs.

Telle était, à la fin du IVe siècle, la force du sentiment chrétien. On ne saurait méconnaître en lui le principal moteur des progrès constatés à cette époque. Cela ne veut pas dire qu'il ait, même alors, tout amélioré. Des historiens à courte vue rendront seuls le christianisme responsable des vices et des lacunes que, cent ans après la conversion de Constantin, présente encore la constitution économique et sociale du monde romain. On ne saurait, par exemple, lui faire un crime de n'avoir pas arrêté la décadence de la classe moyenne, que nous avons montrée au commencement de ce chapitre. Cette décadence avait des causes tout extérieures et imputables à la seule politique. Mais là où un défaut du régime social a des raisons plus profondes, accuse une de ces lésions morales que le christianisme a précisément pour mission de guérir, cette guérison semble se faire sous nos yeux. L'histoire nous en montre les phases diverses. C'est la doctrine chrétienne qui, en rendant au travail sa noblesse primitive, en faisant prévaloir le dogme de l'égalité originelle et de la fraternité évangélique, a changé les idées et renouvelé, par son fond, le monde antique. Ces principes se répandaient, s'insinuaient, modifiaient les situations, entraient dans les âmes ; on pourrait leur appliquer les mots si expressifs de l'historien sacré, disant de la parole de Dieu qu'elle croissait et se multipliait à la façon d'un organisme vivant[98]. Nous avons essayé de rendre visible, sinon ce travail intérieur, au moins ses résultats, et de montrer, dans la société qui se transforme, l'ouvrier occupant peu à peu tous les postes d'où se retire lentement l'esclave. Ce changement presque insensible, à peine aperçu des contemporains, est devenu pour la postérité l'un des plus grands spectacles de l'histoire.

 

 

 



[1] Loi de 339. (Code Théodosien, XII, I, 27.) Cf. lois de 317, 326, 338, 340, 343, 363, 354, 358, 361 (ibid., 4, 5, 14, 24, 25, 26, 29, 36, 41, 42, 44, 48.)

[2] Lois de 325, 326, 341, 344, 346, 363, 355, 358. (Code Théodosien, XII, I, 11, 13, 81, 37, 38, 40, 43, 45.)

[3] Lois de 341, 344. (Code Théodosien, XII, I, 33, 34.)

[4] Loi de 319. (Code Théodosien, XII, I, 6.)

[5] Concile de Sardique, année 343, canon 7.

[6] Saint Basile, Ép. 84.

[7] Saint Basile, Ép. 74. — Voir Saint Basile, Deuxième partie, chap. : Les affaires de la Cappadoce.

[8] Saint Jean Chrysostome, In Matthæum, Homilia LXII, 4.

[9] Ammien Marcellin, XIV, 6.

[10] Code Théodosien, XII, I, 143, 144 ; XVIII, 1, 2 ; Code Justinien, X, XXI, 16 (loi de 324).

[11] Code Théodosien, XIII, I, 4 (loi de 862).

[12] Code Théodosien, XIII, VI, 1 ; XIV, III, 1, 6, 11. 20 ; IV, 1, 8. — Sur ces collegiati, voir Waltzing, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, t. II, p. 259 et suiv.

[13] Code Théodosien, XIV, IV, 7. Cf. XIII, V, 3 ; VI, 2, 6, 7, 8 ; XIV, III, 7, 10, 13, 19 ; IV, 1, 5.

[14] Code Théodosien, XII, I, 33.

[15] Saint Basile, Ép. 303.

[16] Saint Grégoire de Nazianze, Poemata de se ipso, I, II, IX ; Poemata quæ spectant ad alios, XLIX ; Orat. XII, XX, XXVIII ; Ép. 199 ; saint Grégoire de Nysse, Contra Eunomium, I ; saint Basile, Ép. 177, 208, 228, 286, 248, 358.

[17] Saint Jérôme, Vita S. Hilarionis ; Sozomène, Hist. Ecclés., III, 14 ; Acta Sanctorum, mars, t. II, p. 742. — Tillemont, Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique, t. VII, p. 109.

[18] Saint Athanase, Vita S. Antonii ; Sozomène, Hist. Ecclés., I, 13.

[19] Cf. les textes bien connus de Cicéron (De officiis, I, 42 ; Pro Flacco, 18 ; Pro domo, 33) ; Valère Maxime (V, II, 10) ; Sénèque (De Benef., VI, 18) ; Suétone (Claudius, 22).

[20] Saint Paul, I Cor., IV, 12 ; I Thess., II, 9 ; IV, Il ; II Thess., III, 8, 10, 11, 12 ; Ephes., IV, 28. Cf. Act. apost., XX, 34.

[21] Doctr. duod. apost., 12 ; Pastor., II, mandatum II.

[22] Athénagore, legat. pro Christ., Il ; Minucius Félix, Octavius, 5, 12, 16 ; Tertullien, Apologétique, 46.

[23] Origène, Contra Celsum, I, 28, 29.

[24] Cf. un canon attribué au concile de Nicée ; De Broglie, l'Église et l'Empire romain, t. II, p. 65.

[25] En Orient, où écrit saint Jean Chrysostome, les psaumes de David sont très populaires à cette époque : les laboureurs les chantent en poussant la charrue (saint Jérôme, Ép. 46) ; on en voit souvent des versets gravés sur la façade des maisons et dans les cimetières (De Vogüé, Syrie centrale, pl. XXXII, XLVI, LXXXVI, etc.)

[26] Saint Jean Chrysostome, In Ép. I Cor., Hom. V, 6 ; XX, 6 ; XLIV, 4. — In illud : Salutate Aquilam et Priscillam, Hom. I, 3, 4. — In Genesim, Hom. L, 2. — Sermo ad eos qui convenium Ecclesiæ deseruerunt, 2. — De Anna sermo IV, 6. — Expositio in psalm., XLI, 2.

[27] Orelli, Inscript., 4289 ; Wilmanns, Exempta inscript., 2590. — L'inscription, qui a été publiée d'abord par Muratori, est certainement chrétienne, et probablement catacombale, car elle se termine par la formule Depositus... qui ne se rencontre jamais sur les tombes païennes.

[28] Acta Sanctorum, février, t. I, p. 89.

[29] Rufin, Vitæ Patrum, I, 130.

[30] De Rossi, Inscript. christ. urbis Romæ, t. I, n° 14 (année 279), p. 21.

[31] De Rossi, Inscript. christ. urbis Romæ, t. I, n° 62, p. 49.

[32] Les époux portent le simple cognomen, Junianus, Victoria, sans la nomenclature en usage dans les familles de rang distingué ; l'orthographe est incorrecte : Bictora pour Victoria ; deux fois pauperorum pour pauperum, depossio pour depositio, birgnia pour virginia. C'est le parler populaire, tel qu'il se rencontre souvent dans les catacombes (cf. n° 819, p. 142.)

[33] De Rossi, Roma sotterranea, t. III, pl. XIII.

[34] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XXI, 29.

[35] Sur ces collegia, on me permettra de renvoyer aux autorités et aux textes rassemblés à l'appendice A de mon Histoire des persécutions pendant la première moitié du IIIe siècle, 2e édit., p. 480-484.

[36] Interdiction pour les chrétiens de prendre part aux réunions des clubs funéraires et de recevoir la sépulture dans leurs tombeaux communs (saint Cyprien, Ép. 47.)

[37] Lactance, Div. Inst., V, 19.

[38] Ces exemples sont cités par M. Waltzing, Revue de l'instruction publique en Belgique, t. XXXIV, 1891.

[39] Bullettino di archeologia cristiana, 1868, p. 71.

[40] Corpus inscriptionum latinarum, t. VI, 1152.

[41] Bull. della comm. arch. comunale di Roma, 1887, p. 6. — Il est vrai que les corarii avaient, peu d'années auparavant, élevé des statues à Dioclétien et à Maximien Hercule.

[42] Wilmanns, Exempta inscript., 647 a.

[43] Code Théodosien, X, XX-XXII.

[44] Vopiscus, Aurelianus, 33 ; Trebellius Pollion, Triginta tyranni, 8.

[45] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 57.

[46] Sozomène, Hist. Ecclés., V, 15.

[47] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XLIII, 57.

[48] Sozomène, Hist. Ecclés., V, 15.

[49] Loi de 317 ; Code Théodosien, X, XX, 1.

[50] Voir dans mon livre sur les Esclaves chrétiens le chapitre Intitulé : Diminution du nombre des esclaves et progrès du travail libre au IVe et au Ve siècle (3e éd., p. 411-475).

[51] Code Théodosien, XIV, XVII, 5.

[52] Prudence, Contra Symmachum, I, 582 ; II, 949.

[53] Prudence, Contra Symmachum, II, 954.

[54] Code Théodosien, XIV, XVII : De annonis civicis et pani gradili.

[55] Ammien Marcellin, XIX, 10.

[56] Prudence, Contra Symmachum, I, 580-588.

[57] Ex auctoritate Tarraci Bassi... Préfet de la ville après 388 ; Ammien Marcellin, XXVIII, 1.

[58] Sur cette inscription, et les fragments, découverts à diverses époques, qui la composent, voir Bull. della comm. arch. com., 1891, p. 342-348. Il résulte d'un de ces fragments que l'ensemble des gens auxquels s'appliquait l'édit du préfet étaient désignés par le nom générique de (taber) narii, boutiquiers.

[59] Saint Jean Chrysostome, III Act. apost., Hom. XLII, 4. — Cf. In Matth., Hom. VI, 8.

[60] Ammien Marcellin, XIV, 8 ; saint Basile, In Hexæmeron, Hom. IV, 1.

[61] Corpus inscr. lat., t. I, p. 378.

[62] Saint Basile, Hom. in psalm., LXI, 4 ; Hom. in martyrem Julittam, 6 ; Hom. In illud Lucæ : Destruam, etc., 3 ; — saint Grégoire de Nazianze, Poemata qua spectant ad alios, IV, 149-153 ; — saint Jean Chrysostome, III Ép. ad Rom., Hom. XVII, 3.

[63] Saint Basile, In Hexæmeron, Hom. IV, 1.

[64] Saint Jean Chrysostome, Hom. contra ludos et theatra, 1, 2.

[65] Saint Basile, De legendis libris Gentilium, 4.

[66] A l'occasion des jeux célébrés pour la questure de son fils, Symmaque donne vingt esclaves aux écuries du cirque (Ép., II, 78.)

[67] Saint Grégoire de Nazianze, Poemata quæ spectant ad alios, VIII, 115-122.

[68] Symmaque, Ép., II, 46.

[69] Sozomène, Hist. Ecclés., IV, 1.

[70] Lactance, Div. Instit., VI, 21.

[71] Saint Jean Chrysostome, In Genesim, Sermo VIII, 2 ; In Matth., Hom. XLVIII, 6, 7 ; LXXVIII, 3.

[72] Ammien Marcellin, XIV, 6 ; saint Grégoire de Nazianze, Poemata de se ipso, LXXXVIII, 84-86 ; saint Jean Chrysostome, in Genesim, Sermo VII, 4 ; VIII, 2 ; Expos. in psalm., XLI, 2 ; In Matth., Hom. XLVIII, 5. — Vers la fin du siècle seulement, l'autorité publique s'effrayera du relâchement des mœurs, et prescrira de licencier les esclaves musiciennes (Code Théodosien, XV, VII, 10, année 385.)

[73] Saint Jean Chrysostome, In Joann., Hom. XLVII, 5 ; In Ép. ad Rom., Hom. XIV, 10 ; In Ép. ad Ephes., 1, Hom. II, 4.

[74] Sozomène, Hist. Ecclés., VII, 25.

[75] Julien, Oratio II, second panégyrique de Constance, 4.

[76] Ammien Marcellin, XIV, 8 ; saint Basile, In Hexæmeron, Hom. V, 2 ; saint Jean Chrysostome, In Joannem, Hom. LXXX, 2 ; in I Cor., Hom. XLV, 5 ; in Ép. ad Rom., Hom. VI, 6 ; in Ép. ad Hebr., Hom. XXVIII, 4, à ; in Act. apost., Hom. XXIV, 4.

[77] Saint Grégoire de Nazianze, Poemata moralia, VIII, 144-148.

[78] Ammien Marcellin, XIV, 8 ; saint Grégoire de Nazianze, Poemata moralia, VIII, 144-148, XXVIII, 90 ; saint Basile, in Psalm. XIV Hom. II, 4 ; saint Jean Chrysostome, in Psalm. XLVIII Hom., 8.

[79] Saint Jean Chrysostome, In Ép. ad Ephes., 6, Hom. XXII. 2 ; Ad Stagirium a dæmone vexatum, III, 12.

[80] Saint Basile, Hom. in martyrem Julittam, 6 ; Hom. in divites, 6 ; Hom. in psalm. XXXII, 5 ; Ép. 199 ; Julien, Ép. 86 ; Claudien, In Eutrope, I, 35 ; saint Jean Chrysostome, in Act. apost., Hom. XLV, 4 ; In Ép. I ad Tim., Hom. XVI, 2 ; Hom. De libello repudid, 1 ; In Ép. ad Ephes., 4, Hom. XV, 8, 4 ; XVI, 2 ; In Math., Hom. LXXXIX, 4 ; In illud : Propter fornicationem, etc., Hom. I, 4 ; In Ép. I ad Cor., Hom. XII, 5 ; In Ép. ad Coloss., 4, Hom. XII, 2 ; In Ép. ad Philem., Hom. I, 2 ; Ad Theodorum lapsum, I, 13 ; saint Jérôme, Ép. 77.

[81] Ammien Marcellin, XIV, 6.

[82] Saint Jean Chrysostome, In Ép. ad Hebr., Hom. XXVIII, 4, 5.

[83] Saint Jean Chrysostome, In Ép. ad Rom., Hom. XI, 6.

[84] Saint Jean Chrysostome, In Ép. I Cor., Hom. XL, 5.

[85] Saint Basile, Ép. 199, n° 49 ; Hom. in Psalm. XXXII, 6 ; saint Jean Chrysostome, In Ép. ad Ephes., 6, Hom. XXII, 2 ; In Ép. I Cor., Hom. XII, 5 ; In Ép. II Tim., Hom. IV, 2 ; In illud : Propter fornicationem, etc., Hom. I, 4 ; saint Jérôme, Ép. 77.

[86] Ne pouvant citer ici tons les textes, Je renvoie à mon livre sur les Esclaves chrétiens, 3e éd., chapitres intitulés : Rang des esclaves dans la société chrétienne et le Mariage religieux des esclaves. — Voir encore saint Basile, Ép. 199, 48, et 227, 53.

[87] Saint Paul, I Cor., VII, 32 ; Lactance, Div. Instit., V, 17 ; saint Jean Chrysostome, De Lazaro, Concio VI, 8.

[88] Lactance, Div. Inst., V, 15 ; saint Grégoire de Nazianze, Oratio XIV, 25, 28 ; Poemata theologica, II, 26 ; Poemata moralia, XXXIII, 133-140 ; Poemata de se ipso, I, 79-82 ; saint Grégoire de Nysse, In Ecclesiast., Hom. IV ; saint Jean Chrysostome, in Ép. ad Ephes., 8, Hom. XXII, 2 ; In Ép. I Tim., Hom. XVI.

[89] Saint Basile, Ép. 248.

[90] Saint Grégoire de Nazianze, Oratio XVIII, 1 ; XLIII, 35.

[91] Saint Jean Chrysostome, In Ép. I ad Cor., Hom. XL, 5.

[92] Saint Jean Chrysostome, In Matth., Hom. XIII, 5

[93] Code Théodosien, IV, VII, 1 ; Code Justinien, I, VIII, 2 ; XIII, 1. — Cf. Code Justinien, VII, III, 1, et Institutes de Justinien, I, 7.

[94] Saint Jean Chrysostome, In Ép. ad Tim., Hom. XVI, 2.

[95] Claudien, In Eutrope, I, 132-137.

[96] Liberavit autem servorum qui voluerunt octo millia. Palladius, Hist. Laus., 119.

[97] Voir les Esclaves chrétiens, p. 18, note 1.

[98] Act. apost., XII, 21.